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cher; toutes ces considérations si importantes ne pouvaient pas permettre aux ministres des autels de se partager (1), comme le dit le plus éloquent des apôtres, entre Dieu et une épouse, et faisaient nécessairement pour eux du célibat une loi qu'ils ne pouvaient pas avoir la liberté de violer.

Aussi, Messieurs, le mariage a-t-il toujours été sévèrement défendu aux prêtres par la religion. Tous les conciles, comme votre commission elle-même vous l'a observé, sont pleins, à cet égard, des prohibitions les plus rigoureuses.

Le plus célèbre de tous, le concile de Trente, a même lancé tous les anathèmes de la religion contre ceux qui auraient la hardiesse de soutenir que le mariage n'était pas interdit aux prêtres par l'autorité de l'Eglise.

Cette autorité de l'Eglise, Messieurs, était devenue aussi celle de nos rois.

Nos rois avaient reçu avec respect toutes ces lois de la religion sur le mariage des prêtres, et les avaient exécutées avec une fidélité digne d'elles.

Elles formaient une partie de notre droit civil. Tous nos jurisconsultes en retraçaient les dispositions comme des commandements inviolables. Des lois particulières avaient même été rendues, dans les époques orageuses du seizième siècle, contre des religieux qui avaient profité des troubles pour se marier, et leur avaient ordonné, sous les peines les plus sévères, de se séparer de leurs femmes, et de retourner dans leur monastère ou aux fonctions de leur sacerdoce.

Nos parlements avaient toujours appliqué ces lois.

Ils proscrivaient avec courage tous ces scandales, mais alors heureusement rares, que de mauvais prêtres donnaient à la religion en se mariant, et en bravant ainsi les défenses qu'elle avait portées.

Le ministère public signalait lui-même son zèle en réclamant, avec toute l'autorité qu'il tenait de la puissance souveraine, contre les mariages que se permettaient des prêtres qui n'avaient pas honte de déserter làchement la religion à laquelle ils s'étaient voués, et d'embrasser la religion protestante pour les contracter.

L'illustre Talon entre autres déploya au parlement de Paris l'indignation la plus énergique dans une cause où il s'agissait d'un mariage que se proposait de contracter un prêtre qui s'était rendu protestant.

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Quiconque, disait ce grand magistrat, sert « l'autel et est employé dans l'Eglise en qualité d'ordiné, est incapable du mariage par une ré<sistance personnelle et une incapacité canoni« que, comme le prouve l'exemple de toutes les « nations chrétiennes de l'Orient et de l'Occident, « dans lesquelles il ne s'est pas trouvé un seul pré« tre qui ait jamais pensé au mariage depuis son « ordination. »>

M. Talon ajoutait que « si un prêtre se mariait, soit qu'il cachat ou avouât son ordre, son impiété le rendait coupable de sacrilége et qu'il pouvait être poursuivi extraordinairement comme profanateur d'un sacrement institué par Dieu même. » Et il appuyait cette décision sur un principe éminemment conservateur de l'ordre social, « c'est que, malgré la liberté de conscience, on n'avait pas le droit de blesser les lois générales de l'Etat, qu'il y avait une vérité éternelle qui devait être la règle et le niveau de nos actions, que l'incon

(1) Qui autem est cum uxore sollicitus est... quomodo placeat uxori et divisus est. (Saint Paul.)

stance de notre esprit et le libertinage de nos mœurs n'étaient pas la mesure du droit public, et qu'il n'était pas loisible à un homme qui changeait de religion de faire préjudice aux grandes maximes du royaume. »

Et ce magistrat immortel fit rendre contre le prêtre apostat qu'il poursuivait ainsi avec la vertueuse irritation de son zèle un arrêt qui lui fit défense de se marier, à peine de nullité et de punition exemplaire.

D'autres arrêts semblables avaient déjà été rendus avant cette réclamation solennelle de M. Talon, et d'autres ont été rendus encore depuis.

En un mot, toutes nos cours souveraines se sont en quelque sorte disputé la gloire de rendre hommage aux mêmes maximes, et leur jurisprudence a toujours été à cet égard aussi sévère que la religion, et aussi invariable que ses lois mêmes.

Malheureusement, Messieurs, le torrent des idées, ou plutôt des crimes révolutionnaires, vint engloutir toutes nos institutions et tous nos principes.

La religion se perdit dans ce naufrage.
La morale périt aussi avec elle.

La législation n'employa sa puissance qu'à créer toutes les libertés, briser toutes les chaînes, affranchir de tous les devoirs.

Le clergé fut dépouillé de ses propriétés, et ses membres réduits à de simples pensions.

Tous les vœux qu'on avait formés au pied des autels furent abolis.

Le mariage des prêtres ne fut cependant pas autorisé d'une manière formelle, mais d'après l'abolition des voeux, le sacerdoce cessa de paraître un empêchement dirimant de le contracter.

Il y eut donc alors des prêtres corrompus et profanateurs de la religion, qui se marièrent, mais ce que je vous supplie, Messieurs, d'observer, c'est qu'ils se marièrent volontairement.

Ils n'y furent contraints par aucune force majeure.

Ils cédèrent aux coupables et viles passions qui les entraînaient.

Ils furent les victimes de leur propre dépravation.

La scandaleuse législation d'alors protégea sans doute leur parjure, elle l'encouragea; elle écarta d'autour d'eux les difficultés ou les obstacles qu'ils rencontraient de la part des communes dans lesquelles ils étaient établis, et que leur sacrilége révoltait; elle leur permit d'exercer leurs fonctions ecclésiastiques quoique mariés; elle les soutint contre les autorités qui s'opposaient à cet exercice; elle leur conserva le traitement dont ils jouissaient; elle déclara même que les communes qui se permettraient de les inquiéter à raison de leur mariage seraient obligées de leur fournir elles-mêmes ce traitement; enfin elle porta le délire jusqu'à proclamer que tous les évêques, tous les curés, tous les vicaires qui auraient le honteux courage d'abdiquer leur caractère et leurs fonctions de prêtres recevraient de la République des secours annuels, qu'elle gradua suivant l'âge, comme le tarif et le prix de leur désertion (1). Mais c'étaient là des faveurs de la loi, Messieurs, et non pas des violences; c'étaient, si l'on veut même, des séductions; c'étaient des encouragements; c'étaient des récompenses, mais ce n'étaient pas des persécutions. C'était si peu des persécutions, que dans ce temps-là même, la nation résistait de tout son

(1) Décret du 2 frimaire an II.

pouvoir à tous les efforts de l'impiété et du fanatisme révolutionnaire, pour éteindre dans les cœurs le sentiment de la religion, en détruire les monuments dans nos temples, y substituer le culte idolâtre de la raison au culte sacré du Dieu de l'univers, et y effacer jusqu'aux vestiges de l'antique foi de nos pères, de leur piété profonde et ardente, et de leurs nobles sacrifices.

La résistance de la nation était sans doute vaincue par des obstacles plus puissants qu'elle. Les ravages de la Révolution s'accroissaient tous les jours.

La corruption devenait tous les jours plus active.

Mais cette corruption n'allait cependant pas jusqu'à contraindre les prètres à se marier, car il y a un excès dans le crime devant lequel les plus audacieux même reculent.

On voyait, au contraire, partout ces prêtres sacriléges avec horreur.

Les communes les chassaient de leur résidence, et il fallait des décrets de la Convention pour les rétablir (1).

Des évéques même qui avaient souscrit la constitution civile du clergé, leur refusaient l'institution canonique, et il fallait encore des décrets pour anéantír leur refus (2).

D'autres évêques qui ne voulaient pas non plus se prêter à consacrer des mariages aussi scandaleux, les traversaient par des difficultés d'une autre nature, et il fallait encore des décrets pour menacer ces évêques de la déportation s'ils persistaient dans leur résistance (3).

Et tous ces décrets, Messieurs, que votre commission elle-même vous a cités, sont de l'année 1793, c'est-à-dire de l'époque de notre révolution la plus désastreuse.

C'est donc là autant de témoignages frappants que, non-seulement on n'exerçait pas de violences pour forcer les prêtres à braver les défenses de la religion en se mariant, mais que c'était au contraire ceux d'entre eux qui s'étaient permis ce honteux parjure, qui avaient ensuite recours à la Convention pour en obtenir une protection tutėlaire pour leurs mariages.

J'insiste sur cette circonstance importante, Messieurs, parce que dans une autre Chambre on a prétendu, pour excuser les prêtres et empêcher que la résolution qui vous est soumise ne fût adoptée, que « les lois du temps ne permet« taient pas seulement leur mariage, qu'elles le «< commandaient en quelque sorte, ou plutôt que « l'affreux gouvernement qui existait alors ne « laissait pas d'option à la plupart d'entre eux a entre le mariage et la mort (4). »

Vous voyez, Messieurs, par les lois elles-mêmes, toute l'incertitude de cette assertion.

Vous voyez que ce n'était pas, comme on le prétend, le gouvernement d'alors, tout affreux qu'il était, qui ordonnait aux prêtres de se marier.

Vous voyez que ce n'était pas lui qui les plaçait, comme on le dit encore, entre le mariage et la mort.

Le gouvernement, au contraire, les défendait des contradictions dont ils pouvaient devenir l'objet à cause même de leur mariage.

Les prêtres qu'il poursuivait étaient ceux qui refusaient le serment que les lois révolutionnaires leur avaient imposé, ceux qu'on appelait insoumis,

(1) Décret du 17 septembre 1792. (2) Décret du 17 septembre 1792. (3) Décret du 19 juillet 1793.

(4) Opinion de M. le comte Beugnot.

ceux qui n'obéissaient pas aux lois de la République, ceux qui ne les reconnaissaient pas.

On ne demandait pas à ces prètres de se marier; on n'allait pas jusque-là; on leur demandait le serment, la soumission, l'obéissance.

On voulait leur faire adopter d'autres formes ecclésiastiques que celles qui pouvaient se concilier avec leurs principes.

On voulait les forcer à trahir la foi qu'ils avaient jurée.

Un grand nombre d'entre eux y a résisté ; ils ont préféré la mort; ils se sont laissé massacrer dans les cachots comme des agneaux qui tombent sous le couteau sanglant qui les égorge, et cet épouvantable martyre qu'ils subissaient avec tant de résigation et tant de courage était encore un dernier hommage qu'ils rendaient à cette religion dont ils périssaient victimes.

D'autres sont parvenus à se soustraire à la hache des bourreaux, ils se sont ensevelis tout vivants dans des souterrains, dans des cavernes, dans des antres; ils s'y sont cachés à tous les regards; ils y ont disputé aux animaux quelques aliments ou quelques pâtures pour se soutenir, et ils n'ont fait que prolonger leur agonie en prolongeant leur déplorable sécurité.

D'autres enfin qui n'avaient pas la force de supporter le spectacle de tant d'horreurs, se sont empressés de fuir une terre que le crime avait envahie, et, emportant avec eux leur foi, leur Dieu, leur patrie, leurs vertus, leur désespoir, leur misère, ils sont allés à travers les mers, les périls, les tempêtes, chercher des climats plus hospitaliers, des asiles plus sûrs, ou des déserts moins funestes pour eux encore que les hommes.

Et cependant, Messieurs, au milieu de ces horribles calamités, les prêtres qui s'étaient mariés ou qui avaient renoncé à leur caractère de prêtres, et pour lesquels on voudrait exciter aujourd'hui votre intérêt ou votre pitié, étaient tranquilles; ils vivaient sous la protection des lois révolutionnaires; ils se livraient sans crainte à leurs passions; ils jouissaient, comme dit Tacite, ce peintre immortel des malheurs de Rome sous la tyrannie des monstres qui la gouvernaient, ils jouissaient des dieux irrités (1); et, à l'abri de toutes les syndérèses, de toutes les agitations, de tous les remords, ils bravaient les menaces de la religion, foulaient sous leurs pieds tous les scrupules, et profitaient, heureux et paisibles, des bienfaits du gouvernement.

Mais aujourd'hui, Messieurs, que cet état de choses heureusement s'éloigne de nous, aujourd'hui que nous ne vivons plus sous l'empire des lois révolutionnaires, aujourd'hui que les principes sont revenus, et avec eux la monarchie de la religion, si je puis m'exprimer ainsi, ou au moins la religion de la monarchie, on ne peut plus avoir les mêmes idées. Des prêtres mariés aujourd'hui ne sont plus des prêtres. La religion qu'ils ont abjurée ne les connaît plus; le gouvernement lui-même ne peut pas les reconnaître comme tels; leur caractère sacerdotal est bien, sans doute, toujours indélébile aux yeux de Dieu; mais il n'existe plus aux yeux des hommes; ils ne peuvent plus en exercer les fonctions. Déjà même ces fonctions leur avaient été interdites sous la législation de l'an X. On avait recommencé dès cette époque à regarder le mariage et le sacerdoce comme incompatibles; on avait même décidé que les officiers civils ne devaient plus admettre à se marier des ecclésiastiques qui

(1) Fruitur diis iratis.

seraient engagés dans les ordres sacrés, et le sacerdoce était redevenu ainsi un empêchement prohibitif du mariage comme auparavant. Mais, depuis le retour du Roi, et depuis la Charte, Messieurs, les principes ont acquis bien plus dé puissance qu'ils n'en avaient avant nos formes nouvelles. Aujourd'hui, en effet, la religion ca. tholique est la religion de l'Etat. La Charte y est expresse. Elle veut bien, à l'article 5, que chacun professe sa religion avec la même liberté, et obtienne la même protection pour son culte; mais elle déclare à l'article 6, de la manière la plus positive, que cependant la religion catholique, apostolique et romaine, est la religion de l'Etat. Or, la religion de l'Etat, Messieurs, ne peut avoir rien de commun avec des prètres mariés; le mariage les sépare d'elle; ils ne peuvent plus exister à ses yeux sous ce titre le gouvernement qui professe cette religion, et qui ne professe qu'elle, ne peut donc pas lui-même les avouer; il ne peut pas les traiter comme des ecclésiastiques, ils n'en ont pas le caractère pour lui; ils ne sont plus absolument pour lui que des hommes comme les autres; ils sont des laïques; il ne peut donc pas les envisager aujourd'hui sous un autre rapport, et il ne peut pas surtout, sous l'empire des lois actuelles, leur continuer, à titre de pensions ecclésiastiques, un traitement auquel ce nom est devenu nécessairement étranger, et qu'ils ne doivent qu'aux lois révolutionnaires.

Votre commission cependant, Messieurs, réclame dans son rapport la conservation de ce traitement pour les prêtres mariés. Elle prétend qu'il faut faire ici une distinction entre les lois religieuses et les lois civiles; elle convient que, sous l'aspect des lois religieuses, le mariage des prêtres à dù sans doute être proscrit, mais que les lois civiles ne l'ayant pas défendu, les prêtres ont bien pu, en se mariant, commettre une faute relativement à la juridiction ecclésiastique, mais que, n'en ayant pas commis dans l'ordre civil, la puissance civile ne peut pas leur retirer aujourd'hui une pension qu'elle-même leur a accordée, qui n'avait été soumise à leur égard à aucune condition, et qui, quoique la compensation des biens qu'ils avaient perdus, ne leur avait cependant pas été donnée au même titre que ces biens.

Mais tout ce raisonnement, Messieurs, n'est qu'un vain sophisme qui se réfute par les lois seules.

Il faut remonter, en effet, ici à l'origine de ces pensions qui sont l'objet de la discussion.

Ces pensions étaient sans doute accordées par la puissance civile, mais elles l'étaient comme ecclésiastiques, et elles n'ont jamais porté d'autre nom; elles l'étaient même si bien comme ecclésiastiques, que ce n'était qu'à des membres du clergé, et à ce titre de membres du clergé, qu'elles étaient accordées; elles l'étaient mème, quoi qu'en ait pu dire la commission, à raison des bénéfices que possédait le clergé, et que la nation, en le dépouillant de ces biens, avait privé des revenus attachés à ces bénéfices; et la preuve en est que les lois de l'Assemblée constituante avaient gradué ces pensions suivant les dignités ou les bénéfices ecclésiastiques qu'on possédait, et qu'en deça du maximum qu'elles avaient fixé, elles permettaient aux différents bénéficiers de jouir annuellement, à titre de pension, de ce qu'ils étaient accoutumés à retirer eux-mêmes de leurs bénéfices à titre de revenus.

Cette mesure était sans doute un acte de justice, autant que la justice pouvait, à cette époque,

accompagner des déterminations de ce genre ; mais cette mesure elle-même suppose que, dans l'intention des législateurs, cette fixation de pension n'était pas séparée des devoirs attachés au caractère des ecclésiastiques qui en étaient l'objet. La commission se permet bien de soutenir le contraire dans son rapport; elle prétend bien qu'en établissant les pensions on n'était pas censé avoir imposé aucun devoir aux ecclésiastiques ; elle va même jusqu'à dire dans ce rapport que ce n'était pas au moment où l'on venait d'anéantir le clergé, et où l'on sapait le culte par ses fondements qu'on aurait imposé aux individus qu'on chassait du sanctuaire, l'obligation de remplir tous les devoirs que leur imposait ce culte.

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Mais aucune de ces assertions, Messieurs, n'est conforme à la vérité; la commission confond ici les époques; elle réunit des législations qui n'ont été que successives. Il n'est pas vrai, en effet, qu'au moment où la nation se saisissait des biens du clergé, et où elle créait des pensions à la place, le clergé ait été anéanti; il n'est pas vrai que le culte ait été alors sapé par ses fondements, il n'est pas vrai que les ecclésiastiques aient été chassés du sanctuaire. Tous ces scandales ne sont arrivés que plus tard. Ce n'est que plus tard que des prêtres profanateurs ont abjuré le caractère qu'ils tenaient de Dieu, que la religion a été poursuivie, que ses temples ont été fermés, que Dieu lui-même en a été proscrit, et que la débauche a remplacé la divinité. Mais à cette époque d'invasion des biens du clergé, et de création de pensions, le caractère ecclésiastique était maintenu, le culte était conservé, les frais de ce culte étaient réglés, les obligations qu'il imposait par conséquent en étaient la suite, et il est évident que ce n'était que dans la conviction que ces obligations seraient remplies par les ministres dont on conservait les fonctions, qu'on leur accordait des pensions pour exister et y satisfaire.

Je sais bien, Messieurs, que dans la suite on s'est joué de ces obligations; je sais bien qu'un grand nombre de prêtres parjures ont publiquement renoncé à leur caractère, et que d'autres se sont mariés ; je sais aussi que, malgré leur renonciation ou leur mariage, la Convention nationale leur a conservé les pensions dont ils jouissaient; mais c'étaient là des prévarications et non pas des principes. La Convention, qui ne travaillait qu'à anéantir la religion, marchait à son but; elle protégeait la corruption, pour que la corruption la protégeât à son tour, et elle cherchait, dans les passions dont elle secondait les crimes, les moyens de servir les crimes qu'elle-même voulait commettre. Ce ne sont donc pas là les exemples qu'il faut citer.

La commission observe que la loi qui avait créé les pensions n'avait pas envisgé ce que pourraient être les ecclésiastiques dans la suite, mais seulement ce qu'ils étaient au moment de la création, et sans s'occuper ou s'inquiéter de l'avenir. Mais cette observation, Messieurs, n'est pas raisonnable, elle est même injurieuse pour le législateur. On ne peut pas séparer la loi de son motif. Le motif de la création des pensions était évidemment le maintien du caractère ecclésiastique qui en était l'objet. On ne peut donc pas supposer que, dans l'intention du législateur, la renonciation scandaleuse à ce caractère n'eût pas changé ses principes sur ces pensions. L'Assemblée constituante, malgré toutes ses étonnantes aberrations, ne pouvait pas prévoir et certainement ne prévoyait pas qu'il se trouverait des prêtres quí abjureraient leur état de prêtres ou se

marieraient. On peut même aller jusqu'à dire que, s'il en avait existé de son temps, jamais elle ne leur aurait conservé les pensions qu'elle leur avait accordées, et il y en a une preuve bien frappante dans une de ses lois, celle du 19 juin 1791, c'est que dans cette loi qui paraît avoir été inconnue à la commission, elle déclare que les fonctionnaires ecclésiastiques qui auraient prêté le serment auquel elle les avait soumis et qui s'en seraient rétractés, seraient privés de tous les traitements ou pensions qui leur avaient été accordés par les lois précédentes.

Ce serment était sans doute une violence injuste, et les ecclésiastiques qui avaient eu la faiblesse de le prêter n'accomplissaient en le rétractant qu'un devoir sacré. Mais comme cette rétractation ne leur permettait plus d'exercer les fonctions dans lesquelles on les avait maintenus, l'Assemblée constituante, à raison même de la cessation de ces fonctions, leur enlevait les pensions qu'elle leur avait données pour les continuer. Il en était de même, d'après la loi du 29 décembre 1791, des ecclésiastiques qui avaient refusé le serment, et qui ne recevaient pas non plus leurs pensions. Il en était également de même de ceux qui n'avaient pas atteint l'âge de vingtquatre ans à l'époque de la suppression de leurs bénéfices en 1790, et dont une loi du 21 brumaire an II supprima les pensions, précisément parce qu'à cause de la faiblesse même de leur âge, ils n'avaient pas le pouvoir d'exercer les fonctions que le sacerdoce pouvait conférer. Ces pensions étaient donc véritablement réunies à l'exercice des fonctions ecclésiastiques, et là où il n'y avait plus de fonctions il n'y avait pas non plus de traitement. Mais tout a changé avec les lois révolutionnaires ces lois ont eu une marche toute différente, et elles ont même dû l'avoir, car, à l'époque de ces lois, il n'existait plus de religion; les prêtres qui l'avaient abjurée étaient précisément, à cause même de leur apostasie, les objets de leur faveur; cette apostasie leur était chère; elles avaient à cœur de la favoriser, et c'était pour la favoriser de toute leur puissance que non-seulement elles conservaient aux prêtres mariés qui n'avaient pas d'autre revenu que leur traitement, ce traitement dont ils jouissaient, mais qu'elles le conservaient aussi à ceux qui avaient d'autres revenus, quoique les ecclésiastiques non mariés n'obtinssent pas la même faveur.

Il a bien fallu, Messieurs, supporter tous ces outrages à la religion pendant que nous avons vécu sous le joug affreux de la plus épouvantable impiété et de la plus féroce tyrannie; on ne pouvait alors que gémir, on ne pouvait que se taire; les cœurs étaient révoltés pendant que les mains étaient enchaînées; mais aujourd'hui que nos fers sont brisés, il est temps enfin de mettre un terme à tous ces scandales; ils n'ont que trop consterné la religion; ils n'ont que trop insulté la morale; il faut leur épargner enfin à l'une et à l'autre l'humiliation de récompenser plus longtemps le vice que leur caractère est de flétrir; il faut venger les principes, il faut les rétablir. On ne peut pas conserver des pensions purement et entièrement ecclésiastiques, à des hommes qui ont cessé eux-mêmes de l'être. Des prêtres mariés pour un gouvernement catholique ne sont plus des prêtres; ils se sont retranchés de la religion; ils ont passé dans un autre ordre de choses; ce sont des laïques; ce sont des laïques profanateurs d'un sacrement dont il leur est impossible au fond de se séparer, et qui, malgré eux, fait toujours corps avec eux. On ne peut donc pas les

admettre, aujourd'hui qu'heureusement la religion nous est enfin rendue, à la jouissance d'une faveur que la religion ne peut plus avouer, qui est incompatible avec elle, et que ses maximes repoussent comme ses lois.

C'est donc avec bien de la raison, Messieurs, que la résolution de la Chambre des députés réclame du Roi la suppression de ces pensions vé ritablement ecclésiastiques, et possédées par des hommes qui ne le sont pas: et quand votre commission est venue vous dire que la foi publique demandait qu'on les conservât, elle n'a pas fait attention que la monarchie légitime et catholique n'était pas astreinte à consacrer les actes de l'impiété révolutionnaire, et qu'il n'y avait pas de foi publique qui pût couvrir des attentats à la religion et à la morale, et que les lois éternelles de Dieu passaient avant les lois fugitives des hommes.

Observez d'ailleurs, Messieurs, que la résolution qui vous est soumise est tellement modérée qu'elle ne propose pour ainsi dire que de changer le titre de ces pensions; elle-même invoque la bonté du Roi pour que ces mêmes pensions soient continuées à titre de secours à ceux de ces malheureux individus qui ne jouiraient d'aucun traitement ni d'aucune place. "Ainsi, ce n'est pas une peine qu'elle prononce comme on l'en accuse, c'est un grand scandale qu'elle efface; c'est un hommage qu'elle rend à la religion; c'est un principe nécessaire qu'elle rétablit : cette résolution, loin d'être sévère, concilie au contraire l'indulgence avec le devoir; elle ne sépare pas la pitié de la justice; elle tend la main à l'humanité tout à la fois et à la religion; elle ne condamne pas ces prêtres parjures aux rigueurs du besoin ni à des souffrances; elle veut qu'ils soient secourus; elle veut qu'ils vivent, mais qu'ils vivent sans usurper un droit dont ils ont abdiqué eux-mêmes le titre. Qu'ils vivent donc ces prêtres infidèles, mais qu'ils pleurent au moins sur leur faute; qu'ils l'expient par leur repentir; qu'ils n'étouffent pas leur conscience, qu'ils n'en écartent pas les remords, et qu'ils songent que si la colère céleste permet quelquefois aux révolutions de bouleverser les Etats pour le châtiment des nations, et à l'impiété d'étendre ses ravages avec ses triomphes, il vient cependant enfin un moment où la tempête se calme, où la Providence se montre, où l'ordre social ébranlé se rasseoit sur ses fondements, et où la justice divine reprend ses droits et les venge.

Je vote pour la résolution.

M. le marquis de Rougé (1). Messieurs, ce n'est point comme opération de finance que l'on peut considérer la résolution que vous discutez; l'économie est ici absolument nulle pour l'Etat, d'abord parce que le nombre des individus atteints par la mesure projetée n'est pas assez considérable pour présenter une masse de pensions importantes, en second lieu, parce que le projet de loi présenté par les ministres le 29 décembre dernier porte que les pensions ecclésiastiques doivent, en s'éteignant, retourner au bénéfice du clergé en général, et tel doit être aussi le sort de celles dont il s'agit. C'est donc uniquement comme principe politique et moral que vous devez envisager la résolution. Et quelle considération peut être plus importante à vos yeux! J'entends dire dans toutes nos adresses, dans tous nos discours :

(1) Cette opinion n'a point été prononcée, la Chambre ayant ordonné la clôture de la discussion avant le moment où l'orateur était inscrit pour la parole.

Il faut relever la religion, elle seule est l'appui du trône et la régulatrice des peuples. Nous le disons, Messieurs, mais ce n'est pas assez, il faut prouver que telle est sérieusement notre intention; il faut soutenir ses institutions, propager sa morale, défendre ses lois; employer notre autorité à la faire respecter dans ses principes et dans ses ministres. Et qu'on ne me dise point: Les cultes et les consciences sont libres, ne nous en mêlons point. Comme particuliers, sans doute, nous ne pouvons nous en mêler; mais comme législateurs, c'est pour nous un devoir et le plus sacré des devoirs. La religion catholique est en France la religion de l'Etat; nous devons donc réprimer avec vigueur tout ce qui est publiquement contraire à sa doctrine. Un de vos orateurs vous a déjà cité l'exemple des nations voisines qui, tout en tolérant les différents cultes, savent faire respecter la religion de l'Etat. Ne rougissons donc point, Messieurs, de soutenir la nôtre; et n'oublions point que toute législation qui n'est point fondée sur la loi divine est un monstre en morale, et doit périr avec ses auteurs.

Cela posé, quí a moins de droit à votre intérêt et qui doit plus attirer votre censure que le prétre marié! Qu'est-ce qu'un prêtre ? C'est le ministre de Dieu, source de toute morale; l'homme nourri de ses préceptes, celui dont chaque parole doit être une leçon, et chaque action un modèle; ce qui chez les autres est faiblesse, devient presque un crime pour lui. Sa seule vue doit être un reproche pour le méchant et un éloge pour la vertu. Tel est, Messieurs, disons-le avec orgueil pour notre religion et pour la France, tel a toujours été et tel est encore en général le portrait d'un prêtre francais. Mais plus celui qu'il représente est admirable, plus celui qui foule aux pieds tant de devoirs doit être l'objet d'une juste sévérité. Le prêtre marié, non content d'avoir violé son serment, d'avoir renié le caractère ineffaçable dont il est revêtu, profane un second sacrement, et par des nœuds illégitimes entraîne une compagne moins coupable encore que lui dans la route infame qu'il lui trace. Qu'attendre, Messieurs, d'un tel homme? Espérez-vous trouver de l'honneur, de la probité, de la délicatesse, dans celui qui a trahi son Dieu, et qui, goûtant sans remords les fruits de son crime, éloigne des instructions de la religion des enfants, fruits infortunés de ses coupables nœuds, de peur qu'en apprenant à connaître son crime, il ne devienne à leurs yeux un objet d'horreur? Tels sont, Messieurs, les êtres à qui l'on vous demande d'ôter aujourd'hui le modique salaire laissé à l'entretien de ces ministres des autels dont les vertus et les travaux consolent l'Eglise des chagrins que lui a causés la défection des mauvais prêtres. Pouvez-vous balancer à les en priver? Leur jouissance n'est-elle pas un vol manifeste fait aux autels? Ces fonds sont destinés à alimenter le ministre du culte, et non à soudoyer le sacrilége et l'immoralité.

Mais, dit-on, ce n'est point comme prêtres qu'ils jouissent de ces pensions, c'est comme anciens usufuitiers privés de leurs biens dont cette pension est censée leur tenir lieu. Je veux bien admettre ce principe. Il s'ensuivra évidemment qu'ils n'ont droit à ces pensions qu'au même titre auquel ils jouissaientjadis des biens ecclésiastiques, et que, devenus inhabiles à posséder ces derniers, ils le sont également à prétendre à la pension. Or, Messieurs, un prêtre qui, jadis aurait trahi tous les devoirs de son état, et qui, passant dans un pays protestant, s'y serait marié, aurait-il été

admis à jouir des biens de son couvent ou des fruits de son bénéfice? Non, certes, Messieurs, et sans parler des punitions terribles qui lui auraient été infligées, il eût été privé de tous ses biens ecclésiastiques. Sa pension qui les représente doit donc avoir le même sort; et du moment où le prêtre a renoncé à son état, soit en se mariant, soit en embrassant une profession incompatible avec le saint ministère, il doit être privé de tous les avantages qu'il pouvait en retirer. Eh quoi ! tandis que les pasteurs fidèles languissent dans le besoin et n'ont pour récompense de leurs sacrifices et de leurs vertus que la misère, le travail et souvent l'humiliation, d'insolents apostats, riches de leurs crimes et fiers de leur trahison, partageraient les restes de la dépouille de l'Eglise, qui ne suffit même plus aujourd'hui pour donner du pain à ses ministres !

Le France, Messieurs, vient, par la voix de ses députés, de vous signaler cet abus; elle attend votre concours pour porter au pied du trône sa plainte respectueuse la refuser, Messieurs, serait consacrer l'infamie et récompenser le scandale.

J'ai entendu faire à la résolution une objection d'une autre nature. Ces êtres, dit-on, sont tarés dans l'opinion publique; avoir l'air de les persécuter, c'est exciter l'intérêt en leur faveur. Ce principe est faux, Messieurs; l'on s'intéresse au coupable égaré par une passion aveugle ou par une faiblesse excusable, mais jamais au criminel justement puni. Et d'ailleurs, Messieurs, s'agitil, donc ici de leur faire suppoter ces longues et sévères pénitences qu'il eussent eu à souffrir autrefois ? De quoi les menace-t-on pour exciter ce grand intérêt? On veut leur ôter ce qui ne leur appartient pas, et rendre aux lévites le patrimoine du temple, usurpé par les pontifes de Baal. Votre décision, soyez-en sûrs, Messieurs, n'excitera en France d'autre sentiment que celui d'une juste reconnaissance, du moins parmi cette immense majorité de la France qui, fidèle à son Dieu, dévouée à son Roi, soupire après l'instant où la cause ne trouvera plus d'ennemis.

Mais le repentir n'a-t-il donc pas ses droits? Oui, Messieurs, et la Chambre des députés l'a bien senti; mais, pleine de confiance en la bonté de son Roi, après avoir proscrit le crime, elle lui recommande le coupable repentant. La Chambre sait bien que, vivante image du Dieu de bonté, le Roi distinguera les remords du véritable repentir de la lâcheté et de l'hypocrisie. Je vote pour la résolution.

CHAMBRE DES DÉPUTÉS.
PRÉSIDENCE DE M. LAINÉ.

Comité secret du 13 mars 1816.

Le procès-verbal du comité secret du 11 mars est lu et adopté.

La Chambre accorde deux congés, l'un à M. Auvynet et l'autre à M. Bulle.

M. le Président dit que la Chambre des pairs a envoyé un message par lequel elle annonce qu'elle adopte la résolution de la Chambre des députés sur les pensions ecclésiastiques dont jouissent les prêtres mariés.

La résolution sera portée au Roi par le bu

reau.

Un membre (M. Duplessis de Grénedan) lit une proposition tendante à suspendre provi

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