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Roi, chargés de ses finances, n'attestent pas seulement, mais prouvent par le calcul, prouvent mathématiquement la possibilité de l'exécution pleine, entière, plus que suffisante de la loi ; et ces orateurs me pardonneront de penser que, sur ce point, la France, et surtout les créanciers, croiront plutôt le Roi et ses conseils que la commission. Mais je leur dois une autre réponse. La loi est inexécutable, dites-vous; mais veuillez auparavant me dire si, par hasard, vous ou la Chambre êtes chargés de l'exécuter? Vous me répondez que non. C'en est déjà trop de se passer de l'initiative royale; vous ne voulez pas envahir la puissance exécutive. Alors je vous demande à qui il appartient de juger la possibilité de l'exécution d'une loi rendue? Est-ce à celui qui est chargé de cette exécution, qui l'a commencée, la continue, veut la continuer, ou à celui qui n'en est pas chargé, et, par sa nature, n'en peut jamais être chargé ? Est-ce à l'une des branches du pouvoir législatif du domaine duquel la loi est absolument sortie, ou bien au Roi dans le domaine duquel la loi est irrévocablement entrée ?

La loi de 1814 est injuste, poursuivez-vous. Mais prouvez-moi d'abord que vous êtes constitués juges de sa justice: jusque-là je vous soutiendrai que vous devez être, comme tous les Français, sujets soumis et respectueux de la loi.

Cependant voyons un instant quelle est cette injustice. C'est que cette loi de 1814 sanctionne une loi de 1813 sur l'aliénation des biens des communes, qui, elle-même, était injuste.

Ici, Messieurs, le sujet est assez grave, il se rattache par lui-même à tant d'autres plus graves encore, que vous nous permettrez quelques réflexions. Je suppose que l'emprunt forcé fait en nature sur les communes, en 1813, n'a point été moins onéreux pour elles qu'un nouvel impôt de valeur égale; je suppose qu'un emprunt forcé est toujours une mauvaise opération, que c'est toujours une iniquité de le rembourser en rentes au pair; mais alors pourquoi la commission veutelle consolider au pair le dernier emprunt de 100 millions, qui, sans doute, n'a pas été plus également réparti? Pourquoi, surtout, ne propose-t-elle pas de rendre aux communes ces 23 millions redus sur leurs biens, et qui en sont la représentation? La commission s'écriera : La nécessité ! la loi existante! Mais ses prédécesseurs aussi ont dit la nécessité! La loi existante! Il me semble qu'une excuse vaut l'autre, et que la commission n'a pas le droit de censurer aussi amèrement ce qu'elle-même propose de faire.

En deuxième lieu, l'injustice du passé nous révolte; ce sentiment est louable, mais, Messieurs, si les siècles pouvaient se rapprocher devant nous, si, dépouillés de la mousse des temps, la racine de tous les droits pouvait se découvrir à nos yeux, pensez-vous que les droits le plus justement respectés aujourd'hui nous apparaitraient purs de toute violence, de toute usurpation, de toute injustice? Eh bien! Messieurs, celui qui n'a pas compris que la Révolution renferme plusieurs siècles en elle; celui qui n'a pas senti que la volonté du Roi, la Charte qu'il nous a donnée avaient reculé dans le temps tous les actes antérieurs, cet homme n'a point élevé ses pensées assez haut pour concourir à donner des fois à la France actuelle.

Enfin, et pour dernière réflexion sur ce sujet, qui de nous doute que le Roi n'ait dans le cœur de réparer toutes les injustices. mais toutes

les injustices réparables, mais sans commettre d'injustices nouvelles, sans violer aucun de ses engagements, mais avec prudence, et en assurant d'abord le présent, le présent sans lequel il n'y aurait pas d'avenir. Que si notre impatience ne veut point attendre la sagesse du monarque, que si une volonté aveugle déconcerte toutes ses mesures, et, pour les devancer, confond tous ses desseins, alors, Messieurs, alors nous nous sommes vainement flattés de voir terminer la Révolution !

Revenons, Messieurs, et disons qu'en 1814, le Roi et les Chambres ont sagement pesé l'intérêt et les droits des communes, l'intérêt et les droits des créanciers, l'intérêt de l'Etat; que tout a été irrévocablement réglé alors, et que vous ne pouvez rien remettre en question contre la volonté expresse du Roi.

Faire le contraire serait une usurpation évidente sur l'initiative royale, et les circonstances la rendraient plus grave et plus irrévérentielle.

En effet, considérez que cette loi nouvelle que vous feriez sur l'arriéré, cette loi destructive de la loi existante, cette loi que vous feriez sans l'initiative du Roi, sur l'initiative usurpée de la commission, cette loi, vous la joignez, vous l'incorporez au vote de l'impôt pour cette année. Vous placez le Roi dans cette position, ou de rejeter la loi de finances, sans laquelle l'Etat doit périr, ou d'accepter votre loi nouvelle. Mais, n'importe-t-il pas aussi au salut de la France de conserver intacte cette prérogative royale boulevard de la monarchie? N'importe-t-il pas à la France de conserver intacte cette foi, cette loyauté sans tache de son Roi, que proclamait, il n'y a pas encore une année, l'Europe assemblée, cette loyauté qui déjà a sauvé la France, et qui, seule, peut-être, la sauverait encore? Si vous en êtes convaincus, Messieurs, considérez encore une fois la position violente où vous placez le monarque, et peut-elle être dans votre volonté ?

L'erreur de votre commission n'est pas absolument nouvelle, Messieurs. Souvent on a vu les corps, chargés d'accorder les impôts, vouloir dicter en même temps des conditions étrangères à leur emploi. L'on à vu les Communes d'Angleterre faire une partie de leurs conquêtes sur la couronne, en joignant d'autres bills aux bills de subsides; mais nous, qui avons encore les mains pleines des concessions et des bienfaits de notre Roi, nous, qui n'aspirons sans doute à détacher aucun droit de la couronne, pourquoi donc adopterions-nous cette marche? Si nous pensons que la loi de septembre 1814 a besoin d'une réformation, n'avons-nous pas la voie de supplique? Et pourquoi, ne voulant pas violenter la couronne, préférer à la route légale un sentier inconstitutionnel? (Une assez vive agitation se répand dans l'Assemblée.)

Remarquons, Messieurs, que lors même qu'à l'exemple des Communes anglaises, nous aurions l'initiative des lois, notre marche ne serait pas moins illégale, moins dangereuse pour la couronne qu'en Angleterre. Il n'y a été trouvé d'autre remède que la jurisprudence, introduite par la Chambre des lords, de rejeter, sans examen, tout bill joint par les Communes au bill de subsides. Le remède nous est inutile tant que nous respectons l'initiative royale; mais si nous l'envahissons, nous le rendons nécessaire.

Enfin, disons-le, cette loi nouvelle sur l'arriéré, que nous joindrions au budget de 1816, serait inouïe, monstrueuse dans son objet. En effet,

tous les peuples libres ont fait, avec raison consister une grande partie de la liberté à consentir par leurs députés les subsides demandés par le souverain; mais jamais on ne les a vus révoquer ces subsides une fois consentis; jamais on ne les a vus ressaisir dans les mains du souverain les valeurs qu'ils lui avaient abandonnées pour remplir ses engagements, et le forcer ainsi à y manquer. Voilà, Messieurs, voilà ce qu'aucune assemblée, états, diètes, parlements ou législatures n'ont jamais fait.

Ici, Messieurs, et avant de passer au deuxième arriéré, je dois vous exprimer une crainte. Sans doute je suis nonté à cette tribune plutôt pour remplir un devoir, que dans l'espérance de transmettre à d'autres ma propre conviction. Je ne voudrais pas cependant avoir produit des sentiments qui fermeraient les cours aux vérités que je crois salutaires. Or, un des orateurs (1) qui les a combattues, a exprimé une vive indignation que l'on prît lant de peine pour défendre la monarchie contre les meilleurs amis du monarque, que l'on citât sans cesse les exemples de la Révolution à ceux qui, sans cesse, en avaient été les antagonistes et les victimes. Je comprends cette sorte d'indignation, Messieurs, et quoique j'aie pu l'exciter moi-même, je dirai volontiers que je la partage, En y réfléchissant, à quoi imputer ce contraste? à la fausse position dans laquelle se place, à nos yeux au moins, tout ami du monarque qui se méprend sur les véritables maximes de la monarchie, sur les bons moyens de la servir c'est parce qu'il est ami de son Roi, parce qu'il sent fermement en lui qu'en définitive le trône. n'a rien à craindre d'un sujet prêt à périr pour le défendre; c'est par ce sentiment peut-être qu'il sera moins scrupuleux observateur d'une forme constitutionnelle, lors surtout qu'au fond il croira rendre un grand service à son pays, à son Roi même. Mais ce n'est pas seulement pour ce jour, c'est à jamais que les formes constitutionnelles doivent défendre le trône; ce n'est pas seulement contre nous, c'est contre tous nos successeurs; et que ce mot nous rappelle qui a siégé avant nous dans cette enceinte. C'est dans les temps les plus difficiles, les plus calamiteux, qu'il faut que notre exemple soit cité pour faire observer ces formes et non pour les violer.

J'ajouterai encore que, même en ce moment, un zèle tropardent, trop ombrageux, devient nuisible, s'il ébranle comme importunes les barrières que séparent notre action de l'action du pouvoir royal. Parce que nous avons vu tomber le trône, ce n'est pas une raison pour sans cesse y porter la main (Des murmures interrompent); parce que nous avons vu le Roi trahi, ce n'est pas un motif pour assiéger de nos méfiances, de nos alarmes, ses serviteurs actuels: chaque chose a son temps et chacun son office. A notre arrivée, il était bien, il était nécessaire d'appeler des épurations; mais aujourd'hui, que depuis six mois on a refait toutes choses, changé, remanié les administrations, leur adresser encore en masse les mêmes reproches, appeler à grands cris l'épuration des remplaçants, comme on a fait celle des remplacés, ce n'est pas seulement une chose intempestive, c'est une chose éminemment dangereuse (Un grand nombre de voix: Oui! oui !). On se plaint que les ministres ne marchent point, je m'étonne, moi, qu'ils puissent faire un seul pas, lorsque, si l'on ne les décrédite pas eux-mêmes, on décrédite au moins, on décourage tous leurs subordonnés :

(1) M. Brenet.

tout se paralyse, chacun hésite lorsque chaque démarche peut amener une accusation; le caractère national s'altère, la délation, horrible fleau, commence à infecter la France. Il est temps qu'un emploi cesse d'être un crime, et la confiance du Roi un titre de suspicion. (Vifmouvement d'adhésion.)

Je puis traiter de l'arriéré postérieur à la Restauration, parce qu'aucune loi n'a encore réglé comment il serait payé.

Divers orateurs se sont expliqués sur la consolidation. Les uns l'ont appelé un mode de payement équitable, nécessaire; les autres l'ont qualifié de spolation, de banqueroute. Pour résoudre la question, ramenons-la à ses termes les plus simples.

Ecartons d'abord avec la commission toutes les créances illégitimes; elle l'a dit, une liquidation sévère doit en faire justice.

Maintenant, demandons-nous ce que c'est qu'une créance. C'est une propriété, mais une propriété tout aussi respectable que la propriété du sol luimême; je me trompe, sous un aspect, elle l'est davantage, elle a plus de titres à la protection des lois; car le sol demeure en la garde de son posseur; la créance est commise à la foi d'autrui ; créance et confiance sont un. Ainsi, la loi qui sévit contre un débiteur infidèle, venge à la fois et la propriété lésée et la confiance abusée, Entre toutes les créances, celles sur l'Etat sont les plus sacrées, lci le créancier a dit au débiteur: je sais que vous êtes puissant, je sais que vous serez arbitre de mon sort; mais je sais aussi que vous êtes juste, qu'au besoin vous seriez généreux. Si la chose est ainsi, et qui pourrait le nier? réduire la créance d'un particulier sur l'Etat, est donc une confiscation non moins odieuse, qu'enlever partie de son capital de sa caisse, que l'évincer de partie de son domaine.

Cependant on vous propose de refuser à jamais, au créancier postérieur à la Restauration, au créancier qui a cru à la première Restauration, qui a cru à la seconde, le payement de son capital, de le convertir en une rente à 5; s'il veut rentrer dans ce capital, il faudra qu'il vende la rente à un cours qui, dans ce moment, décline au dessous de 60, qui, au jour de sa liquidation, peut être bien inférieur. Il faudra qu'il perde deux cinquièmes, moitié ou davantage; et c'est le créancier de décembre dernier qui subira cette perte, lorsque le créancier de janvier sera payé intégralement; est-ce là de l'équité? Et que sera-ce si, à ce traitement, nous ajoutons l'insulte?

Si cette mesure n'est absolument nécessaire, avouez qu'elle est éminemment frauduleuse et tyrannique; hâtez-vous donc de prouver sa nécessité.

Mais d'abord, quelle nécessité peut jamais autoriser l'Etat débiteur à dénaturer forcément, arbitrairement le titre de son créancier? Un Etat, comme tout débiteur, peut ne pas payer comptant; il peut demander du temps; mais il ne peut pas dire qu'il ne payera jamais; il ne peut pas dire qu'il ne payera que partie, et annuler le surplus de la créance.

Vous dira-t-on qu'il faut reléguer ces maximes étroites dans les écoles ou les tribunaux; que la morale politique est autre que la morale privée ? On vous tromperait, Messieurs.

Interrogez, d'une part, les peuples dont les finances sont délabrées, et chez qui la ruine publique a entraîné tant de ruines particulières; ils vous diront que c'est à ces perfides conseils, à ces

mesures iniques qu'ils ont dû et leur discrédit et leur ruine.

Interrogez au contraire les peuples qui ont vraiment des finances, l'Angleterre, l'Amérique, la Hollande, la Prusse, la Saxe, et leur demandez leur secret. Elles vous répondront: La bonne foi, et plutôt que d'y manquer, toutes sortes de sacrifices.

Vous leur conterez vos désastres, votre épuisement, vos charges. Les uns vous montreront des charges proportionnellement plus lourdes. encore; d'autres, des revers plus grands, un épuisement plus douloureux; mais au delà, après des années de résignation et de fidélité, ils vous en feront voir le prix dans le recouvremeut du crédit, de l'indépendance, de la dignité nationale.

Pensez-y bien, Messieurs, tout se lie en ce monde; depuis vingt-cinq ans la foi française est devenue trop justement suspecte en Europe; les effets survivent à leurs causes, et nous ne l'éprouvons que trop; l'étranger honore la loyauté du Roi; il demande encore des garanties de celle de la nation. C'en sont de mauvaises à donner, Messieurs, que d'établir en principe qu'une loi sur les créances de l'Etat oblige les créanciers sans obliger l'Etat que d'imposer aux nationaux, pour 100 francs, la même valeur qui ne se vend pas 60, et que nous venons de donner aux étrangers pour 75; que de prouver, en un mot, par le fait, que nous ne sommes fidèles à nos engagements, que nous n'observons la loi qu'avec le plus fort. Un publiciste de nos jours à fait cette réflexion aussi juste que profonde: « Lorsque les peuples « ont perdu leurs traditions, il leur faut tout écrire, jusqu'à leurs mœurs. » Ainsi, au sortir de la terre d'Egypte, de la maison de servitude, comme Israël avait perdu la mémoire des patriarches et de leurs pieux exemples, Dieu résolut de donner à son peuple des lois écrites. Une de ces lois fut celle-ci: Tu ne voleras point. Ainsi, après les longues erreurs de la Révolution, après tant de manquements de foi, de spoliations, d'iniquités, de tyrannies, le Roi que la Providence nous a rendu et qu'elle inspira, sans doute, le Roi, raffermissant, par la loi fondamentale, le principe même de la société, la propriété, le Roi dit à l'Etat qu'il instituait « Tu ne dépouilleras point « celui qui aura remis sa fortune à ta foi; tes << engagements avec tes créanciers seront inviola«bles (1). »

Cette loi fondamentale a reçu nos serments; la France, le monde, regardent comment nous allons les remplir.

Je vote sur les deux arriérés, conformément à la proposition du Roi. Je me réserve de voter sur les autres parties du budget, d'après les lumières qui résulteront de la discussion.

La Chambre ordonne l'impression du discours de M. de Serres.

M. Roux de Laborie (2). Messieurs, la matière soumise à vos délibérations est immense; quel coup d'œil peut espérer d'en mesurer l'étendue, d'en embrasser l'ensemble? Personne plus que moi ne paraîtrait téméraire en concevant seulement le projet d'une telle entreprise; il est loin de ma pensée; mais il me semble que l'on doit déjà aux lumières répandues par la discussion, de pouvoir élever des doutes sur quelques parties d'un sujet qui ne comprend rien moins que le présent et l'avenir de la France.

(1) Art. 70 de la Charte constitutionnelle.

(2) Le discours de M. Roux de Laborie est incomplet au Moniteur.

Permettez-moi de parcourir trois points de cette vaste discussion.

Je tâcherai d'établir:

1° Que la loi du 23 septembre 1814 n'est pas obligatoire pour vous;

20 Qu'une fois vos consciences en liberté, vous ne devez plus prendre pour guide que la justice et l'intérêt public;

3o Je vous soumettrai ensuite quelques réflexions sur l'article du projet de votre commission, qui vous propose d'ajouter au budget de 1816, cinq millions pour les dépenses du culte. Et sur ce dernier point, Messieurs, je dois vous rassurer d'avance. Ne craignez pas que trop obstinément fidèle aux devoirs que vous m'aviez imposés dans une autre circonstance, je vienne encore vous soumettre au douloureux tourment d'entendre les cris de la justice, du malheur et du besoin, inutilement adressés à la conviction, à l'impuissance et à la bonté.

Et d'abord, Messieurs, la loi du 23 septembre est-elle obligatoire? Je crois que s'il s'agissait de prouver qu'elle n'était, dans le principe, ni utile, ni juste, ni politique, on serait aujourd'hui facilement d'accord; elle n'a guère été ici défendue que pour la forme, par des arguments de position, par une apologie obligée.

Comment soutenir, en effet, qu'il fût raisonnable de sacrifier à un arriéré incertain, dont l'appréciation a varié de 20, 30 et 40 p. 0/0, la masse fixe, certaine et vraiment inappréciable, parce que la perte en serait irréparable, d'une portion considérable du reste de nos forêts?

Comment croire qu'à la première renaissance du jour de la justice, au bruit des applaudissements de la France qui saluait le retour de la légitimité, devant le sentiment si vif et si universel de la nécessité de finir la Révolution, on ait pu con. tinuer les systèmes de l'usurpateur, payer ses dettes avec le bien d'autrui, et regarder comme des propriétés disponibles dans l'intérêt du trésor royal celles qui restaient par miracle aux autels dépouillés, les débris du patrimoine des communes de France? Comment croire qu'en présence du Roi légitime, dont, il est vrai, on ne s'est pas alors avisé d'invoquer la conscience, on ait pu violer les maximes fondamentales du gouvernement des rois, ses ancêtres, sur l'inaliénabilité des biens et surtout des forêts de la couronne; en présence du fils de saint Louis, achever dé déshériter l'Eglise? Comment aujourd'hui défendre le mérite financier d'un système jugé par l'événement, puisque cette monnaie, promise aux créanciers comme moyen de payement intégral, perdait, en moins de deux mois, 22 p. 0/0 Et qu'a-t-il fallu pour la soutenir? Vendre rapidement les meilleures parties de ces forêts, dont, pendant les débats, on n'avait obtenu à cette tribune la disponibilité qu'à la condition presque expresse de les hypothéquer sans les vendre.

Ce n'est donc pas du mérite de la loi du 23 septembre qu'il s'agit, c'est de son autorité : mais nous connaissons malheureusement ces injustices consacrées par l'intérêt social, arrachées, au nom du repos des peuples, à la conscience des législateurs et des rois, à propos desquelles on peut dire que la témérité qui ne les regarderait pas comme irrévocables, ressemblerait presque, par ses funestes effets, au malheur de les avoir originairement commises. Est-ce, Messieurs, sur une injustice de ce genre que nous avons encore à gémir? Je ne le crois pas; en général, il est un premier caractère auquel la politique marque et reconnaît ces calamités nécessaires, il faut qu'elles

soient consommées; et, par exemple, la Charte couvre de son impénétrable égide les 36,000 hectares aliénés par suite de la loi du 23 septembre, comme les 2 milliards de biens vendus en vertu du premier acte de la législation spoliatrice, de ce décret de funeste mémoire, rendu le 2 novembre 1789. On vous a parlé d'un engagement pris avec les créanciers de l'Etat. Avec quel créancier de l'Etat? C'est donc avec ceux qui les deviendraient; car personne n'était encore liquidé. Est-ce avec ceux des 300 millions qui restent, ou avec ceux des 200 millions environ qui ont disparu, et qu'on avait supputés par erreur? Un engagement! Est-ce à la France, sortant par miracle du tombeau, et survivant à l'agonie 1815, qu'on peut vouloir imposer des engage ments qui soient fixes, irrévocables, sans être synallagmatiques? Où estil ce contrat en vertu duquel le créancier qui n'était pas liquidé alors, qui ne l'est pas aujourd'hui, qui ne le sera peut-être jamais, car son titre n'est pas établi, peut venir vous dire : « Voilà nos « conventions, j'ai tenu les miennes, accomplissez « les vôtres ? » Et non-seulement aucun créancier n'est porteur d'un pareil titre souscrit par le gouvernement actuel, mais il n'en a jamais reçu de semblable d'aucun autre gouvernement antérieur. Son contrat primitif, comme tous ceux qui se passent avec le despotisme, était un véritable contrat aléatoire, une espèce de loterie, où la corruption, l'adresse, le crédit, l'intrigue dirigeaient, suppléaient le hasard; on était payé par les primes; les plus heureux pouvaient espérer que 30, 40 bons billets sur 100 sortiraient de la roue là étaient consolidés; le reste devait disparaître dans ces cartons fameux qui ont rempli un des plus vastes hôtels de la place Vendôme; dans ce gouffre d'un véritable arriéré qu'assurément n'auraient jamais comblé les forêts de l'Etat, ni celles du clergé, ni celle des communes.

ceux

Supposons, Messieurs, qu'à l'une des plus fameuses époques de l'usurpation, Bonaparte eût réuni tous ses créanciers et qu'il leur eût dit : « Avant de partir pour les victoires qui doivent achever ma puissance et ma grandeur, je veux << assurer tout ce qui vous est dû et encourager, « par un système d'acquittement tout nouveau « sous mon règue, les efforts dont je pourrais encore avoir besoin; vous allez partager ma for« tune et faire des vœux pour elle; je veux vous << traiter tous, comme jusqu'ici, les heureux << d'entre-vous; vous allez gagner les 15 ou 20 « p. 0/0, prélèvement ordinaire de la faveur et de << la corruption; toutes vos créances liquides seront consolidées... >> Quelle joie, Messieurs, quelle surprise, quels concerts de bénédictions pour ce bienfaiteur, pour ce père des créanciers de l'Etat ! Vous savez si, en 1814, ils auraient encore été heureux d'obtenir du Roi légitime ce qu'ils n'avaient jamais pu espérer de l'usurpateur; mais nous avions sur le crédit des expériences à faire qui nous ont garanti de cette idée trop simple. Combien vous-mêmes devez regretter que Bonaparte, ou le premier ministre du Roi, ne vous aient pas rendu ce service; vous auriez évité une de ces dures leçons que personne ne vous épargne; on ne vous aurait pas, à l'avant-dernière séance, en termes secs et clairs, appelés banqueroutiers; on n'aurait pas interrogé, à votre honte, l'histoire ancienne et moderne, ni suscité contre vous les plus célèbres axiomes de la probité royale! La probité royale! N'y aurait-il pas un de ces abus de mots qui nous sont reprochés, à l'invoquer en pareille circonstance! la bonne foi L'entendait-il ainsi ce prince dont un seul mot, gardé

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par l'histoire, a consacré le nom à l'immortalité de la vertu ! Quelle bonne foi, Messieurs, que celle qui, vendant dans les communes d'Alsace et de Franche-Comté, ces forêts garanties par le traité même de réunion à la France, dirait aux propriétaires dépouillés : « Voilà pour 100,000 fr. 5,000 livres de rentes qui pourraient ne vous « en coûter que 60, mais j'en trouve ainsi « à vos dépens 40, afin d'en donner intégrale«ment 100 à des créanciers qui auraient été heu«reux, il y a un an, d'en recevoir 60! » Est-ce donc là la loyauté qu'on vous recommande ? Appellera-t-on probité le brigandage qui vole pour payer? Est-ce là cette vertu à laquelle un prince, appelé en témoignage pour vous faire rougir, promettait, si elle était jamais bannie du reste de la terre, un dernier et inviolable asile dans le cœur des rois?

Comme vous l'a si bien dit l'un des orateurs à qui les principes de la matière sont le plus familiers, puisqu'ils ont fait l'étude de sa vie, des lois de finances, des dispositions législatives sur le budget sont, en quelque sorte, mixtes, et tiennent autant de la nature des mesures administratives, que de celles des lois : toutes les fois qu'elles ne fixent pas le mode précis de l'exécution d'un engagement contractuel, les lois de finance peuvent et doivent souvent être modifiées relativement à ce qui n'a pu être exécuté dans l'année qu'elles embrassent il ne reste que la reconnaissance de la dette sur laquelle elles ont statué, et l'obligation de la payer, toujours en conciliant, selon les circonstances, la foi due aux engagements, la justice et l'intérêt public.

M'est-il permis, Messieurs, de pousser plus loin cette doctrine professée par notre savant collègue, et de vous demander si ce que j'ai moi-même puisé à des lumières supérieures aux miennes, n'est pas exact? N'est-il pas de l'essence d'une loi de finance d'être annuelle, comme il est de l'essence de toute autre d'être éternelle?

Une loi de finance, le budget n'est ni ne peut être obligatoire au delà de l'année dont il calcule les besoins; le budget fixe d'une manière spéciale le mode d'acquittement d'une charge, d'une obligation existante, mais le budget ne peut en constituer une nouvelle, ni acquérir de nouveaux droits à des tiers, parce qu'aucun tiers ne saurait être admis à y stipuler comme partie; parce qu'un budget n'est autre chose qu'un état de recette et de dépense de l'année qui va suivre, le projet arrêté par les pouvoirs constitutionnels de l'application des revenus publics aux charges publiques. Ces charges peuvent augmenter, nous ne le savons que trop; quant aux impositions, source des revenus, elles ne peuvent être établies que par une loi, et il est de l'essence des lois sur l'impôt de n'avoir qu'une seule année de durée.

Si la Charte permet de voter pour un terme un peu plus long les contributions indirectes, ce n'est que par exception, par une disposition expresse; quant à l'impôt direct, la Charte interdit cette faculté d'une manière absolue.

Mais s'il est vrai que la matière essentielle, ou plutôt l'unique matière d'un budget, les recettes et les dépenses de l'Etat n'aient qu'une seule année de durée, n'est-il pas absurde de prétendre que la force et l'autorité d'un budget puissent s'étendre Jau-delà ?

Remarquez, Messieurs, à quel point les adversaires de la commission sont obligés de méconnaître ces principes pour établir leur système. Invoquer en 1816 Pexécution du budget de 1815, est impossible; aussi ne le font-ils pas. Mais il

leur plaît d'extraire de ce budget depuis l'article 21 jusqu'à l'article 31, et ces dix articles de la loi d'une année, ils vous les présentent comme une loi éternelle, irréfragable.

Si on les en croit, ces articles ont aliéné sans retour 300,000 hectares de forêts, abandonnés au ministère des finances, sous la seule condition d'acquitter les dettes de l'arriéré. A cet égard, disent-ils, tout est consommé; il importe peu que les bois soient ou non vendus; que les créanciers soient ou non payés; par rapport à la Chambre, ces bois sont censés vendus et les créanciers acquittés.

Quel langage! quel système ou quel oubli des relations qui doivent exister entre le ministère des finances et la Chambre des députés; comme si entre eux rien pouvait reposer sur des hypothèses, comme si rien pouvait censé être que ce qui est en effet; comme si le ministère ne devait pas à la Chambre le compte et l'état des bois qu'il à réellement vendus, le tableau du produit de ces ventes, l'emploi qu'il en a fait, enfin la désignation précise de ceux de ces bois qui n'ont pas été aliénés, et dont, par là même, la destination peut encore, peut toujours être changée ! Non, Messieurs, non, cette prétendue loi, cette mesure annuelle n'avait pas besoin d'être rapportée; comme il n'était pas nécessaire de dire qu'au budget de 1815, succéderait le budget de 1816, et encore comme un arrangement à terme finit quand le terme arrive, ou comme un bail expiré n'a pas besoin de résiliation.

on

S'il en était autrement, Messieurs, ces formes tutélaires du gouvernement représentatif, ces avantages incontestables de la publicité enchaîne. raient l'avenir; par cela seul qu'on aurait publié des plans, discuté des projets à une tribune, se trouverait à son insu avoir pris des engagements irrévocables, signé des contrats; toutes ces chances, auxquelles les gouvernements sont soumis, les guerres, les désastres, les bouleversements politiques, tourneraient contre eux, et les laisseraient, sans les mêmes moyens ni les mêmes ressources, avec les mêmes obligations et les mêmes charges.

Quelle autorité ces considérations générales n'empruntent-elles pas du moment actuel! Quels changements dans un plan de finances ont-ils jamais été plus terriblement justifiés, plus cruellement absous par le malheur et par la ruine?

Comment se trouve devant vous, au moment de cette discussion solennelle, la France de 1816, comparativement à la France de 1814? A quel arriéré, ou à quelle masse de dépenses extraordinaires était appliquée la loi du 23 septembre? A un arriéré évalué environ 700 millions. Quelle est aujourd'hui la masse des charges extraordinaires de la France, y compris et ce même arriéré de 1814, et celui de 1815, et les contributions de guerre, et l'entretien des troupes alliées? plus de deux milliards! Voilà comment a changé le passif de la France et son actif, qu'est-il devenu? Nul doute qu'il ne soit diminué d'un milliard par les suites de la plus épouvantable catastrophe politique dont les temps modernes gardent le souvenir.

Eh bien! Messieurs, la Chambre peut-elle maintenir, dans des circonstances si différentes, des arrangements pris sous l'espoir d'un tout autre avenir? Ramenons ici une de ces comparaisons qui rassurent toujours, parce que, comme on l'a très-bien dit à cette tribune, la force consent si rarement à être juste, que l'honneur des gouver

nements est en sûreté quand ils se soumettent aux lois qui gouvernent les conditions privées; qui oserait soutenir que dans des circonstances toutes semblables, une fortune particulière, dont le passif et l'actif auraient été à ce point dénaturés et bouleversés, pourrait, devrait même être si injustement, si inégalement fidèle envers quelques-uns, pour devenir injuste, spoliatrice envers tant d'autres, ou plutôt envers tout le reste de ses créanciers?

Est-ce à la France, plus pauvre d'un milliard, et devant 1,500 millions de plus, qu'on aurait proposé de payer le quart de ce qu'elle devrait, intégralement, avec 8 p. 0/0 d'intérêts, en y sacrifiant tout ce qu'elle a de disponible, et de rester ensuite en face des trois quarts de sa dette, n'ayant à déléguer que des impôts sans mesure, ou, en d'autres termes, le reste du sang et de la substance des peuples?

Quelle bizarre et judaïque abstraction favorable à cette dette sans noms propres, sans intérêts individuels, sans titres, à cette masse du premier arriéré, non liquidée, pourrait la faire considérer comme plus privilégiée par le seul bonheur de sa date, que l'arriéré qui la suit immédiatement? La partie légitime de celui-ci ne se compose-t-elle pas des dettes contractées sous le gouvernement du Roi, et la justice de traiter également les deux arriérés ne semblait-elle pas avoir d'abord frappé le ministre de Sa Majesté? On lit dans le discours au Roi, page 10:

« Votre Majesté, sans cesser d'être juste, aurait «pu se montrer sévère pour les créanciers d'un « gouvernement illégal. Elle a autorisé la liqui«dation et le payement de leur dette; mais puis« que les ressources ordinaires de 1815 sont épui«sées, puisque les 70 millions qui devaient <concourir à l'amortissement de l'arriéré ont été

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employés aux dépenses du service courant, il « est juste, il est nécessaire que les payements « restant à faire, et qui forment déficit sur 1815, « viennent s'ajouter à la dette arriérée.

« C'est ainsi que doivent être payées les dépenses << de 1814 qui appartenaient au gouvernement du « premier trimestre: les créanciers du second tri« mestre de 1815 ne peuvent être traités diffé<< remment. »

Tant il est vrai, Messieurs, comme on l'a dit, que tout se tient dans un projet de finances, que les principes quelconques vrais ou contestables sur lesquels on l'appuie, s'éclairent, s'invoquent mutuellement, et qu'on ne peut retirer un titre sans changer toute la loi.

Aussi, Messieurs, vous avez obéi à la force des choses sans blesser les principes, en retenant l'examen du plan qui vous avait d'abord été proposé, et qui vous appartenait tout entier. Ses diverses parties ne vous étaient-elles pas naturellement soumises, par cela seul que le premier de vos devoirs est de vous occuper du budget, et que le budget sera toujours, quoi qu'on en puisse dire, ce que n'a pas encore payé, par conséquent, ce que doit payer la France au moment où il vous est soumis?

Vos droits et vos devoirs, en matière de finances, quelles en sont donc les bornes? Quelle en est l'origine? N'est-ce pas là la base, la gloire, le principal bienfait du gouvernement représentatif? Notre vieille monarchie n'a-t-elle pas, à cet égard, l'honneur d'avoir transmis aux temps modernes des principes déjà consacrés aux époques contemporaines de sa naissance? Quelle différence peuton admettre entre le droit de consentir l'impôt et le devoir de l'appliquer à ce qu'il doit

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