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tunes particulières sont, d'un autre côté, si délabrées, qu'aucun père de famille n'élèvera de futaies, pour lesquelles il faudrait payer, pendant un siècle, l'impôt et les frais de conservation. Les grandes forêts conviennent donc seules à l'Etat qui les aménage. Avec le système de la vente des bois, nos constructions civiles deviendront plus rares et bien plus dispendieuses les constructions navales accroîtront le tribut que nous payons à ce sujet aux puissances du Nord, qui nous fournissent une partie des bois de construction.

Si, en admettant les obligations du trésor royal, en payement des forêts, on a eu l'espoir d'en faire monter les adjudications par la concurrence du nombre immense des obligations qui n'auraient pas d'autres moyens d'écoulement, c'est un espoir chimérique. A-t-on quelque chose à apprendre en fait d'intérêt ou de cupidité aux fournisseurs et aux compagnies financières? Du moment où le surenchérissement des bois, sur le prix desquels il faut donner un cinquième en argent, approcherait de la perte qu'éprouvent les 5 p. 0/0 consolidés, le créancier demanderait son inscription.

D'un autre côté, quand on parle de la nécessité de ne pas altérer le crédit public, comment ne sent-on pas que l'émission sur la place de 4 à 500 millions de bons du trésor royal renouvellerait les assignats qui avaient un gage d'une valeur bien supérieure, et dont il n'est pas nécessaire de rappeler la triste destinée?

Au surplus, à qui les bois doivent-ils d'abord servir de gage?

Cent cinquante mille étrangers armés nous regardent; notre crédit public ne dépend pas de nous seuls. Les puissances à qui nous devons, auront bien plus de confiance, dans la certitude que nos engagements contractés avec elles seront remplis, tant que cette belle et féconde ressource de nos forêts existera. La loi impérieuse de la nécessité les a rendus nos créanciers privilégiés; et quand il est question de foi donnée, celle de nation à nation est et doit être la plus sacrée.

Maintenant, les créanciers de l'arriéré prennent-ils rang après les étrangers?

Je le dis hautement, non, Messieurs, je connais des engagements pris par la nation française, qui ont une hypothèque antérieure, hypothèque qui n'a jamais été périmée, et qui est inscrite, non sur les registres du fisc, mais dans les annales de la religion, dans les replis de la conscience: ce qui est fait est fait; point d'arrière-pensée. Il n'est pas en notre pouvoir d'empêcher que ce qui a eu lieu depuis vingt-cinq ans ne soit arrivé. Nous ne voulons dépouiller personne, mais nous ne continuerons pas le système immoral des spoliations.

L'Assemblée constituante, en mettant la main sur les biens du clergé, les affecta pour garantie des pensions et des traitements des ministres du culte catholique. On sait avec quelle impudeur cet engagement national fut violé. La vente de la presque universalité de ces biens a été consommée. Mais ce qui en reste a-t-il cessé d'être un gage? L'hypothèque n'est-elle pas acquise par antériorité? Ne continue-t-elle pas d'avoir son affectation spéciale au payement de la dette ecclésiastique?

De tout ce qui avait été affecté au payement de l'arriéré par la loi du 23 septembre 1814, il ne reste donc plus que l'inscription sur le grandlivre de la dette publique. Votre commission n'a pas dû vous proposer un autre mode. Les valeurs

qu'elle assigne sont tout ce qu'elle peut donner; un débiteur ne prend que les engagements qu'il peut remplir; nul ne dispose de l'avenir.

Cependant on crie à l'injustice, on ose même prononcer le mot de banqueroute. Je sais d'où partent ces cris. Demandez à ceux qui les profèrent quelle part ils ont portée du fardeau qui pèse depuis si longtemps sur les propriétaires; ils ne pourront vous répondre. Demandez-leur combien leur ont valu nos désastres; ce que leur produisent leurs spéculations sur nos malheurs publics? ils se garderont bien de vous le dire.

Mais examinons en quoi consiste cette injustice. On vous dit : En inscrivant au pair la dette arriérée, vous lésez les créanciers des deux cinquièmes, puisque s'ils vendent leur inscription, ils n'en tireront que 60 p. 0/0.

Prétendrait on inférer de là qu'il faudrait leur compléter les 40 p. 0/0 qui leur manquent? Mais d'abord on leur abandonnerait 8 1/2 p. 0/0 d'intérêt, à raison de 60 francs; et lorsque la rente, dont le cours doit naturellement s'élever au moins à 80, y serait parvenue, ceux qui n'auraient pas vendu se trouveraient avoir bénéficié de 25 p. 0/0 sur le capital. Loin d'être juste, on serait prodigue; ce serait accorder une prime sans exemple aux créanciers, et l'on ne peut vous faire une semblable proposition. Eh bien, dira-t-on, inscrivez leur créance sur le pied de 80 francs p. 0/0, et donnez une indemnité supplémentaire de 20 francs payable en cinq ou six ans, lorsque nous aurons acquitté nos engagements avec les étrangers.

Fort bien; mais considérons que tous les propriétaires payent depuis trois ans plus de la moitié de leur revenu, qui est évalué à 2 1/2 p. 0/0 de leur capital foncier, qu'ils payeront des contributions au moins aussi fortes pendant cinq ans encore; ce qui fait huit années à 2 1/2 ou 20 p. 0/0.

Si on ajoute aux 80 francs du cours où doit au moins s'élever la rente, les 20 p. 0/0. que les créanciers n'auront pas payé, puisqu'il ne leur sera rien retenu sur la rente de 5 p. 0/0 franche de tout impôt, l'on verra que la consolidation pure et simple les assimile entièrement aux propriétaires, sur lesquels ils auront encore cet immense avantage qu'aujourd'hui les biens-fonds perdent 30 à 40 p. 0/0, et produisent, non pas 5 p. 0/0 de revenu, mais tout au plus 2 1/2.

Cette consolidation, Messieurs, est plutôt un atermoiement qu'un refus de payement. J'en appellerai au créancier le plus opposé à l'inscription sur le grand-livre; et si j'interrogeais sa conscience et qu'il voulût me répondre, il conviendrait qu'il ne doute pas qu'à l'aide de la caisse d'amortissement, dont l'indépendance est si bien assurée par le projet de la commission, (en cela d'accord avec celui des ministres), le cours de la rente ne s'élève à 75 ou 80 francs avant la liquidation du quart même de l'arriéré.

Quand ces créanciers, dans la liste desquels on ne voit guère figurer de noms nouveaux, ont tant gagné, quand les propriétaires ont tant perdu, on doit admirer la chaleur avec laquelle on protége les premiers, et s'effrayer du peu d'intérêt qu'inspirent les victimes de nos malheurs publics. A-t-on remboursé les réquisitions de l'an passé, comme on l'avait promis? Et cependant les contributions imposées pour cet objet, et qui leur servaient de gage aux termes de cette même loi du 23 septembre, ont été levées et sont entrées en espèces au Trésor.

A-t-on parlé d'inscrire cette dette sur le grand

livre? Les particuliers qui ont supporté les réquisitions ne sont-ils pas créanciers de l'Etat comme les fournisseurs? N'ont-ils pas été euxmêmes de véritables fournisseurs?

A-t-on indemnisé cette noble et royale Vendée des dévastations qu'elle a supportées dernièrement encore avec une constance si héroïque? Serait-ce parce que cette population fidèle faisait sans hésiter le sacrifice de sa fortune comme de sa vie, qu'il n'en est pas fait mention? Les approvisionnements de l'armée royale se sont-ils fait gratuitement? Pense-t-on seulement à ces créanciers généreux qui n'ont pas dilapidé la fortune publique, et qui ont sauvé l'honneur de la France?

Quels secours accordera-t-on aux départements qui ont souffert de l'invasion et du séjour de la croisade européenne, et dont les pertes se comptent par milliards peut-être?.... Ceux d'une pitié à peu près stérile. Et il faudrait vendre à vil prix les forêts de l'Etat et les biens des communes pour le payement intégral et en espèces de créanciers dont plusieurs ne doivent leur immense fortune qu'à l'habitude infâme et tolérée jusqu'ici, de leur laisser répandre tous les bruits propres à discréditer les créances sur le Trésor, afin de les acheter à 30 et 40 p. 0/0 de perte, pour ensuite s'en faire rembourser la totalité?

On fait une troisième objection, qui, faute de réflexion, ne laisse pas que de séduire certains esprits. On dit : Par la consolidation, vous ébranlez le crédit public, le Trésor perdra plus qu'il ne gagnera. Les fournisseurs à venir, dans la crainte de voir leurs créances inscrites sur le grandlivre, sauront bien faire leurs marchés de manière à se couvrir d'un semblable remboursement, ou bien vous forcez le gouvernement à traiter avec eux au comptant; et s'il ne le peut pas, il sera obligé de sacrifier en escompte, et en frais de négociations, des sommes considérables.

A cela je réponds: L'année 1816 va commencer une nouvelle ère en finances. La consolidation de la totalité de l'arriéré rend disponibles_toutes les valeurs affectées à l'exercice courant. Non-seulement les recettes sont positivement assurées, mais encore le supplément de 6 millions de rentes, accordées au budget, mettra entre les mains du ministre des finances une somme de 80 à 90 millions en sus des besoins présumés. Les fournisseurs traiteront donc avec la certitude que pas un écu ne sera détourné du trésor public, qu'aucune application ne sera faite en numéraire pour ce qui est antérieur à 1816; dès lors leurs créances seront plus assurées que jamais.

Il nous était facile, Messieurs, de dire aux créanciers « Après nos désastres, au milieu des « ruines et des débris de la fortune publique, il a nous est impossible de vous payer en argent. « Débiteurs de bonne foi, nous vous offrons en « ce moment l'intérêt légal; c'est tout ce que « vous pouvez nous demander; mais dans cinq «< ans, libérés envers les étrangers, l'Etat s'acquittera avec vous en vous remboursant pen«dant les cinq années suivantes, et par portions égales, l'intégralité de ce qui vous est dû. »

"

Mais ces détours, ces finesses étaient indignes de nous. Pour sauver les apparences de la probité exacte, il ne nous convenait pas de proposer une mesure aussi préjudiciable aux intérêts des créanciers qui, privés pendant cinq à dix ans de la possibilité de réaliser leurs capitaux, auraient trouvé leur condition plus fâcheuse. Un ajournement aussi éloigné eût été une injustice sous les couleurs de l'équité. Par la consolidation, ils peuvent disposer des capitaux qui s'élèveront avec

le cours de la rente; par cet atermoiement, ils ne seraient pendant dix ans que des rentiers.

Ainsi s'évanouissent et les reproches d'injustice et les craintes que le service public ne soit compromis, ou que le crédit ne soit altéré.

Pour moi, je suis sans inquiétude; le lendemain du jour où la consolidation aura été consacrée par la loi, les créanciers pourront regretter les profits sur lesquels ils auraient pu compter; mais ils s'estimeront heureux s'ils sont liquidés promptement. Ils sentiront que, dans ce naufrage immense où nous avons failli être tous engloutis, ils sont encore, plus que bien d'autres, les enfants privilégiés de la fortune.

La consolidation de l'arriéré arrêtée, le remboursement de l'emprunt de 100 millions et le budget de 1816 n'offrent plus de difficultés sérieuses. Je laisse à mes honorables collègues le soin de vous développer, avec leur talent accoutumé, les vices et les avantages des divers projets soumis à votre délibération. 11 me suffit de vous dire que, quel que soit, sur le projet de votre commission, l'opinion des habitués de la Bourse, de ceux qui les protégent ou s'intéressent à leurs spéculations, il sera applaudi, n'en doutez pas, par la France entière, qui n'existe pasjdans Paris. Assurer les recettes de 1816 de la manière la plus positive, en les élevant au niveau des dépenses;

Y ajouter des ressources suffisantes pour qu'on ne voie plus paraître d'arriéré en 1817; Conserver les forêts de l'Etat ;

Arrêter la spoliation des communes et leur rendre la disposition de leurs biens;

Ne point créer de papier-monnaie;

Arracher les ministres de la religion à l'humiliation de l'aumône;

Fonder les administrations départementales; Jeter le germe du rétablissement des corporations;

Donner au commerce l'activité qui féconde l'industrie en brisant les fers dont on voulait le charger;

Conserver enfin à l'agriculture les capitaux dont elle a besoin pour réparer ses pertes, en l'affranchissant de 130 millions qui lui étaient demandés sur la moitié des rôles de 1815,

Voilà les résultats certains du projet de finances de votre commission.

Je vote pour son adoption.

La Chambre ordonne l'impression du discours de M. Josse-Beauvoir.

M. Dudon, l'un des commissaires du Roi, monte à la tribune, et reproduit avec de nouveaux développements les réponses qu'il a faites dans une précédente séance aux objections tirées de l'impossibilité d'exécuter la loi du 23 septembre.

Il établit par des calculs, et en remettant sous les yeux de la Chambre les tableaux annexés au budget, quelle est la division admise dans les arriérés, quel est le montant de chacun d'eux, quels fonds leur sont assignés, et quel gage leur est donné par les lois existantes? Les ministres n'ont rien confondu ; ils ont tout spécifié et particularisé avec soin, les tableaux qu'ils présentent en font foi. Il en résulte que tout est déterminé pour les arriérés anciens pour lesquels des fonds ont été faits par la loi du 20 mars 1813, que l'arriéré postérieur a été réglé par la loi du 23 septembre, et qu'il ne reste à statuer que sur le dernier arriéré sur lequel seul le nouveau projet des ministres a appelé l'attention de la Chambre.

M. le commissaire du Roi soutient de nouveau l'existence et la suffisance du gage établi par la

loi du 23 septembre. Cependant on attaque cette loi dans son principe on a dit que les rois n'étaient que les gardiens et les conservateurs des domaines de l'Etat. On a confondu les principes et les législations. Autrefois, rien n'était distingué entre le domaine de l'Etat et le domaine de la couronne. Cette distinction est établie depuis la formation d'une liste civile. Statuer sur l'aliénation des domaines de l'Etat, est un droit qui n'a jamais été contesté aux Etats généraux et aux autres assemblées représentatives; et c'est presque toujours le besoin d'aliéner qui a fait convoquer ces Etats et assemblées. Dans ce qui a été aliéné, il y a eu le double assentiment de l'autorité souveraine et de l'Etat, qui était propriétaire.

On reproche aux ministres de vouloir vendre les biens des communes; c'est le bien d'un tiers, dit-on, appliqué aux dettes de tous. Mais qu'est-ce qu'une commune? N'est-ce pas une réunion de citoyens contribuables aux charges de l'Etat? Les dettes des communes ne sont-elles pas celles de l'Etat? Les dettes de l'Etat ne doivent-elles pas être acquittées par les communes? Et quand la loi qui ordonne ces ventes aurait été injuste, estil possible de choisir, pour réparer cette injustice, quand tant d'autres peuvent l'être, le moment précis où l'Etat éprouve de si grands besoins?

Il a été pris possession pour 130 millions de biens des communes: il en a été vendu pour 90 millions au 1er octobre 1815. Depuis, les ventes ont dû continuer. La réparation qu'on vous propose, en grevant l'Etat tout entier, tomberait donc sur la majorité des communes, à laquelle vous ne pouvez restituer les domaines vendus?

On vient de citer un exemple d'une vente trèsélevée, et d'une inscription bornée au montant du revenu. Ce raisonnement est à l'avantage du système des ventes. Ce n'est point une injustice de l'Etat qui n'a pu inscrire que la valeur du revenu réel que percevait la commune. Si la vente l'a excédé de beaucoup, cela prouve qu'entre les mains des particuliers, les domaines de cette nature seront mieux administrés que dans celles des

communes.

Quand le gouvernement répète que le gage est suffisant, Messieurs, c'est qu'il en a l'assurance positive. Il est le plus intéressé ici à ne pas établir de faux calculs, à ne pas se tromper. Mais malheureusement, si quelque chose pouvait détruire ses espérances ou ses calculs, ce serait la défaveur que quelques orateurs ne craignent pas de jeter sur la nature des propriétés dont il s'agit. Si ce gage pouvait être affaibli, ce serait par suite des doctrines qui vous sont exposées sur son inaliénabilité prétendue.

On a dit souvent, en effet, que le gouvernement ne pouvait pas vendre les biens restants du clergé. Sans examiner ici si le clergé est encore un corps politique, si le clergé, auquel on veut rendre, est celui qui a été dépossédé, et si vous devez reconstituer ce corps à côté de l'autorité royale, avant d'avoir pu reconstituer celui qui est spécialement appelé à la défense du trône, je pourrais écarter la question même de la propriété du clergé, car il y a une quantité suffisante de biens purement domaniaux pour ne pas toucher à ceux qui proviennent du clergé. Toutefois, Messieurs, les scrupules qui s'élèvent aujourd'hui avec tant de force ne se sont point élevés l'année denière... M. Pélissier de Féligonde. C'est que nous n'y étions pas...

M. Dudon. Je pourrais vous citer des hommes recommandables, des familles distinguées par l'éclat et l'ancienneté de leur nom, qui n'ont pas

trouvé leur conscience compromise, et qui ont acheté des biens de la nature de ceux dont il s'agit pour une valeur de 1, 100, 000 francs; j'ajouterai que depuis 1525 jusqu'à 1574 les édits successifs de nos rois ont aliéné de semblables propriétés, et que les ventes ont été presque annuelles; je pourrais citer tous les actes de l'autorité la plus légitime qui ont levé des emprunts forcés sur le clergé, qui ont ordonné la vente de ses bois.

Mais ne compliquons point une question devenue déjà si difficile, lorsque cependant les termes en sont si simples et si positifs.

La loi existe; le Roi ne propose point son abrogation; sa discussion, Messieurs, ne peut vous appartenir. Les modifications proposées par les ministres ne sont que des moyens d'exécution présentés pour l'arriéré qui n'est pas encore réglé par la loi du 23 septembre: on pourrait nous dire que le ministère aurait pu prendre ces mesures dans la forme de simples ordonnances. Quoi qu'il en soit, le retrait du projet présenté rend sa présentation non avenue: on ne peut empêcher Sa Majesté, qui a présenté un projet, de le retirer et le discuter comme s'il n'avait pas été retiré; c'est évidemment usurper la prérogative royale.

Ainsi, Messieurs, le nouvel arriéré est le seul susceptible d'être discuté. Vous en réglerez le gage et le remboursement : les créanciers de cet arriéré ne se présentent peut-être pas à tous les yeux sous un aspect favorable; mais il faut considérer qu'il est derrière eux un nombre immense de marchands, de fabricants, d'ouvriers dont les intérêts sont on ne peut plus respectables. Enfin, Messieurs, les ministres établissent de nouveau que la loi est exécutable, surtout si on ne l'accuse pas à cette tribune d'être injuste et désastreuse, si on ne l'attaque pas dans son principe, si on ne frappe pas de stupeur et les acquéreurs et les agens de l'administration. Dans l'espérance que vous laisserez à une loi existante toute la force d'action et de considération morale qu'elle doit avoir, les ministres déclarent de nouveau qu'ils ne consentent point à ce qu'il puisse être porté atteinte ou dérogation à la loi du 23 septembre.

M. le vicomte Blin de Bourdon (1). Messieurs, les discussions qui nous occupent depuis plusieurs jours ont déjà jeté beaucoup de lumières sur certaines parties de l'important travail soumis à nos délibérations; néanmoins je crois à propos de vous soumettre encore quelques observations succinctes, et qui pourront fixer votre opinion sur plusieurs points.

Je commencerai par appeler votre attention sur la vente des biens communaux, dont M. le conseiller d'Etat, qui m'a précédé à cette tribune, voudrait non-seulement continuer, mais légitimer la vente ou plutôt la spoliation.

Habitant une province où beaucoup de communes, riches en biens-fonds, et notamment en tourbières, ont été dépouillées par suite de la loi du 20 mars 1813; témoin des vexations journalières qui accompagnèrent son exécution, j'avais formé le projet de défendre une aussi juste cause, et de prouver que cette mesure, inique dans son principe, désastreuse dans ses résultats, bien digne à la vérité du gouvernement oppresseur sous lequel nous gémissions alors, ne doit et ne peut être suivie sous l'autorité tutélaire du meilleur des rois.

(1) Le discours de M. Blin de Bourdon est incomplet au Moniteur.

Mais M. le rapporteur de la commission, et plusieurs des honorables membres qui m'ont précédé à cette tribune, ayant soutenu les intérêts de ces malheureuses communes d'une manière beaucoup plus éloquente que je ne pourrais le faire moimême, je crois inutile de plaider dans tous ses détails une cause que je regarde comme gagnée, et de vous dérober ainsi des moments qui deviennent plus précieux que jamais; je me bornerai donc à vous faire quelques observations relatives aux tourbières communales, qui devaient être exceptées de la vente.

L'article 2 de la loi du 20 mars 1813 exceptait de la cession à la caisse d'amortissement, les tourbières communales en exploitation. Les agents des domaines, suivant cet article à la lettre, et nonobstant plusieurs règlements survenus depuis (qui à la vérité prêtaient encore à l'arbitraire). ne voulurent considérer comme tourbières communales en exploitation, que de très-faibles portions de ces tourbières, à peine suffisantes pour en extraire, pendant quelques années, la tourbe nécessaire au chauffage commun des habitants, et s'emparèrent du surplus de ces terrains.

Il serait trop long, Messieurs, de vous détailler tous les inconvénients qu'entraîne à sa suite une mesure aussi déplorable; je m'arrêterai aux principaux.

D'abord, les habitants de ces communes, souvent très-pauvres, se verront très-incessamment privés d'un combustible qui, selon l'usage presque général, leur est délivré gratuitement chaque année, et qui leur est d'autant plus précieux, que les bois dans bien des parties de la France sont déjà très-rares.

Un second inconvénient, c'est que les acquéreurs de ces tourbières (qui, pour la plupart, ne se rendent adjudicataires que par spéculation), impatients de faire rentrer leurs fonds, se hâtent d'exploiter ces mines, et convertissent journellement nos vallées en de vastes étangs, dont les vapeurs pestilentielles sont une source féconde de maladies.

Un point sur lequel je crois devoir encore appeler votre attention, Messieurs, c'est que la quantité de ce combustible, jeté dans la consommation, fera nécessairement éprouver une baisse considérable dans le prix des bois; et les propriétaires forestiers, privés d'une partie des revenus sur lesquels ils fondent leur espoir, payeront leurs contributions bien difficilement.

Enfin nous consommerons, en quelques années, toute la tourbe qui ne l'eût été qu'à une époque bien éloignée; et bientôt nous serons totalement privés de cette précieuse ressource, car ce fossile, généralement parlant, ne se régénère pas, comme se l'imaginent certaines per

sonnes.

Sous le règne despotique de Buonaparte, l'administration des biens communaux avait été si entravée, leurs revenus tellement grevés de retenues faites sous mille prétextes divers, que ces biens étaient, pour ainsi dire, plus onéreux qu'utiles aux habitants, et que l'usurpateur, pour les en débarrasser, a cru devoir s'en emparer. En échange d'un hectare de terrain tourbeux, qui se vend souvent de 15 à 20,000 francs, il leur donnait sur le grand-livre une rente constituée équivalente au revenu de ce terrain, c'està-dire d'environ 60 francs, qui, au cours de ce jour, représente un capital d'environ 700 francs.

Voilà donc une somme de 700 francs donnée en échange d'un terrain d'une valeur de 15 à

20,000 francs; et c'est ainsi que le souverain traitait les communes dont il était le tuteur, et devait être le protecteur.

Donc, bien loin d'accorder une faveur aux communes, comme M. le conseiller d'Etat vient de l'assurer à l'instant même, en leur accordant, non une rente proportionnée au prix de la vente, mais une rente égale au revenu de ces terrains, c'était au contraire achever leur ruine.

Non, Messieurs, non il est impossible que de telles spoliations soient continuées sous un Roi légitimé et souverainement juste, et que nos communes ne soient pas renvoyées au plus tôt en possession des débris de leurs biens non encore aliénés; et nous verrons aussi bientôt disparaître de leurs budgets toutes ces retenues qui absorbent la majeure partie de leurs revenus, lesquels pourront alors être rendus à leur véritable destination.

Messieurs, ne voulant point abuser de vos moments, et n'ayant d'ailleurs aucune inquiétude sur le succès d'une cause aussi juste, je vais avoir l'honneur de vous parler du mode de remboursement de l'emprunt de 100 millions et de vous soumettre à cet égard quelques observations qui me paraissent d'une haute impor

tance.

Votre commission, Messieurs, pour ne point accroître les charges énormes qui vont peser cette année sur les contribuables, a cru devoir renoncer au mode proposé par les ininistres de Sa Majesté, pour régulariser la levée extraordinaire des 100 millions faite en vertu de l'ordonnance du 16 août dernier, et préférant celui de la consolidation, a proposé de rembourser en rentes sur l'Etat les sommes avancées par chaque particulier. Cette opinion a certainement un caractère respectable, puisqu'elle est le résultat des discussions de ceux de nos collègues que nous avions chargés de l'examen du budet, et qui nous ont prouvé qu'ils méritaient toute notre confiance. Cependant je dirai avec la franchise d'un Picard, que je ne la partage point. Les mêmes motifs d'équité et de justice, qui, à l'instant même, me portaient à plaider la cause des communes, semblent m'imposer en ce moment l'obligation de vous faire part des inconvénients qui résulteraient nécessairement de cette mesure, et que bien certainement nos honorables collègues n'ont pas aperçus dans toute leur étendue; je suis très-persuadé qu'ils sauront apprécier le motif qui me fait agir, et qu'ils demeureront convaincus que si mon opinion diffère de la leur, nos intentions sont les mêmes.

En adoptant, Messieurs, la mesure de consolidation proposée par la commisison, nous nous écarterons et de l'esprit et du texte de l'ordonnance du 16 août dernier; nous exposerons Sa Majesté à manquer à sa parole; enfin, nous enfreindrons les règles de la justice distributive. J'espère et je suis même persuadé que les raisons sur lesquelles je vais étayer mon opinion ne vous laisseront aucun doute à cet égard.

L'ordonnance du 16 août s'exprime ainsi : Art. 5. « La charge extraordinaire dont il s'a« git, sera provisoirement supportée par les prin«cipaux capitalistes, patentables et propriétai«res de chaque département.

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Art. 6. Il sera statué par le pouvoir législatif, à la prochaine session des deux Chambres, sur le mode d'une répartition définitive de cette « contribution de guerre, et du remboursement << des sommes qui auraient été payées au delà du «< contingent définitif. »

Rien de plus précis, Messieurs, rien de plus clair; et si nous jetons les yeux sur le préambule de cette ordonnance, nous y verrons que l'intention de Sa Majesté était de soulager ceux de ses sujets qui avaient le plus souffert, en appelant à partager leurs charges ceux sur lesquels les réquisitions avaient le moins porté, et d'établir provisoirement une contribution extraordinaire répartie sur les divers départements en proportion de leurs ressources.

Si, comme l'a très-judicieusement observé M. de Corbière (page 17 du rapport), la répartition de cette taxe eût pu présenter quelque égalité, au moins approximative, il n'y aurait plus à s'en occuper.

Malheureusement il n'en est pas ainsi; cette répartition a été faite dans des disproportions effrayantes, et M. le rapporteur lui-même ne peut se dispenser d'en convenir. Aussi, continue-t-il

en ces termes :

« Vous savez ce qui est arrivé; partout les taxes « ont été sans aucune proportion avec les for« tunes qu'elles ont frappées; le désordre ne « pouvait aller plus loin et l'on ne saurait en étre a surpris.

« Le gouvernement s'était proposé principale«ment d'atteindre le produit des capitaux circu«lants qu'emploie l'industrie..... C'est dans cette « intention que la répartition avait été faite entre « les départements.... Ce but n'a été atteint en « aucune manière... Et la précipitation insépara«ble du moment d'une opération qu'aucun tra« vail antérieur n'avait préparée, ne pouvait ame<< ner que des résultats entièrement vicieux, « première cause d'inégalité. »

Le même nous dit encore que, dans beaucoup de départements, les jurys d'équité ont adopté pour la répartition entre les contribuables, une base autre que celle suivie pour la répartition entre les départements, et que ce double principe suivi dans les deux répartitions, a été, indépendamment des erreurs particulières d'exécution, une seconde cause d'inégalité;

Qu'enfin, dans plusieurs départements, le rôle des imposés ayant été fait d'après le domicile, chaque individu s'est trouvé taxé au lieu de sa demeure, à raison de sa fortune entière; tandis que ses biens, se trouvant situés dans des départements où l'on a considéré la propriété ellemême, plutôt que la personne, ont été encore imposés; de manière que, souvent, la même fortune a été taxée deux fois, ce qui est une troisième source de désordre.

« Et cependant (continue M. de Corbière), au milieu de ce désordre, la somme demandée a « été perçue en grande partie. Les Français ont « fait preuve en cette circonstance d'un dévoue«ment qui mérite d'être remarqué; mais aussi « ils avaient vu dans l'article 6 de l'ordonnance, « qu'il serait statué par le pouvoir législatif, à la « prochaine session des deux Chambres, sur le mode « d'une répartition définitive de cette contribution « de guerre et sur le remboursement des sommes « qui auraient été payées au delà des contingents « définitifs.

«Cette garantie seule a tenu lieu de la régula« rité dont on ne pouvait se flatter; c'est une « promesse qui ne peut être vaine. »

Ce sont les propres expressions de M. le rapporteur, qui reconnaît donc formellement que la répartition entre les départements n'avait donné que des résultats entièrement vicieux; que presque partout celle entre les particuliers n'avait fait qu'aggraver le mal; que souvent la même fortune

avait été taxée deux fois, une fois en totalité au domicile du contribuable, et une seconde fois en détail aux lieux de la situation de ses biens; qu'en un mot, le désordre ne pouvait aller plus loin, et que, par conséquent, le but de l'ordonnance du 16 août n'a été nullement atteint; que néanmoins les Français se sont soumis à son exécution, parce que l'article 6 leur assurait que plus tard le pouvoir législatif régulariserait cette répartition; que cette garantie seule a tenu lieu de la régularité, et que c'est une promesse qui ne peut être vaine.

M. le rapporteur convient donc de la manière la plus formelle, que nous devons mettre aujourd'hui à exécution l'article 6 de l'ordonnance, c'est-à-dire adopter le mode d'une répartition définitive, et du remboursement des sommes payées au delà du contingent définitif.

Or, je vous le demande, Messieurs, en adoptant le mode de consolidation proposé par la commission, et qui fait perdre 40 p. 0/0 aux créanciers, ces injustices incalculables (qui, même dans certains départements, ont encore été au delà de tout ce que nous a dit M. le rapporteur de votre commission), ces injustices, dis-je, seront-elles réparées? La levée extraordinaire des 100 millions sera-t-elle régularisée ? L'article 6 de l'ordonnance du 16 août sera-t-il ponctuellement suivi ? En un mot, la promesse royale sera-t-elle accomplie ?

Non, Messieurs, je ne crains pas de le dire, elle ne le sera point. Et quoi de plus sacré cependant que la parole des rois ! Une dette contractée sur parole royale, ne peut être assimilée à aucune autre, elle doit être payée dans toute son intégrité, et de préférence à toute autre.

Pourquoi donc, Messieurs, ne pas effectuer ce payement, ou plutôt cette régularisation, en deux ou trois ans, à l'aide de quelques centimes extraordinaires? Par ce moyen, toutes les erreurs de la répartition primitive seront réparées, et nous aurons suivi ponctuellement l'ordonnance du 16 août, qui, en nous demandant une taxe provisoire, nous annonçait bien que cette taxe serait un véritable impôt dans sa répartition définitive.

Je crois devoir répondre ici à l'objection faite par M. le rapporteur lui-même, qui paraît craindre que les contribuables, avertis par l'exemple du passé, n'aient pas une entière sécurité sur l'emploi de la nouvelle levée pour sa destination. Je ne partage point son avis, et je suis persuadé que si M. de Corbière juge de nous par lui-même, et si nous jugeons de nos concitoyens par nous-mêmes, lui et nous serons très-persuadés que, sous le gouvernement actuel, il n'est aucun Français qui puisse avoir la moindre inquiétude à cet égard.

On pourra peut-être encore m'objecter, qu'en établissant ainsi une contribution extraordinaire pour remplir l'emprunt dans toute son intégrité, les propriétaires et capitalistes qui ont été taxés dans la levée extraordinaire des 100 millions, seraient, comme les autres, obligés de payer leur part dans cette levée de centimes extraordinaires, et que ce mode serait aussi onéreux pour eux, et peut-être davantage, que celui de la consolidation, qui ne leur fait perdre que 40 p. 0/0 sur les sommes par eux avancées.

Une telle objection ne peut être soutenue que par ceux des contribuables qui n'ont point été surchagés dans la répartition provisoire, par les hommes qui ne voient que leur intérêt, et jamais celui d'autrui ; qui, sans aucun égard pour le bien général de l'Etat, comptent pour rien une dette de 100 millions.

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