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Je vote pour le projet de la commission, en me réservant de proposer quelques amendements dans le cours de la délibération.

On demande de toutes parts l'impression. Elle est ordonnée unanimement.

Un grand nombre de voix: A six exemplaires... D'autres: Non, non... L'économie...

M. Clauzel de Coussergues. Je demande à motiver l'impression à six exemplaires...

Plusieurs voix: Oui, oui, ce sont nos principes. Il faut les répandre dans les départements.

M. Clauzel. Et sous le rapport de l'économie, je ferai une observation qui répond victorieusement. Pourquoi désirons-nous l'impression à six exemplaires? C'est pour envoyer dans nos départements un discours qui renferme des principes que nous croyons bons à répandre. Or, comment envoyons-nous les exemplaires? Par la poste: ainsi l'Etat reçoit de cette manière beaucoup plus que nous ne dépensons pour l'impression.

L'impression au nombre de six exemplaires est mise aux voix et adoptée.

M. Becquey (1). Messieurs, à l'exemple de la plupart des honorables membres qui m'ont précédé à cette tribune, je bornerai aujourd'hui les observations que je viens soumettre à la Chambre, à l'examen du titre IV du projet de la commission, celui qui se rapporte à l'arriéré; et je me demande d'abord, comme l'ont fait plusieurs des préopinants, si nous avons le droit de nous occuper de l'arríéré. Cette question a déjà été profondément discutée, et je n'ai pas l'espérance d'y. répandre des lumières nouvelles; mais j'éprouve le besoin de combattre une doctrine inconstitutionnelle et dangereuse, et qui, cependant, n'est pas encore abandonnée.

Nous lisons dans la Charte que le Roi propose la loi; nous y lisons aussi qu'il propose la loi de l'impót; ainsi, point d'exception pour les lois de finances, les mêmes règles s'appliquent à ces lois comme à toutes les autres. Les Chambres ne peuvent donc jamais délibérer d'une manière légale que sur les propositions du Roi; et je vous prie de le remarquer, la faculté que vous avez d'adresser des suppliques à Sa Majesté, pour qu'elle veuille bien exercer sur un point de législation quelconque son initiative toujours indispensable, vient encore fortifier le principe établi par la Charte, qu'au Roi seul appartient la proposition de toutes lois.

Or, cette initiative que le Roi exerce à l'exclusion des Chambres, a pour principe une intention toute monarchique que vous ne pouvez méconnaître ; c'est un attribut essentiel du pouvoir royal qui distingue particulièrement notre nouveau gouvernement du gouvernement de l'Angleterre, par le mode constitutionnel établi pour la confection de la loi ; d'où il résulte qu'en France le Roi est le moteur unique de toute action législative, que nous ne pouvons délibérer sans sa volonté, que lui seul détermine l'objet de toutes nos délibérations, et que notre fonction est restreinte à l'exercice d'un droit qui, à mon avis, doit paraître assez considérable dans une monarchie, celui d'adopter ou de rejeter les propositions législatives qui nous sont faites au nom du souverain.

Toutefois un de nos honorables collègues nous disait hier, que borner ainsi les fonctions de la Chambre, c'était l'assimiler au Corps législatif de Bonaparte; mais il me permettra de lui faire observer que nous sommes obligés de voir la Cham

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bre telle qu'elle est instituée par la Charte, et non d'après l'opinion que chacun de nous peut avoir sur l'utilité ou l'inconvénient d'un système qui lui conférerait des attributions plus étendues. La Charte a fondé notre nouveau droit public, nous ne pouvons pas chercher ailleurs la mesure de nos fonctions; mais on oublie sans cesse que notre gouvernement est monarchique; car quelque attrait que l'on puisse avoir pour les gouvernements les plus libres, ne pourrait-on pas se trouver content des limites qu'opposera toujours aux entreprises d'une puissance absolue l'existence de deux corps qui partagent le grand pouvoir de concourir à la formation des lois ?

Lors donc que la commission vous propose de régler le mode de payement des créanciers de l'Etat, votre premier devoir est de reconnaître si Sa Majesté a provoqué votre délibération, en vous faisant présenter un projet sur cette importante matière. Mais loin que le Roi ait provoqué cette délibération, Sa Majesté a solennellement manifesté une intention contraire, et puisque nous en sommes tous convaincus, ce qui doit le plus surprendre, c'est, sans doute, la discussion qui nous occupe.

Le titre IV du projet de loi sur le budget assimilait la liquidation et le payement de l'arriéré postérieur au 1er avril 1814 à l'arriéré antérieur à cette époque; ainsi, Sa Majesté n'a pas cessé un instant de vouloir l'exécution de la loi du 23 septembre. Par le message du 26 février, de nouveaux articles ont été substitués à ceux que comprenait le titre IV; mais le changement n'a pas eu pour objet les créances antérieures au 1er avril 1814; il ne porte que sur celles qui ont été contractées depuis celte date jusqu'au 1er janvier 1816. La communication du 26 février ne vous laisse donc qu'un seul point d'examen sur l'arriéré, c'est la proposition d'accorder aux nouveaux créanciers un intérêt de 5 p. 0/0, jusqu'au moment où le mode de leur remboursement sera définitivement arrêté c'est exclusivement sur cette nouvelle proposition que devait porter le rapport de votre commission; la Chambre, en la lui renvoyant, n'aurait pas eu le droit de lui donner une mission plus étendue, puisque vous ne pouvez jamais délibérer que sur les propositions du Roi.

Et cependant, sans être arrêtée par l'absence de toute initiative de la couronne, lorsque cette initiative est aussi nécessaire pour la validité des actes législatifs que le vote des deux Chambres et la sanction royale, et comptant pour rien l'inten tion exprimée officiellement par le message du 26 février, votre commission vous propose ce que le Roi lui-même ne pourrait pas vous proposer, c'est de considérer comme si elle n'existait pas une loi qui n'est pas rapportée; et ce qui est remarquable, en changeant le système consacré par la loi du 23 septembre, la commission s'appuie sur le principe incontestable que l'on peut rapporter les lois. Ainsi, dans le projet de loi qu'elle propose, elle ne déclare pas que la loi du 23 septembre est rapportée, mais elle agit comme si elle l'était en effet, sous le prétexte que toute loi peut être rapportée. Messieurs, lorsqu'on s'abuse au point de vouloir se soustraire à des règles positives et clairement établies, on est condamné à s'égarer dans d'étranges raisonnements, que les discussions publiques réduisent à leur juste valeur; aussi, l'esprit le plus habile échoue toujours dans de telles entreprises, devant le plus simple bon sens; car il est dans la nature de la raison humaine de ne jamais se soumettre qu'à des déductions légitimes.

C'est donc vainement que l'on cherche à persuader que la Chambre peut se passer de l'initiative du Roi, relativement à la loi du 23 septembre, parce que le budget sur lequel vous délibérez est réglé par année et non par exercice; le budget de l'Etat, doit, dit-on, contenir toutes les recettes et toutes les dépenses de l'année; et vous êtes appelés en votant sur le budget à vous occuper du payement de tous les ariérés, et, par suite, de tout ce qui concerne la loi du 23 septembre, attendu qu'il y aura en 1816 des recettes et des dépenses qui se feront en exécution de cette loi; ainsi, et d'après ces modernes principes, les lois antérieures qui ont réglé des recettes et des dé. penses pour plusieurs années pourraient être remises en question à chacune de nos sessions, et l'instabilité deviendrait le système de notre gouvernement.

Plusieurs préopinants qui défendent le projet de la commission se sont particulièrement (appuyés sur l'article 32 de la loi du 23 septembre, pour justifier le droit de la Chambre à modifier ou à révoquer cette loi; ils ont cru y voir une sorte d'initiative, et on a le droit de s'en étonner, puisque les dispositions que renferme cet article n'ont d'autre objet que de prescrire aux ministres de remettre à la Chambre le compte des ordonnances qu'ils auront délivrées, le compte des payements qu'ils auront effectués en obligations et en inscriptions. Quant à l'article 33, il prononce que, s'il était reconnu, d'après ces comptes, que les ressources affectées par la loi au payement des dépenses antérieures au 1er avril ne sont pas suffisantes, il serait accordé, en réglant le budget de 1816, tout supplément nécessaire. Ainsi le législateur de 1814, voulant pourvoir à l'exécution complète du système qu'il adoptait, le mettait à l'abri de toutes les chances, et offrait aux créanciers de l'Etat toutes les garanties, toutes les sûretés pour le remboursement intégral de leurs créances. Or, comment peut-on voir dans ces précautions un motif ou un droit, pour la Chambre, de renverser une loi qu'elle est appelée à fortifier, en accordant tous les fonds que les circonstances pourraient exiger? Je croirais abuser de la patience de la Chambre si j'étendais mes réflexions sur un point d'une telle évidence; au surplus, tous ces raisonnements ont été facilement et victorieusement combattus par plusieurs des préopinants, et je n'ai plus d'efforts à faire pour montrer que la loi du 23 septembre est tout autre chose qu'un arrangement domestique comme on l'a avancé dans cette discussion, que ce n'est pas seulement un ordre donné aux ministres de liquider l'arriéré, et que les lois de finances qui fixent le sort des créanciers d'un Etat, le mode successif de leurs liquidations et de leurs payements, ne sont pas de simples engagements pris par le gouvernement avec lui-même, et qu'il peut changer à son gré. M. le rapporteur a eu raison de dire que les obligations contractées par le pouvoir législatif envers un créancier de l'Etat ne sont pas en tout les mêmes que les obligations ordinaires; il a voulu, sans doute, exprimer que le créancier ne serait pas admis à intenter un procès pour faire vendre à son profit le gage que la loi du 23 septembre lui a assigné; mais il n'a sûrement pas voulu prouver qu'il n'existe point d'obligations morales et réelles; c'est-à-dire, un principe de bonne foi bien antérieur à toutes les lois, et qui en a dicté les formes. Or, c'est la loi elle-même, bien supérieure sans doute à tous les contrats notariés, qui a créé l'obligation de l'Etat, qui a créé le gage des

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créanciers; et je demande que l'on m'apprenne s'il existe, en effet, des actes plus solennels et plus authentiques.

Mais on dit que l'engagement n'a pas été réciproque, et que le pouvoir législatif qui a contracté au nom de l'Etat a conservé le droit de dissoudre cet engagement; moi, je réponds qu'il y a réciprocité, parce qu'en stipulant pour la société entière au nom de l'Etat, le législateur stipulait en même temps pour le créancier, qui fait aussi partie de l'Etat; d'ailleurs la loi n'a fait que confirmer l'ancien contrat du créancier avec le gouvernement: aussi, débiteur lui-même, ce créancier a, sur la foi de cette loi, passé des conventions avec des tiers, ou il a alíéné sa créance, ou formé des engagements nouveaux; et toutes ces transactions subordonnées qui intéressent des tiers subiraient les mêmes pertes que les créances directes, si on pouvait adopter le système de la commission.

On a dit encore que le créancier ayant l'opinion de consolider le montant de sa créance ou d'accepter des obligations, le gouvernement devait aussi avoir cette opinion; et cependant, puisque la loi la donnait au créancier, le gouvernement ne pouvait pas l'avoir; comment donc M. le rapporteur a-t-il pu citer à ce sujet le discours d'un député qui, en 1814, avait avancé cette singulière proposition, et je lui demande ce qu'il nous dirait si nous invoquions pour nos principes le secours d'une opinion particulière qui est antérieure et contraire aux dispositions de la loi elle

même.

A entendre la commission et les orateurs qui soutiennent son projet, il faudrait admettre que la loi ne peut jamais statuer que pour une année, puisque, dans ce système, la loi antérieure ne lie pas le pouvoir législatif pour l'année suivante. Et que résulterait-il de cette doctrine, sinon qu'on ne peut fonder aucune ressource sur l'avenir, et l'appeler au secours du présent? doctrine funeste et qui me semble en contradiction avec le système de consolidation que vous présente la commission; car, pour consolider, il faut bien engager l'avenir; et comment l'engager, si aucune disposition n'est stable, si on proclame le principe qu'elle peut être révoquée dès qu'on le jugera plus utile à l'Etat ?

On va plus loin encore, on ne se borne pas à vouloir que le passé ne soit jamais sacré et obligatoire; on prétend que la Chambre peut, même sans y être provoquée par le gouvernement, faire une condition du budget de changer ce qui a été réglé l'année précédente; et je demande à ceux qui professent ces principes, comment ils entendent établir le crédit. Ainsi, ils veulent avec raison soutenir la valeur des créances sur l'Etat, par un bon système d'amortissement, ce qui suppose un fonds annuel employé à cette destination. Or, il faut bien engager l'avenir pour ce fonds d'amortissement qui doit être stable, inviolable et sacré. Cependant, pourriez-vous créer sérieusement un tel fonds, si, d'après votre principe de mobilité en matière de finance, vous laissiez de l'incertitude sur l'exécution de vos promesses; si, dans les motifs de la même loi où vous établiriez un gage pour prévenir la dépréciation des effets publics, vous preniez le soin de déclarer que la loi ne garantit rien pour les années suivantes? Ainsi, d'un côté vous feriez reposer tout votre système sur un accroissement de dettes que vous voulez consolider, vous appuieriez cet accroissement de dettes sur un gage d'amortissement; et de l'autre, vous retireriez le gage assuré

par la loi du 23 septembre. Enfin, vous pratiqueriez la maxime qué tous les engagements d'un Etat sont révocables, puisque vous déclareriez que vous ne liez pas vas successeurs, et que vous ne vous croiriez pas obligés de respecter la loi adoptée par la législature qui vous a précédés.

Ce n'est donc pas seulement parce que la Charte interdit à la Chambre de délibérer sur des propositions qui ne lui sont pas constitutionnellement présentées au nom de Sa Majesté, que vous devez écarter le projet de la commission qui a l'arriéré pour objet; vous le devez aussi pour ne pas donner votre assentiment aux doctrines dangereuses sur lesquelles il repose. L'effet de ces doctrines, si elles pouvaient prévaloir, serait de paralyser la marche du gouvernement et de rendre ruineuses toutes les transactions qu'il ne pourrait pas solder avec de l'argent comptant; tous ceux qui traiteraient avec le gouvernement, apprendraient de nous que les fonds destinés à leur payement par une loi, pourraient être divertis et recevoir un autre emploi, en vertu d'une loi subséquente; or, la possibilité d'un tel risque ne manquerait pas d'être évaluée par les traitants, comme l'armateur calcule les dangers d'une guerre ou d'un naufrage, lorsqu'il projette une expédition lointaine. Ainsi, lors même que vous seriez appelés à délibérer régulièrement sur le système de la commission, il vous faudrait le repousser, parce qu'il viole les principes d'éternelle justice qui doivent régir les engagements des Etats comme ceux des particuliers, parce que vous vivez sous l'empire de la Charte qui a statué que toute espèce d'engagement pris par l'Etat avec ses créanciers est inviolable, et parce que vous avez le bonheur d'être gouvernés par un prince qui veut, avant tout, qu'on garde la foi publique, et que ses royales promesses soient fidèlement accomplies; et si ces motifs tout-puissants ne dispensaient pas de rappeler tous les autres, je vous dirais qu'il faudrait encore écarter un tel système, parce que son adoption bannirait toute confiance, qu'il porterait un dommage irréparable au Trésor en le privant de toutes les ressources du crédit; et qu'en dernier résultat, il serait encore plus funeste à vos finances qu'à vos créanciers.

Vous le voyez, Messieurs, mes aperçus sur les moyens de fonder le crédit ne sont pas les mêmes que ceux qu'un des honorables membres, M. Brenet, a développés dans une séance précédente; mais je suis loin d'exclure tous les moyens qu'il nous a indiqués, et nous pouvons concourir ensemble pour atteindre un but si désirable. Je diffère avec lui et plusieurs autres orateurs sur un point principal. Je ne crois pas, comme ces Messieurs, qu'on puisse acquérir du crédit en payant ses créanciers avec des valeurs nominales; et je soutiens qu'il faut renoncer à l'espoir d'inspirer la moindre confiance, si l'on se dispense d'exécuter la Charte et la loi du 23 septembre, qui leur garantissent un payement intégral. M. Brenet a raison de dire que le sentiment général de la stabilité du gouvernement est un élément indispensable du crédit, celui qui rassurera le plus efficacement les porteurs de créances sur le Trésor, et je partage tout à fait son avis. Mais, en même temps, il s'est élevé avec force contre un système de gouvernement qu'il appelle le système de fusion, et qu'on nommerait, à plus juste titre, un système de réconciliation. Or, cette manière de gouverner n'est-elle pas, en effet, la plus propre à établir la confiance, ne tend-elle pas à réunir les Français, à calmer les haines, à faire cesser

les inquiétudes et les divisions; et, pour terminer la Révolution, ne devons-nous pas chercher à former le faisceau sur lequel le Roi fonde de si justes espérances de force et de prospérité pour notre pays? Or, pour y parvenir, on est bien obligé de jeter le voile de l'oubli sur le passé, et de rassurer les hommes inquiets, toutes les fois qu'ils ne sont pas dangereux; car un homme inquiet aujourd'hui serait mécontent demain, et bientôt il irait grossir le nombre de nos véritables ennemis, que nous avons un si grand intérêt d'isoler. Ces derniers doivent être surveillés et réprimés par une police active à qui nous en avons fourni tous les moyens; mais vous n'aurez la paix intérieure, vous n'aurez la paix des esprits qu'autant que vous rassurerez tous les autres. Le système exclusif qu'on voudrait voir prévaloir, produirait donc des effets tout contraires à ceux que ses partisans en attendent. Je désire avec eux qu'aucun ennemi du gouvernement légitime ne conserve une fonction publique, parce qu'il pourrait en abuser et exercer une influence funeste dont on doit prévenir le danger; mais je ne vois pas des ennemis dans tous ceux qui se sont montrés dévoués à l'ancien gouvernement; je remarque même que beaucoup d'entre eux manifestent aujourd'hui pour la monarchie légitime un zèle d'autant plus fervent que chez eux, c'est un zèle de novices; je remarqué encore que plusieurs prennent déjà leur rang parmi les hommes qui se disent les plus purs royalistes; pourquoi n'espérerait-on pas encore de nouvelles conversions? mais pour les obtenir, rendons-les possibles en accueillant tous les repentirs.

Plus indulgent que notre collègue, je me plais à leur pardonner de se croire plus habiles que nous dans les affaires; ils travaillaient, en effet, avec une rare activité, pendant que nous gémissions dans la solitude sur les malheurs de la patrie, en demandant à Dieu le miracle qu'il a réalisé, après de si longues et de si cruelles années : Eh bien! je ne suis pas blessé de l'opinion qu'ils ont de la supériorité de leurs talents, et surtout je ne veux pas qu'on les éloigne, si ces talents peuvent être utiles au service du Roi et de la patrie.

Mais je rentre dans la question. Plusieurs honorables membres considèrent l'aliénation des forêts de l'Etat comme une calamité publique; ils ont aussi pensé qu'il serait utile et paternel d'arrêter la vente des biens des communes; et c'est surtout parce que la loi du 23 septembre suppose et la vente des forêts et celle des biens communaux, qu'ils désirent la révocation de cette loi. J'ignore qu'elle sera la résolution de la Chambre; mais il est de mon devoir de rappeler de nouveau que cet objet n'étant pas soumis à votre délibération, vous ne pourriez dans aucun cas vous en occuper que par voie de supplique et dans les formes établies par la constitution; alors, sans doute, la Chambre se croirait obligée d'indiquer les moyens de substituer un gage à celui que la loi a donné aux créanciers, de telle manière que leur payement intégral soit assuré, et que la foi publique ne soit pas violée; car les forêts de l'Etat et les biens des communes ne peuvent être légitimement affranchis de l'hypothèque spéciale dont la loi les a grevés, que par la substitution d'un nouveau gage, qui offrira aux créanciers les mêmes garanties que le premier.

On a dit à cette tribune qu'une rente sur le grand-livre, dont le capital peut un jour s'élever jusqu'au pair, est une sorte de payement intégral, qui n'a besoin, pour se réaliser, que d'être at

tendu. Mais vous ne croirez pas, Messieurs, que cette flatteuse perspective suffise pour rassurer les créanciers; ils ne seront pas plus touchés du rapprochement qu'on a fait d'une inscription avec une lettre de change, qui, par l'effet dù change, perd ou gagne sur les diverses places de commerce où elle circule; car la lettre de change a une échéance certaine; le porteur est assuré d'en toucher le prix intégral à jour fixe. J'ajouterai que si, en effet, les inscriptions que l'on veut offrir aux créanciers ressemblaient à des lettres de change, nous n'aurions pas à délibérer sur l'arriéré.

Que la Chambre arrête donc qu'elle veut l'exécution de la Charte pour le payement intégral des créanciers de l'Etat, c'est-à-dire qu'elle veut l'accomplissement de ses propres serments, et l'expérience lui apprendra, je n'en doute pas, qu'en politique et en finance, ce qui est juste et honorable est toujours utile; mais lorsqu'on voudrait écarter toute considération morale, lorsqu'on admettrait, ce que je ne veux pas craindre, que les intérêts matériels doivent seuls déterminer les résolutions du législateur, la prudence n'obligerait-elle pas d'examiner quels effets produira cette consolidation sur laquelle repose tout le système de votre commission? Ainsi, en supposant nuls et la loi du 23 septembre et les engagements qu'elle renferme, examinons les résultats probables de ce système.

Je n'ai pas besoin de vous entretenir du tort qu'éprouvent les Etats par le discrédit de leurs fonds publics et des efforts constants qu'ils font pour le prévenir; or, la consolidation amènera nécessairement la baisse de nos fonds, parce qu'une grande partie des nouvelles rentes seront inscrites au profit d'une multitude de petits créanciers à qui il n'est dû que de faibles sommes qui ne valent pas les soins qu'il faudrait prendre et les frais qu'il faudrait faire pour en toucher l'intérêt à chaque semestre. Les autres créanciers ont des engagements à remplir, des exploitations à faire valoir, des manufactures à soutenir; ils ne peuvent se passer de leurs capitaux; ainsi la plupart des inscriptions seraient mises sur le marché à mesure de leur délivrance. On doit donc prévenir une dépréciation inévitable, et par suite une perte plus grande pour ceux que vous solderiez avec cette monnaie.

On a cherché à répandre de la défaveur sur ces créanciers; on les a tous indiqués sous la dénomination de fournisseurs, en les supposant riches, sans doute pour affaiblir le regret de ne pouvoir leur faire pleine justice. J'ai donc cherché à connaître la nature des créances dont l'arriéré se compose, et je me suis procuré des renseignements qu'il peut être utile de vous communiquer; je les crois propres à intéresser votre justice et votre pitié.

1o Il est dû des sommes considérables pour des traites d'agents du Trésor qui n'ont pas été présentées ou payées à temps, et dont la valeur a été reçue en numéraire; les porteurs de ces traites en ont fourni le montant en argent, ils ont perdu plusieurs années d'intérêts; ces engagements circulaient sous la foi publique, ce sont de véritables effets de commerce;

2o La solde arriérée de la guerre ou de la marine et qui est immense; je n'ai pas besoin de dire que des milliers d'individus sont les parties prenantes, et que souvent cette solde est due à la veuve, aux enfants d'un militaire ou d'un marin mort;

3o Les enfants trouvés; ce seul article est

énorme et les créanciers sont les hôpitaux qui deviendraient victimes de la consolidation;

4o Les traitements civils; ils sont dus à des fonctionnaires qui ont été les moins empressés à se faire payer, et qui perdraient aujourd'hui une grande partie de leurs créances;

5o Veut-on appeler fournisseurs :

Les entrepreneurs des routes de tout le royaume,
Ceux des ponts et des canaux,
Ceux des travaux publics de Paris,
Les menuisiers,

Les maçons,

Les ouvriers de tout genre?

J'y consens. Mais quels créanciers pourraient inspirer un plus légitime intérêt? Souvent il ne leur est dû que de faibles sommes, et qui sont considérables pour eux;

6o Il y a aussi beaucoup de propriétaires qui ont droit à la liquidation.

Un grand nombre pour cession de terrains qu'on leur a pris pour les routes et les canaux, quelques-uns pour cession de maisons démolies, ou embellissements et élargissements de la voie publique.

Et voilà les créanciers que l'on sacrifierait avec tant d'injustice? On irait bien loin dans cette nomenclature avant d'arriver aux fournisseurs.

Je ne sais si l'on ne doit pas aussi des égards au grand nombre des manufacturiers de France qui ont traité avec le gouvernement, et lui ont fourni les produits de leur industrie. Si,parmi eux, il se trouve des hommes sans probité, la commission de liquidation en fait une sévère justice; il ne restera donc que des créances jugées légitimes. Et, d'ailleurs, pourquoi confondre avec des gens sans foi la foule des négociants honnêtes qui n'ont ni voulu tromper ni même pu tromper, et qui ont fait leur service avec autant de loyauté que de confiance?

Il faut bien aussi discuter la comparaison souvent renouvelée de la situation pénible des propriétaires avec celle des créanciers de l'Etat. Sans doute, le fardeau des contributions est énorme, et presque toujours les capitaux y échappent: toutefois on semble oublier que, depuis trois années, les créanciers du premier arriéré ne reçoivent aucun intérêt de leurs fonds, intérêt qui, d'après les règles de la justice, aurait dû leur être payé par le Trésor: ils supportent donc une grande part des charges de l'Etat.

D'ailleurs j'ajouterai qu'un mode de liquidation qui ne leur procurerait que le payement partiel de leurs créances, entraînerait la faillite de plusieurs, et, par suite, celle des bailleurs de fonds; et que de tels désordres n'ont jamais lieu sans qu'il en résulte un contre-coup funeste pour les finances et pour le commerce.

J'observerai encore que le payement des créanciers de l'Etat, avec d'autres moyens que la consolidation, était une sorte d'engagement vis-à-vis des créanciers de la dette publique déjà inscrits, et que cependant on avilirait la valeur qui repose dans leurs mains, si on surchargeait le grand-livre comme on se le propose. Ils ont compté sur la foi publique, ils se sont associés aux destinées de l'Etat, et ils en seraient punis!

Ce n'est pas tout, il faut bien envisager aussi les effets que la consolidation produira sur notre industrie; et quel plus grand dommage pourraiton lui causer que de rendre plus rares, pour elle, les capitaux qui l'alimentent? Cependant, et il n'en faut pas douter, beaucoup de capitalistes emploieront leurs fonds de préférence dans le mouvement des effets publics et sur le théâtre de l'a

giotage qui sera d'autant plus actif que les porteurs des rentes nouvellement créées seront, comme je l'ai déjà dit, obligés de les vendre.

On sait assez que l'intérêt élevé de l'argent est la cause la plus puissante de la gêne que l'industrie peut éprouver; or, le prix de l'intérêt sera plus élevé sí la valeur des effets publics diminue.

De la rareté des capitaux et du taux élevé de l'intérêt de l'argent, naîtrait nécessairement une infériorité pour nos produits industriels, dans leur concurrence avec les produits étrangers.

L'intérêt que produisent les fonds publics influe nécessairement et sur la masse des capitaux offerts à l'industrie et sur les intérêts qu'on en exige.

Les bénéfices que peut procurer l'agiotage réduisent donc toujours ceux des spéculations utiles.

Cependant, l'industrie agricole et commerciale peut seule restaurer la richesse publique; elle seule met en valeur la matière imposable; elle seule donne le travail qui féconde tout; elle seule crée des capitaux nouveaux et entretient la circulation; elle seule fonde réellement le crédit, et personne n'ignore que c'est à la circulation de la richesse industrielle que l'Angleterre doit particulièrement son crédit public.

Et c'est au moment où l'industrie, véritable moyen de salut, demande à être encouragée, qu'on l'attaquerait au cœur et dans son principe de vie; la propriété même en souffrirait, car elle a aujourd'hui le besoin d'emprunter; et vous élèveriez aussi pour elle le taux de l'intérêt, vous paralyseriez aussi les mutations de propriété, en réduisant la masse des capitaux qui peuvent y être employés.

Les impositions peuvent être accrues sans porter atteinte à la circulation et sans réduire les capitaux d'un Etat, car leur produit versé au Trésor n'y reste pas englouti, il en ressort à l'instant par un mouvement nouveau, souvent même l'impôt accroît la circulation. Au contraire, en élevant l'intérêt de l'argent, vous frappez toutes les exploitations industrielles et les exploitations rurales comme les autres; ainsi, vous rendriez l'impôt plus difficile à acquitter. Portez la vie dans la source de la richesse publique, et alors tout ce que vous désirez en naîtra avec abondance; mais ne posez pas la conséquence en détruisant le principe. Un mauvais emploi de capitaux peut produire beaucoup de mal, et ceux qu'on placerait en rentes deviendraient stériles pour la richesse publique, s'ils n'étaient pas comme ils sont en Angleterre, un excédant des capitaux affectés à l'industrie.

Je termine, Messieurs, les diverses observations que j'ai cru devoir vous soumettre sur la première et la plus difficile question du budget. J'ai défendu les droits de la couronne sur l'initiative royale, que vous ne pourriez pas envahir sans changer une des bases fondamentales de notre gouvernement, que nous devons conserver monarchique. J'ai défendu les droits des créanciers de l'Etat, qui reposent sur la foi et sur la morale publiques, qui reposent aussi sur les dispositions textuelles de la Charte, et sur l'existence d'une loi qui n'est pas révoquée. J'ai montré que le plus grand nombre des créanciers n'étaient pas indignes de votre intérêt, et que tous ont droit à votre justice. J'ai défendu le crédit du Trésor qu'on ne compromettrait pas sans augmenter d'une manière effrayante les embarras de nos finances, dans un temps où la gravité des circonstances exige tant de prévoyance et de sagesse. Enfin, j'ai défendu

les droits de notre industrie, principale source de la richesse publique; j'ai montré que la consolidation de tous les arriérés produirait la baisse des fonds publics, et attirerait les capitaux au foyer de l'agiotage, au grand préjudice des exploitations agricoles et industrielles.

Je demande donc que la Chambre déclare qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur le projet de votre commission, qui se rapporte à l'arriéré.

Et dans le cas où la Chambre jugerait que, sans nuire aux créanciers et dans l'intérêt de l'Etat, il y aurait lieu de changer le mode d'exécution de la loi du 23 septembre 1814, je demande qu'elle se forme en comité secret, conformément à l'article 20 de la Charte constitutionnelle, et qu'elle prenne une résolution portant que Sa Majesté sera humblement suppliée de proposer une loi qui modifiera le mode d'exécution de la loi du 23 septembre 1814, sans que les modifications puissent altérer les garanties données par cette loi aux créanciers de l'Etat, et de telle manière que leur payement intégral continue d'être légalement assuré.

La Chambre ordonne l'impression du discours de M. Becquey.

La suite de la discussion est renvoyée au lendemain à midi.

La Chambre se forme en comité secret et la séance publique est levée.

CHAMBRE DES DÉPUTÉS.
PRÉSIDENCE DE M. LAINĖ.
Comité secret du 19 mars 1816.

M. le Président donne lecture de deux messages de la Chambre des pairs.

Le premier contient la résolution adoptée par cette Chambre le 18 mars, sur sa compétence comme cour de justice. Cette résolution sera imprimée et renvoyée, selon l'usage, dans les bureaux, pour être examinée.

Le deuxième transmet la résolution de la Chambre des députés sur le divorce, adoptée par la Chambre des pairs.

Le bureau est chargé de prendre les ordres de Sa Majesté pour la lui présenter.

M. Ïe Président annonce qu'il doit être célébré, le 21, à Vincennes, un service pour M. le duc d'Enghien, et que plusieurs membres ont désiré que la Chambre y assistât par députation. Cette proposition est appuyée.

M. le comte de Marcellus. Messieurs, en faisant entendre à une assemblée telle que la vôtre le langage de la générosité, de la religion et de l'honneur, on est toujours sûr d'être favorablement accueilli. L'orateur timide s'encourage facilement, et cesse de craindre, pour se féliciter de parler à un si noble auditoire.

If approche, Messieurs, ce jour de douleur pour la France, où un jeune héros, digne petitfils du plus grand des héros, tomba sous les coups d'un ennemi aussi cruel que perfide. Il approche ce jour qui, en rappelant ce funeste événement, renouvellera les justes regrets de notre infortunée patrie. Comment est-il tombé, ce jeune guerrier, si fort dans les combats? Comment tous les lauriers qui ombrageaient son front auguste n'ontils pu le garantir de la foudre? France, malheureuse France! pleure sur ce héros qui te promettait tant de gloire, sur ce héros plus rapide que l'aigle, plus courageux que le lion, le descendant et Témule du vainqueur de Rocroi. Ah! prince infor

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