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quiète curiosité qui portait nos citoyens de toutes les classes au-devant de tous les voyageurs, dans l'espoir de recueillir, quelques instants plus tôt, la nouvelle de la seconde chute de Bonaparte, à laquelle ils brùlaient de contribuer.

Ces voyageurs n'ont vu que les démonstrations, je dois faire connaître ce qu'elles avaient de réalité; mais, pour mieux persuader ce que j'ai à vous dire, il me faut remonter au delà de cette triste époque de la dernière épreuve. Dès le commencement de la Révolution, la ville de Montauban avait embrassé le parti du Roi; ni les brillantes théories de l'assemblée dite Constituante, ni l'attrait de la licence, proclamée sous le nom de la république, ni les illusions de la gloire militaire, qui ont séduit tant de sages, rien n'avait pu tromper la raison de nos plus simples citoyens; ils étaient royalistes comme par instinct et l'ont toujours été. Aussi, lorsque la première Restauration rendit aux Français une garantie de bonheur qu'une génération entière n'avait pas même soupçonnée, cet événement ne fit que réaliser, aux yeux du peuple de Montauban, des espérances tellement opiniâtres, qu'aucun événement n'avait pu les détruire; et il se porta au-devant des circonstances périlleuses qui accompagnèrent pour nous cette miraculeuse restauration, avec tout l'enthousiasme qui naît d'une vive et forte conviction. Je ne dirai pas la courageuse conduite de nos concitoyens, lorsqu'au milieu d'une garnison de près de trois mille hommes exaspérés par la présence de l'ennemi, et fortifiés par des barricades, qui pouvaient en un instant intercepter toutes communications entre les citoyens; lorsque, dis-je, sortit tout à coup de toutes les bouches le cri libérateur, que les soldats prenaient encore pour un cri séditieux.

Je ne parlerai pas de notre résistance antérieure contre le Directoire, au 18 fructidor, et des dangers qui la suivirent; j'abuserais trop de votre patience, s'il me fallait citer tous les traits honorables aux Montalbanais, depuis la Révolution, et je dois me borner, suivant l'intention de la proposition qui vous est soumise, aux faits qui se rattachent à cette lutte nouvelle, provoquée par l'audace et la trahison.

L'union la plus parfaite régnait parmi les habitants de Tarn-et-Garonne depuis la première Restauration. Anciens et nouveaux royalistes, et ceux qui n'avaient jamais cessé d'appeler de leurs vœux nos princes légitimes, et ceux que l'expérience de nos malheurs avaient conduits à les désirer, tous semblaient animés des mêmes sentiments. Tous les torts étaient oubliés; on croyait au retour des hommes égarés, eux-mêmes ne se rappelaient plus d'avoir été coupables. La différence des opinions religieuses n'altérait nullement cette réunion des intérêts politiques, et l'on pouvait citer comme une preuve du bon esprit des Montalbanais que les protestants, qui y sont nombreux, rivalisaient avec les catholiques, de dévouement et d'amour pour le roi légitime.

Telle était la disposition des esprits dans ce département lorsqu'on apprit le débarquement de Bonaparte sur les côtes de la Provence. Ce débarquement parut aux uns un acte de folie; il sembla plus redoutable aux autres; mais personne n'en fut abattu, et l'on se disposa à en arrêter les effets. Dès ce moment la population entière de Montauban se mit à la disposition des autorités; elle se présenta comme une armée sans ordre et sans organisation, mais qui ne demandait qu'à être ralliée. Elle parut iansi aux yeux de Mgr le duc d'Angoulême, qui traversa la ville au milieu de la

T. XVI.

nuit pour se rendre en Provence, et qui fut témoin de l'exaltation de nos sentiments. Pour en régulariser les effets et les utiliser, des listes furent ouvertes dans les municipalités. Tous les citoyens s'y portaient en foule pour s'y faire inscrire, et ce n'étaient pas de vaines et ridicules parades. Un premier bataillon fut formé, d'après les listes de la ville de Montauban, dégagées des noms de ceux qui n'avaient consulté que leur dévouement, mais dont l'âge et les forces trahissaient le courage: il fut mis en activité. Un second bataillon se formait sur les listes des autres communes, et les volontaires arrivaient en foule pour y êtré incorporés.

Cependant un détachement de la garde royale à cheval s'était porté sur Nimes, à la suite de Mgr duc d'Angoulême, et un autre escadron s'organisait encore dans le même temps.

Quel noble et sublime spectacle présentait le midi de la France à la fin de ce mois de mars et au commencement d'avril! La capitale avait subi le joug de l'usurpateur. Son pouvoir s'étendait déjà sur une grande partie de la France; mais la ligne de Bordeaux à Marseille était encore intacte, et ces belles contrées formaient un gouvernement séparé, dont le centre était à Toulouse, et qui comprenait encore un grand nombre de dé.. partements. Un digne agent du Roi, le baron de Vitrolles, avait déployé ses pouvoirs, et organisait précipitamment la partie administrative de ce gouvernement, tandis que le comte Etienne de Damas, délégué de Mgr duc d'Angoulême, y dirigeait la partie militaire. Un conseil composé de délégués des conseils généraux des départements fidèles, allait être formé à l'instar dù conseil d'Etat. Une correspondance était établie entre les conseils généraux rendus permanents, et qu'on avait investis des plus grandes attributions, et les membres de ces conseils s'élevaient à la hauteur de ces fonctions nouvelles avec un noble zèle et sans timidité. C'était aux soins du conseil général de Tarn-et-Garonne, réunis à ceux de M. le préfet, qu'on avait dû les moyens d'équiper et d'armer les bataillons royaux; et les membres de ce conseil n'avaient pas craint de prendre sur eux la responsabilité des ordonnances à tirer sur le receveur général pour les frais nécessaires dans une crise aussi imminente. Tout semblait se disposer pour une résistance opiniâtre, mais il était déjà trop tard, la conspiration des rebelles marchait déjà plus vite que l'organisation d'un gouvernement qu'il fallait créer en entier; et l'habileté de son chef ne pouvait suppléer ni le temps ni les hommes qui lui manquaient. J'en ai pourtant la conviction intime, et c'est une source des plus amers regrets si l'idée de la formation de ce gouvernement se fût offerte dans le premier moment, et qu'il eût pu être mis en activité assez à temps pour rassembler les nombreux moyens et les ressources de toute espèce qu'offrait le midi de la France, la patrie eût été sauvée par ses propres enfants, et ses libérateurs seraient sortis de ses provinces, comme ceux de l'Espagne sortirent autrefois des montagnes des Asturies et récemment encore de cette ville de Cadix qui restait seule à soumettre au pouvoir des vainqueurs. Nous aurions prouvé par un grand exemple, ce qu'il faut bien enfin que nous nous persuadions, que le sort de la France doit cesser de dépendre de celui de la capitale, et que le gouvernement n'est pas légitime par cela seul que le siége est à Paris

Je proclamais encore hautement ces principes en mà qualité de président du conseil général,

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le 30 mars dernier, dans une cérémonie publique relative à la reconnaissance des nouveaux officiers de la cohorte urbaine, les anciens officiers s'étant tous fait inscrire pour le bataillon en activité. C'était dix jours après l'occupation de la capitale par Bonaparte, et ces sentiments électrisaient encore tous les cours; et nos volontaires espéraient encore, à cette époque, se porter jusque sur la Loire, pour y arrêter les progrès de la puissance de l'usurpateur. Illusion trop flatteuse, et qui devait trop tôt s'évanouir! Ce qu'on pouvait encore à cette époque, et ce qu'on eùt exécuté sans la trahison de Decaen à Bordeaux, et de Laborde à Toulouse, c'était de porter la ligne de défense jusque sur la Dordogne, et ce plan, dont l'éxécution était commencée, se liait aux opération de l'armée du duc d'Angoulême.

Ce fut le 4 avril, au matin, que nous apprimes la chute de Toulouse et l'arrestation de MM. de Vitrolles et de Damas. Nous avions connu dès la veille tous les détails de la trahison qui avait livré Bordeaux aux rebelles Montauban n'était plus tenable, et le conseil général dut cesser ses fonctions. Tout était soumis autour de nous; les routes de Paris, de Bordeaux et du Languedoc étaient interceptées: une ville de 25,000 âmes, ouverte et sans défense, qui, deux fois, depuis la Révolution, avait vu à ses portes des armées dirigées contre elle, devait-elle s'exposer inutilement à une troisième attaque? Elle céda, après un conseil de guerre, comme l'eût fait une ville forte, abandonnée à elle-même. Elle quitta son attitude hostile, mais elle n'eut jamais celle de la soumission, et durant l'interrègne, il fallut constamment une garnison pour la contenir. Il en était ainsi dans tout le département; partout le peuple resta fidèle, partout il s'abstint opiniâtrément de toute coopération au maintien de l'usurpateur. On n'y considera pas l'Acte additionnel comme un acte indifférent, et qu'on pouvait signer sans conséquence; il fut envisagé comme un attentat aux droits de la maison de France, auquel on ne pouvait adhérer sans félonie ou lâcheté; aussi le plus grand nombre des fonctionnaires inêmes refusèrent leurs votes, et la plupart des dépositaires forcés des copies de cet acte, offertes à la signature des citoyens, les rapportèrent sans avoir voulu même y apposer la leur.

Cette association turbulente, qualifiée de Fédération, n'osa jamais se montrer dans le chef-lieu du département, et la crainte qui contint ceux qui auraient voulu s'y montrer les sauva de la honte d'être connus. Qu'on juge, sur ces détails, de la facilité avec laquelle le gouvernement légitime a été rétabli parini nous!

Dès le mois de juin tout était disposé pour l'insurrection. Des compagnies secrètes s'étaient organisées, les volontaires royaux, poursuivis partout comme déserteurs, s'étaient réfugiés dans les bois, où des agents fidèles pourvoyaient à tous leurs besoins; tous attendaient le signal avec une impatience qu'on avait peine à contenir; il fut donné prématurément par la bataille de Waterloo. A la première nouvelle, indirectement répandue, du résultat de cette affaire, tout éclata à la fois. L'enthousiasme n'eut plus de bornes, le drapeau blanc fut successivement arboré dans une foule de communes; et quoique les soldats essayassent partout de s'y opposer, ils ne pouvaient suffire à réprimer ce qu'on appelait encore dans le langage officiel, des excès punissables, et que nous appelions déjà hautement des actes de fidélité.

Bientôt le gouvernement royal fut officiellement reconnu; la force de l'opinion, si généralement

manifestée, avait entraîné les autorités civiles et militaires du département; et tel fut l'effet de l'enthousiasme populaire, que cette garnison même, qui s'était montrée si idolâtre de Napoléon, se laissa entrainer aussi, et comme malgré elle, à détester son idole, à partager les élans de la joie publique, excitée par le retour du roi légitime.

Cependant le général Decaen opprimait toujours Toulouse, et Clausel était encore maître de Bordeaux. Une correspondance journalière était établie entre eux et le général de l'armée de la Loire, par le moyen des estafettes, nous interceptâmes cette correspondance. Le général Decaen voulut rallier autour de lui tous ses détachements, et centraliser ses forces au chef-lieu de son commandement. Nous empêchàmes le départ des huit cents hommes qui formaient notre garnison, et les retinmes parmi nous. Ainsi contrarié dans tous ses projets, et craignant peut-être une attaque, Decaen hésita, et bientôt après abandonna un poste qu'il ne pouvait défendre. Clausel tint plus longtemps; mais il suivit enfin l'exemple de son collègue, et se déroba nuitamment aux poursuites ordonnées contre lui. Le midi de la France se trouva ainsi délivré, sans qu'aucun étranger eut paru sur son territoire. Une division des armées allices vint postérieurement occuper la Provence, en vertu des conventions particulières, mais elle n'y fut point nécessaire au rétablissement de l'autorité royale.

Les Espagnols se présentèrent ensuite dans le Roussillon et dans les pays des Basques; les habitants de ces contrées, trompés sur leurs intentions, se préparèrent à les combattre, et l'on vit nos bataillons royaux, qui s'étaient formés contre Napoléon, se rallier encore contre des étrangers don! les projets étaient inconnus.

Heureusement que le duc d'Angoulême, si prompt à se décider et si actif à exécuter, eut le temps d'employer son intervention; il prévint une lutte contre un allié généreux, dont l'amitié nous est plus que jamais nécessaire. C'est surement la considération de ces événements qui décida la soumission du général qui commandait l'armée de la Loire; placé entre un ennemi victorieux et des départements si énergiques, que pouvait-il entreprendre? L'armée qu'il commandait eût pu sans doute prolonger trop longtemps encore l'agitation et l'inquiétude dans l'intérieur; elle pouvait troubler tous les départements qu'elle traversait; mais elle était française, et c'eût été pour elle un triste avantage que d'affliger la patrie, sans espoir de réaliser de coupables chimères, et au risque de fournir aux étrangers le malheureux prétexte de couvrir de leurs tropes la France entière. La nomination du duc de Tarente, reconnu général en chef, fit cesser toute indécision.

Messieurs, j'ai abusé peut-être de votre patience; mais tous les faits que j'ai cités appartiennent certainement à la question qui nous occupe, et font partie de notre histoire durant l'interrègne; ils servent à appuyer l'opinion de l'auteur de la proposition comme celle du rapporteur ; ils sont glorieux pour mes concitoyens, et j'ai dù les exposer, pour montrer combien le département de Tarn-et-Garonne a mérité sa part de la récompense proposée. Si j'eusse pu remonter à des époques antérieures, j'aurais eu beaucoup plus à citer.

Je vote pour l'adoption de la proposition de M. Michaud.

Un quatrième membre (M. le comte Humbert de Sesmaisons) parle dans le même sens que M. de La Bourdonnaye.

Un cinquième membre (M. Benoit du Nord)

dit que la proposition est faite dans des formes et tend vers un but qui ne peuvent pas convenir à une assemblée législative. Il établit qu'une loi ne peut avoir pour objet de donner des éloges, et que c'est au Roi à juger si la législature doit être appelée à immortaliser la mémoire des hommes qui se sont montrés véritablement Français.

In sixième membre (M. Regnouf de Vains) dit que la Chambre peut rendre hommage à la fidélité, mais qu'elle doit s'en rapporter au cœur du prince pour la récompense.

If vote comme le rapporteur de la commission. L'ordre du jour motivé est réclamé sur toutes les propositions.

M. le Président, après avoir fait le résumé des opinions, met aux voix l'ordre du jour, tel qu'il est motivé par le rapporteur, tant sur les propositions antérieures au rapport que sur celles qui l'ont suivi.

L'ordre du jour est adopté.
La séance devieut publique.

CHAMBRE DES DÉPUTÉS.
PRÉSIDENCE DE M. LAINÉ.

Séance du 31 janvier 1816.

M. le marquis de la Maisonfort donne lecture du procès-verbal de la séance du 17, et l'énoncé de beaucoup de nouvelles pétitions adressées à la Chambre.

Le même secrétaire présente l'hommage des productions dont les titres suivent :

Une gravure de Louis XVI d'après le tableau original de M. J. Boze;

Ecrit pour la défense de XVI, par M. Dalmas; Principes élémentaires d'application de la théorie des finances de l'Etat, par M. Hertzroy;

Relation d'un voyage fait à Londres en 1814, ou Parallèle de la chirurgie anglaise avec la chirurgie française, par M. Roux;

Epitre en vers sur l'anniversaire du 21 janvier 1815, par M. La Montagne;

Le 21 janvier 1815, essaí en vers, par M. Vieillard;

Eloge de Louis XVI, par M. Regnaud de Paris; Ode à Louis XVI, martyr, par M. Fonvielle ; Projets d'impôt et de taxe pour le budget de 1816, par M. Gerdret;

Les Bourbons, ou Précis historiques sur les princes de cette famille et la France en deuil, sont offerts par madame veuve Petit ;

Mémoire sur l'instruction publique, par M. Jean Couturier, professeur aux lycée de Dijon.

Ces divers objets seront mentionnés au procès-verbal et déposés à la bibliothèque de la Chambre.

M. le Président communique à l'Assemblée la demande, faite par M. le lieutenant général comte Ernouf, d'un congé pour se rendre, conformément à l'ordre qu'il en a reçu de S. Exc. le ministre de la guerré, au chef-lieu de la troisième division militaire, dont le commandement supérieur lui a été confié par Sa Majesté.

M. Regnouf. Ce n est point pour m'opposer à la demande qui vous est transmise par M. le président que je me présente à la tribune, mais pour vous parler en général de l'inconvénient qui peut résulter de la multiplicité de pareilles sofli-. citations. Depuis quelque temps beaucoup de congés ont été demandés, et la Chambre les accorde avec une facilité que le public paraît re

marquer avec déplaisir, je dirai même avec peine. A une époque où la Chambre est sur le point de terminer ses travaux, où deux lois importantes appellent surtout l'attention et les lumières de tous les membres celle concernant les élections qui doit servir de base à notre système représentatif, et cet immense budget qui doit tranquilliser les citoyens sur tous leurs intérêts, et assurer le repos politique de la France, convient-il que beaucoup de ses députés s'absentent de leur poste et manquent à leurs fonctions? Je supplie la Chambre de ne plus accorder de congés, parce que les travaux dont elle a à s'occupper exigent la coopération de tous les membres qui la composent.

M. Voysin de Gartempe. Je pense, avec le préopinant, qu'il serait peu convenable d'accorder des congés dont la demande ne serait motivée que sur des intérêts de famille ou purement individuels. Mais lorsque le Roi a cru devoir nommer un de nos collègues pour commander une place importante, auriez-vous le droit de l'empêcher d'obéir aux ordres de Sa Majesté? Metz, chef-lieu de mon département, où le général Ernouf doit se rendre, est un poste militaire du plus grand intérêt dans les circonstances. Entouré de troupes alliées, l'esprit qui anime ses habitants est bon, mais il ne doit pas moins être surveillé, et Sa Majesté pouvait-elle faire choix d'un mandataire plus digne que le général en chef qu'elle y envoie? Avant de statuer sur les observations du préopinant, je demande que la Chambre accorde le congé qui vient de lui être demandé.

M. le comte de Marcellus partage l'avis de M. Voysin de Gartempe à l'égard du congé demandé par le général Ernouf, mais en déclarant qu'il ne peut s'empêcher d'émettre le vœu que les députés des départements, dès le moment qu'ils ont été élus, ne puissent exercer d'autres fonctions que celles de législateurs.

M. le Président. Le vœu que vous venez d'exprimer pourra devenir, si vous le jugez convenable, le sujet d'une proposition suivant les formes voulues par le règlement.

Un membre. La mission donnée aux députés des départements n'est que temporaire; elle ne leur est pas confiée à la condition de renoncer à un état quelconque. Or, la profession militaire est un état honorable qu'un député se fait gloire de conserver. Il reste sous ce rapport dans la dépendance du chef du gouvernement, auquel il ne peut se dispenser d'obéir. Il serait impraticable de lui prescrire, à raison des fonctions législatives qu'il partage avec ses collègues, de méconnaître une dépendance que réclament impérieusement ses devoirs militaires.

On demande à aller aux voix.

Un autre membre pense au contraire que cette doctrine pourrait avoir de graves conséquences, et que beaucoup de membres n'accepteraient la mission de députés que pour pouvoir solliciter et obtenir plus facilement des places qui souri. raient à leur ambition. Il supplie la Chambre de

se montrer extrêmement sévère.

La Chambre, consultée par M. le président, accorde le congé demandé par M. le lieutenant général Ernouf.

L'ordre du jour appelle trois rapports de la commission des pétitions.

La Chambre entend successivement MM. de Sainte-Aldegonde, député de l'Aisne, Lallard, du Pas-de-Calais, et le comte d'Hautefeuille du Calvados.

Sur la proposition du premier rapporteur, la Chambre renvoie à la commission du budget :

1o La pétition des fabricants d'huile de la ville d'Arras, qui demandent que l'impôt auquel ils sont assujettis soit établi sur des bases plus modérées.

2o Celle des débitants de boissons du Havre, qui demandent la suppression des exercices, et proposent qu'il leur soit accordé des licences annuelles.

3° Soixante-sept autres pétitions, toutes relatives aux finances et à l'impôt, et qui contiennent, dit le rapporteur, plusieurs documents et observation sutiles à consulter.

M. Pouillet, de Lure, demande que, vu le malheur du temps, il y ait une loi qui suspende pendant trois ans toutes les expropriations forcées, et qui autorise les juges à accorder aux débiteurs malheureux par l'effet des événements un répit plus ou moins long, afin de se mettre en mesure de remplir leurs engagements.

La première partie de la demande du pétitionnaire, étant inadmissible, et la seconde partie étant prévue par les lois existantes, la Chambre passe à l'ordre du jour.

M. le comte de Tryon demande que le serment soit aboli en France, attendu le mauvais usage qu'on en a fait, et qu'on y substitue cette formule Je promets sur l'honneur.

La commission ne voit pas que l'abus qu'on a faire du serment soit un motif suffisant pour le supprimer, ni qu'il puisse être remplacé dans tous les cas par la formule proposée. Elle propose en conséquence de passer à l'ordre du jour, et son avis est adopté.

M. Trebort, de Metz, demande que, pour augmenter les finances de l'Etat, on rende aux pièces de 48, de 24, et 3 francs leur ancienne valeur.

Cette demande étant jugée incompatible avec notre système monétaire actuel, elle est écartée par l'ordre du jour.

M. Langlois Maheu, membre du collége électoral du département de l'Eure, demande 1o la suppression des pensions accordées par Buonaparte à ceux qui l'adulaient, qui faisaient chanter des couplets sur les théâtres, et à des comédiens qui avaient su lui plaire; 20 que la faculté du retrait soit rendue aux parents de celui qui a vendu ses biens à vil prix; 3o de faire supporter une taxe sur leurs biens à ceux qu'on bannira de France, et à tous ceux qui ont pris part à la révolte.

L'ordre du jour est également adopté sur les trois pétitions.

M. Raffelin, avocat de Nancy, envoie un projet de loi tendant à rectifier les inconvénients qu'il dit exister dans la division entre deux administrations, de la surveillance et de la perception du droit de garantie sur les matières d'or et d'argent.

Ce projet de loi et un mémoire qui l'accompagne, sont renvoyés au ministre des finances. M. Daché, proprétaire à Coutances, se plaint de ce que les curés desservants sont mal payés; il envoye un projet de loi tendant à leur allouer divers accroissements de rétributions.

Renvoi à la commission chargée de l'examen du projet de loi sur l'amélioration du sort du clergé.

M. de Rochefort, de Narbonne, réclame contre l'article 14 du projet de loi présenté le 18 décembre, ainsi conçu Nul comptable envers le trésor royal ne peut être nommé à la Chambre

des députés. Cette disposition, ajoute le pétitionnaire, aurait l'inconvénient d'écarter de la Chambre beaucoup de personnes de mérite, qui pourraient donner d'excellentes idées dans la discussion des finances.

Renvoi à la commission chargée de l'examen du projet de loi sur les élections.

M. Bernard, de Metz, demande qu'attendu le silence du Code d'instruction criminelle sur la manière de purger les défauts en matière correctionnelle, il soit fait une loi qui déclare nuls et non avenus tous les jugements par défaut rendus jusqu'à ce jour, à la charge par le condamné de se constituer prisonnier dans un délai fixé; les frais de la condamnation par défaut restant à sa charge.

Toutes les dispositions actuelles du Code d'instruction criminelle étant fixées et subordonnées les unes aux autres, votre commission a cru, dit le rapporteur, qu'il pouvait y avoir de grands inconvénients à en reviser isolément quelques parties. C'est pourquoi, sans préjuger sur la question proposée, elle vous propose de renvoyer la pétition au bureau des renseignements pour être consultée, s'il y a lieu, lorsque la Chambre ju gera convenable de s'occuper de la révision du Code d'instruction criminelle. Cet avis est adopté.

Le sieur Desportes fils se plaint de vexations qu'il dit avoir éprouvées au mois de juillet dernier de la part du préfet de la Nièvre et d'un des sous-préfets du même département pour avoir manifesté pendant l'usurpation son attachement au Roi.

Il demande que sa pétition soit renvoyée au ministre compétent, à qui il soumet plusieurs questions sur les formes qu'il doit suivre pour obtenir justice. La commission pense que les délits dont se plaint le pétitionnaire étant couverts par l'amnistie, il n'y a pas lieu à délibérer sur sa demande, et elle propose le simple renvoi au ministre de l'intérieur comme renseignements sur les fonctionnaires qui y sont désignés.

Et quant aux questions que contient la pétition, le rapporteur propose l'ordre du jour, motivé sur ce que les lois existantes ont réglé les formes à suivre pour demander justice des abus d'autorité commis par les fonctionnaires publics.

Un membre pense qu'il s'agit de délits contre un particulier; que dès lors ils ne sauraient être couverts par la loi d'amnistie, qui réserve au contraire aux particuliers le droit de se pourvoir devant l'autorité compétente. Il demande que la pétition soit renvoyée au ministre compétent avec recommandation.

On demande la lecture du texte de la pétition. M. Bellart. Ou le délit est public ou il est particulier; dans le dernier cas, chaque citoyen a le droit de poursuivre devant les tribunaux. C'est au pétitionnaire à se décider de lui-même. La Chambre ne doit pas prendre connaissance d'affaires individuelles. Je demande le renvoi au ministre de la justice.

On insiste pour la lecture de la pétition. La Chambre consultée décide que la pétition sera lue.

Immédiatement après cette lecture le renvoi au ministre de la justice est ordonné.

M. Sauvage, de Paris, demande qu'on fasse payer une amende de 1,000 francs à tout journaliste qui publierait une nouvelle controuvée.

Les lois existantes, dit le rapporteur, suffisent pour la répression des abus de la presse, et la commission propose de passer à l'ordre du jour.

M. le comte de Marcellus. J'engage la Chambre à ne pas passer légèrement à l'ordre du jour sur cette pétition. Je ne puis m'empêcher de parler à la Chambre de l'abus de la presse relativement à nos comités secrets. Tous les bons esprits sont révoltés de la manière dont un journal a rendu compte de la séance secrète de samedi, concernant la proposition de M. de Castelbajac sur les donations au clergé, de cette séance où la Chambre a signalé avec tant d'intérêt et son respect pour Dieu et son amour pour le Roi.

M. le Président fait observer à M. de Marcellus que l'objet dont il entretient la Chambre touchant les comités secrets, peut être la matière d'une proposition directe dans une autre circonstance.

L'ordre du jour sur la pétition de M. Sauvage est adopté.

MM. le prince de Rohan, le bailli de Clugny, les commandeurs de Dienne, de Bataille et de Château-Neuf, adressent à la Chambre une réclamation tendant à ce que les biens non vendus de l'ordre souverain de Saint-Jean de Jérusalem, lui soient restitués.

Tels sont sommairement les motifs dont ils s'appuient :

a Ces biens, disent-ils, proviennent originairement ou d'acquisitions faites par l'ordre, ou de concessions de propriétés provenant de la libéralité des familles dont les enfants y étaient admis comme membres du souverain. De tels titres, étayés d'une jouissance non interrompue pendant plusieurs siècles, ne purent les soustraire à la rapacité du gouvernement révolutionnaire quoique les chevaliers prouvassent par plusieurs arrêts du parlement que leurs personnes et biens avaient toujours été séparés et distingués d'avec le clergé, ils furent assimilés aux ordres mendiants, et dépouillés comme eux; ils reçurent quelques modiques pensions, qui bientôt cessèrent en partie d'être payées.

« Une circonstance assez remarquable, c'est que le même décret qui tend à détruire l'ordre en France et en prononce l'expropriation, le reconnaît à Malte, et charge le pouvoir exécutif de régler la somme annuelle pour laquelle la France contribuera à l'entretien de son port et de son hôpital.

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Depuis cette époque, malgré les divers échecs que le malheur des temps a fait éprouver à l'ordre souverain de Saint-Jean de Jérusalem, quoiqu'une trahison sans exemple leur ait fait perdre cette ile fameuse, que tant d'exploits avaient illustrée, il n'a pas toutefois succombé à tant de désastres. Un lieutenant du grand maître, reconnu par toutes les langues ainsi que par le pays, siége encore en ce moment à Catane en Sicile, nomme des ministres près les cours étrangères, et administre les affaires de l'ordre. Ses plénipotentiaires au congrès avaient présenté une demande aux Souverains, afin d'obtenir, en remplacement de Malte, un établissement qui mit les chevaliers à même de protéger, comme par le passé, le commerce des puissances chrétiennes et de faire la guerre aux Barbaresques. On allait s'occuper de leur demande, lorsque l'arrivée de Buonaparte en France vint interrompre les opérations du congrès.

«Depuis ce temps, le pape, l'Espagne et Naples ont restitué à l'ordre ses biens non vendus situés dans leurs Etats. L'Autriche les a toujours respectés et a même encore un ministre de cette puissance accrédité à sa cour. Ce serait donc à tort que pour se dispenser d'une restitution impérieu

sement réclamée par l'équité on voudrait supposer que l'ordre a cessé d'exister.

« Plus disséminé qu'autrefois à raison des circonstances, il n'en subsiste pas moins et est encore reconnu par une partie de l'Europe; c'est en son nom que les signataires de la présente réclamation viennent vous demander un acte de justice dont vos principes connus semblent ne leur pas permettre de douter. »>

Votre commission, après avoir donné la plus scrupuleuse attention à la nature de cette réclamation, sans pouvoir se dépouiller de l'intérêt que sa justice est faite pour inspirer, songeant néanmoins qu'il n'entre point dans les attributions de la Chambre de pouvoir y faire droit, vous propose, en la rangeant dans la classe de celles qui sont faites au nom d'une puissance étrangère, de la renvoyer au ministre des relations extérieures.

M. le comte de Marcellus. Messieurs, qu'il me soit permis de recommander à des législateurs assemblés au nom de l'honneur et de la foi, la réclamation si intéressante qui vous est adressée par la commission des trois langues françaises de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem. Cet ordre, si respectable, si illustre par son origine, ses institutions, ses exploits, ses revers; cet ordre dont le nom seul rappelle de si grands noms, de si grandes choses; cet ordre, Messieurs, si utile et si glorieux, est destiné, n'en doutons pas, à revivre en France pour le maintien et la prospérité du trône et de l'autel. Il y fera briller encore ces nobles vertus que le monde chrétien est depuis si longtemps accoutumé à admirer en lui. Quels exploits, en effet, ne sont pas surpassés par les hauts faits des d'Aubusson, des l'Isle-Adam, des Gozon, des Naillac! Quels guerriers ne cèdent pas à de tels héros la double palme de la valeur et de la vertu ! Qu'il est beau, Messieurs, de voir les hommes les plus illustres de l'Europe, par l'éclat de leur bravoure et le mérite de leurs aïeux, consacrer leurs armes et leur vie à la protection des faibles et à la défense des opprimés! Qu'il est beau de voir cet ordre naître dans les lieux mêmes où voulut naître et mourir le Sauveur du monde, secourir comme lui le pauvre et l'étranger, n'abandonner sa tombe sacrée qu'après qu'elle est tombée entre les mains des infidèles, défendre la Terre-Sainte tant qu'elle put être défendue, confier ensuite ses destinées à la mer qu'étonne et subjugue un si grand courage, renouveler à Rhodes les merveilles d'un des siéges les plus vantés de l'antiquité, épouvanter la puissance de Mahomet, tomber après des prodiges de valeur sous les coups du grand Soliman, dont la fierté s'abaisse devant ses ennemis vaincus, errer d'ile en lle en faisant admirer à l'univers de si héroïques infortunes, se venger à Malte de la prise de Rhodes, en triomphant de son vainqueur, donner toujours au monde les plus grands exemples et les plus hautes leçons, jamais plus digne des regards du ciel et de l'admiration des hommes, que lorsque, aux prises avec l'adversité, il faut lutter contre tous les revers de la fortune! Les annales de l'ordre de Malte offrent les plus grands souvenirs que puisse retracer l'histoire moderne, et prouvent à tous les siècles que le courage au-dessus de tous les courages, est celui qu'inspire la fidélité à ses devoirs, et qu'animent dans le cœur des héros chrétiens, les hautes pensées et les consolantes espérances de la religion. Jamais une si belle institution fut-elle plus nécessaire? Oui, si l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem n'existait pas, des législateurs français. devraient le créer aujourd'hui. Il existe encore,

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