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que le Roi jouit de la prérogative de la dissoudre en totalité, et de la faire réélire en totalité? Il est évident que, s'il use de cette prérogative, la Chambre sera composée de députés qui ne pourront être nommés pour cinq ans, puisqu'ils sortiront, selon leurs séries, au bout d'un, deux, trois et quatre ans ; un autre inconvénient accompagnera celui-ci des départements auront l'avantage de procéder deux ans de suite au renouvellement de leurs députés, tandis que ceux des deux dernières séries ne nommeront les leurs qu'au bout de quatre et cinq ans; et si, dans l'intervalle, le Roi vient à dissoudre la Chambre, des départements pourront avoir renouvelé deux fois leurs députés, tandis que d'autres n'auront été appelés qu'à un seul tour d'élection. Ces différences, plus injustes qu'on ne l'a calculé, peutêtre, rendent tout à fait incompatibles, dans notre opinion, le renouvellement partiel de la Chambre et la prérogative royale de la dissoudre, à moins de se soumettre à une confusion tout à fait opposée à la régularité qui nous semble essentiellement indispensable en cette matière.

Le changement que vous propose votre commission est fondé sur des motifs encore plus importants. Le renouvellement partiel de la Chambre des députés, établit évidemment la permanence du corps qui représente la démocratie dans le système de gouvernement mixte qui nous a été donné. Or, cette permanence est contraire à la balance entre les divers pouvoirs, qui peut seule en préparer la durée. Elle nuit au pouvoir du Roi, puisqu'elle tend à gêner la prérogative qu'il a de dissoudre la Chambre, lorsqu'il importe, au contraire, qu'il puisse la mettre en usage assez souvent pour ne pas la laisser périmer, car c'est dans cette prérogative que nous avons tous notre plus sûre garantie contre les entreprises trop ordinaires au corps qui, nommé par le peuple, a plus de moyens de l'agiter et de l'intéresser à ses vues.

L'intérêt particulier de la Chambre des pairs nous paraît également en opposition avec la permaneuce de la Chambre des députés; appelée à représenter l'aristocratie dans notre système, la Chambre des pairs doit se soutenir par l'exclusif de ses priviléges, et ne peut voir qu'avec crainte et méfiance s'établir auprès d'elle une autre permanence aussi dangereuse dans l'Etat que la sienne est utile.

La permanence de la Chambre des députés n'est pas plus dans l'intérêt de la nation, dont elle est particulièrement appelée à exprimer l'opinion; car les renouvellements partiels lui ôtent les moyens de la faire connaître avec l'évidence et l'ensemble dont vos nominations ont fourni, Messieurs, un des résultats les plus importants et les plus heureux qui puissent être offerts comme exemple de l'utilité générale du renouvellement total de la Chambre des députés.

Quelle considération pourrait donc vous porter à conserver ce mode de renouvellement par séries, inventé par la Convention pour se perpétuer dans les conseils, et qui, pour premier bienfait, nous donna le 13 vendémiaire ? Ce mode, conservé depuis par Bonaparte, pour mieux assurer le despotisme qu'il voulait exercer toujours sur un corps représentatif muet, et qui n'existe chez aucune des nations dont vous devez nécessairement consulter l'expérience, si vous ne voulez vous exposer au danger d'en faire de nouvelles sur vous-mêmes.

On a dit en faveur du renouvellement par cinquième, qu'il donnait au gouvernement une mar

che plus uniforme, et rendait le ministère moins incertain dans ses relations avec une Chambre qu'il connaissait mieux. Mais il est difficile de comprendre comment on peut se flatter de mieux connaître une Chambre, parce que les éléments qui la composent sont changés chaque année par cinquième, et sont par conséquent dans une mobilité perpétuelle. L'étude que les ministres auraient à faire de la composition de la Chambre, serait annuelle dans ce système, et serait faite pour cinq ans dans le nôtre. La même observation est applicable à toutes les autres objections dirigées contre le renouvellement total, et qui tombent avec plus de force encore par le renouvellement partiel dans lequel elles se produisent tous les ans.

Une seule est particulière au renouvellement total, et nous devons la discuter: c'est celle du danger qu'on trouve à la réunion simultanée de tous les colléges électoraux du royaume. Nous ne pouvons négliger d'observer que cette objection suppose, comme toutes les précédentes, le sacrifice de la prérogative royale de dissoudre la Chambre; car, si le Roi en use comme nous croyons avoir prouvé qu'il devrait le faire, on retombe dans l'autre système, dans l'objection qu'on veut appliquer exclusivement au nôtre.

Mais les dernières élections faites simultanément et en totalité dans le royaume, ont résolu sans réplique, ce nous semble, la question du danger qu'on supposait à ce mode de renouvellement de la Chambre. Jamais plus d'agitation n'avait ébranlé les esprits; jamais l'animosité entre les parties n'avait été plus grande; jamais la France, à peine sortie de la crise révolutionnaire la plus violente qu'elle ait éprouvée, ne s'était vue accablée sous le poids de si grands malheurs, et menacée de plus de dangers. Néanmoins, aucun tumulte, aucune rixe n'a eu lieu dans les colléges électoraux. Il est, au contraire, à remarquer qu'il n'a été fait aucune réclamation contre la validité des élections qui en ont été le résultat.

Qu'on ne cherche point, dans des circonstances particulières, les causes d'une telle harmonie. Un tiers de la France était occupé par les troupes étrangères, un tiers par l'armée de la Loire le reste était livré, sans aucune force militaire, à toute son indépendance. Si ces diverses causes avaient pu exercer quelque influence sur le calme avec lequel ont été faites nos élections, on observerait nécessairement quelque différence dans les résultats obtenus ; et s'iln'en existe point, on est fondé à reconnaître que notre système est exempt du danger qu'on lui avait supposé.

En effet, Messieurs, en faisant procéder simultanément dans tout le royaume à de nouvelles élections, on diminue, en le divisant, le danger des intrigues et des efforts particuliers chacun est retenu dans sa localité; s'il en sort, il perd chez lui ce qu'il cherche à gagner au dehors; ainsi l'influence de l'esprit de parti, toutes les influences, hors celle de l'opinion générale de la nation et celle qu'exerce le gouvernement, sont réduites à leur plus simple expression, par le mode d'élections qui s'applique au renouvellement total que nous proposons. Par les élections annuelles et partielles, au contraire, on diminue les influences utiles de tout ce qu'on donne de facilité pour agir aux influences nuisibles. Ainsi, l'opinion publique changée en opinion locale, est exprimée moins réellement; ainsi, le gouvernement ayant plus de concurrence à redouter de

la part des influences particulières, perd en réalité ce qu'il semble gagner en facilité pour agir; car lui seul ayant une influence qui peut être exercée en même temps dans tout le royaume, doit gagner à ce que les élections soient faites dans tout le royaume en même temps.

La commission ne peut se flatter, Messieurs, d'avoir pénétré toute la profondeur d'une question qui se lie à de si hauts intérêts, et qui peut être envisagée sous tant de rapports; les lumières qui naîtront de la discussion qu'elle amènera dans la Chambre, suppléeront à l'insuffisance des motifs que je viens de vous exposer; mais avant d'abandonner un sujet si propre à fixer l'attention de tous les bons esprits, qu'il me soit permis d'inviter les orateurs qui voudront le traiter à le considérer surtout dans ses rapports avec l'ensemble de la forme de gouvernement établi par la Charte. J'ose espérer qu'alors leurs réflexions les porteront, comme les nôtres nous ont portés nousmêmes, à reconnaître que le renouvellement partiel de la Chambre des députés entraîne inévitablement avec lui la perte de la précieuse prérogative qu'a le Roi de la dissoudre, et que les deux articles de la Charte dont nous demandons la réforme, auraient dû faire partie des articles transitoires nécessités par les circonstances dans lesquelles la France se trouvait à l'époque où elle nous fut octroyée, et être remplacée dans le corps de la Charte par ceux que nous allons avoir l'honneur de vous proposer.

La Chambre des députés, statuant sur les articles de la Charte soumis à la révision du pouvoir législatif, par l'ordonnance du Roi du 13 juillet 1815, et rapportés dans les articles 12 et 15 du projet de loi sur les élections actuellement en délibération dans la Chambre, a résolu que l'article 38 de la Charte sera maintenu; que l'article 36 sera réformé comme suit :

Chaque département nommera le nombre de députés porté dans le tableau annexé à l'ordonnance du 13 juillet 1815.

L'article 37 sera réformé comme suit :

Les députés seront élus pour cinq ans. La Chambre sera renouvelée en totalité soit au bout des cinq ans de sa durée constitutionnelle, soit lorsque le Roi usera de sa prérogative pour la dissoudre. » La commission sera prête à terminer son rapport conformément à la détermination que prendra la Chambre sur les questions importantes qui viennent de lui être soumises.

La Chambre, consultée par M. le Président, fixe à lundi prochain l'ouverture de la discussion du rapport qu'elle vient d'entendre.

Un assez grand nombre de membres se présente au bureau et se fait inscrire pour parler dans cette discussion.

M. le Président. Avant de se former en comité général, la Chambre est invitée à entendre un rapport de la commission des pétitions.

M. le comte de Sainte-Aldegonde, rapporteur frappelle que la pétition du sieur Jouhanneau, de Polígny, a été renvoyée par décision de la Chambre à un nouvel examen de la commission, avec l'attribution spéciale de prendre sur la personne du pétitionnaire et les motifs de sa détention prolongée des renseignements auprès du ministre de la police générale. Voici le résultat des informations prises par la commission :

Aucune réclamation, dit le rapporteur, n'est parvenue au ministère de la police de la part du sieur Jouhanneau depuis le 3 août 1815, époque antérieure de deux mois à celle à laquelle Sa Majesté a confié le portefeuille de la police à M. de

T. XVI.

Cazes, de sorte que le ministre n'a pas eu à s'occuper de la position du pétitionnaire, qui ne lui était pas connu. L'examen du dossier qui lui est relatif a appris que le sieur Jouhanneau, arrêté pour fait d'inconduite et de vagabondage, abandonné de sa famille et de ses amis, ne fut séquestré de la société que pour lui épargner à luimême des erreurs graves qu'il avait donné sujet de redouter de sa part.

Le ministre s'est empressé d'ordonner sa mise en liberté et de lui faire donner un secours à l'aide duquel il pourra plus facilement atteindre des moyens positifs d'existence, et cesser le vagabondage qui a servi de motif à son arrestation. La pétition étant ainsi devenue sans objet, votre commission vous propose de passer à l'ordre du jour. M. Hyde de Neuville. Je ne crois pas que la Chambre doive passer légèrement à l'ordre du jour. Il s'agit d'une réclamation importante faite par un citoyen arrêté injustement, à une époque où aucune loi n'autorisait une pareille mesure. Ce citoyen languit depuis sept ans dans les fers. Le secours qu'on lui accorde sera-t-il une indemnité suffisante? Je demande le renvoi au ministre de la justice, afin que le pétitionnaire soit autorisé à poursuivre l'ex-ministre de la police générale, sur l'ordre illégal d'après lequel la liberté d'un citoyen a été compromise.

Le renvoi demandé est combattu par M. Pélissier de Feligonde, et attendu, la liberté rendue au pétitionnaire, la Chambre, adoptant l'avis de sa commission, passe à l'ordre du jour.

Elle renvoie à la commission chargée de l'examen du budget une pétition des tanneurs de Saumur, de Montpellier et de Lille, qui présentent des observations relatives à l'impôt sur les cuirs;

Et une autre, des manufacturiers blanchisseurs de Saint-Quentin, des brasseurs d'Abbeville, et des débitants de boissons de...., également relative aux nouvelles impositions.

MM. de Ponti, Fischer et Garnier, députés, disent-ils, de villes manufacturières, proposent comme moyen de salut et de prospérité nationale la création immédiate d'un milliard de papiermonnaie.

L'énoncé de cette pétition excite un mouvement de surprise très-marqué dans toute l'Assemblée.

Le rapporteur expose que cette demande a rappelé à la commission, lorsqu'elle en a pris connaissance, la douloureuse émission de ces milliards d'assignats créés au commencement de la Révolution, et les fatals résultats de cette opération financière sur la fortune publique et particulière. Il conclut en proposant de passer à l'ordre du jour sur la pétition et tout son contenu. L'avis de la commission est adopté unanime

ment.

Madame veuve Deville, de Paris, expose que son mari, officier d'artillerie dans nos colonies, préféra, en 1793, se brûler la cervelle plutôt que de rendre sa croix de Saint-Louis, qu'il avait méritée par ses services. Cette dame sollicite l'intervention de la Chambre pour obtenir des secours.

La pétition est renvoyée au ministre de la marine.

La chambre de commerce de Dunkerque sollicite l'intervention de la Chambre auprès du ministre des affaires étrangères, à l'effet de prévenir la décision de l'Amirautě de Londres, et d'obtenir la relaxation du bâtiment l'Emile, venant de Cette, pris par les Anglais, quoique naviguant sous pavillon blanc.

Le renvoi au ministre est ordonné.

M. Damotte, de Verne, département du Doubs, 6

ex-receveur de l enregistrement et des domaines à Albona, et ensuite à Monte-Falcone en Illyrie, privé de son emploi par suite de la reddition des Provinces Illyriennes, et alléguant que le ministre des finances aurait décidé que les employés ainsi dépossédés seraient assimilés, pour l'avancement, à ceux de l'intérieur, sollicite l'intervention de la Chambre pour être admis à concourir aux places qui pourraient vaquer dans la suite.

Les demandes de cette espèce étant du domaine exclusif de l'administration, la commission propose de passer à l'ordre du jour. Cette décision est prise par la Chambre.

Les maires de plusieurs communes du département de la Moselle se plaignent de ce qu'un grand nombre de citoyens, dans les mariages qu'ils contractent, se bornent à remplir les formalités civiles. Les pétitionnaires voient dans cette affectation, la preuve d'un attachement marqué à un ordre de choses qui n'est plus, et une fausse interprétation de l'article 199 du Code civil, portant prohibition de bénir les mariages avant qu'ils aient été contractés devant l'officier civil.

M. de L'Ecusson, maire de Moiret, département de Lot-et-Garonne, demande que la législation ne reconnaisse la validité des mariages qu'autant qu'ils auront été soumis à la formalité des cérémonies religieuses et que les époux puissent, dans leurs libéralités, s'imposer la condition de viduité.

Ces deux pétitions sont renvoyées à la commission chargée d'examiner la proposition de M. Lachèze-Muret, concernant les officiers de l'état civil.

Une autre pétitionnaire, M. de Saint-Alphonse, appelle l'attention de la Chambre sur la loi qui ne permet aux créanciers des militaires de saisir que le cinquième de leur traitement.

La commission, en convenant que cette partie de la législation est insuffisante, espère que le Roi pourra présenter les modifications jugées convenables; elle propose l'ordre du jour, qui est adopté.

M. Dugay, maire de Touroure, département de l'Orne, se plaint de ce que les notaires ne fassent point essentiellement partie des colléges électo

raux.

L'Assemblée passe à l'ordre du jour, motivé sur la nouvelle loi proposée concernant les élections.

Madame Bouvet, de la Reynière, canton de Domfront, expose dans une pétition que son père a également signée, que, dans ces temps malheureux où l'on contractait des mariages sans penchant et même sans convenance, et uniquement pour échapper à la conscription, elle a été unie à un jeune homme avec lequel elle n'a jamais cohabité et qu'elle n'a pas revu depuis le moment de la cérémonie du mariage.

Le texte de cette réclamation excite un peu d'hilarité dans l'Assemblée, qui passe de suite à l'ordre du jour.

Le maire de Craon se plaint de l'imperfection que présente, depuis la Révolution, la tenue des registres de l'état civil, et propose un projet de loi pour réparer ces lacunes.

Renvoyé à la commission chargée d'examiner la proposition de M. Lachèze-Muret.

M. Durand, de Paris, demande que nul député ne puisse être élu que dans le départemeut où il réside depuis un an et un jour, et que tout employé salarié soit exclu de la catégorie des personnes éligibles à cette fonction.

M. Mallard, chevalier de Saint-Louis, se plaint de ce que les membres de cet ordre ne jouissent

pas de la prérogative d'être admis dans les colléges électoraux sans condition de fortune, comme ceux de la Légion d'honneur. Il demande que cette faculté soit rendue commune aux deux ordres.

La Chambre ordonne le renvoi des deux pétitions à sa commission des élections.

M. de La Martellière, autre chevalier de SaintLouis, propose de décerner aux villes de Bordeaux, Marseille, etc., le titre de villes royales, et qu'elles soient autorisées à réunir les armes de France écartelées avec leur armoiries municipales.

La commission se plaît à reconnaître combien ces villes se sont rendues recommandables par leur fidélité et leur dévouement. Mais en considérant que l'autorisation demandée se trouve dans l'attribution exclusive du monarque, elle propose de passer à l'ordre du jour.

Cet avis est adopté.

M. Le Roi, ancien juge de paix du canton de Bolsain, département de l'Aisne, dans un mémoire très-étendu, argue de nullité la vente, consommée par l'administration, d'une maison appartenant jadis à son épouse.

La Chambre, sur l'avis de sa commission, passe à l'ordre du jour, attendu que le pétitionnaire a la faculté de se pouvoir pour cause de nullité devant le comité contentieux du conseil d'Etat ;

Un nommé Tourly, ex-huissier, condamné pour crime de faux en écriture privée sur la déclaration unanime du jury, par arrêt de la cour d'assises de Rouen du 12 novembre 1815, demande à se justifier devant une commission de révision.

L'ordre du jour sur cette pétition est adopté avec des signes qui manisfestent la désapprobation d'une demande de cette nature.

La Chambre ne témoigne pas beaucoup plus de faveur pour la pétition de M. Durieux, de la ville d'Hérissoan, département de l'Allier, qui, pour motiver la demande d'être nommé chef porteur de contraintes, fait valoir vingt-deux ans de service militaire dans la garde nationale. La proposition faite par le rapporteur de passer à l'ordre du jour sur cette pétition est adoptée, et le pétitionnaire renvoyé à l'autorité compétente.

L'ordre du jour est également adopté sur la réclamation de M. Dubois, d'Arras, qui se plaint d'avoir été trop taxé dans l'emprunt de 100 millions, et demande le mode de régularisation promis, dit-il, depuis si longtemps.

M. le comte de Sainte-Aldegonde, rapporteur. Messieurs, les habitants des Bouches-duRhône exposent à la Chambre la conduite du maréchal Masséna, dans son gouvernement, à l'époque du débarquement de Bonaparte, et demandent qu'il soit signalé à la justice du Roi, comme le plus coupable de tous les chefs.

L'importance d'une pareille pétition, déjà rendue publique et revêtue d'un nombre immense de signatures, nous a paru, ajoute le rapporteur, devoir fixer l'attention de la Chambre. La commission, dont je suis l'organe, vous propose d'ordonner le renvoi de cette pièce au ministre de la guerre.

Plusieurs voix. Lisez la pétition.

M. Colomb, député des Hautes-Alpes. Messieurs, vous n'attendez pas de moi que je vous entretienne du fond de la pétition, et la raison en est bien simple, c'est que je ne la connais pas encore; mais je viens m'opposer à ce qu'il en soit donné lecture, et je me fonde sur l'existence de la loi de l'amnistie, solennellement déclarée par les trois branches de la puissance législative, et

promulguée par le monarque. Cette loi a consacré des exceptions. Elles ont été déterminées par le Roi, par la Chambre des pairs, par celle des députés, par tous les pouvoirs réunis. Je ne vois figurer sur aucune liste le nom du militaire contre lequel est dirigée la pétition qui vous est adressée; il ne se trouve dans aucun des cas d'exception de l'amnistie; en conséquence je crois devoir m'opposer à la lecture demandée.

M. Reynaud de Trets, député des Bouchesdu-Rhône. La pétition qui vous est soumise est antérieure à la loi d'amnistie. Elle vous explique la manière dont les habitants de la Provence jugeaient leur commandant militaire, dans un moment où le silence de la loi permettait encore de s'expliquer sur sa conduite : ils jugeaient alors, comme nous en avions tous été persuadés, dans le moment du danger!... comme je l'avais été moimême, moi... témoin oculaire d'un partie des faits énoncés dans leur pétition !... Ils jugeaient qu'il les avait autorisés par la faiblesse de sa con-duite et par l'astucieux mystère qui en avait couvert tous les détails; que c'était lui qui avait, au moment du débarquement de l'usurpateur, enchainé le courage et le royalisme des Marseillais;... pleins de zèle, animés par le plus vif attachement pour l'auguste maison des Bourbons, nous aurions volé au-devant des pas de leur ennemi et du nôtre, et nos pas ont été enchaînés trop longtemps par les mesures de lenteur qu'a prises celui dont le devoir était de se mettre à notre tête et de guider notre ardeur !... Je dirai plus, tous nous sommes restés persuadés et nous ne doutons pas qu'il n'en existe des preuves. Tous, nous croyons que ses rapports avec l'île d'Elbe..... Des murmures s'élèvent.

Un grand nombre de membres s'écrient: A l'ordre! à l'ordre!

Beaucoup d'autres membres: Continuez, continuez.

Plusieurs voix : Et la loi d'amnistie!...

L'orateur continue. Tous, nous croyons que ses rapports avec l'ile d'Elbe avaient prévenu et peut-être contribué à préparer les funestes événements auxquels il nous a été interdit de mettre obstacle. Si aucune procédure n'avait été commencée contre l'ex-gouverneur Masséna, avant la proclamation de la loi d'amnistie, nous savons que le silence serait notre devoir; mais nous sommes informés que des instructions avaient été commencées; nous ignorons quel en a été le résultat et jusqu'à quel point elles sont parve. ques... C'est un fait qu'il est nécessaire d'éclaireir je vous demande donc, au nom des fidèles provençaux qui se flattent qu'ils auraient sauvé la France des malheurs qu'elle a éprouvés, si ce traître n'eût pas enchaîné leur courage, je vous demande que leur pétition soit renvoyée au ministre de la guerre, qui, mieux instruít que nous ne pouvons l'être du véritable état de cette affaire, sera plus à portée que personne de juger la direction qu'il doit lui donner, et pour l'intérêt du Roi et pour l'honneur de la population d'une cité, et même d'une province entière, à jamais fidèle à son Roi!

A l'appui, et pour l'intelligence de ce que j'ai eu l'honneur de vous avancer, je demande, Messieurs, que, préalablement, la lecture de la pétition vous soit faite en entier.

M. de Serre, député du Haut-Rhin. Messieurs, je vous supplie de croire que mon opinion est tout à fait indépendante des personnes et que je considère ici la question dans sa généralité. Quelques habitants d'une contrée de la France

vous font parvenir leurs plaintes sur des faits politiques antérieurs à l'amnistie, sur la conduite d'un des chefs de l'armée à cette époque antérieure. La pétition, d'après l'opinant luimême, est un acte d'accusation circonstancié. J'accorde que tous les faits imputés sont vrais ; cependant, vrais ou faux, ils sont couverts par l'amnistie. (Quelques voix : C'est ce que l'on contredit.....) J'admets que l'auteur des faits allégués fût déjà poursuivi judiciairement, il faudrait les prouver. Mais la présomption de droit est que les faits n'existent pas. Or, la question est de savoir si nous devons reporter notre attention sur des faits amnistiés et contre un homme qui n'est point excepté de l'amnistie; si nous devons détruire notre propre ouvrage, perdre de vue que le but d'une loi d'amnistie est l'oubli, le profond oubli du passé; que le premier bienfait qu'elle se propose est le retour de la tranquillité publique; que nous ravirions à la France ce bienfait par un ressentiment continué des actes, des crimes, si l'on veut, qui ont été remis à leurs auteurs, en donnant une publicité solennelle à un acte d'accusation qui ne peut tendre qu'à accroître les animositės. Au surplus, rien ne prouve qu'une poursuite judiciaire excepte de l'amnistie le maréchal Masséna.

M. Raynaud de Trets. J'ai été moi-même appelé en témoignage.

M. de Serre. Eh bien! si une instruction a été commencée, nous devons abandonner aux juges le soin d'éclaircir les faits. C'est un motif de plus pour nous abstenir, et qu'une branche de la puissance législative se garde de jeter un poids dans la balance de la justice. L'affaire est absolument sortie de notre domaine, et, rentrée dans celui de l'autorité judiciaire, elle ne peut plus faire partie de nos attributions.

M. Forbin des Issarts, député de Vaucluse, reconnaît, dit-il, la justesse des raisonnements de l'orateur qu'il remplace à la tribune, mais sa discussion lui paraît étrangère à la question, et c'est à son vrai point qu'il croit devoir la ramener. Il est présenté à la Chambre une pétition qui contient des accusations graves. La Chambre à le droit d'en prendre connaissance, puisque sa commission a non-seulement le droit mais le devoir de l'éclairer sur les pétitions dont l'examen lui est confié. On ne peut donc refuser d'entendre la lecture de la pétition.

Quant à la proposition du renvoi, continue M. des Issarts, elle est parfaitement dans les convenances. La Chambre n'a rien à préjuger; elle ne doit ni inculper ni amnistier, soit sous le rapport judiciaire, soit sous le rapport militaire. l'appuie donc la proposition du renvoi et de la lecture de la pétition.

On demande à aller aux voix.

M. de Catelan trouve l'un et l'autre sans objet Ou Masséna, dit-il, est sur la liste des exceptions, ou il n'y est point placé.....

M. Hyde de Neuville. Il ne s'agit point d'appliquer les exceptions, mais de savoir si la pétition doit être lue.

La discussion est fermée.

La Chambre, consultée par M. le Président, décide que le rapporteur fera lecture de la pétition.

En voici le texte :

A Messieurs de la Chambre des députés. Messieurs, enfin le triomphe des lois et le res tour de l'ordre ne sont plus un problème.

Un grand coupable vient de satisfaire, en tombant, au juste ressentiment et aux douleurs de la France.

Toutefois, Messieurs, cet acte mémorable de justice nationale, que le gouvernement consacre, est loin d'être entièrement consommé. Il reste des traîtres à punir.

Et si la justice des hommes pouvait toujours, dans sa marche, suivre la loi d'une distribution régulière, peut-être d'autres têtes eussent été frappées avant celles de Labédoyère et de Ney.

Il est d'autres hommes, sans doute, dont l'impunité est encore le scandale des lois, l'espoir des factieux, la terreur des amis de la patrie; et c'est à vous, Messieurs de la Chambre des députés, qu'il appartient incontestablement aujourd'hui de les désigner.

La sagesse du meilleur des rois, d'accord avec sa bonté paternelle, d'accord avec l'unanime vœu des Français, vous attribua solennellement le droit, vous confia expressément le soin d'assister et d'éclairer sa royale sollicitude dans la recherche des auteurs et des complices de l'irréparable attentat que la France déplore.

Hâtez-vous donc, Messieurs, de remplir ce triste et rigoureux devoir, grand et spécial objet de votre mission.

Les habitants des Bouches-du-Rhône, témoins et particulièrement victimes de la trahison la plus lâchement méditée et la plus longuement soutenue qui apparaisse parmi cette multitude effrayante de trahisons, viennent vous conjurer de prendre en main leur cause et celle de la France.

Ils vous conjurent par tout ce qu'il y a de solennel et d'auguste dans vos fonctions, par le doux espoir de la publique paix, qui doit être le fruit de vos travaux, de signaler à la haine de la France, au mépris de l'Europe et à la réprobation de la postérité, le gouverneur de la 8e division militaire, en mars dernier.

Une masse accablante de faits irrécusables et de circonstances qui sont de notoriété publique, établit inévitablement l'évidence de son crime, et prouve que ce vieux guerrier (né sur un sol qui n'était pas celui de la France); ce guerrier, dont les rapines si fameuses avaient flétri tous les exploits (Murmures), s'est rendu coupable de la trahison la plus lâchement méditée, et la plus longuement soutenue parmi cette multitude effrayante de trahisons.

Il est constant, en effet, qu'à la nouvelle du débarquement de Buonaparte, parvenue à Marseille dans la journée du 3 mars, Masséna demeura seul immobile au milieu de l'agitation générale; que pendant deux jours il lutta opiniâtrement contre l'ardeur effervescente de la garde nationale et du peuple marseillais, entourant sa demeure et demandant à grands cris l'ordre de courir aux armes ; qu'il mit en œuvre toutes les ressources de son habileté pour créer des obstacles, pour convaincre les habitants de Marseille de l'inutilité de leurs efforts. « Soyez sans inquiétude, leur disait-il, j'ai pris toutes les dispositions nécessaires pour arrêter Buonaparte. » Il est constant que le 83 régiment, parti pour aller en apparence rompre le pont de Sisteron (1), marchant par simples journées d'étape, séjour

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nant à Aire, et suivant la route longue et tortueuse qui lui avait été tracée, perdit en chemin tout le temps qui était nécessaire pour observer le libre passage de l'usurpateur.

Il est constant que ce ne fut que dans la journée du 6, que le gouverneur, pressé par la voix menaçante du peuple, par l'orage que de justes soupçons formaient sur sa tête, consentit à laisser partir un bataillon de six cents hommes de la garde nationale, répétant toujours : « Allez, inais c'est inutile, j'ai tout prévu. »

Masséna assurait avoir donné des ordres, avoir pris toutes les mesures que les conjonctures comportaient; mais il est constant, Messieurs, qu'il n'avait rien fait, non, rien, de ce que lui prescrivait si impérieusement son devoir, et de ce que lui permettaient les immenses ressources qu'il avait à sa disposition.

La criminelle inertie de Masséna est donc évidemment la première et la plus remarquable. cause des funestes succès, depuis lors, de l'usurpateur.

Et remarquez bien, Messieurs, que pendant trois jours Masséna reste inébranlablement étranger à tout ce qui se fait, à tout ce qui se prépare autour de lui, qu'il ne prend aucune part à une foule d'actes particuliers et de mesures locales dans lesquels sa qualité de gouverneur lui commandait d'intervenir; remarquez que ce consentement qui lui est arraché, après tant de refus, n'est qu'une concession de sa frayeur à l'indignation publique.

Et cette conduite, Messieurs, va s'expliquer aisément.

Mille preuves frappantes, mille circonstances diverses, gravées en traits ineffaçables dans la mémoire des Marseillais, et du reste des habitants des Bouches-du-Rhône, prouvent, attestent invinciblement les relations bien antérieures de Masséna avec l'île d'Elbe.

Il est de notoriété publique que plus d'un mois avant le 3 mars, les émissaires de Buonaparte, sortis de l'île d'Elbe à la faveur des congés militaires, circulaient dans la ville de Marseille, et sous la protection ténébreuse des chefs militaires, pénétrant jusque dans les casernes, travaillaient l'esprit des troupes, et semaient les germes empoisonnés d'une révolte prochaine.

Il est certain que Masséna a dépêché son aide de camp Roux à Buonaparte dans l'intervalle du 3 au 10 mars; tout comme il est reconnu que l'épouse du maréchal dina chez Buonaparte le troisième jour de l'arrivée de ce dernier à Paris. De tous ces faits, de toutes ces circonstances choisies parmi tant d'autres, dans l'impossibilité de les toutes énumérer, il résulte, Messieurs, avec une pleine évidence, que le maréchal Masséna a complétement manqué à tous ses devoirs envers le prince et la patrie, qu'il les a lâchement trahis tous deux autant qu'il était en lui de le faire.

Il résulte que Masséna peut, à juste titre, être considéré comme coupable de toutes les trahisons que la sienne a précédées et nécessairement déterminées; et que tout son sang répandu, sa mémoire flétrie, n'expieront jamais que bien imparfaitement un si vaste et si exécrable forfait.

En effet, Messieurs, et vous ne le perdrez pas de vue, la trahison de Masséna, s'isolant de toutes les autres par le fait de son antériorité absolue, lui appartient uniquement et tout entière: on ne pourra jamais dire qu'elle fut, comme quelques autres, le produit malheureux de l'entraînement universel et de la force des choses. Non, Messieurs, cette trahison fut l'acte réfléchi, libre

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