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Votre commission, dont le zèle et les doux sentiments ne peuvent être égalés que par les nôtres, a l'honneur de vous proposer d'ajouter au budget de 1816 une somme de 19 millions, pour venir au secours du clergé. Je m'étais fait un devoir de vous soumettre quelques réflexions sur l'emploi de cette somme; j'aurais été d'accord avec notre position actuelle, et avec l'intérêt puissant que prennent tous les ecclésiastiques, au bonheur de la France: comme nous, ils sont jaloux de praticiper au soulagement de nos misères.

Notre honorable collègue, M. Piet, ayant fait sentir qu'avant tout il fallait être juste, que la Chambre avait reconnu, dans ses précédentes délibérations, que le clergé devrait être propriétaire; que le premier, et le plus puissant moyen de le rendre propriétaire, était de lui rendre les biens qui n'ont pas été vendus.

Je vote, conformément à l'opinion de notre honorable collègue, pour que tous les biens du clergé, qui n'ont pas été vendus, lui soient restitués, et purement et simplement pour l'article 6 du projet de la commission.

M. le baron de Fabry, député du Var. Messieurs, s'il était vrai que la mesure qu'on vous propose dût rendre à la France ses mœurs anciennes; à la religion, des ministres qui sussent nous pénétrer de son esprit; à l'Etat, le repos et la tranquillité, nous adopterions avec enthousiasme ce moyen facile de mettre un terme à nos dissensions, à nos malheurs, et de nous replacer dans cet état de gloire et de prospérité qui fut si longtemps le partage de nos heureux ance

tres.

Mais, je l'avoue, je n'ai pu voir sortir tant d'avantages de la proposition qui nous est faite : J'ose donc la combattre; car si elle ne doit point produtre le bien qu'on en attend, elle doit nécessairement avoir un effet contraire.

En politique, dès qu'une proposition n'est pas avantageuse, elle est nuisible. Le premier besoin des peuples est la stabilité de leurs institutions.

Qu'il me soit permis de réduire la proposition de votre commission à ses vrais termes, et j'y trouverai: La France était heureuse avant la Révolution, et le clergé était riche! Rendez au clergé l'opulence, ajoutez-y l'indépendance, et la France recouvrera le bonheur.

Cette conséquence pourrait me paraître juste si Pon commençait par me démontrer que notre prospérité venait de cette cause, et non pas de l'esprit de piété que n'avaient pas tant altéré nos malheurs, et non pas de cette succession de règnes paternels que la France doit à la famille de notre Roi, et non pas de cette stabilité qui, laissant chaque chose à sa place, faisait croire à chacun de nous qu'il devait vivre comme avait vécu son père, et non pas de cette vénération pour les usages anciens qui allait jusqu'à faire respecter les abus,

Mais il est inutile que je m'étende sur les causes de notre bonheur et de nos regrets. Notre Roi seul nous est rendu, les autres nous manquent, la Révolution a tout dévoré.

Les hommes et les temps ne sont plus les mêmes.

Un esprit novateur a détruit le gouvernement de nos pères; que de malheurs n'en ont pas été les suites! Le plus grand sans doute serait d'avoir hérité à notre insu de l'esprit qui les a causés.

En 1789 on voulait détruire pour améliorer. Avec les intentions les plus pures, je vois aujour

d'hui le même système : puisse-t-il avoir un meilleur résultat ! J'avoue pourtant que j'espérais que le corps politique, fatigué comme les individus de tant de changements et de tant d'épreuves également funestes, se serait reposé quelque temps sous les douceurs du gouvernement royal, pour attendre que la sagesse de Sa Majesté indiquât les efforis qu'elle proportionnerait aux moyens, les changements, les améliorations qu'elle saurait adapter aux besoins.

Il en est autrement : des propositions se succèdent sans relâche; résultat de vues particulières, elles ne sont pas toujours coordonnées entre elles, elles le sont quelquefois moins encore avec notre système politique, avec notre situation civile et militaire, avec nos mœurs, avec nos besoins, avec nos intérêts, avec nos ressources, avec le respect pour l'autorité de Sa Majesté.

S'il me fallait justifier ce que j'avance, c'est votre sagesse qui m'en fournirait les moyens, puisque vous avez rejeté la proposition de livrer aux tribunaux les auteurs, fauteurs ou complices du 20 mars;

Puisque vous avez rejeté celle qui fut dictée aussi par un grand amour de justice et qui tendait à désigner à la reconnaissance nationale ceux qui, dans les mêmes circonstances, avaient fait leur devoir;

Puisque vous avez rejeté celte commission de salut qu'on vous proposait d'établir, et tant d'autres projets qu'il est inutile d'énumérer.

Néanmoins, il n'est plus en votre puissance de faire que les espérances et les craintes n'en aient été excitées, entretenues, quand on a un si grand besoin d'assoupir toutes les passions.

J'ai avancé que ces propositions n'étaient pas toujours coordonnées entre elles; j'en trouve une nouvelle preuve dans celle que je combats.

D'une part, on nous apprend qu'll manque plus de quatre mille prêtres pour le service des paroisses.

De l'autre, que nous ne pouvons, sans le plus grand danger, différer d'un jour de leur confier l'instruction publique.

Ailleurs, on veut leur donner les registres de l'état civil, et les rendre indépendants.

Enfin, on veut les placer au-dessus du trône, S'agit-il de leurs intérêts pécuniaires? Même embarras, même confusion.

Pour dimineur les dépenses du Trésor, pour que le clergé ne soit plus réduit à l'avenir à être pensionnaire, vous adoptez en principe qu'il pourra recevoir par donation et testaments.

Peu après, le gouvernement vous propose de lui ouvrir une nouvelle branche de revenus, mais avant que votre commission vous ait présenté son travail à ce sujet, un autre projet inattendu veut vous faire fixer à 19 millions de plus, le budget du clergé, dans cette année de malheur, et à 61,500,000 francs, son budget à l'avenir.

Aujourd'hui encore, on a manifesté, à cette tribune, le désir de voir rendre au clergé ses bois.

Je dois le dire, je vois beaucoup de matériaux, mais je cherche encore l'architecte qui doit disposer les parties de ce vaste édifice, daus le double intérêt de l'Etat et de la religion.

En attendant, je chercherai à rassurer l'honorable rapporteur de votre commission sur les craintes qu'il a manifestées. Il a paru redouter qu'on vous accusât, si vous adoptiez son projet, non d'être trop généreux, puisqu'il n'élevait qu'à 19 millions l'augmentation du budget du clergé, pour cette année de malheur, et qu'il proposait de réduire, pour l'avenir, à 61,500,000 francs,

la dépense que l'Assemblée constituante avait fixée à 82 millions, mais bien plutôt de ne l'être pas assez.

Et ce n'est pas parce qu'on pourrait dire que le clergé de France était alors beaucoup plus nombreux qu'il ne l'est aujourd'hui, car je forme des vœux ardents pour qu'il puisse bientôt suffire aux besoins de toutes les paroisses, que des établissements d'instruction publique soient confiés à ses soins, et pour que le plus petit hameau de France ait son pasteur, mais parce que la position n'est plus la même.

En enlevant des biens immenses au clergé, on venait de décréter que le clergé ne serait que pensionnaire; vous avez décidé qu'il serait propriétaire. Dans le premier système, ce revenu constituait ses uniques ressources; dans le second, au contraire, on peut espérer que, grâce à la piété des fidèles, ce que vous lui affecterez sera, un jour, le moins important de ses revenus.

Il est vrai qu'une peinture éloquente et pathétique de ses malheurs, de ses vertus, a été employée pour amener votre conviction; peut-être craignait-on de ne pas obtenir ce résultat de la sagesse du législateur, et l'on s'est adressé à la commisération de l'homme et à la piété du chrétien.

Hélas! il n'est que trop vrai qu'ils sont à plaindre ces hommes célestes qui, ayant renoncé volontairement à toutes les jouissances personnelles, trouvaient leur bonheur à répandre autour d'eux les bienfaits et l'abondance. Le malheur qu'ils soulageaient est aujourd'hui leur partage, et leur souffrance s'accroît encore de l'impuissance de diminuer celle des autres.

Mais, je vous le demande, si nous pouvons obtenir la réparation des maux causés par notre révolution, en vous présentant le tableau de ses ravages, croit-on que les sujets nous manqueraient?

Et ces malheureux émigrés, qui, pour avoir été fidèles à la monarchie, n'ont rien retrouvé de l'héritage de leurs pères, n'auraient-ils pas droit aussi à des indemnités : la justice, l'humanité ne l'exigeraient-elles pas; si les besoins plus impérieux de l'Etat n'y mettaient un obstacle momentané? Et ces misérables victimes de la guerre la plus funeste, qui, deux fois dans quinze mois, ont vu leurs champs ravagés, leur mobilier détruit, leurs maisons incendiées, leurs fils, leurs époux massacrés, ne réclament-elles pas votre secours aussi impérieusement? Vous êtes cependant sourds à leur voix, mais non pas insensibles à leurs malheurs; vous reconnaissez que pour faire tout le bien qui est dans votre pensée, il faut d'abord consolider l'Etat ébranlé par tant de commotions, combattu par tant d'intérêts divers.

Mais ici, je veux rendre au clergé la justice que le rapporteur lui accorde, en reconnaissant qu'il ne voudrait pas qu'on aggravât les charges publiques pour son avantage.

J'aime à le croire; je dis plus, j'en suis persuadé, il refuserait un don qui coûterait des larmes au peuple, lui qui a le sublime devoir de s'imposer des privations pour soulager la misère des autres.

C'est l'esprit du clergé actuel.

Il est aussi trop peu nombreux sans doute, il a tant de maux réparer, de consolations à donner, de blessures à cicatriser; mais il n'en désavouerait que plus vivement les espérances du rapporteur de votre commission, qui veut remplir ses rangs par les promesses de la fortune, des honneurs, de la puissance.

Ah! formons plutôt, formons tous le vœu qu'ils ne prennent pas cette carrière, ceux qui pourraient y être appelés par ces motifs; ceux qui, devant consoler le malheur par l'espoir des récompenses éternelles, auraient besoin euxmêmes de celles des hommes; ceux qui, ministres d'un Dieu de paix, voudraient aussi voter la guerre! Et n'oublions jamais que des prêtres qui entreraient dans le tabernacle du Saint des saints, avec de pareils projets, nuiraient plus à la religion que le petit nombre de ses ministres.

Cependant on vous propose de placer le clergé au-dessus de la royauté, au-dessus de ce Roi, l'objet de notre vénération et de notre amour L'on veut assurer son existence avant de penser à celle du monarque.

Mais je cherche le chef de cette milice sacrée, à laquelle on veut assigner le premier rang dans l'Etat, et que l'on veut rendre indépendante de Sa Majesté, en oubliant sans doute que deux pouvoirs ne peuvent longtemps se balancer, et je le trouve hors de France.

Heureusement, Messieurs, les intentions de nos collègues sont trop pures, pour que je ne doive pas les respecter; je crois qu'ils adorent Dieu et qu'ils aiment le Roi, et je ne vois dans le projet qui nous est présenté que le résultat d'un zéle ardent qui brûle ce qu'il touche.

Ardeur louable sans doute dans ses motifs, mais funeste dans ses conséquences, puisqu'elle porte un ami de la monarchie, parlant à des Français tels que vous, à placer dans l'Etat quelqu'un audessus du monarque; un ami de la religion, à croire la faire prospérer, en augmentant les rétributions de ses ministres, par une augmentation des charges du peuple en l'année 1816, eten lui donnant un rang politique au dix-neuvième siècle; un ami de son pays, à proposer après tant de malheurs et de désastres, forsqu'on croit être arrivé au port, de nouveaux périls, un nouveau système.

Mais a-t-on du moins préparé les esprits à de si grands changements, en a-t-on prévu toutes les conséquences? sommes-nous assez forts pour de pareilles épreuves? faut-il donner aux ennemis de l'Etat et de la tranquillité, de nouvelles armes? faut-il qu'ils puissent tenter encore d'égarer le peuple, en leur donnant pour auxiliaire de nouveaux sacrifices à exiger?

Je l'ignore; j'aimerais mieux que l'on me fit connaître à la fois toutes les pensées et toutes les ressources, parce que les unes et les autres peuvent se prêter un mutuel appui, et m'inspirer, pour courir de nouveaux hasards, une confiance qui me manque.

Je vous laisse juger si c'est la timidité de mon esprit ou la force de l'évidence qui me dicte ce langage.

Cependant on nous présente ce projet comme notre dernière ressource; c'est la planche du salut, c'est la dernière ancre d'espérance: nous sommes perdus, nous dit-on, si nous différons d'un jour, d'un instant son adoption.

Et moi je vous demande de repousser cette proposition, au nom de l'antique monarchie, au nom de l'honneur français, qui ne souffrit que personne pût être au-dessus du Roi en France.

Et moi je vous demande de la repousser, au nom de ces ministres du Très-Haut; ils refuseraient un secours qui coûterait des larmes à une famille ces ministres veulent servir la cause du Roi, en diminuant le malheur de son peuple, et en lui offrant l'exemple de supporter noblement

celui qui est leur partage, dans ces temps de calamité générale.

Je vous demande surtout de la repousser au nom de cette religion qu'on invoque; elle serait perdue peut-être pour longtemps en France, si le rétablissement dù culte de nos pères coûtait, dans ces temps de détresse, trop de sacrifices au peuple.

Il faut au contraire lui persuader que le premier effet de la religion doit être de diminuer ses misères; vous auriez de la peine à atteindre ce but, si vous commenciez par les augmenter : c'est d'une autre manière qu'on fait des conquêtes au vrai Dieu.

Ils étaient grands les besoins de l'Eglise, dans le troisième et le quatrième siècles, et les Augustin et les pères des conciles, qui les représentaient dans toute leur étendue, ne voulurent établir sur les fidèles que des secours absolument libres.

Ils ne voulurent pas opposer l'intérêt à la religion, parce qu'ils savaient que ce n'est pas en exigeant des sacrifices, que la religion triomphe de ses ennemis, mais en les faisant participer à ses bienfaits.

Aussi je n'hésite pas à le dire, elle est trompeuse l'espérance qu'on nous donne et quoi que nous promette l'honorable membre, nous fermerions en l'adoptant le gouffre de la révolution, comme nous comblerions le déficit de nos finances en augmentant la dépense de 19 millions: bien plutôt nous creuserions sous nos pas un nouvel abîme, si nous la prenions pour guide, et nous irions nous y engloutir avec notre dernière espérance, la religion.

Cependant nous voulons donner au clergé le moyen de soutenir son rang dans la société, de soulager l'infortune, qu'il doit soutenir dans ses afflictions; nous le voulons, mais nous subordonnerons cette décision aux facultés de l'Etat, car le législateur doit allier tous les intérêts.

11 espérera mieux d'un meilleur avenir qu'il travaillera à préparer; mais, pour anticiper sur le bien que nous pourrons faire, nous n'irons pas nous príver de nos derniers moyens, nous n'irons pas arracher aux pauvres ce que ne leur auront pas enlevé tant de contributions différentes, que les malheurs de l'Etat obligeront de consentir.

Nous ne voudrons pas l'aigrir davantage; assez de désastres ont pesé sur lui.

Je sais que la piété de nos pères avait enrichi le clergé de France; mais je ne pense pas que l'aisance du clergé, conquise dans ces circonstances sur les malheurs, par des impôts, pût ramener la religion dans le cœur de nos enfants.

Observez, Messieurs, que la richesse du clergé a toujours été l'effet et jamais la cause de la piété ; réfléchissez, je vous prie, sur cette pensée: elle me semble jeter un grand jour sur cette discussion.

S'il me fallait des preuves, l'histoire des siècles m'en fournirait abondamment. Je verrais les premiers pasteurs de l'Eglise, sans asile et sans propriété, conquérir l'univers au vrai Dieu.

Je verrais ensuite leurs successeurs moins heureux, quoique possesseurs d'une grande partie des biens de l'Europe, et la religion s'affaiblir dans tous les lieux où ses ministres étaient trop opulents.

Il était sans doute assez riche, assez nombreux, assez puissant, le clergé de France, avant la Révolution: il possédait la confiance de nos rois; il avait presque toujours la direction des affaires générales; il formait, après le monarque touteT.J XVI.

fois, le premier corps de l'Etat; il tenait les registres de l'état civil; il était chargé de l'instruction presque dans tous les établissements publics, et c'est dans cette position de choses, que l'impiété a jeté de si profondes racines et a causé de si funestes ravages.

Combien d'enfants élevés par des prêtres, sous un gouvernement monarchique, trompant l'espérance qu'on devait concevoir, sortirent de ces écoles chrétiennes pour se placer dans les rangs des sectateurs de l'indépendance et de l'irréligion! Ceux d'entre eux qui ne concoururent pas à renverser nos institutions religieuses et monarchiques, ne furent pas assez heureux pour les préserver de leur destruction: d'où l'on ose tirer cette conséquence que l'opulence et la puissance du clergé, non-seulement ne suffisent pas pour assurer la piété du peuple, ni l'empire de la religion, car alors nul sacrifice ne pourrait être excessif, mais qu'elles ont souvent produit un effet contraire.

D'où l'on croit pouvoir induire encore que ce dernier résultat prendrait peut-être une nouvelle force dans les circonstances où nous vivons; et c'est, je l'avoue, l'intime conviction de ce sentiment qui m'a déterminé à attaquer le rapport de votre commission.

Que si l'on disait que je raisonne toujours dans la supposition que le clergé serait placé dans l'opulence, et que l'on ne vous demande pour lui que le nécessaire, je me bornerais à vous rappeler votre décision qui l'autorise à recevoir par dona. tions et testaments; à vous rappeler les projets renvoyés à des commissions, tendant à lui procurer de nouvelles ressources, indépendantes des 61,500,000 francs qu'on vous demande de fixer aujourd'hui pour toujours.

Je parle avec cette franchise parce que les sectateurs de l'impiété ne m'ont jamais compté dans leurs rangs, et que je n'ai pas à me pardonner à moi-même d'avoir jamais été un esprit fort.

Il faut aujourd'hui encore d'autres barrières aux passions que tant de causes diverses out déchaînées sur notre patrie. L'amour du peuple pour son Roi, la sagesse de ce monarque, la force de son gouvernement, doivent être le point de ralliement de tous les partis, comme de toutes les opinions religieuses. La religion sera le lien, l'âme, le nerf de cet édifice: car, sans son esprit, il n'y a pas de paix à attendre, de bonheur à espérer; mais elle ne peut agir qu'avec le secours du temps elle s'insinue, elle persuade, mais elle ne commande pas; l'homme résisterait à ses ordres, si la conviction ne les précédait.

Nous voulons tous servir la monarchie, nous voulons la rendre forte et puissaute nous n'avons pas d'autre espérance de salut, nous le sentons, et c'est ce qui me met hors d'état de comprendre ce que l'on dit souvent à cette tribune.

Ah! si nos ancêtres pouvaient être présents à nos séances, comme moi, ils ne pourraient concevoir, peut-être, que ce fût pour augmenter l'amour du peuple pour son Roi, que, dans une comparaison malheureuse, on eût refusé au monarque, à qui nous devons deux fois notre salut et celui de la monarchie, un mérite égal à celui de ses aïeux que tous les Français admi

rent.

Ils ne pourraient croire surtout que le rapporteur de votre commission, vous dépeignant le départ de notre monarque et de sa famille dans ces jours de deuil et de désolation, dans ces jours de malheur et d'opprobre, plaça dans ce cruel mo

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ment, au fond du cœur de ce prince auguste, des regrets de n'avoir pas assez remercié le ciel de sa première restauration.

Il me semble que ce devait être assez d'avoir élevé un pareil blâme jusqu'à la personne du monarque, en oubliant qu'on le justifiait peu après, en faisant connaître ce qu'il avait préparé pour le clergé avec une prudente maturité, en oubliant qu'il avait fait plus encore, puisqu'il avait donné à ses sujets l'exemple de la piété la plus vive.

Du moins il fallait ne pas porter la témérité plus haut, et ne pas atteindre là Divinité. Il fallait ne pas lui prêter des passions, des calculs, des vengeances. Non, Celui qui sauva une ville de sa destruction, parce qu'on y avait donné un verre d'eau en son nom, n'a pas, pour le motif que vous lui supposez, soulevé l'Europe, déchiré la France. Non; ce n'est point ainsi que je me figure le Dieu que j'adore; ses décrets sont impénétrables à mes yeux; je les crois justes parce qu'ils émanent de sa volonté. Assez de motifs ont pu attirer sur nous la colère céleste, mais je n'ose pas en assigner les causes avec les faibles lumières de mon esprit, mais je n'abaisse pas la Divinité jusqu'à l'image de sa créature; je sais que la profondeur de ses vues est incommensurable, comme sa puissance; j'adore, et j'humilie ma raison.

Je rends cependant justice aux motifs de ceux dont j'ai rappelé, pour les combattre, les pensées qui m'ont paru funestes. Mais qu'il me soit permis de le dire, il y a du danger, dans la position où est la France, d'élever souvent le blâme jusqu'au monarque.

Le Français fut toujours distingué par son amour pour ses rois, et ce sentiment auquel il dut tant de gloire et de bonheur, il faut chercher à en embraser tous les cœurs.

Je respecte le monarque parce que je crois que jamais aucun roi ne fit autant de bien avec aussi peu de moyens d'en faire, ne détourna de son peuple autant de mal au milieu de tant de dé

sastres.

Mais je n'hésite pas à le dire, lors même que je serais assez aveuglé pour ne pas reconnaître la vertu et le talent placés sur le trône, je donnerais encore l'exemple du respect et de l'amour pour l'inspirer aux autres.

Vingt-sept années de malheurs, de troubles, d'agitations, de crimes, ont laissé à nos concitoyens un pénible héritage d'inquiétude, de soupçons, de craintes et de remords.

Tant d'ambitions trompées, tant d'intérêts froissés, tant de personnes déçues, tiennent la nation entière dans l'attente.

Dans cette position elle peut être avide de nouveautés sans doute, il faut les lui refuser; donnons-lui le repos, elle y trouvera le bonheur.

N'enlevons pas au monarque, par une funeste précipitation, le moyen de faire le bien.

Que la commission qui nous a répété ce dont je n'ai jamais douté, que le Roi est depuis longtemps occupé du sort du clergé, ne cherche pas à s'attribuer l'honneur qui doit en revenir à Sa Majesté, lorsque sa sagesse trouvera le moment favorable pour donner une suite à ses hautes pensées.

Qu'en attendant ce jour désiré, ce soit sur les bases présentées par le ministre, qu'on donne au clergé une amélioration momentanée. Le zèle, la piété mème a ses erreurs et ses dangers. On voudrait réparer dans un jour les malheurs d'un siècle; la nature du bien s'y oppose. Au moral comme au physique, une élévation rapide présage toujours une destruction prochaine. Notre

révolution dans ses diverses phases nous en a donné d'assez mémorables exemples: n'y cherchons pas des règles à suivre, mais des fautes à éviter.

Nous laisserons le clergé dans la dépendance du souverain, car le souverain est l'image de la Divinité sur la terre.

Il sera ainsi dans la plus heureuse position, puisqu'elle assure l'impuissance de faire le mal, et qu'elle laisse tous les moyens de faire le bien.

Alors, la religion dont nous honorerons les ministres, en donnant nous-mêmes l'exemple d'en suivre les préceptes, pourra nous prêter son appui tutélaire, et portera l'amour de la paix dans tous les cœurs, et la consolation et l'espérance dans ceux où les bienfaits de Sa Majesté ne pourront atteindre.

Jetons ainsi les semences du bien que le temps seul peut faire prospérer.

Ah! si nous parvenions à éteindre les haines politiques, si nous pouvions communiquer à tous cet esprit de concorde et de paix dont nous sommes animés, ceux que les passions égarent reconnaîtraient que la Providence seule a pu diriger votre sagesse à opérer un si grand résultat, et bientôt la reconnaissance les ramènerait au pied des autels : l'édifice alors s'établirait sur sa base; le clergé obtiendrait sans effort la puissance morale qui lui est nécessaire pour opérer le bien et l'aisance qui lui est due et dont il saurait faire un noble usage; et, s'il était possible que la suite des siècles fit perdre à nos enfants le souvenir d'un si grand bienfait, les ministres de Dieu n'auraient qu'à rappeler nos fautes et leurs suites, pour que le spectacle de nos malheurs retint dans le devoir la postérité la plus reculée.

J'ai différé jusqu'à présent de vous parler de ces hommes qui ont donné à l'univers le malheureux exemple d'une abnégation publique, d'un divorce scandaleux avec l'Eglise

Il m'est si pénible de rappeler l'histoire de nos malheurs !

Mais, je l'avoue, il me paraît utile, nécessaire de jeter sur tant de crimes, sur tant de fautes un voile impénétrable: il me paraît utile, il me paraît nécessaire de laisser quelque chose à faire au repentir.

Mais il est juste et indispensable qu'un législateur prenne des règles pour l'avenir dans le passé qu'il reconnaisse, en même temps, que celui-ci est pour jamais hors de sa puissance, et qu'il sache même faire céder les sentiments les plus nobles aux règles immuables de la justice.

Je vote pour que la Chambre reconnaisse tous ces principes, en adoptant la première partie de la proposition de M. Blangy, et passant à l'ordre du jour sur le projet de la commission. La séance est levée.

CHAMBRE DES DÉPUTÉS.
PRÉSIDENCE DE M. LAINÉ.

Comité secret du 8 février 1816.

Le procès-verbal du comité secret du 7 février est lu et adopté.

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion sur la proposition de M. le comte de Blangy, tendant à améliorer le sort du clergé et à supprimer les pensions dont jouissent les prêtres mariés (M. Roux de Laborie, rapporteur).

M. le comte de La Pasture. Messieurs, l'éloquent rapport qui vous a été fait sur la loi pro

posée par M. de Blangy, exprime un vœu partagé depuis longtemps par tous les amis de la religion et de la justice, celui d'améliorer dès à présent la triste situation où se trouve le clergé catholique en France. Ce projet de loi qui nous a tous si vivement intéressés, peut se considérer comme un supplément aux autres propositions faites à la Chambre sur ce même objet, car celles-ci pouvaient difficilement s'occuper du présent; par leur nature elles n'offraient qu'un remède lent et applicable seulement à l'avenir. Mais une espérance éloignée est illusoire pour des hommes parmi lesquels les sexagénaires sont au rang des plus jeunes, accablés par l'âge, par les malheurs, par les privations. Ne nous séparons pas, Messieurs, sans soulager une misère honorable pour ceux qui la supportent avec tant de résignation; mais honteuse pour la nation qui n'y remédie pas.

Le projet de votre commission, s'il est exécuté, porterait quelque adoucissement à un abandon qui dure depuis trop longtemps; mais tel est le sentiment pénible que m'inspire le dénuement de nos malheureux desservants, le respect que je porte à leur caractère, à la sainteté de leurs fonctions, l'utilité même de leur ministère dans l'ordre social, que je dois céder au besoin d'appeler plus particulièrement votre attention, d'augmenter, s'il est possible, votre intérêt en faveur de ces hommes estimables autant qu'infortunés.

Le reste du clergé en fonctions, dans une situation sans doute trop pénible, trop peu fortunée, jouit au moins de quelques ressources pour exister et ne sollicitera pas dès secours extraordinaires dans un instant où la patrie réclame de si grands sacrifices. Leur seul regret, dans la médiocrité de leur sort, sera, n'en doutons pas, de ne pouvoir secourir l'Etat par ces dons généreux que l'ancien clergé de France s'empressait d'offrir dans des circonstances moins désastreuses que celles où nous nous trouvons.

Mais, Messieurs, existe-t-il parmi les fonctionnaires publics salariés par l'Etat, une classe d'hommes plus malheureuse, plus rigoureusement traitée que les desservants des églises de campagne? Le Concordat, qui fixait le sort des curés, ne s'expliquait pas sur les desservants, parce que cette dénomination était alors inconnue; et on peut présumer que la religion du chef de l'Eglise fut encore surprise par cette promesse illusoire sur les traitements des curés, et qu'il crut que les ministres, replacés dans les anciennes cures, auraient les mêmes émoluments, trop peu élevés d'ailleurs pour laisser croire qu'ils fussent susceptibles de réduction. Cependant, grâce à la distinction entre un curé et un desservant, vous savez que ces derniers n'ont reçu, depuis un si grand nombre d'années, qu'un traitement de 500 francs, dont la pension ecclésiastique forme la plus forte partie par an, et le casuel est à peu près nul. Or, je vous le demande, Messieurs, trouverez-vous cette médiocrité de revenu dans aucune profession publique? Quel est même l'artisan, l'ouvrier le plus inepte, le domestique le moins gagé dont l'emploi ne lui rapporte au delà de cette somme! Et voilà cependant le salaire que reçoivent ceux qui donnèrent un si courageux exemple de leur fidélité aux principes et de la plus touchante résignation dans l'adversité; ceux qui, seuls, inculquant aux enfants des pauvres ces idées morales sans lesquelles ils deviendraient imbéciles où brigands; ceux qui consolent l'indigent et l'être souffrant; ceux, enfin, qui apprennent à aimer Dieu, le Roi et la patrie? Mais

nous savons tous que ce n'est pas assez d'une vie sainte et des exhortations de la sagesse; il faut auprès de l'habitant des campagnes y joindre des dons, de la générosité, et loin d'avoir cette ressource si efficace, le desservant est lui-même réduit à solliciter des secours de celui que jadis il soulageait; condition bien triste sans doute, humiliante, avilissante même, si jamais la vertu pouvait être humiliée ou avilie.

Quelle vocation ne faudrait-il pas à présent pour suivre pendant toute sa jeunesse les études nécessaires à l'état ecclésiastique et n'avoir d'autre encouragement que la misérable existence qui lui est réservée ? Aussi déjà peut-on calculer le moment où le culte ne pourra plus se célébrer que dans les paroisses de canton. L'éducation de cette foule d'enfants qui sont l'espoir de la patrie restera confiée à ceux dont le moindre défaut est l'indifférence, et qui trop souvent ne leur donnent que de pernicieux exemples ou ne les châtient que pour cause de maladresse en commettant les premiers délits. Et cependant, dans tout Etat police on crée des forces imposantes pour la recherche des criminels, on institue des magistrats pour les juger, la société fait de grands sacrifices à tant d'institutions destinées à punir les crimes commis, et nous négligerions le plus puissant moyen de diminuer tout cet appareil redoutable et dispendieux, celui qui, préparant les hommes à la vertu, diminue le nombre des coupables et prévient les attentats contre l'ordre social!

Mais déjà une partie de ce salutaire effet a cessé par suite des nombreuses réunions qui ont eu lieu dans les campagnes. L'éloignement et la mauvaise saison privent beaucoup de communes réunies de l'exercice du culte, elles ne s'habituent que trop facilement à s'en passer. Les enfants n'ont qu'une instruction rare et interrompue, l'impression en est bientôt effacée, et, moins surveillés par les pasteurs, ils contractent sans gêne les habitudes les plus pernicieuses. La race qui s'est élevée pendant l'absence de la religion prouve que rien ne saurait remplacer son influence. Longtemps nous aurons à gémir sur cette lacune déplorable, et nous n'éprouvons que trop souvent la vérité de ces tristes observations; il ne fallait supprimer qu'un très-petit nombre d'églises rurales; l'action de cette police paternelle est absolument nécessaire à la société. Les prètres dans les campagnes sont, si j'ose m'exprimer ainsi, les sentinelles avancées des mœurs, de la bonne foi, de l'obéissance aux lois; et il a fallu une affreuse impiété dans le gouvernement pour se priver d'un si puissant auxiliaire. Les réunions, l'avilissement des fonctions, le défaut de fixité dans les établissements, tout fut aussi impolitique qu'immoral.

C'est donc non-seulement par respect pour la religion et la justice, mais encore dans des vues politiques que je viens appuyer l'ensemble du rapport de votre commission. Et qui pourrait contester les principes qu'il renferme ? Je m'appuie sur une autorité qui ne peut être suspectée de partialité et de générosité en faveur du clergé, c'est celle de l'Assemblée constituante; nous sommes cependant assez malheureux pour ne pouvoir encore l'égaler. En effet, Messieurs, dans cette spoliation aussi folle qu'injuste des immenses biens du clergé, on laissa au moins de smoyens d'existence à ceux qu'on dépouillait, et la loi des mois d'août et 24 juillet 1790 qui fixe les pensions à accorder, porte à 1,200 francs le minimum des traitements ecclésiastiques; la Charte, en garantissant les ventes de biens nationaux, nous laisse la tâche honorable de consoler, d'indemni

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