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vent être considérés comme des exceptions. En général, les suffrages ne se réunissent que sur des hommes qui se recommandent par des services rendus à l'Etat ou à la localité qui les désigne. Or, ce n'est guère avant un âge qui suppose toute la maturité de la raison que l'on peut s'ètre acquis de pareils titres. Les exceptions offrent une présomption favorable à ceux qu'elles concernent, et dans cette hypothèse, elles ne présentent aucun danger, soit parce qu'elles sont très-rares, soit parce qu'elles seraient justifiées par les motifs les plus nobles, soit enfin parce que l'on ne pourrait redouter l'influence qu'exercerait un petit nombre de jeunes députés sur une assemblée dont la majorité serait composé d'hommes d'un âge mûr et d'une expérience cousommée.

J'en atteste cette Assemblée même; le nombre des députés âgés de moins de 40 ans, est-il assez considérable, pour qu'en supposant que tous fussent placés dans la plus fàcheuse des hypothèses, que tous se montrassent légers, irréfléchis, disposés à se laisser séduire par des idées dangereuses, ils puissent agir sur l'esprit de leurs collègues d'une manière nuisible à l'Etat? Le résultat de vos opérations, Messieurs, répond suffisamment à cette question: un seul de ceux qui seraient exclus par l'article du projet de loi a-t-il hasardé, non une proposition dangereuse, mais un de ces mots qui échappent souvent dans la chaleur de la discussion? Un seul s'est-il fait remarquer par des principes, par des opinions, par une conduite que la prudence ne pourrait pas avouer? Quels prétexte aurait-on pour les éloigner de l'Assemblée, aux travaux de laquelle la confiance de leurs concitoyens les a associés? Nulle difficulté sans doute ne s'élèvera pour ceux qui❘ ont déjà reçu cet honorable mandat: la nation le leur a également conféré, vous l'avez ratifié légalement. Ce n'est donc pas des députés actuellement siégeants dans cette Chambre qu'il peut être question; mais déciderez-vous que ceux de vos collègues qui vous auront aidé à franchir le pas difficile où le vaisseau de l'Etat est engagé, qui auront rivalisé avec vous de dévouement et de persévérance, seront déclarés inhabiles à venir jouir de temps plus prospères, à continuer le bien qu'ils auront commencé, parce que quelques années, quelques mois peut-être les sépareront de l'âge où la constitution leur interdira l'entrée de la Chambre. Arrêterez-vous pour eux l'élan de la reconnaissance publique? Et, lorsque leur colloboration avec nous les aura émancipés, les placerez-vous de nouveau sous la tutelle du temps? Non, Messieurs, vous n'ordonnerez pas à leurs commettants de retirer, de suspendre au moins la confiance qu'ils leur ont accordée. L'intérêt de l'Etat ne commande pas une telle mesure, et le sentiment des convenances la désavoue.

Il est une question bien autrement importante, et qui partage vos opinions: c'est de savoir si le renouvellement doit avoir lieu en entier, ou par cinquième. L'article 37 de la Charte avait déterminé le dernier de ces modes, mais par son ordonnance du 13 juillet, le Roi a indiqué cet article parmi ceux qu'il pourrait être utile de modifier. Votre commission partage cette opinion, et le développement que l'honorable rapporteur a donné aux motifs qu'il nous présente à l'appui de cette proposition répondent à presque toutes les objections qui pourraient être faites. Je me bornerai donc à ajouter quelques considérations à celles qu'il a déjà fait valoir en faveur de ce système.

Une élection générale aura ce grand avantage, qu'elle fournira à l'opinion l'occasion de se manifester. Elle déterminera le retour de ces époques si utiles, qui servent à entretenir l'esprit public, et que l'on peut appeler ses solennités ! Les citoyens d'un Etat ont besoin d'être rattachés à l'ordre social par quelques circonstances marquantes. Une élection partielle, et qui se fait tous les ans, paraîtrait monotone, et ne fixerait pas l'attention. La Chambre des députés, elle-même, a besoin d'éprouver, à certaines distances, un renouvellement complet, qui y appellera de nouveaux talents et de nouvelles espérances.

Si la Chambre se montre digne de la confiance de la nation, si elle est fidèle au Roi, si elle reste étrangère à l'influence de l'esprit de parti, la permanence de ses membres, loin de présenter des dangers, offrira d'immenses avantages. S'il en était autrement, le Roi emploirait cette grande mesure, dont la Charte lui accorde la disposition: il dissoudrait une représentation dont les opinions ne seraient pas en harmonie avec les intérêts de ses peuples; et les peuples, avertis, choisiraient d'autres mandataires.

L'objection la plus forte que l'on puisse opposer à ce mode, est l'effet que produit sur la nation le renouvellement entier de la Chambre, l'élan qu'il imprime à toutes les ambitions, l'inquiétude que peut causer la réunion simultanée de tous les hommes influents du royaume.

Notre funeste révolution a bien souvent offert de ces grandes réunions, et jamais elles n'ont entraîné de troubles, pas même lorsque nos assemblées, exerçant le pouvoir souverain qu'elles avaient usurpé; une carrière sans bornés était ouverte à l'ambition de toutes les classes de la société.

Maintenant le pouvoir des Chambres est renfermé dans des limites sagement combinées. Les avantages réservés aux députés sont de nature à ne tenter que des hommes assez amis de leur pays pour vouloir son bien, aux dépens de leurs intérêts. Point de récompenses pécuniaires, aucune de ces distinctions qui flattent l'amour-propre, ou éveillent les désirs d'un ambitieux. Tout se borne pour eux au plaisir bien désintéressé de coopérer au bonheur de leur patrie, et à la reconnaissance qu'ils trouveront dans le cœur de leurs commettants. De tels résultats n'exciteront pas les passions. On ne troublera pas la tranquillité publique pour disputer à des citoyens zélés la stérile puissance de se sacrifier pour l'intérêt général, et la louable et paisible ambition des gens de bien sera toujours sans danger pour l'Etat.

Je vote pour l'adoption des articles 36 et 37 de la Charte tels qu'ils ont été modifiés par la commission, et je propose pour l'article 38 la rédaction suivante :

« Les députés pourront être élus à l'âge de 25 ans accomplis. Ils devront payer une contribution directe de 1,000 francs. >>

M. de La Bourdonnaye. Messieurs, le projet de loi qui vous est soumis tend à changer deux articles de la Charte et à revenir sur une des dispositions de l'ordonnance du 13 juillet relativement à l'âge auquel on pourra être élu membre de la Chambre des députés.

Ces trois articles sont d'autant plus importants, qu'ils deviendront la base de la loi sur les élections; loi dont l'influence sur la durée de cette Chambre, sur la composition de celles qui lui succéderont, déterminera l'action de l'une des branches du pouvoir législatif et tendra néces

sairement à maintenir ou renverser l'équilibre établi par la Charte.

C'est donc de la durée ou de la dissolution du système représentatif qu'il s'agit lorsque vous Vous occupez d'une loi sur les élections.

Si cette loi est conforme aux principes sur la matière, si elle est modifiée d'une manière appropriée au caractère national, si elle garantit l'indépendance de la Chambre et les droits de la nation sans devenir dangereuse au pouvoir royal, elle atteint toute la perfection et promet au peuple français une longue série de gloire et de prospérité.

Mais soit qu'elle penche vers la démocratie ou qu'elle augmente hors de mesure l'influence du gouvernement, elle nous conduira au despotisme ministériel ou à l'empiétement de tous les pouvoirs par la Chambre, excès également dangereux pour la liberté.

Aucune loi, j'ose le dire, ne demande à être méditée avec plus de soin par le législateur et l'homme d'Etat.

Plus vous vous en occuperez, Messieurs, plus vous en sentirez toute la difficulté; et si vous aviez besoin d'une preuve nouvelle, pour vous en convaincre, c'est dans la multitude de projets existants que vous la trouveriez, parce que rien n'indique davantage combien peu les idées sont fixées sur les principes qui doivent lui servir de base; principes que nos premières Assemblées et la tyrannie ont tour à tour établis au gré de leur intérêt et du système de gouvernement qu'ils voulaient faire prévaloir.

Si du moins, à défaut de principes certains, nous trouvions dans l'histoire ou dans la législation de nos contemporains des points de comparaison, des usages que le succès eût justifiés; mais il n'en est point ainsi : et si le caractère flegmatique d'un peuple voisin et une longue habitude des désordres qu'entrainent les élections, en ont diminué pour lui les inconvénients, nous ne pourrions les transporter sans danger sur le continent, et des élections populaires chez un peuple ardent et léger, seraient perpétuellement l'occasion et le signal de révolutions nouvelles.

Où chercherons-nous donc, Messieurs, les règles qui doivent nous guider?

Après y avoir beaucoup réfléchi, ce n'est que dans les pouvoirs de la Chambre, dans les droits qui lui sont délégués par la Charte, dans l'exercice de ses droits et dans la possibilité d'en abuser que j'ai cru pouvoir les trouver.

Dans un gouvernement représentatif, où les affaires se traitent publiquement dans la Chambre des députés, la nation est appelée à prendre part aux questions d'un intérêt général, et chacun a le droit d'exprimer sa pensée. Mais ces voix éparses et confuses seraient sans consistance si la loi ne leur donnait pas une expression régulière c'est cette expression dont la Chambre des députés est l'organe auprès du trône.

Chargée de défendre les libertés de la nation, la Chambre est encore appelée à voter les lois et l'impôt, et à en surveiller l'emploi et l'exécution; mais son plus beau titre sans doute à la reconnaissance publique, est de protéger les opprimés contre les abus de pouvoirs, et de garantir à chaque citoyen le libre exercice des droits reconnus par la Charte.

Un corps ainsi formée par l'opinion publique et réagissant à son tour sur cette même opinion par la puissance de la parole, par le choix des délibérations; un corps d'autant plus puissant que c'est au nom de la nation et de ses intérêts

qu'il parle toujours, ne serait-il pas dangereux s'il venait à s'écarter de la ligne constitutionnelle qui lui est tracée?

Cependant les hommes qui le composent n'ont à espérer, en suivant la ligne de leur devoir, d'autre récompense que le bien public, d'autre dédommagement que l'estime de leurs concitoyens; tandis que de lâches complaisances ouvriraient devant eux la carrière de l'ambition, et que la vanité et la faveur populaire tendent à les enivrer pour les rendre factieux.

Ainsi placés entre deux écueils, exposés à abuser d'un grand pouvoir, ou à trahir leurs commettants par faiblesse ou par ambition, les membres de la Chambre n'ont, pour se soutenir dans leurs pénibles devoirs, d'autres appuis que leur indépendance, l'accord de leurs intérêts privés avec l'intérêt de l'Etat, la maturité de l'âge, les leçons de l'expérience, leur nombre même fixé dans une proportion qui les élève au-dessus des influences étrangères sans nuire au calme, à la sagesse de leurs délibérations, comme le renouvellement intégral et à époques fixes de la Chambre la préservera de cet esprit de corps qui, se perpétuant dans les assemblées qui ne se renouvellent que par fraction, tend constamment à accroître ses attributions au détriment de l'autorité du monarque.

Ainsi, Messieurs, quatre conditions sont nécessaires pour constituer fortement la Chambre des députés, et garantir au souverain le respect pour ses prérogatives, et au peuple le maintien des droits qui lui ont été concédés par la Charte.

Ces conditions sont l'indépendance des députés par une propriété telle qu'ils soient au-dessus des séductions et qu'ils ne puissent que perdre dans un bouleversement général.

Les députés doivent encore être mûris par l'âge et l'expérience et avoir donné des gages de leurs talents et de leurs vertus dans une carrière honorablement suivie.

La Chambre des députés, pour juger avec impartialité et prononcer avec sagesse, doit être assez nombreuse pour résister à toutes les influences et pas assez pour être livrée au tumulte et à l'esprit de faction.

Enfin la Chambre doit se renouveler intégralement à des époques fixes pour devenir davantage l'expression de l'opinion générale et se dégager de cet esprit de corps qui se substitue si facilement à l'intérêt public dans les assemblées qui se renouvellent peu à peu et se transmettent héréditairement leurs préjugés et leurs coutumes.

Je n'ai point ici, Messieurs, à m'occuper des moyens d'assurer l'indépendance des membres de la Chambre; cette condition essentielle ne devra être discutée que lorsque vous délibérerez sur la loi des élections.

Je me renfermerai dans la discussion des trois autres principes que vous avez vu découler de la nature, de l'exercice et de l'abus possible des droits de la Chambre et je les appliquerai à l'examen des trois articles de la Charte sur lesquels Vous êtes appelés à délibérer.

J'examinerai d'abord l'article 37; il est ainsi conçu :

«Les députés sont élus pour cinq ans et de manière que la Chambre soit renouvelée par cinquième chaque année. »

En rédigeant cet article d'une manière aussi absolue le législateur s'occupait de la règle générale et il n'avait présent à là pensée que la situation de la Chambre au moment ou la Charte fut donnée. Il ne s'agissait alors que de déterminer

le mode dans lequel le renouvellement s'effectuerait dans l'ordre habituel.

Dans l'article 50 le législateur, frappé du danger d'une Chambre qui se perpétuerait, peut-être dans un esprit factieux, donne au Roi le pouvoir de la dissoudre.

Dans cette circonstance, qui intéresse le cours ordinaire des choses, il se présente une difficulté.

Tous les députés élus simultanément pour cinq ans, tireront-ils au sort à la fin de la première année pour reprendre ainsi le mode du renouvellement par cinquième, ou feront-ils chacun leurs cinq années de fonctions de membres de la Chambre?

Dans ce cas, le second membre de l'article 37 est violé, la Chambre n'est pas renouvelée chaque année par cinquième. Dans l'autre, le premier membre de l'article ne s'exécute pas, les députés élus pour cinq ans ne siégent qu'un, deux, trois et quatre ans, hormis le dernier cinquième.

Cette difficulté est insoluble, parce qu'il existe contradiction, dans les termes, entre les dispositions des articles 37 et 50.

Ainsi, quel que soit le mode fixé par la loi, on sera toujours en opposition avec une des dispositions de l'article 37 de la Charte; et c'est sans doute par ce motif et pour faire disparaître cette contradiction, que l'ordonnance du 13 juillet soumet ce point à la révision des Chambres.

Une loi est nécessaire pour remplir ce but.

Cette loi n'étant plus restreinte par les dispositions de la Charte, ne doit être faite que dans l'intérêt du gouvernement et dans l'intérêt national.

Envisagée sous ce point de vue, et eu égard aux circonstances, nous penserions qu'à l'instant où une constitution nouvelle vient d'être donnée à la France, lorsque des lois réglementaires trèsimportantes sont encore à faire pour mettre en mouvement tous les rouages de l'administration et du gouvernement; lorsqu'il importe que ces lois soient faites non-seulement dans l'esprit de la Charte dont elles ne sont que l'application, mais encore dans un même esprit entre elles, et coïncident toutes à donner à l'autorité royale la force dont elle a besoin pour calmer les passions, comprimer les partis et assurer toutes les légitimités, il est à désirer que de nouvelles élections ne viennent point modifier le système de la Chambre des députés, et déplacer chaque année la majorité, mais que les principes qui la régissent se developpant pendant plusieurs sessions dans des circonstances qui se renouvellent, forment une jurisprudence qui acquière force de chose jugée; jurisprudence qui, n'ayant point la rigidité de la loi écrite, ait cette flexibilité nécessaire aux corps politiques pour se prêter aux différentes situations du gouvernement; tandis, au contraire, que si la majorité de la Chambre se déplaçait chaque année, les décisions prises dans chaque session pourraient être opposées; il existerait une fluctuation qu'on ne pourrait arrêter que par des lois précises; et ces lois auraient l'inconvénient de contenir la Chambre dans des lignes tellement circonscrites, qu'elle n'aurait pour ainsi dire aucune liberté de mouvement, et que dans les crises politiques, elle trouverait en elle-même une opposition invincible pour tout acte étranger aux circonstances habituelles.

Nous penserions que pour éviter ces graves inconvénients il serait convenable de ne point renouveler la Chambre par cinquième, mais en totalité les cinq années révolues, si toutefois il

ne paraissait pas plus politique encore d'en fixer le terme à sept années, non pour perpétuer ainsi les membres de la Chambre, mais afin que le gouvernement, sans trop rapprocher les époques des élections, pût user de son privilége de dissoudre la Chambre, parce que si le Roi exerçait souvent cette faculté sans motifs apparents, il pourrait d'autant plus facilement recourir à cette mesure dans des moments difficiles; que le peuple accoutumé à le voir user de ce droit y attacherait moins d'importance, et que c'est déjà pour un gouvernement avoir gagné beaucoup que d'avoir accoutumé les esprits à des mesures qui, par elles-mêmes dans les moments les plus calmes, produisent toujours une grande fermentation. Si maintenant j'examine cette question sous un point de vue plus général, et y appliquant les principes que nous avons déduits des droits et de l'exercice des droits de la Chambre, je dirai avec le rappor teur de votre commission, que dans l'intérêt du peuple le renouvellement intégral de la Chambre à des époques fixes, est plus avantageux, puisque, appelée à exprimer l'opinion publique, les renouvellements partiels lui ôtent les moyens de la faire connaître avec l'évidence et l'ensemble dont vos nominations, Messieurs, ont fourni un des résultats les plus importants et les plus heureux qui puissent être offerts comme exemple de l'utilité du renouvellement total de la Chambre; ce renoua vellement intégral est en outre pour le peuple le contre-poids de la prérogative accordée au Roi de dissoudre la Chambre, et il assure à la nation le droit de renouveler une Chambre qui semblerait trahir ses devoirs et abandonner les droits qu'elle lui a confiés.

Dans l'intérêt du souverain le renouvellement intégral a été jugé tellement nécessaire, que la Charte en a fait une des prérogatives royales les plus importantes.

En effet, Messieurs, si la Chambre des députés. investie de pouvoirs immenses, se renouvelant chaque année d'une manière partielle, conservait perpétuellement, et par une transmission non interrompue, cet esprit de corps, ce système d'envahissement de pouvoirs et d'attribution, inhérent aux corps constitués, il s'établirait bientôt dans la Chambre une législation d'usage en opposition avec la loi, qui, n'étant plus resserrée dans les limites étroites de quelques articles précis de la Charte, se prêterait avec une merveilleuse facilité à toutes les entreprises d'un corps déjà si puissant, et qui, se renouvelant sans cesse de l'élite de la nation, présenterait constamment une force immense en opposition aux inégalités qui se succèdent inévitablement dans une race toujours la même et dans laquelle la sagesse des lois a fixé la primogéniture comme la seule garantie de la stabilité et de la légitimité des droits de tous.

Jetez les yeux sur le passé, Messieurs, voyez ces parlements, créés d'abord pour rendre la justice et transcrire les lois, devenir bientôt les tuteurs de nos rois, et par la pente insensible qu'ont tous les corps perpétuels à envahir, par le droit qu'ils s'attribuaient de résister au nom du peuple et dans ses intérêts, par la popularité qui en est naturellement la suite, devenir sous des monarques faibles une puissance rivale de l'autorité, et finir enfin par nous précipiter dans cet abime de malheurs que vous êtes appelés à combler.

Si des corps de magistrature épars, composés d'un petit nombre de familles, ont pu produire des effets si désastreux, que serait-ce, Messieurs, si un corps élu par tous les propriétaires du royaume, appelé à défendre constamment leurs in

térêts, n'ayant pour ainsi dire de force que dans l'opinion, mais ayant tous les moyens de la diriger, joignaient à tant d'influence celle de la perpétuité de la durée, de la transmission de son esprit, de ses systèmes, de sa légisation?

Oui, Messieurs, l'intérêt bien entendu du souverain, l'intérêt du peuple, la nécessité de maintenir l'équilibre politique entre toutes les branches du pouvoir législatif, réclament également le renouvellement intégral de la Chambre à des époques fixes.

Je ne reproduirai point ici, pour les combattre, les objections qui pourraient être présentées contre le renouvellement intégral; là logique forte et puissante avec laquelle elles ont été combattues par le rapporteur de votre commission, vous est encore présente, et je n'abuserai point de vos moments pour les discuter.

Je passe à la discussion de la seconde question. Quel sera le nombre des membres de la Chambre? Ce point, fixé par l'article 36 de la Charte, a subi un changement par l'ordonnance du 13 juillet.

Votre commission vous propose d'adopter cette modification, en portant à quatre cents le nombre des députés fixé à deux cent soixante-deux. Elle se fonde, pour l'admettre, sur l'adoption universelle qui en a été faite dans vos bureaux.

Ce motif est d'un grand poids sans doute, et ce n'est qu'avec beaucoup d'hésitation que je me permets de présenter à la Chambre quelques doutes sur une matière qui semble ne lui en avoir présenté aucun.

Les membres de la Chambre ont, comme nous l'avons déji dit, deux missions spéciales à remplir; ils sont chargés de faire connaître au monarque l'opinion des départements, et de voter les lois et l'impôt.

Interprète de l'opinion publique, leur nombre est indifférent; à la rigueur, il suffirait d'un seul député par collége électoral pour faire connaître le vœu du département.

Mais législateurs investis du droit de consentir l'impôt et de la rédaction des lois conservatrices de l'ordre public, de la propriété et des droits individuels, ils doivent garantir les intérêts de la nation sans porter atteinte aux prérogatives royales, sans entraver, par une parcimonie mesquine, les projets utiles du gouvernement et les entreprises honorables de la politique.

Trop peu nombreux, ils seraient livrés aux séductions du ministère et de leur propre ambition. Placés plus en évidence, ils auraient besoin de plus de force pour y résister; comme les agents du pouvoir devraient se dépouiller davantage des affections personnelles et de l'esprit de système. Ne serait-ce pas trop exiger des uns et des autres ?

Si les Assemblées sont trop nombreuses, perdu dans la foule chaque député opposera plus de résistance, et l'esprit de faction tendra davantage à s'y montrer.

Le gouvernement aura bien moins de prise sur une foule d'intérêts particuliers, moins d'influence sur la volonté générale.

Si à ces inconvénients se joignent la légèreté du caractère national, l'exaltation des esprits, le goût des nouveautés, le pouvoir de la mode et de l'opinion, ne doit-on pas craindre que les discussions n'aient plus de chaleur, l'éloquence plus d'entrainement, les passions plus d'empire, et les convulsions politiques plus de probabilité."

C'est ce que nos premières Assemblées ont prouvé jusqu'à l'évidence. Et on se tromperait beaucoup si, en faisant la part des passions et

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de l'esprit de parti qui y régnaient, on ne faisait pas entrer comme principe anarchique très-influent le grand nombre des membres de ces Assemblées, et le tumulte qui en était la conséquence.

On objectera sans doute l'immense population de la France, l'étendue de son territoire. On les comparera avec les mêmes données chez nos voisins; on fera remarquer que l'Angleterre, avec une population de 16 millions d'ames, a six cents députés, et qu'avec une population presque double, je n'en admets qu'environ moitié pour la France.

Mais, Messieurs, cette manière de raisonner par analogie est vicieuse. Les comparaisons ne sont justes qu'entre objets de même nature et soumis aux mêmes influences.

On ne contestera certainement point l'énorme différence qui existe entre le caractère des deux nations, ses goûts, ses habitudes. On évaluera, sans doute, pour quelque chose, dans les calculs politiques qui doivent décider cette question, l'état d'effervescence dans lequel nous sommes encore, et que la génération qui s'élève ne verra peut-être pas disparaître entièrement.

Enfin, on sentira que lorsque les rapports entre les différentes portions de notre territoire sont établis dans une juste proportion, il est indifférent en soi d'avoir dans chaque département un nombre double de députés, puisque dans les deux cas l'influence de chaque partie du territoire est la même, et dans un pays où l'esprit et les talents sont si multipliés, on ne doit pas craindre, en resserrant le nombre des députés, de voir la Chambre manquer d'orateurs, de jurisconsultes et d'hommes éclairés sur toutes les branches de l'administration et de la politique.

Une autre considération importante dont vous sentirez davantage le prix quand vous discuterez la loi sur les élections, et que vous serez convaincus que ce n'est que parmi les grands propriétaires que vous trouverez des hommes vraiment indépendants, vous donnera l'intime conviction que dans un royaume où les propriétés ont été détruites, où le système des partages égaux morcellant chaque jour les campagues, menace l'agriculture d'une prompte destruction, et nos petits-enfants de la nécessité d'un travail manuel, le nombre des hommes indépendants par leur fortune, tendant chaque jour à se resserrer, il est important de circonscrire le nombre des députés, et de les fixer dans une proportion qui permette aux électeurs de faire un choix sévère; et cette vérité sera d'autant mieux sentie par les députés des départements éloignés du centre de la France et dans lesquels le nombre des grands propriétaires est déjà si diminué, que dans les dernières élections ils ont pu en prévoir les prochains inconvénients.

Enfin, Messieurs, il me paraîtrait plus convenable, plus politique, plus dans les principes du gouvernement représentatif de n'avoir qu'un petit nombre de députés, mais toujours présents, afin que tous les départements fussent constamment représentés. Et puisque l'usage a établi qu'un membre de la Chambre pût accepter des places à la nomination du Roi et quitter son poste pour aller les remplir, il me semblerait que, pour maintenir l'équilibre, pour enlever au ministère l'immense avantage de dégarnir nos rangs quand il le juge convenable, il serait juste que chaque député eût son suppléant chargé de le remplacer aussitôt qu'une mission étrangère à ses fonctions l'aurait mis dans l'impossibilité

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de les remplir; car ce n'est point pour accepter des places dans les administrations civiles et militaires ou dans les tribunaux que nous fùmes choisis par nos commettants, encore moins pour nous occuper de nos intérêts personnels; mais pour nous livrer entièrement à nos fonctions de législateurs et défendre les immenses intérêts du trône et de la nation, qui nous ont été confiés.

Au moyen des suppléants que je propose, la Chambre se trouverait constamment complète, et beaucoup de ses membres qui acceptent aujourd'hui des fonctions étrangères à leur mission, les refuseraient peut-être s'ils devaient opter.

Sans doute la réduction dont il s'agit, et la nomination des suppléants ne pourraient pas avoir lieu pendant le cours de cette législature: mais la loi en consacrerait le principe, et lors du renouvellement intégral il serait mis à exécution. J'examinerai maintenant la troisième question, relative à l'âge auquel les députés pourront être élus.

un

S'il est, Messieurs, dans cette discussion, point sur lequel il soit plus nécessaire de ne se déterminer que par les considérations des pouvoirs confiés à la Chambre, et du danger et de la possibilité d'en abuser, c'est celui que je traite

en ce moment.

Ne le considérant qu'en lui-même, abstraction faite du caractère national, de la puissance du levier placé dans la main d'un tribun éloquent, il serait difficile de ne pas se rendre aux motifs que les adversaires de la commission essayeront sans doute de faire prévaloir.

N'est-il pas naturel de penser qu'un homme de vingt-cinq ans, riche des dons de l'éloquence, dans l'âge où l'on acquiert si facilement toute espèce de connaissances, admis à se former au milieu des hommes les plus distingués par leurs talents et l'habitude des affaires, verrait se développer sans peine les heureuses dispositions qu'il a reçues de la nature et acquerrait pour ainsi dire sans effort tout ce que l'expérience et la maturité de l'âge ne laissent obtenir que lentement aux jeunes gens élevés dans le monde et constamment distraits par l'habitude des plaisirs et de la dissipation?

Comment se refuser à croire que du milieu de cette jeunesse ardente et précoce ne s'élèveraient pas avec éclat des hommes d'Etat distingués par de vastes connaissances et des talents eminents, qui pourraient servir utilement la patrie avant l'âge justement fixé par votre commission pour être élu membre de la Chambre des députés ?

Mais, Messieurs, ces hommes si puissants pour le bien, quels moyens n'ont-ils pas de troubler la patrie? De quelles séductions ne sont-ils pas entourés et quels efforts de vertus, quelle force de caractère ne leur faudra-t-il pas pour renoncer au brillant avenir qu'une riante imagination déroule devant eux et qu'un crime politique pourrait réaliser ?

Mais laissons hors de ligne ces hommes privilégiés; ce n'est pas pour les hommes de génie, qui apparaissent de loin en loin sur la scène du monde, que les lois sont établies; c'est pour l'immense majorité des citoyens qu'elles disposent. Et qui oserait reprocher au législateur un excès de précaution forsqu'il s'agit des intérêts de l'Etat et de la stabilité des institutions qui en garantissent la durée?

Sans doute beaucoup de Français, et nous en avons la preuve sous les yeux, peuvent avant

quarante ans réunir l'énergie à la modération, mais ce n'est guère qu'à cet âge que, fixés dans une carrière qu'ils out déjà à moitié parcourue, ils ont marqué le but de leur ambition. Ce n'est plus dans un désordre général qu'ils peuvent placer leurs espérances; époux et pères, enchaînés par tous les liens de la famille et de la propriété, la tranquillité publique est le premier de leurs besoins.

Moins ardents, moins livrés aux séductions, ils ont toute la maturité du talent sans avoir à redouter l'effervescence des passions. Ils peuvent encore être corrompus sans doute, mais ils ne peuvent plus être entraînés; leur caractère est connu, les circonstances l'ont développé et leur vie passée est le garant de l'avenir.

Quel homme sage, Messieurs, quel Français pourrait hésiter entre ces deux tableaux et sacrifier des générations entières à des expériences nouvelles, lorsque vingt-cinq ans d'agitations et de malheurs nous prescrivent impérieusement le système d'une prudence inflexible comme le seul espoir de salut! Sans doute il est pénible d'avoir à exprimer ces maximes sévères en présence de nos collègues, chez lesquels la raison et la prudence, devançant le nombre des années, ontopposé l'exception des faits à la rigidité des principes; leurs talents et leurs vertus méritent une distinction honorable, et s'il m'était permis de l'appeler de mes voeux, tout en payant ce tribut d'estime et d'amitié, je ne croirais encore que remplir un devoir.

Et vous, législateurs d'une nation vive et spirituelle, qu'une imagination mobile rend susceptible de donner et de recevoir de fortes impressions, d'une nation placée par la force des circonstances sous un gouvernement représentatif, sans racines dans ses souvenirs, sans appui dans sa reconnaissance, sous un gouvernement qui ouvre la plus vaste carrière aux talents, sans la fermer à l'intrigne et à l'ambition, sous un gouvernement où l'art d'écrire est une puissance, l'éloquence une arme à deux tranchants, fiez-vousen a la nature du soin de nous donner des orateurs, des hommes d'Etat; tournez toutes vos recherches vers la prudence et la vertu. Assez longtemps nous sacrifiâmes aux qualités brillantes, élevons dans cette enceinte un temple à la sagesse, et que l'âge mûr seul soit admis à y pénétrer, entouré de toutes les garanties qui doivent assurer la prérogative royale et les libertés de la nation.

Je vote pour le projet de la commission, sauf l'article 32 de la Charte, que je propose de maintenir avec mon amendement en ces termes : «Chaque département aura le même nombre de députés qu'il a eu jusqu'à présent: il leur sera adjoint un égal nombre de suppléants pour les remplacer en cas d'absence. »

L'ordre de la parole appelle à la tribune M. Royer-Collard. Il improvise un discours dont voici la substance:

M. Royer-Collard. Messieurs, la première raison d'une loi est dans sa nécessité. Toutes les fois donc qu'on propose à la Chambre une loi nouvelle, elle doit examiner avant tout si cette loi est nécessaire. Or, une loi nouvelle n'est nécessaire que dans l'un de ces deux cas s'il n'y a point encore de loi nouvelle sur une matière qui en exige, ou si l'expérience a démontré le vice de la loi existante.

De l'observation de cette règle dépendent le repos des nations, la sécurité des intérêts, la perpétuité des habitudes nationales, la stabilité des

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