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institutions et celle des gouvernements euxmêmes.

Aujourd'hui que l'on présente à la Chambre une loi nouvelle sur la composition et le renouvellement de la Chambre des deputés, ce qui doit donc attirer notre première attention, c'est cette question de fait: Sommes-nous encore sans loi sur la composition et le renouvellement de la Chambre ?

Or, loin que nous soyons sans loi sur ces points importants, nous avons à cet égard la plus solennelle de toutes. La Charte constitutionuelle a décidé toutes les questions qu'on vous propose d'agiler; elle a résolu les doutes qu'on élève devant Yous; elle a déterminé le nombre des membres de la Chambre des députés; elle a déterminé l'âge auquel on pourrait être admis dans la Chambre; enfin elle a déterininé que la Chambre serait cha que année renouvelée par cinquième.

Le renouvellement par cinquième étant une dis position constitutionnelle précise, il s'agirait seulement de déterminer si le renouvellement aura lieu dès cette année. La question est facile à résoudre. Le principe de la décision est dans ces mots, chaque année; il est dans ces autres mots, les députés sont élus pour cinq années; disposition qui serait éludée, si le renouvellement par cinquième n'avait lieu que dans cinq ans pour la première fois; car il y aurait des députés qui conserveraient un mandat inconstitutionnel pendant six, sept, huit et neuf ans.

Dira-t-on que les députés étant élus pour cinq ans, leur mandat n'est pas accompli si un cinquième d'entre eux sort dès la première année? Je répondrai qu'il y a de la différence entre être élu pour cinq années ou siéger nécessairement pendant cinq années. La Charte ne dit pas que les députés siégeront cinq années, mais qu'ils sont élus, c'est-à-dire aptes à siéger pendant cinq années. Ór, dans le cas d'une Chambre nouvelle qui se renouvellera dès la première année, et ce cas est le nôtre, un cinquième des députés sićgera pendant cinq ans, et chaque député est appelé à faire partie de ce cinquième. Chaque député pourra donc siéger cinq années. Il reste donc vrai, dans le fait, que chaque député a été élu pour cinq années.

Cette explication donnée, je ne conçois pas comment là commission a pu dire que le renouvellement annuel par cinquième était inconciliable avec le droit qu'a le Roi de dissoudre la Chambre.

Quand le Roi dissout la Chambre, il y a une Chambre nouvelle; mais cette Chambre se forme sous la loi du renouvellement annuel, qui est la loi perpétuelle de la Chambre des députés. Et que résulte-t-il de l'application qui lui est faite de cette loi? Il en résulte seulement qu'il y a inégalité dans le temps pendant lequel siégeront les députés des divers départements. Mais cette inégalité étant l'ouvrage du sort, elle ne blesse pas l'égalité de leurs droits. Elle ne préjudicie pas non plus aux départements, dont aucun ne cesse pour cela d'avoir des députés à la Chambre. Enfin on ne peut pas dire que l'intérêt public en souffre. Loin que le renouvellement nécessaire de la Chambre chaque année et le droit qu'a le Roi de la dissoudre soient des principes incompatibles, il me semble que ce sont des principes de semblable nature, en ce qu'ils contiennent la même force, le mème privilége de faire disparaître devant un intérêt supérieur les prérogatives personnelles attachées au mandat de l'élection,

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Nous avons donc une loi positive contre laquelle on ne peut pas dire que l'expérience ait déposé. Ici devrait finir, et en quelque sorte mourir la délibération.

En effet, quiconque voudrait aller plus loin me semble dire qu'il est prudent et sage de remettre en question chaque année les lois de l'année précédente, et cela sans aucun motif tiré de l'expérience, et uniquement pour se jouer dans le vague des théories et des spéculations politiques.

Et quand on aura établi que cela est bon et sage, on n'aura rien fait encore; il faudrait de plus que nous eussions de justes raisons d'espérer que nos successeurs auraient pour notre ouvrage beaucoup plus de respect que nous n'en aurions eu pour la Charte (quelques murmures interrompent ); il faudrait que nous fussions convaincus que cette instabilité éternelle est le besoin de la France, qu'elle a horreur de la fixité, et que son vou sera toujours de voir ses lois comme ses législateurs se précipiter les uns sur les autres dans un abime sans fond?

Eh! Messieurs, ne serions-nous pas plus sages de nous reposer une fois, quelques jours du moins, dans cette Charte, ouvrage digne de la sagesse du monarque qui nous l'a donnée, et si nous voulons que quelque chose enfin prenne racine en ce pays ne devrions-nous pas laisser faire le temps? N'est-ce pas à lui à développer les germes déposés hier dans cette terre si fréquemment remuée depuis trente ans?

Mais, dira-t-on, nous sommes provoqués par l'ordonnance du 13 juillet! Mais qu'on se reporte à la date de cette ordonnance et aux circonstances où elle a été rendue, et qui l'expliquent assez? N'est-elle pas le fruit d'une erreur évidente sur le vœu présumé de la nation, et cette erreur même n'a-t-elle pas été reconnue et déclarée dans le discours émané du trône qui a ouvert cette session? Mais abstraction faite de ces considérations, l'ordonnance du 13 juillet se réduit aujourd'hui à la proposition du Roi qui n'est ellemême qu'une faculté donnée, qu'une invitation à délibérer. Or, dans le cas particulier qui nous occupe, je prie la Chambre de remarquer, que non-seulement il n'y a pas de proposition du Roi en faveur du renouvellement total, mais que le principe contraire est posé dans le projet présenté au nom du Roi, et que les principes de la Charte, à cet égard, y sont respectés et maintenus.

Quelle est donc la position de la Chambre? La Chambre s'est formée sous l'empire de la Charte, qui veut que dès cette année, que tout à l'heure il sorte un cinquième des membres qui la composent; et c'est l'intention du Roi, c'est sa proposition, que la Charte soit exécutée.

C'est donc à la fois, Messieurs, et contre la Charte et contre la proposition du Roi que la commission demande que la Chambre ne soit pas renouvelée et qu'elle siége tout entière pendant cinq ans, et que pour cela on change la Charte? Il est clair qu'ici du moins nous prendrions seuls l'initiative; or, je le demande à la Chambre ellemême, une telle initiative est-elle si parfaitement désintéressée qu'elle ne blesse aucune convenance? Dira-t-on que le présent n'est point ici envisagé, qu'il s'agit de régler les choses pour

l'avenir; mais l'avenir ne commence que par le présent, et c'est pour le présent d'abord que la disposition est présentée; elle commence par nous; si elle était adoptée, chacun de nous acquerrait, au lieu d'une simple et très-faible chance, la certitude de siéger cinq ans dans cette enceinte. Ici, Messieurs, sans préjuger quelle pourra être votre manière d'envisager votre mandat et vos pouvoirs, je m'arrête; je ne puis m'associer à une telle initiative; je m'en défends en ce qui me concerne, et je déclare que je ne consentirai même à délibérer que si j'y suis appelé par la proposition du Roi et par le vœu non équivoque de la nation.

Après avoir établi que le projet de la commission ne peut être admis, puisque nous avons une loi et une loi bien à l'abri des objections prises dans l'expérience, je n'éviterai pas d'aborder les questions que le projet de la commission vient d'élever.

La loi que nous avons je la regarde comme essentiellement monarchique; on propose de l'abroger, et de substituer un renouvellement entier à un renouvellement par cinquième. La question est grave, elle a des rapports étendus, elle conduit à examiner et ce qu'est la Chambre et ce qu'elle peut devenir.

Le renouvellement total, quoi qu'on en dise, et quelques mesures de précaution qu'on puisse prendre, est une crise politique, un moment de danger pour le gouvernement. La Chambre doit toujours exercer un grand pouvoir. Or, le renouvellement total, qu'est-ce autre chose que le pouvoir subitement offert à toutes les passions contenues, aux intérêts blessés, aux vanités humilées, aux opinions qui n'ont pas triomphe, aux ambitions qui n'ont pas été assouvies? N'est-ce pas dire à toutes les passions déchainées : Voici le jour du combat; la puissance sera le prix de la victoire. Et combien un tel appel n'est-il pas plus dangereux au milieu d'une nation où tout a été déplacé, où la société tout entière a subi plus d'une fois une révolution complète?

Et quand nous n'aurions pas hérité de la Révolution tous les principes de la discorde, quand la Chambre nouvelle serait exempte de souvenirs et d'intérêts, et de toute autre passion que celles qui se mêlent inévitablement à celle du bien public, est-il téméraire du présumer que cette Chambre voudra faire autrement, faire plus, faire mieux qu'on n'a fait avant elle? La voilà donc qui jette partout ses regards avec le zèle ardent du bien public. Que d'abus elle découvre, car il y en aura toujours! que de fautes on aura faites, car on en fera! que de choses seraient mieux si elles étaient autrement! La Chambre n'est-elle pas appelée à réformer les abus, à réparer les fautes, à rectifier ce qui est défectueux ? N'est-ce pas là sa mission, son mandat, son droit, son pouvoir ? Ce pouvoir, elle le revendique avec chaleur, elle l'exerce peut-être avec inexpérience: le gouvernement s'arrête tout à coup; il est réduit à s'observer, à se défendre, à porter les mains où il se sent attaqué; le gouvernement oublie de gouverner; il n'en a plus le temps; les rênes lui échappent; la Chambre les recueille; l'autorité va s'affaiblissant devant le pouvoir nouveau qui sème à pleines mains les illusions et l'espérance, qui parle quand le Roi se tait, qui agit quand le Roi paraît immobile; et cependant cette Chambre est animée des plus nobles sentiments, et cependant je ne choisis pas pour les présenter à vos yeux des circonstances difficiles qui pourraient les rendre plus dangereuses, une

crise politique, une crise financière, une bataille perdue, des événements inattendus et majeurs; je ne me prévaux même pas de l'exemple du passé et du tableau qu'ont présenté les Assemblées nationales successives jusqu'au 18 brumaire, qui toutes sont venues dans l'intention formelle de s'emparer du gouvernement, ou au moins de la direction générale des affaires.

Serait-ce là, Messieurs, la volonté de la France? Est-ce là le gouvernement que le Roi a voulu nous donner dans sa Charte? Certes, si le Roi eût pu le vouloir; s'il eût appelé à son secours le choc périodique d'un renouvellement total, je ne crains pas de le dire, il aurait fait ce que ferait un pilote téméraire qui placerait son vaisseau sous la protection des tempêtes.

Ces dangers sont évités dans le renouvellement fractionnaire, qui laisse arriver, qui laisse pénétrer lentement tous les vœux, toutes les opinions, tous les intérêts nouveaux, mais qui ne leur laisse pas faire irruption.

On dira peut-être que ces dangers se reproduiront quand le Roi dissoudra la Chambre. Mais la dissolution ne doit pas être regardée comme un ressort habituel et journalier du gouvernement.

Quand le Roi dissoudra la Chambre, il ne le fera pas sans avoir choisi son temps, sans avoir examiné les circonstances, et surtout sans avoir acquis la certitude que la réélection donnera une Chambre dans laquelle il trouvera un concours plus facile avec ses intentions paternelles et bienfaisantes.

Il y a une objection plus spécieuse qui a paru faire quelque impression sur des esprits éclairés. On a dit le renouvellement total est favorable au gouvernement; car le gouvernement ayant une fois la majorité dans la Chambre existante, il l'a pour cinq ans, et ce sont cinq années assurées de repos et de tranquillité; au lieu que la Chambre étant renouvelée chaque année par cinquième, tous les ans le gouvernement est obligé de travailler à se conserver la majorité.

Ce raisonnement, puisé dans l'exemple de l'Angleterre, suppose trois choses :

La première, qu'il existera dans la Chambre une majorité fixe, indissoluble, ayant un parti pris avant d'avoir écouté. Ceci peut être dans les moeurs anglaises; mais un violent esprit de parti serait le seul lien qui pourrait former temporairement une telle majorité parmi nous. Je le dirai pour notre éloge, nous avons plus d'indépendance nous voulons écouter, réfléchir; comparer, juger enfin, et ne pas nous engager d'avance. Cette majorité, liée d'avance à une opinion non encore émise, n'a jamais existé dans nos Assemblées nationales elle n'existe point dans cette Chambre, et je le dis pour l'honneur de la Chambre elle-même.

En second lieu, dans le système de l'objection que je combats, le ministère du Roi aurait des moyens de travailler la Chambre pour y obtenir la majorité. Mais comme il n'en a pas de suffisants, je crains qu'il ne fût beaucoup plus facile à la majorité de la Chambre d'acquérir le ministère, qu'au ministère d'acquérir la majorité... (On rit.) Le seul, le vrai moyen d'influer sur la Chambre, c'est d'influer sur les élections: or, elles sont à l'abri de l'influence directe et immédiate du gouvernement. Quant à la corruption, elle ne sera jamais un moyen dans la main des ministres, le caractère français et la délicatesse nationale le repoussent également.

En troisième lieu, je ne crois pas qu'il soit né

cessaire qu'ici comme en Angleterre les ministres aient une majorité invariable et constante. Remarquons quelle est la différence des éléments constitutifs de chacun des gouvernements. En Angleterre, l'initiative, qui est le principe de l'action, la haute administration et une grande partie du gouvernement résident dans la Chambre des communes chez nous, le gouvernement tout entier cst dans la main du Roi; il n'a besoin du concours des Chambres que s'il reconnaît la nécessité d'une loi nouvelle, et pour le budget. Or, dans un pays où tant de lois ont été rendues, le cas où une loi nouvelle serait indispensable est une idée presque métaphysique, et s'il existait en effet une nécessité absolue, nul doute que la Chambre n'adoptât la loi.

Quant au budget, ce n'est pas plus l'affaire du Roi que celle de la Chambre; c'est l'affaire de la nation entière, car il y va de son existence. Le budget présenté par le ministre peut souffrir des amendements, des modifications, et cela dans l'intérêt du Roi et de l'Etat mais enfin il faut bien qu'il en soit adopté un conforme aux besoins de l'Etat; et on ne peut supposer l'existence d'une Chambre qui, pour faire prévaloir ses vues particulières, ou son opposition au gouvernement, condamnerait la nation à périr par l'anéantissement ou la suspension des services publics. Si le cas pouvait arriver, ce serait alors qu'à bon droit, et bien sûr d'être entendu, le Roi s'adresserait à son peuple, qui l'aiderait à sauver l'Etat. J'irai plus loin, et je dirai: Le jour où le gouvernement n'existera que par la majorité de la Chambre; le jour où il sera établi en fait que la Chambre peut repousser les ministres du Roi, et lui en imposer d'autres qui seront ses propres ministres, et non les ministres du Roi; ce jourlà, c'en est fait, non pas seulement de la Charte, mais de notre royauté, de cette royauté indépendante qui a protégé nos pères, et de laquelle seule la France a reçu tout ce qu'elle a jamais eu de liberté et de bonheur; ce jour-là nous sommes en république..... Et qu'on ne dise pas que c'est la nature du gouvernement représentatif qui entraîne ces conséquences! Quelle estelle donc cette nature mystérieuse qui veut tant de choses? Qui l'a définie ? qui oserait la définir? Qui est-ce qui a autorité pour nous imposer une autre définition que celle de la Charte? Si on dit que le type du gouvernement représentatif est chez les Anglais, ne serait-il pas plus convenable de dire le gouvernement anglais, au lieu de dire le gouvernement représentatif? On gagnerait ainsi du moins, avec plus de clarté dans l'expression, plus de précision dans les idées.

Mais voici alors ce que nous serions en droit de répondre: Si vous substituez le gouvernement anglais à notre Charte française, donnez-nous donc la constitution physique et morale de l'Angleterre, faites donc que l'histoire d'Angleterre soit la nôtre; donnez-nous, comme à elle, une forte aristocratie indissolublement liée à la couronne; faites plus encore: avec la théorie sur laquelle son système politique repose, donnez-nous les abus de l'Angleterre, ces abus si puissants que la théorie même dont je parle est sous leur sauvegarde. Si, en effet, la réforme parlementaire depuis si longtemps invoquée avait lieu, si les abus qui se sont introduits malgré la théorie, ou à l'appui de la théorie, n'existaient plus, c'est l'opinion des hommes d'Etat de ce pays, que l'Angleterre serait aussitôt précipitée dans l'abîme des révolutions. Eh bien! Messieurs, et je vous supplie de me prêter ici votre plus sérieuse atten

tion, quel que soit votre système d'élection, comme les élections seront régulières et indépendantes, il en sortira nécessairement une Chambre telle que serait la Chambre anglaise après la réforme parlementaire. Nous sommes donc perdus, si cette Chambre devient aussi puissante sans que sa puissance ait le contre-poids des abus; il ne faut donc pas qu'elle ait le même pouvoir ni qu'elle exerce la même influence; il ne faut donc pas conclure d'une Chambre à l'autre, et si le gouvernement anglais a besoin de la majorité de la Chambre, il ne s'ensuit pas que notre gouvernement en ait un besoin semblable. Je lui en connais un plus pressant: c'est de veiller à n'être pas subjugué par elle.

Je passe à l'examen d'une autre proposition de la commission, et je demande Le nombre des membres de la Chambre doit-il être augmenté ?

Au moral comme au physique, le nombre est un élément de la force. Au dehors, il inspire le respect, au-dedans la confiance et ce sentiment de la puissance qui est presque la puissance ellemême. La Chambre, plus nombreuse, sera donc plus forte, et elle sera plus forte sans être plus sage, car plus une assemblée est nombreuse, plus elle est susceptible d'enthousiasme, et plus il est facile de l'entraîner à des résolutions précipitées.

Si le nombre des députés est un dès éléments de la force de la Chambre, il est donc aussi un des principes de l'équilibre établi par la Charte entre le Roi et la Chambre. L'équilibre établi entre la royauté et le pouvoir populaire n'est autre que l'équilibre tant cherché et si difficile à trouver entre l'ordre public et la liberté. S'il se rompt en faveur de la royauté, nous inclinons vers le pouvoir absolu; s'il se rompt en faveur du pouvoir populaire, nous inclinons vers l'anarchie.

Ainsi, pensons-y bien, Messieurs rendre la Chambre plus nombreuse et par là plus forte, c'est faire un pas vers l'anarchie; et ce que l'anarchie peut nous tenir en réserve de calamités nouvelles, vous ne le savez pas. N'en faisons pas la dangereuse épreuve. Les circonstances ne nous y invitent pas. Et qu'il me soit permis de remarquer entre ces circonstances l'absence d'une aristocratie assez puissante pour protéger le trône. Nous n'avons plus, ou nous n'avons point encore d'aristocratie; il nous faut la recevoir du temps. Le pouvoir aristocratique créé par la Charte n'est encore qu'une fiction; il réside uniquement dans les vertus, le courage et les lumières des hommes à qui il est confié. Il ne se réalisera que quand il sera l'expression fidèle de supériorités réellement existantes et universellement reconnues. Jusquelà ne croyez pas que si la royauté est affaiblie, il sera au pouvoir de la Chambre de venir à son secours et de la relever. Une fois abaissée, elle ne se relèvera que par des révolutions et des tempêtes. Entre des pouvoirs parallèles, la force ne se transmet pas; elle reste tout entière, et plus grande, à celui qui la donne; elle détruit celui qui la reçoit. Les gouvernements n'ont jamais que la force qu'ils possèdent en eux-mêmes.

Le véritable rapport sous lequel j'envisage donc le projet de la commission, est l'affermissement ou l'affaiblissement de l'autorité royale. Ce projet l'affaiblit or, si la France veut son Roi, comme vous l'avez souvent répété avec enthousiasme, la France veut aussi que son Roi le soit véritablement, et qu'il ait tout le pouvoir nécessaire pour la gouverner. Si la France a besoin de conseils publics pour éclairer l'autorité et pour la retenir dans les limites tracées par les lois, elle n'a pas moins besoin que son Roi

soit assez puissant pour protéger son repos contre la turbulence et l'esprit d'innovation qui s'emparent si aisément des assemblées politiques.

Je demande le rejet du projet présenté par la commission.

La séance est levée et indiquée au lendemain à midi, pour continuer la discussion.

CHAMBRE DES DÉPUTÉS.

PRÉSIDENCE DE M. FAGET DE BAURE, VICE-PRÉSIDENT.

Séance du 13 février 1816.

M. Faget de Baure occupe le fauteuil. Après l'adoption du procès-verbal, M. Hyde de Neuville indique sommairement quelques pétitions nouvelles qui sont renvoyées à la cominission compétente.

Dans le nombre de ces pétitions, s'en trouve une signée Del'horme, où ce pétitionnaire expose qu'il a été injustement porté atteinte, dans sa personne, au droit de la liberté individuelle, et sollicite l'intervention de la Chambre pour faire cesser sa détention.

M. Dubouchage demande que la commission soit invitée à faire un prompt rapport sur la réclamation de M. Del'horme, qu'il sait être, dit-il, de toute justice, et qui depuis huit jours se trouve privé de sa liberté.

Le vœu de M. Dubouchage sera rempli par la commission.

M. le Président rappelle que le premier objet à l'ordre du jour de la séance devrait être le développement de la proposition soumise hier à la chambre par M. Becquey; mais il annonce en même temps que l'auteur, considérant l'importance de la discussion commencée touchant les élections, ajourne de lui-même ce développement.

La Chambre reprend la suite de la discussion sur le projet de loi relatif aux élections.

M. de Pontet (1). Messieurs, votre commission, chargée de l'examen de la loi sur les élections, a cru devoir vous faire une proposition préliminaire. C'est de soumettre à votre discussion trois articles de la Charte, deux pour les conserver, l'autre pour le changer dans une de ses dispositions.

Avant d'émettre mon opinion sur ces articles, qu'il me soit permis d'exposer rapidement les principes généraux relatifs aux élections, et d'examiner en même temps quelques-unes des propositions de la loi qui vous a été présentée à ce sujet.

J'exprimerai ma pensée avec la franchise et la loyauté qui conviennent à des députés qui n'ambitionnent d'autre récompense de leurs honorables travaux, que celle de mériter à la fois l'estime de notre sage et respectable monarque, et celle de leurs concitoyens.

En exposant dans toute leur latitude les principes qui doivent servir de base pour une bonne loi sur les élections, je crois rendre hommage au ministère actuel, qui nous présente une garantie morale, que plusieurs de ceux qui composaient celui qui l'a précédé ne pouvaient nous offrir.

Il est à désirer, que sous un gouvernement représentatif le pouvoir souverain trouve toujours

(1) Le discours de M. de Pontet est incomplet au Moniteur.

ses plus solides appuis dans la Chambre des députés.

Il faut que cette Chambre soit organisée de manière que l'inviolabilité du monarque, la loi fondamentale du royaume, qui veut que la succession soit toujours maintenue de mâle en måle, et par ordre de primogéniture; que les droits assurés à tous par la Charte soient des dogmes inattaquables; fasse en sorte que cette Chambre ne soit composée que d'individus pénétrés de ces vérités, toujours prêts à les défendre et par principe et par intérêt voilà l'unique et salutaire influence que doit y avoir le pouvoir exécutif.

S'il était possible que le souverain exerçât ce pouvoir dans toute sa latitude, qu'il pût tout voir, tout ordonner, tout exécuter par lui-même, une Chambre des députés serait inutile. Mais de l'impossibilité qu'un pareil pouvoir existât, il en est résulté un second pouvoir confié, c'est celui qu'exerce le ministère au nom du souverain.

Dans tous les Etats monarchiques (j'en excepte le gouvernement absolu), le prince, considéré comme un bon père de famille, ne peut séparer ses intérêts de ceux de son peuple. On ne saurait lui supposer, sans injustice, comme sans danger pour l'Etat, de mauvaises intentions. Etre stable sur son trône, voir ses sujets riches, heureux et bien gouvernés, c'est son vou comme son intérêt.

Il n'en est pas toujours de même de ceux auxquels il confié le pouvoir exécutif. Ce sont des hommes qui peuvent abuser de sa confiance, sacrifier l'intérêt de l'Etat à leur intérêt particulier, et c'est de cette supposition qu'est né le principe que les ministres, dans l'exercice du pouvoir exécutif, étaient responsables et l'étaient seuls. L'attribution de les surveiller dans l'abus de leurs pouvoirs, a été confiée à des corps intermédiaires, pour arrêter les maux qui pourraient en résulter pour le souverain comme pour le peuple; car, on ne saurait trop le répéter, les intérêts du souverain et ceux du peuple sont toujours les

mêmes.

La Chambre des députés peut également s'écarter des vrais principes; elle peut être entraînée à des mesures dangereuses; mais les pairs héréditaires sont les gardiens intéressés de ces principes, leur mission essentielle est d'y ramener lorsqu'on s'en est écarté. Juges en dernier ressort de l'abus du pouvoir ministériel, ils ne sont pas dans sa dépendance, et contribuent à tenir la balance dans un juste équilibre.

Tous les publicistes sont d'accord sur ce principe, que la principale base de l'ordre social est la propriété; que les propriétaires, comme les plus intéressés à son maintien, en sont les plus fermes appuis. Ils ont tout à redouter des changements qui surviennent pendant ou après les troubles; et sous la monarchie, ils doivent en être les premiers et les plus ardents défenseurs, principalement lorsque cette monarchie est tellement perfectionnée que les charges publiques sont également réparties sur tous, et que, par l'extinction des priviléges, tous contribuent aux besoins de l'Etat, proportionnellement à leurs facultés.

Plus la monarchie présentera de sécurité dans ses institutions, plus ils lui seront dévoués; sous ce rapport, ils doivent être les ennemis-nés de tout changement dans la dynastie régnante. Ils peuvent opposer une grande résistance à l'abus du pouvoir exécutif, parce qu'ils en sont essentiellement indépendants, et que, riches par eux mêmes, ils ne voient dans les charges qu'ils oc

cupent, que l'honneur et leur devoir sans en calculer les revenus. La prospérité de l'Etat fait la leur; ils doivent donc la désirer. Ils doivent également désirer que le commerce soit florissant, puisque les bénéfices du commerce leur assurent le payement des denrées qu'ils livrent aux commerçants.

D'après ces considérations, que je ne crois pas étrangères à l'objet soumis à votre discussion, je me demande :

Qu'est-ce que la Chambre des députés ?

J'écarte toutes les citations et les exemples tirés d'autres peuples pour y chercher des autorités, persuadé que la meilleure est celle de la raison, trop heureux si je peux ici me trouver d'accord avec elle!

La Chambre des députés, portion essentielle d'un gouvernement représentatif, l'est spécialement de la partie propriétaire, industrielle et manufacturière de la nation, dont elle soutient les droits; c'est un des corps de l'Etat appelé à la discussion des lois, et particulièrement des impôts que la nation doit supporter.

Discuter, amender, adopter ou rejeter les projets de loi donnés par le ministère; veiller à ce que, par des instructions particulières, les ministres n'éludent pas l'exécution des lois ou n'en étendent pas les dispositions; surveiller enfin leur gestion et leurs opérations; les accuser et les traduire devant les pairs en cas de trahison ou de concussion: voilà les fonctions que la Charte assigne à la Chambre, et que l'on peut réduire à deux principales attributions :

Discussion des lois.

Surveillance des opérations du ministère.

D'après ce simple exposé, il est inutile de chercher à vous convaincre combien il est nécessaire que les membres qui composent la Chambre soient, autant que possible, indépendants de ces mêmes ministres. Il est néanmoins à désirer qu'ils soient toujours d'accord avec eux pour le soutien du gouvernement. Mais il est naturellement des circonstances où ils peuvent différer d'opinion, puisque la Chambre est appelée à modifier leurs projets, à contrôler leurs actions.

Il faut, autant qu'il sera possible, que les ininistres ne puissent trouver qu'en très-petit nombre, dans la Chambre, des subordonnés portés à leur complaire par état ou par intérêt; ou, ce qui serait également dangereux, des ennemis qui, par jalousie ou par une animosité quelconque, se feraient un système de les contredire.

Or la plus grande partie des personnes exerçant des fonctions publiques et qui, d'après les articles 2 el 7 de la loi proposée, feraient partie des colléges électoraux, étant directement subordonnées au ministre de qui dépend leur avancement et même leur omploi, seraient nécessairement influencées dans leur choix. Ils porteraient à la Chambre, par le nombre de leurs suffrages, les personnes que le ministère désirerait y voir admises pour s'en former un appui, un parti même au sein de l'Assemblée. Plusieurs d'entre eux peuvent n'être pas même propriétaires. Tels sont les présidents des tribunaux et procureurs du Roi, les présidents des commissions consultatives des arts et manufactures, les conseils de prud'hommes, les ministres des cultes, les recteurs et inspecteurs d'académie, doyens des facultés et proviseurs des colléges, etc.

Et de quel droit alors seraient-ils préférés aux autres citoyens pour concourir au choix des membres de la Chambre ?

La Charte a sagement supprimé les assemblées

primaires comme trop tumultueuses. Pourquoi supprimer aussi les assemblées d'arrondissement et y substituer les assemblées de canton qui présentent les mêmes inconvénients, et de plus graves encore d'après leur organisation dans le projet de loi?

Former les colléges tant d'arrondissement que de département exclusivement de propriétaires, des principaux négociants et manufacturiers, en choisissant les plus imposés, et sans que l'autorité exécutive puisse y ajouter à volonté des fonctionnaires publics qui ne sont que les agents de cette même autorité, semble être le moyen le plus sûr comme le plus simple d'éviter toute influence pour les choix, de former ainsi, par des élections entièrement libres, une Chambre indépendante, exempte autant qu'il est possible de passions et d'égards particuliers; est-il de la prudence de chercher à étendre ici l'influence ministérielle; ne sera-t-elle pas toujours assez forte? Les ministres ne sont-ils pas les dispensateurs des grâces et des emplois ?

Ce n'est pas seulement pour les circonstances présentes que doit être faite une loi de cette importance. Nous travaillons pour les temps à venir, et notre devoir est de poser des bases aussi sages qu'immuables, et qui puissent garantir la tranquillité publique.

Les hommes peuvent et doivent changer, les institutions resteront si ces institutions sont fondées sur la justice et la sagesse. Suivre l'opinion dans sa marche, savoir la devancer quelquefois pour mettre en harmonie ces institutions avec l'opinion publique, c'est le plus sûr moyen de gouverner les hommes et d'éviter ces secousses qui portent presque toujours des coups mortels à l'ordre social.

En appliquant ces développements au projet de loi sur les élections, il était naturel d'en conclure qu'elle devait être refondue presque en entier, comme étant basée sur des principes nullement en harmonie avec ceux d'un bon gouvernement représentatif.

Que, sous beaucoup de rapports, l'ancienne loi, débarrassée de toutes les infractions qu'il avait plu à l'usurpateur d'y faire, était encore plus conforme à ce gouvernement. Telle fut mon opinion lors de la discussion dans mon bureau.

Pour émettre mon vote sur le premier rapport de votre commission, j'examinerai deux des articles les plus importants du titre III de la loi qui vous a été proposée. Le second paragraphe de l'article 12 du projet de loi porte: «Les députés à la Chambre peuvent être élus à vingt-cinq ans accomplis. >>

Si nous jugions cet âge heureux d'après ceux qui dans ce moment partagent nos honorables fonctions, aucun de nous ne serait tenté de s'élever contre cette proposition: mais quelques exemples peuvent-ils nous servir de règle générale dans une matière aussi importante?

En réfléchissant aux divers objets dont on s'occupera dans les sessions qui vont suivre, il est difficile de ne pas convenir que ces objets exigeront nécessairement toute la maturité que peuvent douner aux hommes l'âge et l'expérience.

Relever le culte de l'Etat, sans perdre de vue que tous les cultes doivent être libres, respectés et protégés; fonder la morale publique sur la religion, s'occuper à refondre, pour ainsi dire, l'instruction publique, partie si essentielle au maintien de l'ordre social; eh! que pourriez-vous attendre pour l'avenir d'une génération corrompue dès le principe! amener les Français à se

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