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et que, sous ce rapport, nous sommes un peuple nouveau, un peuple né d'hier; les mêmes orateurs ont ajouté à cette tribune, que le gouvernement anglais ne subsistait que par les abus qui s'y sont introduits, et, que si janiais les principes sur lesquels il repose, venaient à être mis en action, il périrait. J'avoue qu'on ne peut faire une satire plus sanglante du gouvernement représentatif; et si la doctrine qu'ils professent venait à être reconnue pour la vérité, la Chambre ne devrait plus s'occuper du renouvellement intégral ni du renouvellement successif, mais supplier le Roi de reprendre l'autorité de ses aïeux, et de se proclamer le seul représentant de son peuple.

Les mêmes orateurs, pour combattre le projet de la commission, s'efforcent de réveiller nos craintes ils nous représentent les dangers des passions populaires; ils nous montrent l'avenir sous les sanglantes images du passé; ils affectent surtout de montrer la democratie armée contre la monarchie, dans la Chambre des députés. Dans la discussion qui nous occupe, on a souvent parlé du pouvoir démocratique, et j'avoue que j'ai de la peine à comprendre ce qu'on entend par ce mot. S'il est vrai que la Chambre des députés représente la démocratie dans notre gouvernement, il faut convenir que c'est une étrange démocratie que celle qui est composée des plus fidèdes amis du Roi, qui est composée des plus grands propriétaires du royaume, que celle, en un mot, qui est sans cesse occupée à détruire tout ce qui nous reste de l'esprit et des formes démocratiques. Non, sans doute, nous ne sommes point la démocratie, et c'est pour cela que nous voulons assurer la paix et le repos de la France. Non, sans doute, nous ne sommes point la démocratie, et c'est pour cela que nous adoptons le projet de la commission, et que nous préférons une Assemblée législative, qui peut rester la même pendant cinq ans, à une Assemblée qui doit changer sans cesse. Vainement m'objectera-t-on que ce changement ressemble à cette transpiration insensible, par laquelle se renouvellent tous les corps organisés : je répondrai que dans notre corps politique, tel qu'il est constitué, il faut, surtout, chercher le principe de la vie dans ce pouvoir qui met les autres pouvoirs en action; dans ce pouvoir, en un mot, sans lequel il n'y a point d'autres pouvoirs.

Come on s'obstine à nous dire que la prérogative royale reste tout entière dans le système du renouvellement annuel, permettez-moi d'ajouter une seule observation: si jamais la Chambre est dissoute par le Roi, parce qu'elle aura été jugée dangereuse, qu'arrivera-t-il? La Chambre nouvelle se trouvera sans doute animée d'un meilleur esprit; mais comme tout peut changer, grâce au renouvellement successif, une année, deux années suffiront pour rendre la dernière Chambre plus dangereuse que la première. Ainsi, vous aurez donné au Roi la faculté de dissoudre une Chambre lorsqu'elle sera mauvaise, mais yous lui aurez refusé le pouvoir de la conserver lorsqu'elle sera bonne. Ainsi vous aurez exposé la monarchie à tous les dangers que peuvent lui faire courir les chances du sort et de l'avenir, les fluctuations de l'opinion publique, et la corruption du siècle où nous sommes.

Vous n'ignorez pas, Messieurs, qu'un des plus grands obstacles au bien qu'on pourrait faire, est cette habitude du changement, ce malaise, cette mobilité inquiète des esprits, dernière plaie de la Révolution. Depuis vingt-cinq ans tout change autour de nous, et souvent le lendemain s'est trouvé

séparé de la veille par un siècle d'événements nouveaux. Les hommes et les institutions ont passé sous nos yeux, comme des ombres fugitives. Au milieu de ce théâtre mobile et changeant on ne s'attache à rien; à l'impatience des nouveautés, s'est mêlée une profonde indifférence pour tout ce qu'on a vu une seule fois. Il me semble, de toutes parts, entendre ces paroles qui expriment si bien la maladie de notre siècle : Soyez le vice, soyez la vertu, soyez la sottise, soyez le génie, vous serez également accueillis. pourvu que vous arriviez aujourd'hui, et que vous partiez demain. Tel est le malheureux esprit qui a fait la Révolution, qui l'a prolongée, qui peut la prolonger encore, et voilà le mal qu'on ne pourra guérir, qui ne fera que s'accroître chaque jour, si vous n'accoutumez le peuple à voir, pendant quelque temps au moins, les mêmes hommes dans les assemblées politiques, et si vous lui présentez sans cesse l'instabilité des choses humaines comme le mobile de notre gouvernement et le principe de notre Constitution. Non, Messieurs, je n'ai pas besoin de vous répéter que le renouvellement successif, admis en concurrence avec l'exercice de la prérogative royale, ne tend qu'à entretenir la funeste disposition des esprits, à toute espèce de changement.

Dans le système que l'on voudrait nous faire adopter comme une garantie pour l'avenir, les hommes que le peuple a nommés pour défendre ses intérêts ont à peine le temps de se connaître entre eux, de se former aux fonctions qu'ils sont chargés de remplir; cette opinion publique dont on a fait un quatrième pouvoir dans les gouvernements représentatifs, ne peut connaître et juger des hommes qui ne font que passer. La responsabilité morale qui doit offrir une sûre garantie au peuple, n'existe plus pour des législateurs qui ne paraissent qu'un moment sur la scène. Je ne vois alors qu'un déplacement, qu'une révolution continuelle où les passions n'ont plus de frein, où chacun n'est occupé, pour me servir de l'expression d'un grand poëte, qu'à dévorer le règne d'un moment; où personne n'a le temps de recevoir ni la punition ni la récompense de sa conduite. Souvent la sagesse d'une Assemblée dépend de la conscience qu'elle a de sa durée. Plus vous abrégerez l'existence politique des députés, plus ils seront pressés d'agir et de bâter ce qui doit être fait lentement; moins ils auront de cette sage patience qui souffre le mal qu'on ne peut empêcher, qui fait attendre l'occasion, et qui ne demande point au présent des biens qu'on ne peut attendre que de l'avenir.

Je conviens, Messieurs, qu'un trop long exercice du pouvoir peut corrompre les plus sages législateurs; mais il est vrai de dire aussi que l'éternel changement dans les hommes chargés de la législation, peut amener des changements dans les lois de l'Etat; car il est dans là nature de l'homme de donner à tout ce qu'il fait l'empreinte de sa volonté, et de marquer partout son passage par des choses qui lui sont propres. Il est nécessaire, sans doute, que la Chambre des députés soit renouvelée; elle doit l'être surtout, lorsqu'elle peut donner des sujets de crainte au monarque et à la patrie; l'indépendance du trône, le salut du peuple veulent que les députés de la nation ne restent pas en place trop temps, et que même ils soient changés avant le terme de cinq ans, fixé par la Constitution. Mais pour que ces changements ne causent ni agitation ni inquiétude, pour qu'ils soient utiles à la liberté, il faut qu'ils arrivent le plus souvent

par la volonté d'un pouvoir qui ne change point; qu'ils viennent de cette autorité qui, seule, est restée debout au milieu des ruines; de cette autorité dont la seule présence nous rassure contre les révolutions.

Après une révolution comme la nôtre, nous ne saurions trop montrer aux peuples la royauté comme une puissance immuable contre laquelle toutes les passions viennent se briser. Nous ne saurions trop représenter les rois comme les gardiens des libertés publiques; nous ne saurions trop, enfin, les montrer comme un asile toujours ouvert contre l'oppression et l'injustice, et, s'il m'est permis d'employer une expression des livres saints, comme un abri qui met à couvert de la tempete, comme la roche avancée sous laquelle on est à l'ombre dans un climat dévorant.

Je vous prie, Messieurs, de m'accorder ici toute votre attention, et de remonter un moment avec moi à l'origine du renouvellement par fraction dans notre représentation nationale.

L'Assemblée constituante, succombant sous les ruines qu'elle avait eutassées, fatiguait la nation. Elle fut obligée de se renouveler, et l'opinion, qui s'élevait de toutes parts contre elle, la força de décréter qu'aucun de ses membres ne pourrait être réélu pour l'Assemblée qui devait la suivre. Dès lors on jugea qu'elle avait fait une faute; et lorsque la Constitution de 1792 fut renversée, on attribua généralement sa chute à ce qu'aucun de ceux qui l'avaient faite ne se trouvait admis à la défendre. Cette opinion, vraie ou fausse, décida le gouvernement à prendre une autre marche, et, pour ne pas laisser la République, dont elle avait conçu la monstrueuse pensée, entre les mains d'une Assemblée nouvelle, elle résolut de ne se dissoudre que par tiers. La nation tout entière s'éleva contre cette résolution, mais la volonté de la Convention fut proclamée par le canon de vendémiaire, et devint une loi de la République. Cette loi, dictée par le génie de la Révolution, enfanta bientôt des révolutions nouvelles. Les nouveaux tiers admis dans les conseils, avec les débris de la Convention, firent trembler le Directoire, qui, le premier, opposa les soldats aux citoyens, et fit la journée du 18 fructidor. D'innombrables victimes déplorèrent dans les prisons, sur l'échafaud, dans l'exil, les funestes effets du renouvellement par tiers. Voilà pourtant la loi qu'on nous représente aujourd'hui comme la sauvegarde du gouvernement legitime. Il est vrai de dire que le monstrueux édifice de la République fut à la fin renversé par suite du renouvellement successif; mais ne craignez-vous pas qu'on se serve contre la monarchie des moyens qui ont servi à renverser la République ?

C'est ici, Messieurs, que nous devons déplorer le fatal aveuglement de notre âge, de cet âge à qui le malheur n'a rien appris, et qui se laisse toujours entraîner aux mêmes erreurs. On nous a souvent recommandé, à cette tribune, d'oublier le passé; mais pourquoi les lois que nous discutons nous rappellent-elles sans cesse ces époques désastreuses qui doivent être bannies de notre mémoire! Ah oui, sans doute, il faut oublier le passé, puisque nos souvenirs n'ajoutent rien à notre expérience, puisque nous sommes toujours prêts à consacrer, dans nos lois, tout ce que nous avons vu de funeste et d'injuste! Ah! oui, sans doute, il faut oublier le passé, puisque toute notre sagesse se borne à demander à nos modernes républicains comment on doit reconstruire une monarchie, et que, pour établir une législation sur des bases durables, nous ne savons trouver d'au

tres modèles que les hommes qui ont tout renversé et tout détruit.

Ce que je viens de vous raconter nous prouve deux choses: la première, c'est qu'il y a toujours danger à réunir trop souvent les assemblées électorales; la seconde, c est qu'on ne peut conserver la constitution et les lois d'un Etat, quel qu'il soit, avec une Assemblée dont les membres ne sont pas tous animés du même esprit. Ceux qui combattent le projet de la commission nous font redouter les effets de la discorde dans la Chambre des députés; et, pour nous rassurer, ils ne craignent pas de nous dire que l'union et la paix doivent surtout s'établir et se conserver dans une Assemblée qu'on renouvellera tous les ans, dans une Assemblée formée chaque jour d'éléments nouveaux et souvent de partis contraires. Etrange politique, qui veut nous faire voir le remède dans l'excès du mal, qui nous montre l'espoir de la sécurité dans le sujet de nos alarmes, et trouve dans la source de nos discordes passées le principe de l'harmonie.

Les mêmes orateurs ne sont guère plus conséquents, lorsqu'ils s'efforçent de nous faire redouter les élections du peuple, et qu'ils nous proposent de faire des élections tous les ans, tandis que dans le système de la commission, les assemblées électorales ne sont convoquées que tous les cinq ans; ils nous représentent surtout le renouvellement intégral tait par la loi elle-même, comine une occasion d'agitation et de trouble; et, par une véritable contradiction, ils ne redoutent point ce renouvellement intégral, lorsque, dans les dangers de la patrie, il sera fait par la volonté du Roi. Ce qui ne les effraye point pour un moment de crise, les effraye pour un moment de tranquillité; ce qui fait leur effroi dans un temps ordinaire, ils ne le craignent point aux jours du péril.

Cependant, Messieurs, je dois le dire; au milieu des erreurs et des crimes de la Révolution, il est une vérité consolante qu'il ne faut jamais perdre de vue. Une fraction du peuple peut s'égarer, mais la nation entière ne se trompe point. Les bourreaux de Louis XVI le savaient, puisqu'ils ne s'adressaient jamais à tout le peuple à la fois; Bonaparte le savait, puisque toute sa politique consistait à se servir d'une partie du peuple pour subjuguer et faire trembler tout le reste. Comme les bourreaux de Louis XVI, comme tous les révolutionnaires, comme Bonaparte, tous ceux qui veulent consacrer l'erreur, qui veulent établir la tyrannie, s'adressent à un petit nombre d'hommes dont ils espèrent faire leurs instruments et leurs complices; mais ceux qui cherchent la vérité et la justice, s'adressent à tous les hommes réunis, parce que tous les hommes réunis désirent la justice et la vérité. Nous ne devons pas oublier, Messieurs, qu'une minorité séditieuse a repoussé la dynastie légitime, et que la majorité de la nation, ou plutôt que la nation tout entière a rappelé sur le sol français les fils d'Henri IV et de saint Louis.

Après les événements qui se sont passés sous nos yeux; aujourd'hui, Messieurs, que les esprits sont encore agites, que le monde politique comme le monde physique a ses orages de mars, est-il bien sage de tenter des élections partielles, el de s'adresser à des fractions du peuple, au lieu de s'adresser à la nation tout entière ? L'esprit d'intrigue, l'esprit de faction, un bruit adroitement répandu par la malveillance peuvent avoir une influence malheureuse sur le choix de quelques assemblées électorales; mais toutes les assemblées réunies à la fois sous les yeux de la nation,

n'écouteront que la voix de la patrie; les élections faites toutes ensemble, le même jour et dans toutes les provinces, ont quelque chose de solennel et de religieux qui frappe tous les esprits et réveille les consciences. Tous les citoyens s'occupant ensemble des affaires publiques, les opinions se corrigent les unes par les autres; une généreuse émulation s'empare de tous les cours; la nation tout entière semble partout présente; elle encourage les bons, elle intimide les méchants; elle réveille dans toutes les âmes la pensée du bien public. Il n'en est pas de même des élections partielles, où la nation ne prend qu'une part indirecte; où les électeurs restent, en quelque sorte, isolés et ne sont point avertis par cette opinion qui n'est un guide sûr que lorsqu'elle est générale, où la minorité, toujours trop active, peut triompher aisément d'une majorité indifférente.

Rappelez-vous, Messieurs, l'époque des dernières élections. Cette époque, vous le savez, était comme une fête solennelle, où toute la France demandait au Dieu de saint Louis, qu'il daignât l'éclairer sur les choix qu'elle allait faire. Il semblait que tous les travaux eussent êté suspendus, et qu'il n'y eût plus alors dans les villes et dans les campagnes qu'une seule affaire, celle des élections. Avec quel zèle presque religieux se rendaient dans les assemblées tous les amis du Roi et de la patrie! Quelle importance ne mettait-on pas aux fonctions d'électeur! On se demandait avec inquiétude quels députés allaient être nommés dans les départements du Nord et dans ceux du Midi. Chaque nomination était comme un événement qui intéressait tout le royaume; chaque nom qui sortait de l'urne était jugé par toute la France. Quand les assemblées électorales eurent no nmé tous leurs députés, la nation sembla dire comme Dieu Ce que j'ai fait est bien; et dès lors elle espéra qu'une partie de ses maux allait finir. Croyez-vous, Messieurs, que si on lui eût dit alors que les élections qu'elle venait de faire seraient bientôt remplacées par des élections partielles, un sentiment d'amertume ne se fût point mêlé au sentiment de sa joie? Si alors on l'eût consultée sur la question qui nous occupe, sans doute elle aurait répondu, qu'au Roi seul appartenait le droit de changer ce qu'elle avait fait, et de dissoudre une Assemblée qu'elle avait nommée; elle aurait répondu, n'en doutez pas, qu'elle redoutait le moment où quelques villes, quelques départements, quelques fractions du peuple pourraient se mettre à sa place, et ramener le triomphe de cette minorité séditieuse qui avait si longtemps abusé de son nom; elle aurait dit enfin qu'à chaque élection elle voulait se montrer tout entière, et faire entendre sa voix d'un bout du royaume à l'autre, pour qu'on ne pût méconnaître ses sentiments, et qu'on ne pût se méprendre sur sa volonté.

Tandis que nous croyons exprimer ainsi les véritables sentiments de la nation, on voudrait alarmer notre bonne foi, et faire soupçonner nos intentions. On nous a dit, à cette tribune, que notre opinion, dans la discussion qui nous occupe, n'était point désintéressée; non, sans doute; et nous sommes conduits par le plus grand intérêt qui puisse faire agir les hommes; fidèles sujets du Roi, citoyens français, mandataires du peuple, nous avons tous le plus grand intérêt à mettre un terme aux troubles qui ont désolé la France; déjà nos lois ont fait trembler les factions, intimidé les ennemis de la monarchie. Peut-être qu'un jour la tranquillité publique sera notre gloire, et cette gloire que nous recherchons tous,

est le grand intérêt qui nous anime. Un traité dont les douloureux effets doivent se faire sentir pendant cinq années, nous a été communiqué par le Roi; l'Europe et la patrie attendent de nous que nous veillerons pendant cinq années à l'exécution des traités, comme aux lois du royaume, et que, pendant cinq années, nous serons, avec les autres pouvoirs de l'Etat, les gardiens de cette paix qui nous est rendue, et qui nous a coûté tant de sacrifices. Oui, Messieurs, le salut de la France est notre propre salut; les espérances du peuple sont nos plus chères espérances. Qu'on juge par là du grand intérêt qui nous anime, et qui seul peut nous donner la force et le courage de prolonger nos travaux.

Enfin il faut dire les choses par leur nom. Vous devez craindre, nous dit-on, d'être accusés de vouloir vous perpétuer : qui pourrait nous adresser ce reproche? Vous le savez, Messieurs, toujours d'autres accusations précèdent celles qu'on voudrait vous faire redouter; avant d'accuser une assemblée politique de vouloir se perpétuer, toujours on lui a reproché d'avoir abusé de son pouvoir; mais qu'on nous dise si les plaintes du peuple se sont jamais élevées contre nous. Ah! non, sans doute; et qui pourrait nous soutenir, dans notre pénible carrière, si nous n'étions encouragés par les suffrages de la nation! Sans cesse occupés de sonder les plaies douloureuses de la patrie, qui de nous pourrait songer aux jouissances que donne le pouvoir? Ne sait-on pas que rien n'est plus étranger aux idées de l'ambition que le sentiment des calamités publiques? Et quand nous marchons de toutes parts sur des ruines, quand nous n'entendons partout que des gémissements, quels désirs pourrions-nous former pour notre propre félicité! Rassemblés dans les jours de péril, quelle pourrait être notre ambition, si ce n'est de nous élever au-dessus de toutes les craintes, et de voir durer notre mission aussi longtemps que les malheurs et les dangers de la patrie? Quand nous nous sommes réunis pour la première fois dans cette enceinte, nous avons juré au pied du trône de faire refleurir la religion et la morale, d'affermir l'autorité légitime, d'adoucir les charges du peuple; quelle peut être aujourd'hui notre ambition, si ce n'est de remplir tous nos serments? Lorsque tous nos sacrifices sont accomplis; quand les peuples, gouvernés par le meilleur des monarques, commenceront à oublier les maux de la Révolution et de la guerre, si nous sommes encore convoqués, alors il nous sera permis de ne songer qu'à nous-mêmes; alors nous mettrons au grand jour notre ambition, qui sera toute personnelle; alors nous supplierons Sa Majesté de nous renvoyer dans nos foyers, et la nation de nous donner des successeurs; alors nous demanderons à rentrer dans la foule des citoyens, emportant avec nous le plus digne prix de nos travaux, le souvenir d'avoir fait notre devoir, et la plus glorieuse de toutes les récompenses, l'estime des gens de bien.

Je vote pour le projet de la commission.

M. Roy (de la Seine). Messieurs, la commission que vous avez nommée pour vous faire un rapport sur le projet de loi relatif aux élections, vous Propose de décider préalablement que « les députés seront élus pour cinq ans; que la Chambre sera renouvelée, en totalité, soit au bout de cinq ans de sa durée constitutionnelle, soit lorsque le Roi usera de sa prérogative pour la dissoudre. »

Cette disposition diffère essentiellement de celle de l'article 37 de la Charte; qui porte que les députés seront élus pour cinq ans, et de ma

nière que la Chambre soit renouvelée chaque année par cinquième.

Elle est également en opposition avec le projet de loi sur les élections, lequel est conforme à l'article 37 de la Charte.

Elle est donc l'usage de l'initiative dans toute sa force, dans toute son étendue, dans la matière même la plus importante, pour un changement considérable à la loi fondamentale.

Elle n'est même pas l'exercice de la faculté que la Charte donne aux Chambres de supplier le Roi de proposer une loi sur quelque objet que ce soit, après que cette demande a été renvoyée dans les bureaux, et qu'elle a été discutée en comité se-cret elle est la proposition même de la loi exercée par la Chambre, et portée sur-le-champ à la discussion publique.

Or, d'après l'article 20 de la Charte, le Roi seul a le droit de proposer la loi et ce droit constitue une des parties les plus essentielles de sa prérogative.

Ainsi, dans sa forme, la proposition qui vous est faite par la commission est subversive de la Charte; et cela seul devrait d'abord ne pas permettre qu'elle fût même soumise à aucune autre discussion, dans une Chambre constituée par la Charte, dans une Chambre qui vient de faire le serment solennel de s'y conformer.

Je sais que, par son ordonnance du 13 juillet, le Roi a annoncé que plusieurs articles de la Charte dont l'article 37 fait partie, seraient soumis à la révision du pouvoir législatif. Mais je sais aussi qu'il a déclaré depuis, que si la Charte, cet acte de sa sagesse, était, comme toutes les institutions humaines, susceptible de perfectionnement, aucun de nous ne devait oublier qu'auprès de l'avantage d'améliorer, était le danger d'innover, et qu'assez d'autres objets importants s'offraient à nos tra

vaux.

Je sais enfin que, loin de proposer aucun changement à l'article 37, le projet de loi présenté à la Chambre par l'ordre du Roi, est, au contraire, fondé sur l'entière exécution de cet article.

Au surplus, Messieurs, je n'hésite pas de dire que si, au lieu de changer la disposition de cet article, il s'agissait de l'établir, il ne pourrait pas en être proposé une plus sage, une plus conforme à notre situation, et, je dirais presque, aux principes de notre gouvernement.

Rien, dans l'ordre politique, comme dans l'ordre physique et moral, ne se ressemble: la forme des gouvernements varie suivant les mœurs, les habitudes, le caractère et le génie des peuples, suivant les pays, leur situation absolue ou relative avec les peuples voisins, leur étendue, leur population, leur fertilité même ou leur stérilité.

Des gouvernements même qui se rapprochent davantage, par leur nature et par leurs principes, doivent souvent encore, suivant ces circonstances, différer dans leurs formes et dans leurs institutions.

Il résulte de ces vérités, qu'on ne peut tirer aucune induction nécessaire de ce qui s'observe dans un pays, pour l'établir dans un autre.

Lors donc qu'il s'agit de donner à une nation des institutions nouvelles, il est d'abord indispensable d'examiner avec soin quelles sont celles qui conviennent davantage à sa situation, à ses mœurs et à la nature de son gouvernement; car il n'y a que celles-là qui puissent être durables. Or, le gouvernement de la France est monarchique, c'est-à-dire, qu'il est celui où un seul gouverne par des lois fixes et fondamentales.

Il doit être stable; sa législation doit avoir une

marche uniforme et dirigée par les mêmes principes car, sans la stabilité du gouvernement et de la législation, il n'y a pour une grande nation ni tranquillité, ni sécurité, ni bonheur, ni prospérité.

Il doit être fort; car, à l'extérieur, il est environné d'Etats puissants, et dans l'intérieur, son action doit s'exercer sur une grande étendue de territoire, sur une grande population, sur une nation remuante, vive et légère.

Les meilleures institutions pour un tel gouvernement sont donc celles qui, en n'altérant point les garanties pour la sûreté et pour la propriété, concourront davantage à fonder la force et la stabilité du gouvernement.

Or, on ne peut méconnaître que le renouvellement partiel a bien plus cet avantage que le renouvellement en totalité.

Le renouvellement en entier est bien plus analogue à la nature d'un gouvernement démocratique, dans laquelle le gouvernement, pour sa propre conservation, a besoin d'être toujours en mouvement et en agitation.

Le renouvellement partiel, au contraire, est plus conforme à la nature du gouvernement monarchique, par cela même qu'il s'opère sans secousse, même sans commotion, sans aucune crise périodique.

Il apportera, chaque année, de nouvelles lumières dans la Chambre, sans en changer trop brusquement l'esprit le corps ainsi renouvelé, en partie seulement, continuera de se diriger d'après les mêmes règles. Chaque renouvellement ne mettra pas le gouvernement en danger, et ne menacera pas la France d'une révolution nouvelle.

Je ne me dissimule pas que, dans ce cas, le gouvernement exercera plus facilement son influence sur la Chambre.

Mais, je suis loin de redouter un tel inconvénient, je crains bien davantage d'être gouverné par une Chambre nombreuse comme celle des députés, que de l'être par le Roi.

D'ailleurs, ne doutez pas que beaucoup de députés sauront toujours résister à cette influence. Or, c'est tout ce qui est nécessaire pour prévenir la nation, pour éveiller ou maintenir l'opinion, pour empêcher le mal, et pour arrêter des ministres qui voudraient abuser du pouvoir.

Car enfin, je ne vois pas qu'il soit bien indispensable que la majorité de la Chambre des députés soit en opposition avec le gouvernement, puisqu'il est bien démontré que le jour où cette majorité agit avec quelque persévérance, dans un sens contraire à celui du gouvernement, il n'y a plus qu'alarmes et anarchie, il n'y a plus de gouvernement enfin.

Ces principes sont vrais, en général; mais quand ils pourraient être contestés il faudrait encore les adopter momentanément, du moins, dans les terribles circonstances dans lesquelles la France se trouve encore.

Pour ne pas tomber en dissolution, elle a besoin d'un gouvernement fort et puissant, qui ne soit exposé, pendant longtemps encore, à aucune commotion violente qu'elle ne pourrait supporter. Vingt-cinq années de révolutions, et les agitations de l'esprit de parti, ont altéré le caractère national, affaibli l'autorité royale et l'amour de la patrie et du bien général.

(Des murmures violents interrompent). foule de voix. A l'ordre! à l'ordre!

Une

M. La Chèze-Murel. L'orateur dit que l'amour de la patrie s'est affaibli. Nous en sommes tous au

contraire animés comme tous les Français. Je demande que l'orateur soit rappelé à l'ordre.

Un grand nombre de voix. Appuyé ! appuyé! à l'ordre! (Une vive agitation se répand dans l'Assemblée.)

Plusieurs membres. Relisez la phrase.

M. Roy. Lorsque j'ai dit que l'esprit public, que l'amour de la patrie étaient affaiblis, ainsi que l'autorité royale, je n'ai pas cru dire une chose inconvenante ou dangereuse. Il est bien évident que la France n'est pas dans cet état, où, comme autrefois, l'amour de la patrie dirigeait tous les mouvements et commandait tous les sacrifices. Serait-il possible de ne pas reconnaître qu'après tant de révolutions, lorsque tant d'intérêts ont été froissés, chacun étant obligé d'avoir plus ou moins en vue....

De nouveaux murmures interrompent et les cris A l'ordre! recommencent.

M. Roy. Je dis plus ou moins....

M. La Chèze-Murel. En disant que l'amour de la patrie s'est affaibli chez les Français, l'orateur leur fait une injure grave. Nous sommes tous animés du plus pur amour de la patrie....

M. Roy. Je n'ai pas entendu parler de la Chambre.... De nouveaux murmures s'élèvent.) Un membre. Nous ne sommes ici et nous ne parlons qu'au nom de la France entière....

M. La Chèze-Murel. L'injure est plus grande encore d'après cette explication. J'insiste pour le rappel à l'ordre.

Le rappel à l'ordre est vivement demandé.

M. le Vice-Président consulte l'Assemblée. La Chambre décide que l'opinant sera rappelé à l'ordre.

M. le Vice-Président. Je rappelle à l'ordre l'orateur pour s'être permis une expression inconvenante, lorsqu'il a dit que l'amour de la patrie était affaibli chez les Français, et méconnu ainsi la plus belle qualité du caractère national.

M. Roy continue. Que l'expérience du passé cesse enfin d'être perdue pour nous; chaque renouvellement en entier des corps qui, depuis 1789, ont successivement exercé en France l'autorité législative, ont amené une révolution nouvelle.

Prévenons de semblables effets en en faisant cesser la cause, ou plutôt ne regrettons pas que la sagesse du Roi l'ait fait cesser.

Il n'y a pas de contradiction, comme le suppose la commission, entre les dispositions de la Charte d'après lesquelles la Chambre doit être renouvelée chaque année par cinquième et celles qui accordent au Roi la prérogative de la dissoudre et de la faire réélire en totalité.

Il suffit que chaque député puisse exercer ses fonctions pendant cinq ans, pour qu'il doive être élu pour tout ce temps.

Il n'y a pas plus de contradiction entre ces dispositions qu'il n'y en a entre celles de la Charte et l'article proposé par la commission, d'après lequel les députés seraient aussi élus pour cing ans, sans que le Roi cessât cependant de pouvoir user plutôt de la faculté de dissoudre la Chambre.

Il n'y a pas plus de contradiction, enfin, entre ces dispositions, qu'il n'y en a entre la règle générale et l'exception.

On ne peut opposer non plus que le renouvellement de la Chambre, par cinquième, en établit la permanence le Roi peut toujours la proroger et la dissoudre, et on ne conçoit pas les inconvénients d'une telle permanence, lorsqu'il dépend

du Roi de les faire cesser, et lorsque les députés eux-mêmes ne sont pas permanents.

Enfin, suivant la commission, le renouvellement par cinquième de la Chambre des députés est contraire à l'intérêt de la nation, dont elle est particulièrement appelée à exprimer l'opinion, qu'elle ne pourrait plus faire connaître avec ensemble et avec évidence.

Les membres de la Chambre des députés n'existent-ils donc plus dans la nation; n'en connaissent-il plus les besoins, les sentiments et l'opinion, parce qu'ils sont renouvelés chaque année par cinquième? Ne peuvent-ils plus en être les organes.

Je conçois pourtant que le renouvellement partiel est un obstacle à ce qu'une Chambre nommée tout entière dans des temps de faction, dans des moments de crise, de troubles et d'agitation, ne vienne ébranler ou renverser l'ordre établi, en se disant l'interprète de l'opinion publique; car la véritable opinion publique, celle qui se forme lentement, qui résiste à tout, qui parvient toujours à établir ou à reprendre son empire, n'est pas toujours celle qui paraît faire agir une nation. Témoins, comme moi, Messieurs, de tant d'événements déplorables qui nous l'ont trop appris, il est bien inutile que je vous en retrace le tableau.

Vous savez aussi qu'il est des circonstances où la faculté de dissoudre une Chambre formée dans des temps de trouble, pourrait bien n'être pas plus, pour le Roi un préservatif suffisant, que la dissolution successive de quatre parlements n'en fut un pour Charles II.

Ce n'est pourtant pas que je pense que chez d'autres nations le renouvellement en entier ne soit une bonne institution, ce n'est même pas que j'aie l'opinion que, dans d'autre temps, ce renouvellement en totalité ne puisse être également adopté avec avantage parmi nous.

Mais attendons que l'expérience nous ait instruits, qu'elle nous ait fait connaître que ce que nous avons peut être remplacé plus avantageusement par ce que n'avons pas attendons surtout, pour faire un tel changement, ces temps heureux où les passions seront éteintes, où des souvenirs et des regrets n'exaspéreront point les esprits, où chacun cherchera son intérêt particulier dans l'intérêt général; où les institutions même du gouvernement représentatif auront changé nos mœurs et nos habitudes, auront apporté plus de fixité dans nos opinions, et où ses bienfaits, en nous y attachant chaque jour davantage, auront éloigné pour toujours le danger des révolutions.

Prenez-y garde, Messieurs, il ne s'agit pas d'établir, mais de CHANGER. Or, pourquoi nous hâter de changer aujourd'hui ce qui fut fait hier, ce que les circonstances nous forceraient pendant longtemps de désirer, si nous ne l'avions pas ? Pourquoi donner ce nouvel exemple de notre instabilité, lorsqu'il est possible que nous sentions demain que ce que nous avons abandonné était ce qui valait le mieux, et lorsque peut-être la force des choses nous y ramènerait?

Je pense, au reste, que la nécessité seule doit faire admettre des changements à la Charte;

Qu'ils ne peuvent être proposés que par le Roi, et qu'ils ne peuvent être admis qu'après beaucoup de temps, de réflexions et de solennité.

:

Abandonnons enfin de vaines théories, dont nous avons payé assez cher les erreurs réformons ce qui est vicieux, mais sans secousse, sans inquiéter, sans blesser les droits acquis; sans cette précipitation qui, en faisant honneur à nos cœurs, pourrait ne pas en faire autant à notre

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