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l'honneur, de la véritable gloire et du devoir. Que n'a-t-on pas fait depuis vingt ans pour les égarer! Mais les temps sont changés, les erreurs s'évanouissent, et les hommes sages, les véritables amis du peuple ont succédé aux apôtres du mensonge, à des charlatans politiques qui ne parlaient à l'homme de ses droits que pour mieux l'enchaîner.

Messieurs, en 1789, les députés des provinces furent assemblés pour commencer une révolution; en 1815, les députés des départements sont réunis pour la terminer.

En 1789, l'esprit de vertige, les fausses spéculations de liberté, le philosophisme, l'anarchie, s'unirent pour saper les fondements de notre antique monarchie, et détruire jusque dans leurs bases toutes les institutions utiles.

En 1815, l'expérience qui a pesé si cruellement sur nous, la raison, l'esprit de paix, la vraie philosophie s'arment pour nous défendre, pour nous sauver, pour relever sur les débris de l'immoralité, de l'esclavage et du crime, l'édifice auguste de la religion, des mœurs, de la liberté et de la justice. En 1789 et dans les années qui suivirent, des factieux voulurent imposer des lois à leur souverain, et ces lois se sont écroulées comme doit s'écrouler tout ce qui est injuste et sacrilége.

En 1814, en 1815, c'est un Roi législateur qui concède à ses sujets une partie de son pouvoir, c'est un monarque père de famille qui donne à son peuple des lois, et ces lois, comme toutes les institutions humaines susceptibles de perfectionnement, sont et seront de plus en plus les bases de la félicité publique, parce qu'elles ont été données par la puissance légitime, et qu'elles sont confiées, pour être maintenues et améliorées, à des législateurs de bonne foi, à des sujets fidèles.

Mais si personne ne veut attaquer l'autorité royale, si nous désirons tous de l'affermir de plus en plus, nous ne pouvons oublier que le Roi nous a donné la loi que nous devons suivre, et ce n'est que de cette loi qu'il veut que son autorité reçoive son extension. En suivant très-religieusement cette ligne constitutionnelle qui nous est tracée, qu'il me soit permis, Messieurs, de traiter rapidement une question qui se lie à toutes celles que nous traitons, puisque dans toutes nos discussions on ne cesse de mettre en avant et les volontés et les désirs du prince auguste qui nous gouverne. Le principe que je vais rappeler est tellement lié, je crois, à l'ordre politique que nous voulons consolider, qu'on ne peut s'en écarter sans blesser, sans détruire peut-être ce que le système représentatif a de plus utile et de plus rassurant.

Le monarque ne peut jamais errer ou faire le mal: The King cannot do wrong, disent les Anglais. En effet, la loi ne reconnaît dans le Roi que la puissance qui fait le bien; s'il a le malheur de se tromper, car les rois sont des hommes, et dès lors ne sont point infaillibles, son erreur ne lui appartient point.

Le gouvernement seul s'égare; ce sont les ministres qui ont commis l'erreur, seuls ils en sont responsables, seuls ils doivent être combattus ou cités dans nos discussions... Il est, Messieurs, de la dignité, de l'indépendance, je dirai plus, du devoir de cette honorable Assemblée de demander, d'exiger même qu'on écarte religieusement des débats tout ce qui pourrait les influencer. Et quelle influence plus directe, plus auguste que celle qui serait exercée sur des cœurs vraiment français, au nom d'un prince que nous chéris

sons tous! Pour moi, Messieurs, je ne pourrais me défendre de cette séduction, mais je désire m'en garantir. Je le désire, parce que je veux marcher dans la ligne qui nous a été tracée par la sagesse du Roi. Sujet, j'ai juré d'obéir à la Constitution; législateur, je dois faire plus, je dois la défendre, je dois vouloir scrupuleusement son exécution. Vous le voulez tous ainsi que moi, Messieurs ; vous voulez maintenir. améliorer et non détruire; vous voulez consolider l'édifice que la sagesse du Roi et les intérêts de la nation vous confient, que la probité religieuse de nos princes affermit, que le temps, les mœurs, la bonne foi, le respect et la fidélité rendront inébranlables... Et comment, si le nom du Roi était toujours invoqué, les ministres pourraient-ils être dans certains cas (prévus par la Charte) soumis à la censure. à l'accusation, au jugement même des Chambres? Leur responsabilité ne serait plus qu'idéale, et pour ainsi dire dérisoire.

Les Anglais, Messieurs, et il faut bien nommer la nation qui nous a précédés dans la carrière législative, la nation dont le gouvernement devait être moins cité, moins admiré peut-être, en 1789, alors que notre antique monarchie était debout (ce monument glorieux de la sagesse de nos pères auquel rien ne pouvait être comparé); mais aujourd'hui que notre constitution se rapproche de celle des Anglais, pourquoi ne chercherions-nous pas des exemples chez un peuple qui trouve depuis si longtemps dans ses institutions sa sûreté et ses garanties? les Anglais, dis-je, Messieurs, out établi comme règle, que si quelqu'un parle, dans son discours, de ce que le Roi souhaite, de ce qu'il verra avec plaisir, il soit de suite rappelé à l'ordre comme voulant influencer l'opinion. Je ne sais, Messieurs, si nous devons être aussi rigoureux, mais peut-être devons-nous, par un sentiment de délicatesse que l'amour et le respect sauront également apprécier, nous en faire tous un devoir.

Le Roi, nous a dit un ministre dans une discussion précédente, propose la loi; c'est donc au nom du Roi que nous parlons, c'est sa volonté ou du moins ses désirs que nous exprimons; et moi, j'oserai répondre au ministre de Sa Majesté : Notre respect doit nous porter à ne regarder la volonté du Roi manifestement exprimée que par l'acceptation de la loi. Admirable système, dont le résultat est que la majesté du trône ne se trouve jamais compromise et que ce qui est bien et utile n'appartient qu'au Roi, comme ce qui est imprudent, dangereux ou coupable n'appartient qu'aux ministres; et de là cet axiôme si important: The King cannot do wrong; le Roi est inviolable, le Roi ne peut faillir.

Je viens d'émettre, Messieurs, franchement mon opinion sur un point important de notre nouvelle législation. Buonaparte ne voulait que des muets et des esclaves, Louis XVIII ne demande que des cœurs libres; ce roi sage veut qu'à cette tribune on puisse dire ce qu'on pense et toujours penser ce qu'on dit.

On nous a répété plusieurs fois que le ministère n'avait pas besoin de la majorité dans les Chambres. Dans l'ordre constitutionnel, Messieurs, le ministère a besoin, impérieusement besoin, et de la confiance du monarque et de celle des deux corps politiques qui constituent avec lui la puissance législative. Croyons que les ministres de Sa Majesté sont et seront toujours pénétrés de cette grande vérité ; c'est principalement dans les circonstances présentes que l'union des Chambres et du ministère est essentiellement liée à la pros

périté publique, au bonheur, à la tranquillité de la nation.

Messieurs, le ministère veut le bien; qu'il ne cesse de marcher avec les Chambres, et de marcher avec énergie, et le bien s'opérera, et la France triomphera de tous ses ennemis; et, répondant à l'appel de notre souverain, nous achèverons réellement de consolider la paix intérieure et de faire respecter la France au dehors.

Messieurs, si quelques divergences se font remarquer dans nos opinions, la France, l'Europe entière reconnaissent à nos discours, à notre marche constante, à l'ensemble de nos travaux que des nuances ne sont pas des schismes, et que toujours nous nous trouverons réunis pour défendre et consacrer les vrais principes.

Messieurs, c'est convaincu de tout le bien que vous pouvez faire, de celui que vous ferez si vous ne vous séparez point, que je vote avec la commission pour le renouvellement de la Chambre.

Je vote aussi pour qu'on ne puisse être élu avant quarante ans, si l'on est célibataire; avant trente, si l'on est marié ou veuf.

Quant à l'article 36 relatif au nombre de députés, je vote pour que l'Assemblée ne statue sur cette question que lorsqu'elle s'occupera de la loi définitive sur les élections.

M. le baron Pasquier monte à la tribune.

M. le baron Pasquier. Messieurs, si jamais j'ai abordé cette tribune avec une juste défiance de mes propres moyens, c'est sans doute dans une discussion dont le sujet d'une haute importance a été traité avec tant d'habileté par un si grand nombre d'orateurs; cependant je me félicite de de ne parler qu'après les avoir entendus, car j'ai eu beaucoup à recueillir, beaucoup à profiter de tant de choses si sages et si lumineuses qui ont déjà été dites.

Avant d'aborder les difficultés diverses qui sont l'objet de la discussion, je vous demande la permission de m'arrêter d'abord sur la théorie du gouvernement représentatif. Je sais combien on a souvent abusé de ce mot théorie, mais je tâcherai d'être assez simple et assez précis pour ne pas tomber dans cet inconvénient. J'observerai d'abord que la théorie du gouvernement représentatif n'a pour elle jusqu'ici qu'un seul fait; ce fait, c'est l'Angleterre. Il faut donc en convenir, cette théorie sous la plume des hommes qui l'ont le plus habilement exposée, n'est que l'histoire du gouvernement anglais; cela devait ètre ainsi car en toutes choses l'expérience a dû précéder la science, et les faits ont créé les doctrines plus les faits sont nombreux, plus les doctrines sont assurées; plus ils sont rares, plus il y a d'incertitude dans la convenance des applications. L'expérience a dû précéder la science et les faits. On peut comparer les gouvernements d'Europe où l'autorité royale est sans partage, parce qu'ils ont entre eux des traits de ressemblance; mais ici, tout est d'un côté, et comme je viens de le dire, il n'y a qu'un fait, qu'un caractère, qu'une physionomie; c'est l'Angleterre qui ne peut se comparer qu'avec elle-même. Gardonsnous donc de trop dangereux rapprochements; gardons-nous de faire de ces rapprochements la règle de notre conduite et d'en déduire trop servilement nos principes; sachons nous élever plus haut et laissons pour un momment l'Angleterre de côté.

Nous portant à des considérations tout à fait générales, demandons-nous ce que nous devons entendre par gouvernement représentatif? N'estce pas le concours du pouvoir royal, du pouvoir

aristocratique et du pouvoir démocratique conçu de manière à défendre les intérêts de tous, et à établir la balance et la sûreté dans l'Etat? Cet amalgame étant nécessaire, vous voyez aussi qu'il peut être fait dans des principes, des combinaisons, des proportions bien différentes.

Cela posé, je me dis qu'en Angleterre cet amalgame doit présenter dans sa combinaison plus de pouvoir démocratique que de pouvoir royal, et cela parce que l'Angleterre s'est soustraite, par le gouvernement représentatif, à une royauté tyrannique, parce que le caractère national a une tendance démocratique, que le titre d'insulaire favorise, développe et entretient. Je me dis qu'en Angleterre cette prédominance de l'influence démocratique peut entrer sans danger, parce que dans ce même pays une aristocratie puissante, forte de sa considération, de ses immenses propriétés, de ses distinctions transmises d'âge en åge, sert de contre-poids, et de garantie au pouvoir royal, et qu'ainsi le gouvernement a de l'unité, de la force et de la vigueur.

Actuellement, quand je reporte les yeux sur la France, je me dis que dans l'amalgame dont j'ai présenté l'image, c'est le principe du pouvoir royal qui doit évidemment dominer; et pourquoi? C'est parce que l'obéissance et la fidélité au pouvoir royal sont éminemment dans le caractère et dans les mœurs françaises; c'est parce que la France a adopté le gouvernement représentatif pour sauver la royauté, et pour échapper à la démocratie qui a failli entraîner l'Etat dans sa ruine. Cette prédominance de l'autorité royale est d'autant plus nécessaire en France, que l'aristocratie y a été plus complétement détruite, et qu'il faut plus de temps pour la recréer.

Vous voyez, si je ne me trompe, d'après ce court exposé, combien il importe de ne jamais nous appuyer servilement sur l'exemple de l'Angleterre, je dis servilement, car il faut savoir s'en écarter. Si, pour avoir un gouvernement représentatif, il fallait l'imiter absolument, le copier avec précision et en totalité, je ne crains pas de le dire, ce beau gouvernement serait confiné dans son île seule, et ne pourrait se reproduire nulle part, car nulle part on n'a les mœurs, les habitudes, le climat, la position de l'Angleterre. Avant d'aller plus loin, qu'il me soit permis de m'arrêter quelques moments sur la manière dont l'orateur sì distingué, que vous avez entendu avec tant d'intérêt, à la fin de la séance d'hier, vous a parlé de l'existence que doit avoir en France une Chambre des députés: il la veut très-forte, organe de l'opinion publique, se retrempant dans la nation, se renouvelant entière, et redevenant ainsi l'interprète énergique et éclairée du vœu public. Il a vu dans cette Chambre, ainsi constituée, le soutien de l'autorité royale, et il a été convaincu que cette Chambre, non pas seulement par sa majorité, mais même par son unanimité, serait en toute occasion le plus ferme appui du trône, le défenseur le plus assuré de ses droits; sans doute, si ce tableau devait se réaliser, nous aurions le droit d'espérer, plus que tout autre, qu'il nous est réservé d'en jouir, nous à qui la Providence a rendu un Roi si sage et si bon tout à la fois, entouré d'une famille qui nous promet une heureuse succession de ses talents et de ses vertus; nous à qui l'expérience de nos malheurs passés a dû donner de si utiles et de si salutaires leçons. Mais, Messieurs, songeons que nous ne travaillons pas pour nous seuls; souvenons-nous que nous posons les fondements d'un édifice qui doit assurer le bonheur

de nos arrière-neveux. Mon honorable collègue vous a représenté l'âge d'or des gouvernements représentatifs; mais hélas! dans l'histoire du monde, celle de l'àge d'or a toujours été bien courte. Les leçons de l'expérience sont bientôt perdues pour les peuples. Combien de circonstances peuvent venir troubler cette harmonie si désirable entre les pouvoirs d'un grand Etat! Une guerre heureuse ou malheureuse, une minorité, un ministre faible, des fautes, une aberration dans l'esprit public, une erreur dans l'opinion nationale; cette maladie du bonheur même qui souvent finit par travailler si cruellement les peuples, tout cela ne peut-il pas entraîner des crises politiques qui troubleraient cette heureuse tranquillité dont l'orateur nous a fait une si douce image?

M. de Bouville veut une Chambre forte; moi, j'en veux une sage et prudente; je veux qu'elle soit la sentinelle de la liberté publique; toujours suffisante pour la rassurer, mais jamais assez remuante, assez novatrice pour inquiéter l'autorité royale; et je vous supplie, Messieurs, de ne pas perdre de vue que c'est pour l'intérêt même de la liberté publique que je souhaite qu'elle ne puisse jamais donner trop d'ombrage au gouvernement; en France, ce gouvernement aura toujours à ses ordres une armée forte et puissante, et remarquez-le bien, cet élément manque dans les combinaisons de l'Angleterre ; c'est avec elle qu'il faut supporter, par exemple, une minorité et un ministère habile soutenu par des généraux heureux et vainqueurs. Je le demande, si ce ministère en concevait la pensée, croit-on qu'il lui fùt impossible de renverser, au détriment du pouvoir royal lui-même, une représentation assez forte pour lui opposer une résistance de tous les jours, de tous les instants, pour le fatiguer d'une inquiétude perpétuelle, pour l'alarmer sur son existence et l'entraver dans l'emploi de tous ses moyens? Voilà l'un des dangers que peut faire courir une Chambre trop forte. Je l'ai placée à l'époque d'une minorité, parce qu'il est à mille lieues de ma pensée que jamais nos rois légitimes veuillent attenter aux libertés de leurs sujets.

Comme M. de Bouville, je souhaite que la Chambre des députés, réunie à celle des pairs, puisse remplacer tous ces corps intermédiaires, toutes ces aristocraties si malheureusement détruites, si impossibles à reconstruire, qui, sous le gouvernement de nos rois, se placent si heureusement entre le trône et les sujets; mais je ne veux pas que jamais elle puisse nous retracer l'image de ces assemblées, de désastreuse mémoire, qui, feignant de vouloir éclairer, régler, défendre même l'autorité royale, ont fini par tout anéantir autour d'elle. Ne croyez pas cependant,Messieurs, que cette sage défiance m'empêche de vouloir, encore ainsi que M. de Bouville, que la Chambre des députés soit indépendante; sans indépendance je ne conçois pas que rien dé grand, rien de noble puisse entrer dans l'esprit des hommes; sans indépendance, je ne conçois même pas de vraie fidélité. Qui, Messieurs, je veux de l'indépendance, même dans le conseil le plus secret des rois; c'est par elle seule que peut leur arriver cette vérité qu'il leur est nécessaire de connaître. Si je veux cette indépendance dans le conseil privé des rois, certes, je la veux dans le grand conseil national, et par conséquent dans la Chambre des députés. Après avoir exposé ainsi mes principes généraux, j'en dois chercher les conséquences dans la discussion que je vais en

tamer des trois articles de la Charte, dont votre commission a provoqué l'examen; celui de ces articles auquel j'attacherai la plus grande importance, sera l'article 37, relatif au renouvellement par cinquième; là, en effet,me paraît se présenter la question la plus grave.

Voyons d'abord s'il est vrai de dire que cet article soit obscur et ait besoin d'interprétation; je ne le pense nullement : il a seulement besoin que le mode d'exécution en soit déterminé. Que dit l'article? que les députés sont nommés pour cinq ans, mais de manière que la Chambre soit renouvelée par cinquième; il fallait bien que les députés eussent la faculté de siéger cinq années dans la Chambre, puisque le cinquième d'entre eux est destiné à avoir cet honneur; c'est une fa culté virtuelle qui leur est donnée, mais nullement une faculté impérative: il n'y a la rien que de simple, rien que de clair; la deuxième partie de l'article me paraît expliquer très-clairement la première. Ce n'est donc pas pour interpréter l'article qu'il serait nécessaire d'y toucher; voyons s'il est utile de le changer. D'après mes principes, je dois avant tout examiner s'il est plus ou moins favorable à la puissance royale; il n'exclut point la faculté que cette puissance a de dissoudre la Chambre, et c'est à tort qu'on a cru voir qu'il y avait incompatibilité entre le renouvellement par cinquième et le droit de dissolution totale; ce renouvellement complique le système de la dissolution, mais ne le détruit en aucune manière, et a ce grand avantage qu'il peut souvent rendre la dissolution moins nécessaire il la rend moins nécessaire, parce qu'il donne sans secousse la faculté de conserver ce qui est bon et sage; parce que le cinquième qui arrive chaque année, devant être un résultat de l'opinion publique, dispense le plus souvent de la nécessité de la consulter avec tout l'éclat d'un renouvellement entier. Et ici, Messieurs, veuillez bien remarquer que les conséquences d'un renouvellement entier seront toujours plus graves en France qu'en Angleterre; dans ce dernier pays, les intérêts sont toujours plus clairs, plus un, si j'ose m'exprimer ainsi. En France, l'étendue du pays, la différente proportion de ses différentes parties, le nombre de ses habitants, rendent ces intérêts beaucoup plus compliqués, beaucoup plus divergents: de là une beaucoup plus grande difficulté de concevoir et de maintenir un système toujours suivi; de là, par conséquent, beaucoup de chances peuvent naître pour que la nouvelle Assemblée veuille souvent s'écarter des errements qu'a suivis la précédente, respecte peu les lois que celle-ci aura faites et tente de les changer. En Angleterre, par une suite naturelle de la manière dont se font les élections, grâce même aux salutaires abus qui y règnent, une grande partie des membres sortants rentre le plus souvent dans la Chambre nouvelle. Je doute fort qu'il en soit ainsi parmi nous. Le nombre des députés est et sera, toute porportion gardée avec la population, de beaucoup plus petit qu'il ne l'est en Angleterre nulle carrière plus noble ne peut être ouverte aux hommes qui se sentent des talents et qui sont animés de l'amour de la patrie. Le nombre des concurrents sera donc toujours extrêmement considérable; rarement les choix tomberont sur les mémes personnes; par conséquent l'esprit de suite, si nécessaire dans les affaires, se conservera difficilement dans les assemblées entièrement renouvelées. Une des objections les plus justes en apparence qui aient été faites sur le renouvellement partiel est celleçi, et je confesse en avoir été moi-même d'abord

extrêmement frappé. Le ministère a besoin d'avoir la majorité dans la Chambre; et cependant, grâce au cinquième arrivant chaque année, cette majorité sera chaque année remise en question; chaque année il y aura ainsi une espèce de petite crise ministérielle. Rien, a-t-on dit, n'est plus propre à ôter au gouvernement la confiance qu'il doit avoir dans sa force. Ceci, Messieurs, demande, pour être suffisamment réfuté, quelques développements pour lesquels j'ose vous demander toute votre attention, et c'est encore ici qu'il faut nous garder d'une imitation trop servile avec ce qui se passe et se pratique en Angleterre.

Quel sera chez nous le caractère de la majorité sur laquelle il nous est habituellement permis de compter dans la Chambre des députés? L'opinion qu'on peut avoir en cette matière dépend beaucoup de celle qu'on se forme de notre caractère national; et ici je dois le dire avant tout: A Dieu ne plaise que je déprécie ce noble caractère ! Je suis Français, et queis qu'aient été nos revers, quel que soit notre malheur, fier des souvenirs du passé, riche de mes esperances pour l'avenir, fort de mon amour pour mon Roi et pour mom pays, je ne voudrais certes changer ce titre de Français pour celui de citoyen d'aucune autre partie de l'univers. Mais enfin, nous avons nos défauts comme nos qualités; chez nous rien de plus difficile que ce sacrifice constant de notre opinion individuelle, qui est cependant nécessaire pour former des partis analogues à ceux qui composent en Angleterre les majorités et les minorités. Nous prenons toujours un avis par conviction, et notre vote est presque toujours le cri de notre conscience. Fautil nous reprocher d'avoir un si beau défaut? Non, sans doute; mais il faut couvenir en même temps qu'avec ce défaut ou cette qualité, il sera toujours difficile de former dans nos assemblées une majorité constante, et je le dis hardiment, nul ministère ne pourrait se soutenir, s'il devait, comme en Angleterre, disparaître du moment où cette majorité lui manquerait pour une loi de la moindre importance. Par une conséquence toute naturelle de ce que je viens d'exposer, nos ministres n'auront jamais à craindre non plus cette opposition obstinée qui est un des éléments du gouvernement anglais. Si je ne me trompe pas dans ces aperçus, on voit tout de suite combien est moins grave qu'on n'avait pu le croire d'abord cette espèce d'inconstance que le renouvellement partiel pourrait jeter dans la majorité ministérielle; et à ce sujet je me permettrai de développer un peu ce qu'a dit celui de mes honorables collègues qui a si éloquemment défendu, il y a deux jours la même opinion que moi. Il me semble qu'on l'a expliqué plus rigoureusement qu'il ne devait l'être. On a cru qu'il avait voulu dire que le ministère en France pourrait absolument se passer de la majorité de la Chambre; je crois qu'il a voulu seulement dire comme moi, que dans toutes les choses qui n'étaient pas inhérentes à l'existence du gouvernement, il lui serait très-possible et très-facile de marcher sans cette majorité; mais en même temps il a rendu au caractère national un hommage que je me plais aussi à lui rendre : il a cru que jamais cette majorité ne manquerait au ministere, à moins que ce ministère ne fût insensé, dans les choses d'où dépendrait l'existence et le salut de l'Etat. Telle sera toujours, par exemple, la grande affaire du budget; dans celle-là toujours les préventions, les mécontentements mêmes se taisent devant l'intérêt général; s'il en était autrement, c'est alors

que le Roi, usant de sa prérogative royale, en appellerait à son peuple par une dissolution totale de la Chambre, et certes alors son peuple ne lui manquerait pas.

Voila, Messieurs, comment M. Royer-Colard me parut avoir compris et comment je comprends moi-même l'existence parallèle des Chambres et de l'autorité royale en France. Je terminerai cette discussion particulière par une dernière remarque qui n'est peut-être pas sans importance Vous devez voir que dans mon système je comprends le ministère français beaucoup moins dépendant des Chambres qu'il ne l'est en Angleterre; et cela est, je crois, Messieurs, d'intérêt majeur pour nous. Ne nous y trompons pas, les changements fréquents du ministère auront toujours chez nous des conséquences graves. En France, le gouvernement est beaucoup plus mèlé à l'administration qu'il ne l'est en Angleterre, et cela doit être ainsi la raison en est simple; nous sommes beaucoup plus une monarchie que ne l'est l'Angleterre, nous sommes accoutumés à l'autorité royale, nous avons besoin de sentir un peu partout la main du Roi. En Angleterre, par une conséquence du principe démocratique qui y domine, le pays s'administre par lui-même; ainsi un changement de ministre en Angleterre n'influe presque point sur l'administration intérieure; ses consequences sont presque toutes politiques : c'est un traité de paix, une alliance differente, une guerre à entreprendre ou à terminer. En France, tout se ressent, tout est plus ou moins atteint par le changement de ministre; les consequences en sont donc bien plus graves et les fréquents changements deviennent inevitablement dangereux.

Après avoir ainsi traité du renouvellement partiel en lui-même, cherchons s'il ne serait pas possible d'éclairer encore cette discussion par quelques exemples et si ces exemples pourraient ètre pris dans notre propre histoire; sans doute ils n'en seraient que plus concluants. Ce système de renouvellement, tout le monde le sait, a déjà été employé en France plusieurs fois depuis vingt ans; il est triste sans doute d'être obligé de dire que la Convention en fut le premier auteur; en l'imaginant elle eut pour but de maintenir son esprit le plus longtemps possible, et malheureusement elle ne fut point trompée dans son attente; mais, Messieurs, la cause et le motif ne vicient point ici l'effet, et il ne faudrait pas rejeter une pensée utile par la seule considération de ceux qui l'ont conçue et exécutée le vase qui a contenu le poison le plus subtil a prouvé par cela même qu'il pourrait bien aussi contenir la plus salutaire liqueur. Si le système du renouvellement partiel a servi utilement une Assemblee qui voulait maintenir son esprit malgré le vœu de la nation, combien ne sera-t-il pas plus utile, plus salutaire quand il aura à conserver un esprit si conforme à tous les sentiments nationaux ! Aujourd'hui que nous avons une Assemblée royaliste, digne interprète des sentiments de fidélité de tous les Français, pourquoi n'adopterions-nous pas une idée qui tendrait à garantir le succès et le maintien des principes qui nous animent, et cela sans secousse, par la seule marche naturelle des choses et des institutions?

Je crois qu'il ne me reste plus qu'à repousser une accusation, bien grave à la vérité, qui a été portée contre les Chainbres renouvelées par cinquième, par l'honorable collègue que j'ai déjà réfuté. Il les a considérées comme devant être, d'après l'exemple du passé, des instruments tou

jours dépendants et même serviles de l'autorité ministérielle. Certes, j'applaudis de grand cœur aux éloges qu'il a si justement donnés à celui qui remplit si honorablement parmi nous les fouctions de président : mais je lui dirai cependant que s'il est vrai qu'un caractère éminent et l'expression si naturelle d'un grand talent ont fait surgir M. Lainé le premier dans une occasion célèbre et qui a immortalisé son nom, il serait cependant fort injuste de reporter sur lui seul l'honneur de ce beau mouvement. Sans doute, il était alors entouré de collègues dont il avait entendu la voix, dont les murmures lui étaient familiers, qui s'indignaient comme lui du silence auquel ils étaient condamnés; sans doute, il fut choisi par eux pour être leur organe, parce que la même pensée les animait. Et à quelle époque, Messieurs, cet élan de courage national eut-il lieu? Ce fut, n'en perdons pas la mémoire, lorsque la tyrannie était d'autant plus redoutable par les coups individuels qu'elle pouvait porter, qu'elle était arrivée à cet excès de délire de résister aux leçons du bonheur même, et de se révolter contre l'adversité. Quelles furent les conséquences de cette courageuse et si périlleuse résistance? Un bannissement universel; cette enceinte fut vide. Mais bientôt on vit reparaître ces mêmes bannis, à cette mémorable époque du 31 mars, qu'il m'est si heureux de pouvoir rappeler. On les vit accourir de toutes parts, et se joindre à tous ces fonctionnaires publics qui montrèrent alors qui si depuis dix ans ils avaient accepté des fonctions publiques, ils ne s'étaient pas pour cela inis au service d'un homme, mais à celui de la patrie, qui saluèrent les premiers l'aurore de la liberté nationale et de la royauté légitime qui apparaissaient ensemble à leurs yeux. Compiegne vit bientôt les membres de La Chambre des députés porter aux pieds du monarque les vœux, les hommages et la soumission du peuple français; tout rentrait dans l'ordre. Ces mêmes hommes restèrent les députés du peuple français auprès du prince qui lui était rendu, et certes rien ne dit qu'ils aient manqué, dans la session qui s'ouvrit alors, ni de fidélité ni d'indépendance; ils ne manquèrent pas non plus de courage ni de dévouement à cette époque désastreuse du 20 mars 1814. Je vous le demande, Messieurs, à cette époque, cette tribune resta-telle muette? Le cri de l'honneur et de l'indignation ne s'y fit-il point entendre? un noble appel à la nation n'y fut-il pas fait? Elle l'entendit, cette nation, mais s'il ne lui fut pas donné d'ý répondre; ne l'imputons ni à elle ni à la Chambre des députés; l'une et l'autre firent tout ce qui était en leur pouvoir; une force trop supérieure, et dont il est inutile de retracer les déplorables excès, eut bientôt paralysé les plus nobles efforts. Gémissons sur un si cruel résultat, mais rendons justice à qui il appartient, et convenons, d'après l'exemple de la Chambre des députés de 1814, qu'une Chambre renouvelée par cinquième peut ne manquer ni de courage ni d'énergie.

Je crains, Messieurs, d'avoir déjà beaucoup fatigué votre attention; je traiterai donc plus brièvement la question de l'âge des députés. J'observe seulement qu'en Angleterre la Chambre des communes ayant une grande part dans le gouvernement et même dans l'administration, a par cela même besoin d'un grand nombre de députés jeunes; elle a de l'occupation à leur donner; nous, au contraire, nous avons besoin d'une Chambre patiente, qui sache attendre le bien, qui ne veuille pas trop faire, faire trop

souvent ou trop vite; il nous faut surtout de la maturité, et l'âge de quarante ans semble promettre, à cet égard, des choix tels qu'on les peut désirer. Je conviens toutefois que c'est ici une question sur laquelle les meilleurs esprits peuvent être partagés; mais dans le doute, j'ouvre le livre de la loi, je lis la Charte, et je me demande pourquoi ne pas se conformer à la fois à sa lettre et à son esprit ?

C'est encore ce même respect pour la Charte qui va déterminer ici mon avis sur le nombre des députés qui doivent composer la Chambre; ici même je fais un sacrifice d'opinion personnelle.

Le nombre des députés a été augmenté; il ne paraît pas trop considérable. Je conçois même qu'il pourrait offrir, dans le système des élections, une assez grande facilité pour donner à tous les intérêts sociaux la représentation qu'ils me semblent avoir le droit de réclamer; mais enfin ce nombre est supérieur à celui prescrit par la Charte; c'est encore un système à essayer, c'est une infraction, c'est un commencement d'innovation et pourquoi donc changer avant d'avoir été éclairé par l'expérience ? Je n'essayerai pas, Messieurs, de renouveler l'impression profonde qu'a faite sur vos esprits le développement énergique et éloquent donné à cette idée par notre honorable collègue M. Royer-Collard. La force de ses raisonnements est encore présente à tous les esprits.

:

Quant au vœu personnel que j'émets ici, il y a peut-être une sorte d'inconséquence à moi de tenir aux dispositions de la Charte plus qu'à celle de l'ordonnance du 13 juillet; mais, Messieurs, vous savez assez dans quelles circonstances cette ordonnance a été rendue: la première pensée du Roi fut un bienfait, une concession nouvelle, une nouvelle garantie de ses paternelles intentions; ce serait un beau spectacle que de vous voir unir la sagesse à la reconnaissance, et refuser, dans la plus haute pensée du maintien de l'autorité royale, une faculté que la royale bonté vous a en quelque sorte offerte. Cette détermination est digne de vous, Messieurs; oui, vous êtes dignes vousmêmes de donner ce grand spectacle à la France. Je résume toute cette discussion en un seul mot: je conclus au maintien de la Charte tout entière. Cet avis est vivement appuyé, et l'orateur descend de la tribune au milieu des témoignages d'adhésion d'un grand nombre de membres.

M. le marquis Doria (1). Messieurs, après une discussion où tant d'orateurs distingués se sont succédé pour combattre ou défendre le projet de loi qui vous est soumis, il y aurait plus que de la témérité à penser que l'on peut jeter quelque lumière sur la question qui vous Occupe.

Obligé de répéter moins bien ce que vous avez entendu, j'ai besoin, Messieurs, de toute votre indulgence. Je ne l'invoquerais point aujourd'hui à cette tribune, si le concours d'un plus grand nombre d'orateurs, dans ce débat politique, n'était, pour la nation, une preuve incontestable de l'attention soutenue avec laquelle vous avez examiné et approfondi un des points les plus importants de sa loi fondamentale.

Et, d'abord, Messieurs, qu'il me soit permis de défendre l'ordre qui a été suivi par votre commission. Nul doute qu'avant de s'occuper de la loi sur les élections, il ne fût utile, nécessaire

(1) Le Moniteur se borne à mentionner le discours de M. Doria.

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