Page images
PDF
EPUB

Il propose l'ordre du jour, qui est adopté par la Chambre.

M. le rapporteur de la commission chargée de l'examen de la proposition de M. Canuel tendante à accorder des pensions aux sous-officiers et soldats des armées royales qui ont reçu des blessures graves, est invité à monter à la tribune.

M. le baron de Lézardière (1). Messieurs, la proposition qu'un de nos honorables collègues a soumise à votre délibération, est un nouvel hommage rendu aux royalistes qui, aux différentes époques de la Révolution, ont combattu pour le Roi et pour la religion. Les habitants de l'Ouest n'ont pu qu'être flattés du suffrage d'un guerrier qu'ils se sont félicités de compter dans leurs rangs.

Mais déjà le Roi, qui n'oublie aucun service rendu à l'Etat, avait porté ses regards sur ses sujets fidèles qui avaient tant de fois combattu pour sa noble cause: les blessés, les veuves de ceux qui avaient succombé, avaient été l'objet de ses soins paternels.

Dès le mois d'octobre 1814, des commissions avaient été formées pour leur accorder des secours et des pensions: le prince de la Trémouille, frère et héritier des sentiments généreux du prince de Talmont, avait reçu de Sa Majesté l'ordre de préparer le tableau de tous les services des armées royales; son dévouement et son nom justifiaient cette honorable confiance. Sans les événements imprévus du mois de mars, les royalistes de l'Ouest jouiraient maintenant des secours et des récompenses que leur ménageait la sollicitude paternelle de Sa Majesté; mais les embarras qui sont nés de cette malheureuse époque ont retardé l'effet de ses vues bienfaisantes. Quelques secours seulement ont été distribués, quelques récompenses ont été accordées; ce que le Roi voulait faire, particulièrement en faveur des veuves et des blessés, n'a pu encore avoir tout son développement la vérification des services et des besoins, les travaux préparatoires, les nouveaux événements de la campagne de 1815, pourront exiger encore quelques délais; mais le zèle et l'activité du ministre de la guerre sauront les abréger, et les royalistes de l'Ouest devront bientôt à ses soins et à l'intérêt qu'il leur témoigne, les récompenses et les secours qu'ils ont mérités.

Si Sa Majesté ne consultait que les désirs de son cœur, si les malheurs publics lui laissaient les moyens d'y satisfaire, n'en doutez pas, Messieurs, des témoignages de sa satisfaction attesteraient aux habitants de l'Ouest que leur dévouement, que leur combats, que leur malheur, que leur pérsévérance, que les services qu'ils ont rendus à la religion, à leur prince légitime, au maintien de tous les principes, ont trouvé dans le cœur des Bourbons de justes appréciateurs.

Mais l'impossibilité de faire tout ce qui devrait être fait, a dù donner naissance à divers projets ; de là les différences qu'on peut remarquer dans la distribution des secours déjà donnés, dans les plans auxquels le ministre de la guerre est obligé de se borner, ainsi que dans la proposition qui vous est soumise; tous ces projets, tous ces moyens tendent au même but, sont dictés par les mêmes sentiments, l'amour du Roi, la reconnaissance pour des sujets fidèles. Sils n'ont pas tous les développements nécessaires, n'en accusons que les malheurs de l'Etat.

C'est à cette circonstance qu'il faut attribuer la

(1) Le rapport de M. le baron de Lézardière n'a pas été inséré au Moniteur,

modicité de la somme qui a été destinée à cet objet et qui ne s'élève pas à 500,000 francs, somme évidemment insuffisante, si on considère le nombre et l'étendue des besoins qu'elle doit soulager.

Ce n'est pas, Messieurs, qu'il puisse être question de proportionner les moyens dont on peut disposer, aux services éclatants qui ont distingué les royalistes de l'Ouest, ainsi que ceux du Midi et des autres parties de la France; leur plus belle récompense est dans le souvenir que nous nous plaisons à en retracer. Oui, Messieurs, plus nous nous éloignerons de ces temps malheureux, plus nous nous rappellerons avec orgueil cette étonnante Vendée, où les populations entières, sans armes, sans moyen de défense, abandonnées à elles-mêmes, mais fortes de leur courage, et plus encore de leurs solides vertus, repoussaient le joug de la tyrannie, conquéraient les armes de leurs ennemis, rendaient leurs champs fameux par des victoires signalées, et, n'oubliant pas le Dieu des miséricordes au milieu de ces triomphes, donnaient à la fois l'exemple du courage et de l'humanité. Cathelineau, Bonchamp, Larochejacquelin, Talmont, Charette, et vous tous, leurs illustres compagnons, vous serez toujours présents à notre mémoire. Votre valeur, votre noble constance, votre dévouement héroïque, votre fin glorieuse, seront à jamais un objet d'envie et d'émulation pour nos derniers neveux.

Quel spectacle que celui de ce peuple entouré de ravages, d'incendies, poursuivi dans ses derniers asiles, spectateur du meurtre de ses femmes, de ses enfants, de ses vieillards, conservant au milieu de ses ruines et des forfaits dont il est la victime, une fidélité invincible à son Roi et au Dieu de ses pères !

Dans des temps moins malheureux, on le verra encore recueillant le reste de ses forces, donner de nouveaux gages de sa foi et de son dévouement; c'est ainsi que, dans les différentes phases de nos discordes civiles, soit dans les succés, soit dans les revers, il conservera sa noble constance.

La rive droite de la Loire, théâtre des succès et des revers les plus sanglants de la Vendée, présentera peut-être à la postérité un spectacle moins brillant; mais les peuples de ces contrées n'étonneront pas moins par les preuves de leur fidélité et de leur dévouement leurs moyens de défense et d'attaque, loin de s'affaiblir, accrus par la constance de leurs efforts, étaient un sujet continuel d'inquiétude pour les gouvernements qui se succédaient, et souvent contribuaient à précipter leur chute. Quelquefois victimes de leur dévouement, leur fidélité restait invincible. On les trouve dans tous les temps, dociles à la voix de leurs chefs, prêts à reprendre les armes pour la cause de leur Dieu et de leur Roi.

Parmi ces chefs dout le fer a moissonné un si grand nombre, pourrait-on oublier Georges Cadoudal, si connu désormais par son courage et sa fin malheureuse, lui qui montra au combat de Grandchamp ce que pourrait un jour le Morbihan, lui à qui cet asile de la fidélité doit une partie de sa gloire !

Nous vous nommerons aussi, brave Châtillon, vous dont la loyauté, ainsi que celle de vos compagnons d'armes, fut avouée même par vos ennemis; et vous, Louis de Frotté, nous détestons encore la trahison dont vous fûtes victime; elle fut le présage que rien ne serait sacré pour le tyran, pas même le sang de ses maîtres.

C'est ainsi qu'à toutes les époques de notre Ré

1

volution, le principe de la royauté, quelquefois comprimé, mais jamais anéanti, était par intervalles hautement proclamé dans l'Quest.

D'autres parties de la France, moins heureuses dans leurs entreprises, ne lui étaient pas moins fidèles. La dispersion du camp de Jalais, les malheurs de Lyon et la chute de Toulon, attestaient leurs vœux, et étaient un gage du dévouement dont nos princes devaient recueillir les touchants témoignages.

Car, remarquez-le, Messieurs, on a calomnié le peuple français, on a méconnu son attachement à la monarchie légitime, on a trop oublié l'usage qu'il fit de quelques moments de liberté dans le cours de nos longs malheurs. Perdit-il jamais l'espoir de secouer le joug honteux de la Révolution? Si la politique eût profité de ses dispositions, et lui eût prêté un généreux appui, il y a longtemps que le Roi serait remonté sur le trône de ses pères; qu'on en juge par l'unanimité de ces acclamations qui, dans les braves départements du Nord, l'ont accompagné deux fois jusqu'aux portes de son palais.

Pourquoi, lors de la première Restauration, n'a-t-on pas ménagé davantage ce sentiment, lien si naturel du prince et des sujets, et le plus ferme appui du trône; pourquoi, dans les contrées ravagées par la guerre, des secours appliqués avec discernement ne l'ont-ils pas entretenu? L'esprit révolutionnaire, si habile à profiter de tous ses avantages, ne se fût pas prévalu d'une influence momentanée qu'il attendait du désespoir.

Ainsi, Messieurs, ce n'est pas seulement sur la grandeur des faits militaires, quelque glorieux qu'ils soient, que nous règlerons l'importance des guerres de l'Ouest et du Midi, mais aussi sur l'influence qu'elles ont cue pour la conservation des principes et des sentiments nécessaires au retour de la monarchie.

Si les Français ont conservé la foi de leurs pères, si le souvenir des Bourbons fut toujours présent à leur mémoire, c'est à vous, illustres guerriers, qu'ils en sont redevables. Que ne peut la religion pour la conservation des vertus et des principes sur lesquels repose la société !

L'usurpateur pouvait-il méconnaître la croyance des Français? En la voyant scellée par le sang de tant de défenseurs, l'Europe, armée contre nous, pouvait-elle ne pas user avec modération de la victoire, lorsque tant de Français étaient unis avec elle par leurs vœux et par leurs efforts pour faire triompher les principes de la légitimité?

Déjà l'Espagne, victime de la perfidie, et prête à succomber sous les efforts de l'usurpation, avait trouvé, ainsi qu'elle l'a reconnu elle-même, dans cette terre classique de la fidélité, dans cette terre honorée du suffrage de l'immortel Suwarow (1), le modèle de cette résistance à la tyrannie, auquel l'Europe a dû sa délivrance.

Ce serait donc, Messieurs, de grands et d'importants services que l'Etat aurait à récompenser, s'ils n'étaient pas, ainsi que nous l'avons dit, audessus même des récompenses. Aussi n'est-ce pas le motif qui a dirigé Sa Majesté dans ce qu'elle a voulu faire pour les armées royales; obligée de renfermer dans des bornes plus resserrées les témoignages de sa satisfaction, elle a voulu néanmoins qu'ils apprissent à ses peuples de quel prix est à ses yeux le sang répandu pour le trône et pour l'autel.

C'est à ce sentiment vraiment royal que nous

(1) Lettre du général Suwarow au général Charette. (Correspondance des Chouans.)

devons déjà ce qui a été fait, ce qui a été proposé; c'est lui qui nous explique aussi pourquoi, dès le principe, on n'a pas assimilé, pour les récompenses et pour les secours, les services des armées royales aux services des armées de ligne.

Notre honorable collègue, dans la proposition qu'il vous a soumise, aurait voulu établir la mème règle pour les unes et pour les autres; il croyait y voir un acte de justice; et, sous ce double rapport, nous devons rendre hommage à ses intentions; mais, indépendamment des motifs que nous venons de développer, il n'a pas considéré que les règles applicables à l'armée régulière, ne pouvant l'être également à des armées où le soldat, tantôt dans ses foyers, tantôt sous les armes, combattant et luttant contre les efforts de ses ennemis, était exposé, non-seulement aux blessures et à lá mort dans les combats, mais encore aux pertes, aux incendies et à tous les désastres qu'entraîne la guerre civile.

Il faut avoir égard aux différentes époques où ils ont pris les armes, aux campagnes qu'ils ont faites, aux persécutions qu'ils ont éprouvées dans les intervalles; ainsi, on ne peut pas mesurer le temps et l'étendue de leurs services, comme on le fait pour les soldats de l'armée de ligne; leurs blessures et leurs infirmités demandent quelquefois une autre règle, peut-être même est-il dans l'intérêt de tous, comme dans les vues du Roi que, sans s'assujettir scrupuleusement au tarif fixé par les ordonnances, un plus grand nombre puisse recevoir des secours que réclament, non-seulement leurs services et leurs blessures, mais aussi la misère où leur dévouement les a réduits.

Votre commission a donc pensé que, sans s'arrêter aux différentes dispositions contenues dans la proposition de M. Canuel, il fallait se borner à supplier Sa Majesté: 1o de suivre les sentiments de son cœur en faveur de ses fidèles sujets qui ont combattu pour la cause de la monarchie;

2o De donner à ces secours et à ces récompenses toute l'étendue que les circonstances pourront permettre, de sorte que les armées royales ne soient pas traitées d'une manière moins favorable que ne le sont les armées de ligne.

Mais votre commission, Messieurs, en vous proposant d'adresser au Roi ce vou en faveur des armées royales, a du naturellement se faire ces questions. Les fonds indiqués pour cette destination, et qui ne s'élèvent pas à 500,000 francs, sont-ils suffisants? N'est-il pas convenable de les augmenter même dès cette année? En attendant qu'ils puissent recevoir, dans les années suivantes, l'accroissement nécessaire, la nation ne verrait-elle pas avec douleur que, pour remplir un objet si utile, Sa Majesté fût réduite à ajouter à ses nombreux sacrifices, en prenant encore sur sa liste civile.

D'après les détails dans lesquels nous venons d'entrer, vous avez sans doute, Messieurs, déjà pressenti les réponses que demandaient ces questions; vous avez jugé que, même pour faire ce qui est le plus indispensable, la somme de 500,000 francs est insuffisante, qu'elle doit être augmentée dès cette année, et que, dans les années suivantes, elle doit être accrue dans une proportion qui soit digne de son objet et de la nation française.

Cette nation généreuse, dont vous êtes les organes, préférera toujours de s'imposer de nouveaux sacrifices pour remplir ses obligations, plutôt que de les laisser à la charge de la liste civile qui, dans les mains de Sa Majesté, est la ressource des malheureux.

Vous avez dû remarquer, Messieurs, qu'en adoptant les motifs de la proposition de M. Canuel, on ne pouvait pas admettre les dispositions contenues dans le projet de la loi qu'il vous a présenté.

Le Roi qui, déjà, s'est fait rendre compte des circonstances particulières dans lesquelles se trouvent les soldats des armées royales, peut seul déterminer le mode le plus avantageux pour leur appliquer les secours qui leur seront destinés; lui seul peut y apporter des modifications convenables. Ainsi, elles ne peuvent être la matière d'un projet de loi; et vous ne pouvez que lui faire connaître votre pensée et vos vœux sur cet objet important.

C'est par ce motif que, pour en porter l'expression aux pieds du trône, nous avons l'honneur de vous proposer une adresse.

Ce rapport sera discuté dans les délais fixés par le règlement.

La Chambre se forme en séance publique.

CHAMBRE DES DÉPUTÉS.

PRÉSIDENCE DE M. DE GROSBOIS, VICE-PRÉSIDENT.

Séance du 21 février 1816.

M. Cardonnel fait lecture du procès-verbal du 16. Sa rédaction est approuvée.

Le même secrétaire présente les hommages suivants qui sont agréés par la Chambre :

Projet d'une association nationale par voie de tontine, par M. Fournier;

Considerations générales sur l'état actuel de l'administration militaire de France au 1er janvier 1816, par M. Lenoble;

Les Merovingiens et la France sous cette dynastie, par M. le vicomte Lambert de Mauléon.

L'ordre du jour appelle un rapport de la commission des pétitions.

Voici l'analyse des plus importantes de celles sur lesquelles M. Lallart, rapporteur, soumet à la Chambre le vœu émis par la commission :

M. Lafoutans, greffier du juge de paix du canton d'Aire, départemeut des Landes, se plaint de ce que la guerre dont le Midi a été le théâtre, a produit la perte de plusieurs registres de l'état civil. Il demande une loi qui, dans le cas où des doubles des registres de l'état civil seraient perdus ou détruits, prescrive un mode simple et peu coûteux pour parvenir à remplacer les actes qui n'existeraient plus.

La commission pense que cette pétition peut donner lieu à un projet de loi, utile dans tous les temps, et peut-être nécessaire après les événements dont la France a été la victime. En conséquence, elle propose d'ordonner le renvoi à M. le garde des sceaux et au bureau des renseignements. (Adopté.)

Les présidents des consistoires réformés et de la confession d'Augsbourg à Paris, demandent que les établissements publics destinés à l'instruction de la jeunesse protestante soient placés sous la direction des consistoires protestants.

Cette demande est renvoyée à la commission chargée de l'examen de la proposition sur l'instruction publique.

M. Bain, bijoutier à Paris, se plaint de la taxe excessive qu'on a mise sur les fruits secs, servant à la boisson du pauvre; il demande qu'on la réduise à 5 centimes le kilogramme, et pour couvrir la perte qu'éprouverait le fisc par la réduction des droits d'entrée sur cette denrée, il

propose qu'on fasse payer 300 francs de patente aux marchands de vin, au lieu de 100 francs, somme à laquelle, par faveur spéciale, ils avaient été seulement assujettis par le décret du 15 décembre 1813.

La commission a jugé qu'une demande en réduction du droit d'octroi ne devait occuper la Chambre que dans le cas où elle aurait été présentée inutilement à toutes les autorités qui doivent en connaître; que la proposition d'augmenter les patentes des marchands de vin en gros, à Paris, ne peut être soumise à son examen que dans le cas où cette proposition ferait partie d'un projet de loi ou d'un projet de résolution; en conséquence, elle propose de passer à l'ordre du jour. M. le comte de Marcellus. Il suffit que cette question intéresse la classe indigente pour qu'elle soit digne par cela même de tout l'intérêt de la Chambre. Je demande le renvoi à la commission du budget.

Un autre membre. En approuvant le sentiment qui porte M. de Marcellus à proposer le renvoi, je lui ferai observer que de tels objets ne concernent en aucune manière l'Assemblée. Les tarifs de l'octroi sont l'ouvrage des conseils municipaux, et nous ne devons point nous mêler de leurs opérations.

L'ordre du jour proposé par la commission est adopté.

La veuve de M. de Rouilhan, premier baron de l'Armagnac, demande qu'une loi supplétive de celle du 5 décembre 1814 soit rendue, et que cette loi autorise le ministre des finances à considérer les ventes appartenantes à des émigrés, liquidées ou non, comme toutes les autres propriétés, et à leur en faire la restitution.

Votre commission, dit le rapporteur, considérant que cette pétition a pour objet un projet de loi qui ne peut être soumis à votre examen que

bre, vous propose de la renvoyer au bureau des renseignements.

Cette proposition est adoptée.

M. Lorrain, marchand mercier à Paris, demande une loi qui permette les mariages entre beauxfrères et belles-sœurs. Il y est très-intéressé. Sur l'avis de sa commission, la Chambre à l'ordre du jour.

passe

M. le vice-président annonce qu'il n'y a plus rien à l'ordre du jour, et indique la séance à demain à midi pour l'ouverture de la discussion du second rapport de M. de Villèle, touchant les élections.

CHAMBRE DES PAIRS.

PRÉSIDENCE DE M, LE CHANCELIER.

Séance du 22 février 1816.

A deux heures, la Chambre, extraordinairement convoquée, se réunit sous la présidence de M. le chancelier.

La séance est ouverte par la lecture du procèsverbal de celle du 20 de ce mois.

L'Assemblée en adopte la rédaction.

M. le duc de Richelieu, ministre des affaires étrangères, président du conseil des ministres, et M. le comte Decazes, ministre de la police générale du royaume, sont introduits.

Le premier, ayant obtenu la parole, monte à la tribune et s'exprime en ces termes :

M. le duc de Richelieu. « Messieurs, le Roi «< nous a chargés de faire à la Chambre une

[ocr errors]

⚫ communication dont elle sentira tout le prix. « Nous devons mettre sous ses yeux une lettre « écrite à madame Elisabeth par la feue reine « Marie-Antoinelte, quatre heures avant sa mort. « Cette lettre, où respire toute la grandeur d'âme, toute la noblesse de caractère de l'auguste com«pagne de Louis XVI, a été retrouvée dans les « papiers de l'ex-conventionnel Courtois, un des « hommes atteints par la loi du 12 janvier dernier. Elle est tout entière de la main de la Reine. La piété, la résignation, l'inaltérable bonté qu'elle « y déploie, font de cette pièce un second testa«ment digne de figurer à côté de celui de son « époux. Le Roi a voulu que la Chambre des « pairs partageât la première avec lui les senti«ments que fait naître un tel écrit, conservé « comme par miracle au milieu de tant de des«tructions. Pour le multiplier et le rendre en quelque sorte présent à tous les yeux, il en a « été gravé un fac simile, dont il sera distribué « des exemplaires à chacun des pairs et des dé« putés.

[ocr errors]

Après avoir ainsi parlé, le ministre donne lecture à la Chambre de la lettre qu'il est chargé de lui communiquer. Il en dépose sur le bureau une copie certifiée par le ministre de la police générale.

Suit la teneur de cette lettre.

Ce 16 octobre, à quatre heures et demie du matin.

« C'est à vous, ma sœur, que j'écris pour la der« nière fois. Je viens d'être condamnée non pas « à une mort honteuse, elle ne l'est que pour les «< criminels, mais à aller rejoindre votre frère; « comme lui innocente, j'espère montrer la même « fermeté que lui dans ces derniers moments. « Je suis calme comme on l'est quand la « conscience ne reproche rien j'ai un pro«fond regret d'abandonner mes pauvres en«fants; vous savez que je n'existais que pour « cux et vous, ma bonne et tendre sœur, vous « qui avez, par votre amitié, tout sacrifié pour « être avec nous; dans quelle position je vous << laisse! J'ai appris par le plaidoyer même du « procès que ma fille était séparée de vous. Hé« las! la pauvre enfant, je n'ose pas lui écrire, « elle ne recevrait pas ma lettre. Je ne sais même << pas si celle-ci vous parviendra; recevez pour «eux deux ici ma bénédiction. J'espère qu'un « jour, lorsqu'ils seront plus grands, ils pourront « se réunir avec vous, et jouir en entier de vos << tendres soins. Qu'ils pensent tous deux à ce « que je n'ai cessé de leur inspirer: que les prin«cipes et l'exécution exacte de ses devoirs sont « la première base de la vie; que leur amitié et ‹ leur confiance mutuelle en feront le bonheur; « que ma fille sente qu'à l'âge qu'elle a, elle « doit toujours aider son frère par les conseils « que l'expérience qu'elle aura de plus que lui « et son amitié pourront lui inspirer; que mon fils, à son tour, rende à sa sœur tous les soins « et les services que l'amitié peut inspirer; qu'ils « sentent enfin tous deux que, dans quelque position où ils pourront se trouver, ils ne se«ront vraiment heureux que par leur union. « Qu'ils prennent exemple de nous. Combien « dans nos malheurs notre amitié nous a donné « de consolation! et dans le bonheur on jouit « doublement quand on peut le partager avec «< un ami; et où en trouver de plus tendre, de plus cher que dans sa propre famille? Que <«< mon fils n'oublie jamais les derniers mots de « son père, que je lui répète expressément :

[ocr errors]

K

[ocr errors]

« Qu'il ne cherche jamais à venger notre mort. J'ai à vous parler d'une chose bien pénible « à mon cœur. Je sais combien cet enfant doit « vous avoir fait de la peine; pardonnez-lui, ma « chère sœur; pensez à l'âge qu'il a, et coma bien il est facile de faire dire à un enfant ce qu'on veut, et même ce qu'il ne comprend pas : « un jour viendra, j'espère, où il ne sentira que mieux tout le prix de vos bontés et de • votre tendresse pour tous deux. Il me reste à < vous confier encore mes dernières pensées. J'aurais voulu les écrire dès le commencement « du procès; mais outre qu'on ne me laissait pas « écrire, la marche en a été si rapide que je n'en « aurais réellement pas eu le temps.

[ocr errors]

« Je meurs dans la religion catholique, apos« tolique et romaine, dans celle de mes pères, « dans celle où j'ai été élevée, et que j'ai tou<< jours professée, n'ayant aucune consolation « spirituelle à attendre, ne sachant pas s'il existe << encore ici des prêtres de cette religion, et même le lieu où je suis les exposerait trop, « s'ils y entraient une fois.

« Je demande sincèrement pardon à Dieu de << toutes les fautes que j'ai pu commettre depuis « que j'existe. J'espère que dans sa bonté il « voudra bien recevoir mes derniers vœux, ainsi <«< que ceux que je fais depuis longtemps pour qu'il veuille bien recevoir mon âme dans sa « miséricorde et sa bonté. Je demande pardon à « tous ceux que je connais, et à vous, ma sœur, « en particulier, de toutes les peines que, sans « le vouloir, j'aurais pu vous causer. Je par« donne à tous mes ennemis le mal qu'ils m'ont « fait. Je dis ici adieu à mes tantes et à tous mes « frères et sœurs. J'avais des amis, l'idée d'en « être séparée pour jamais et leurs peines sont << un des plus grands regrets que j'emporte en << mourant; qu'ils sachent du moins que jusqu'à « mon dernier moment j'ai pensé à eux. Adieu, « ma bonne et tendre sœur; puisse cette lettre « vous arriver! pensez toujours à moi; je vous « embrasse de tout mon cœur, ainsi que ces « pauvres et chers enfants: mon Dieu! qu'il est « déchirant de les quitter pour toujours. Adieu, « adieu! Je ne vais plus m'occuper que de mes << devoirs spirituels. Comme je ne suis pas libre << dans mes actions, on m'amènera peut-être un « prêtre; mais je proteste ici que je ne lui dirai « pas un mot, et que je le traiterai comme un « être absolument étranger. »

Pour copie conforme à l'original écrit en entier de la main de S. M. la reine Marie-Antoinette:

Le ministre de la police générale
du royaume,

Signé Le comte DECAZE.

M. le vicomte de Châteaubriand. Messieurs, un mois juste s'est écoulé depuis le moment où vous fùtes appelés à Saint-Denis : vous y entendites la lecture du testament de Louis XVI. Voici un autre testament lorsqu'elle le fit, Marie-Antoinette n'avait plus que quatre heures à vivre. Avez-vous remarqué dans ces derniers sentiments d'une reine, d'une mère, d'une sœur, d'une veuve, d'une femme, quelques traces de faiblesse ? La main est ici aussi ferme que le cœur; l'écriture n'est point altérée : Marie-Antoinette, du fond des cachots, écrit à madame Elisabeth avec la même tranquillité qu'au milieu des pompes de Versailles. Le premier crime de la Révolution est la mort du Roi; mais le crime plus

affreux est la mort de la Reine. Le Roi du moins conserva quelque chose de la royauté jusque dans les fers, jusqu'à l'échafaud : le tribunal de ses prétendus juges était nombreux; quelques égards étaient encore témoignés au monarque dans la tour du Temple; enfin, par un excès de générosité et de magnificence, le fils de saint Louis, l'héritier de tant de rois, eut un prêtre de sa religion pour aller à la mort, et il n'y fut pas traîné sur le char commun des victimes. Mais la fille des Césars, couverte de lambeaux, réduite à raccommoder elle-même ses vêtements, obligée, dans sa prison humide, d'envelopper ses pieds glacés dans une méchante couverture, outragée devant un tribunal infâme par quelques assassins qui se disaient des juges, conduite sur un tombereau au supplice, et cependant toujours Reine!... Il faudrait, Messieurs, avoir le courage même de cette grande victime pour pouvoir achever ce récit.

Une chose ne vous frappe-t-elle pas dans la découverte de la lettre de la Reine?

Vingt-trois années sont révolues depuis que cette lettre a été écrite. Ceux qui eurent la main dans les crimes de cette époque (du moins ceux qui n'ont point été rendre compte de leurs œuvres à Dieu) ont joui pendant vingt-trois ans de ce qu'on appelle prospérité. Ils cultivaient leurs champs en paix, comme si leurs mains étaient innocentes; ils plantaient des arbres pour leurs enfants, comme si le ciel eût révoqué la sentence qu'il a portée contre la race de l'impie. Celui qui nous a conservé le testament de Marie-Antoinette, avait acheté la terre de Mont-Boissier juge de Louis XVI, il avait élevé dans cette terre un monument à la mémoire du défenseur de Louis XVI; il avait gravé lui-même sur ce monument une épitaphe, en vers français, à la louange de M. de Malesherbes. N'admirons point ceci, Messieurs; pleurons plutôt sur la France. Cette épouvantable impartialité qui ne produit ni remords, ni expiations, ni changements dans la vie; ce calme du crime qui juge équitablement la vertu, annoncent que tout est déplacé dans le monde moral, que le mal et le bien sont confondus, qu'en un mot la société est dissoute. Mais admirons, Messieurs, ⚫cette Providence dont les regards ne se détournent jamais du coupable. Il croit échapper à travers les révolutions; il parvient au bonheur et à la puissance : les générations passent, les années s'accumulent, les souvenirs s'éteignent, les impressions s'effacent tout semble oublié. La vengeance divine arrive tout à coup; elle se présente face à face devant le criminel, et lui dit en l'arrêtant: a Me voici!» En vain le testament de Louis XVI assure la grâce aux coupables: un esprit de vertige les saisit; ils déchirent eux-mêmes ce testament; ils ne veulent plus être sauvés! La voix du peuple se fait entendre par la voix de la Chambre des députés la sentence est prononcée; et, par un enchaînement de miracles, le premier résultat de cette sentence est la découverte du testament de notre Reine!

Messieurs, c'est à notre tour à prendre l'initiative. La Chambre des députés a voté une adresse au Roi, pour protester contre le crime du 21 janvier; témoignons toute l'horreur que nous inspire le crime du 16 octobre. Ne pourrions-nous pas en même temps renfermer dans cet acte de notre douleur, la proposition de M. le duc de Doudeauville? Dans ce cas, la résolution de la Chambre pourrait être ainsi rédigée :

«La Chambre des pairs, profondément touchée e de la communication que Sa Majesté a daigné lui faire par l'organe de ses ministres, arrête :

T. XVI.

[ocr errors]
[ocr errors]

«Que son président, à la tête de la grande « députation, portera aux pieds de Sa Majesté les très-respectueux remerciments des pairs de << France. Il lui exprimera toute la douleur qu'ils << ont ressentie à la lecture de la lettre de la reine « Marie-Antoinette, et toute l'horreur qu'ils éprou« vent de l'épouvantable attentat dont cette lettre « rappelle le souvenir; il dira en même temps à «Sa Majesté que la Chambre des pairs se joint de « cœur et d'âme à celle des députés, dans les sen«<timents exprimés, dans le serment prononcé « par cette dernière Chambre, relativement au « crime du 21 janvier; suppliant le Roi de per<«< mettre que le nom de la chambre des pairs ne « soit point oublié sur les monuments qui ser«viront à éterniser les regrets et le deuil de la « France. >>

Cette proposition est généralement appuyée. On demande, et l'Assemblée ordonne, l'impression du discours prononcé par l'opinant.

M. le duc de Choiseul. Messieurs, vous venez d'entendre la communication des sentiments augustes qui ont toujours animé cette Reine dont le caractère présentait l'union si parfaite de la grâce la plus noble et du courage le plus sublime; de cette digne épouse du plus juste et du plus vertueux des rois... Honoré de ses bontés, j'ose le dire, de sa confiance; désigné peut-être dans ses derniers souvenirs, n'ayant été séparé d'elle que sur le seuil du Temple, plus qu'un autre je retrouve dans ce précieux écrit ces sentiments admirables qu'elle manifestait sans cesse, cette clémence surnaturelle, ce souvenir religieux des services, ce parfait oubli des injures, enfin ces qualités si rares qui confondirent si dignement ses calomniateurs et furent toujours le désespoir de ses bourreaux. C'est avec un sentiment de joie et d'orgueil pour sa mémoire, que je vois offrir à l'admiration de la France la révélation de ses dernières pensées qui complètent l'honneur de sa noble existence. Il n'est plus permis maintenant de louer celle qui est au-dessus de toute louange; tout doit se taire, tout doit se recueillir dans le respect et la douleur. La Reine au bord du tom beau se présente à la postérité comme le modèle des mères, des épouses et des reines.

L'Assemblée ordonne pareillement l'impression de ce discours

On demande la mise aux voix du projet de résolution.

Ce projet est relu par M. de Châteaubriand. Il est ensuite mis aux voix par M. le Président, et adopté d'un mouvement unanime par l'Assemblée.

M. le Président désigne, par la voie du sort, les membres qui, avec le bureau, doivent former la grande députation chargée de porter au Roi la résolution de la Chambre.

Les membres désignés sont:

[blocks in formation]
« PreviousContinue »