Page images
PDF
EPUB

invite la commission des pétitions à faire demain un rapport sur celle de M. James Swan, colonel américain, détenu en vertu de la loi du 10 septembre 1807, auquel, dans une des dernières séances, un des membres de la Chambre a paru prendre beaucoup d'intérêt.

M. Forbin des Issarts. La pétition dont il s'agit oblige la commission à prendre différentes informations qu'elle n'a pas encore eu le temps de se procurer.

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi sur les élections et du second rapport de M. de Villèle.

M. Becquey, l'un des commissaires chargé par Sa Majesté de présenter le projet de loi et d'en soutenir la discussion, demande à être entendu.

Messieurs, la discussion solennelle, qui a déjà eu lieu sur quelques articles du projet de loi proposé par Sa Majesté, prouve que la Chambre veut examiner avec une profonde attention chacune des parties d'une loi si importante. Elle a pour objet la composition d'une des branches du pouvoir législatif, puisque cette composition variera suivant le mode d'élection qui sera consacré. Nulle question n'est donc plus digne de fixer la méditation des hommes d'Etat ; elle se rattache aux premiers intérêts de l'ordre social; et je ne croirai pas hasarder un paradoxe quand je dirai qu'une nation qui aurait une mauvaise constitution et un bon système électoral, serait mieux gouvernée, et par conséquent plus heureuse, que celle qui, avec un mauvais système électoral, posséderait la constitution la moins imparfaite.

Une loi de cette nature ouvre un vaste champ à la spéculation; car, de même que tous les esprits, pour peu qu'ils soient féconds, rencontrent facilement des combinaisons diverses, pour créer à leur gré des systèmes de constitution; de même on pourrait varier à l'infini les systèmes d'élection, si l'on ne déterminait pas avec précision le but auquel on veut parvenir. Nous avons donc pensé qu'il pouvait être utile d'entretenir la Chambre de l'intention et des principes qui nous ont guidés, dans la partie du projet qui n'a pas encore été discutée.

Le gouvernement a cru qu'il était de son devoir de puiser dans la Charte elle-même les principes et les motifs d'une loi qui est destinée à en former le complément; et il a trouvé un guide infaillible dans le préambule de la loi fondamentale, où on lit ces paroles remarquables du Roilégislateur: « Nous avons remplacé par la Chambre des députés ces anciennes assemblées du « Champ-de-Mars et de Mai, et ces Chambres du tiers-état, qui ont si souvent donné tout à la a fois des preuves de zèle pour les intérêts du peuple, de fidélité et de respect pour l'autorité « du Roi. »

Ainsi, c'est dans les anciennes assemblées du royaume, et non dans les assemblées nationales créées depuis la Révolution, que Sa Majesté a cherché, je ne dis pas le modèle de la Chambre des députés, mais le principe des hautes fonctions qu'elle est appelée à remplir. En effet, ce qui importait essentiellement au bonheur de la France, c'était qu'il existât auprès du trône une réunion d'hommes honorés de la confiance publique et choisis sur tous les points du royaume, qui aurait la noble fonction d'éclairer le monarque sur les intérêts de son peuple, et particulièrement sur ceux qui se lient aux charges de l'Etat.

Pour obtenir ces avantages, il n'était pas nécessaire que la Chambre des députés fût consti

tuée sur les mêmes bases et dans les mêmes principes que l'avaient été les assemblées des dernières époques; et il suffit de consulter l'esprit et la lettre de la Charte, pour s'assurer que la Chambre ne forme pas dans notre nouvelle organisation politique, un corps de la même nature que les diverses assemblées qui l'ont précédée. Selon la Charte, la Chambre est revêtue, comme la Chambre des pairs, du grand pouvoir de consentir l'impôt et de participer aux actes de la législation. Elle a en outre le devoir d'accuser les ministres qu'elle croirait coupables de concussion et de trahison, d'où résulie la garantie de tous les droits contre les entreprises d'un pouvoir absolu.

Du moment où il s'agit d'organiser le système électoral, on est nécessairement conduit à porter ses regards sur le caractère politique de la Chambre; car le mode d'élection doit être mis en accord avec son objet, qui est la composition de la Chambre; et si l'Assemblée actuelle diffère de celles qui ont existé pendant la Révolution, le principe d'élection ne peut plus être ce qu'il était à cette époque. Ainsi, on devra renoncer à l'opinion démocratique, qu'un député nommé par un collége électoral est le délégué de ceux qui l'ont élu. Il faudra aussi reconnaître que les électeurs ne déléguent aucun pouvoir, mais qu'ils confèrent à celui qu'ils nomment le droit d'exercer, avec ses collègues, le pouvoir confié au corps dont il fait partie; et le publiciste s'égarerait aujourd'hui sur notre droit public, s'il ne savait pas secouer le joug des théories modernes, que la Charte n'a point appliquées. Et sous cet important rapport, la nation doit encore mille actions de grâces au prince qui, en reconstruisant la monarchie, n'a pas supposé que, pour remplir leur mission avec le dévouement et l'indépendance qu'elle exige, les députés eussent besoin de se croire les mandataires du peuple; système qui menacerait de replacer tôt ou tard la France sous l'empire de ces doctrines, foudroyées par le grand Bossuet, il y a plus d'un siècle, reproduites depuis par les novateurs, et surtout par l'éloquent auteur du Contrat social, doctrines fatales, dont l'application à renversé la monarchie et ouvert sous ses pas l'abîme où la nation a été plongée pendant vingt-cinq ans.

Tout le monde est d'accord sur ce point, que le système électoral exercera une si grande influence sur nos destinées, qu'il peut compromettre la stabilité du gouvernement, ou lui donner une nouvelle force, suivant le mode dans lequel il sera conçu. Or, c'est à la stabilité, c'est à l'accroissement d'une force nécessaire au repos comme au bonheur de la France que tend le projet de loi. Pour être fidèle à la Charte, il fallait ne pas se soumettre aux théories qu'elle n'admet pas, et lorsque nous avons reconquis la monarchie, le système électoral ne peut pas être fondé sur des principes anti-monarchiques.

Votre commission, Messieurs, a voté, conformément au projet de loi, pour deux degrés d'assemblées électorales : les assemblées de canton et les assemblées de département. Comme le gouvernement, elle écarte les élections directes par arrondissement. Suivant ce dernier mode, les électeurs qui payent 300 francs d'impôt jouiraient seuls de l'exercice des droits politiques; ils jouiraient d'une sorte de privilège exclusif, et il est facile de prévoir que les choix que feraient des assemblées électorales, composées dans ce système, inspireraient peu de confiance à la généralité des citoyens; qu'une Chambre de députés ainsi nonimée ne serait

pas aussi populaire qu'il est désirable qu'elle le soit, dans l'intérêt du Roi, comme dans l'intérêt du pays; que ses éléments la rapprocheraient trop de la Chambre des pairs dont la destination est éminemment aristocratique, et que la nombreuse partie de la nation qui a d'autres intérêts, pourrait s'alarmer d'une telle combinaison. D'ailleurs, la royauté aurait presque autant à s'inquiéter d'une aristocratie exclusive que de la démocratie elle-même; enfin l'intervention d'un élément populaire est nécessaire dans une monarchie tempérée. On ne doit sans doute l'admettre qu'avec mesure et prudence; mais son emploi bien réglé tend à augmenter la force du gouvernement; et personne n'ignore que si le peuple n'a jamais réclamé en vain le secours et la protection du trône, nos rois ont dû le développement de leur autorité tutélaire à l'appui qu'ils ont trouvé dans les communes affranchies.

La commission a aussi pensé avec le gouvernement, qu'il était impossible d'accorder au commerce des élections particulières, et sur cette question importante, il suffirait de se reporter aux motifs donnés par M. le ministre de l'intérieur, lorsqu'il vous a présenté la loi. Mais comme la proposition pourrait être renouvelée pendant le cours de la discussion, et qu'elle intéresse une classe nombreuse et respectable de citoyens si utiles à l'Etat, je crois devoir répéter que les principes de la Charte et l'intérêt général de la natíon ne permettent pas que les députés se réunissent dans une même assemblée à des titres divers, et qu'il importe au contraire qu'il y ait pour tous unité de vocation. On ne serait fondé à admettre les uns, comme députés des propriétaires, et les autres comme députés du commerce qu'autant qu'on leur supposerait des vues et des intérêts contradictoires, tandis que dans cette Chambre, tous les intérêts doivent se confondre dans le sentiment unique du bonheur de la nation. D'ailleurs, il ne faut pas douter que partout où le commerce domine, la majorité des suffrages se réunira le plus souvent sur des négociants qu'on verra, à l'exemple de ceux qui siégent dans cette enceinte, répandre la lumière sur les discussions où le commerce et l'industrie sont intéressés. Enfin tous les membres de cette Chambre seront des Français; qu'ils soient propriétaires ou négociants, tous concourront avec le même zèle à la prospérité de l'agriculture et du commerce, deux sources fécondes de la richesse et de la puissance de l'Etat.

J'arrive à la formation des assemblées cantonales, objet sur lequel la commission diffère le plus du projet présenté par le gouvernement. Les assemblées cantonales sont la pierre fondamentale de l'édifice, puisque c'est là que commencera la réalité des droits politiques. C'est là, en effet, qu'on trouvera cette portion de citoyens, qui, par leurs propriétés, leur industrie, leur éducation, ont un véritable intérêt à l'ordre social. C'est la nation elle-même, ce sont ces francs-tenanciers, ces hommes libres que nous voyons figurer aux assemblées publiques, dès l'origine de la monarchie, ce sont les notables des temps postérieurs, ceux enfin que les Capitulaires de Charlemagne prescrivaient de consulter dans les affaires publiques.

Suivant le projet que je défends, les Assemblées de canton seraient composées de deux éléments dont l'alliance semble offrir toutes les garanties et est essentiellement monarchique.

Le premier de ces éléments est et devait être la priété, qui d'un côté supporte principalement

le poids des charges de l'Etat, dont les intérêts sont étroitement liés à la stabilité du gouvernement et au maintien de l'ordre social; la propriété, à qui appartient exclusivement la coopération législative, dans l'esprit de la Charte et dans l'intérêt national.

Le second élément est un choix de citoyens, exerçant des fonctions publiques, la plupart gratuites, qui sont honorés de la confiance du gouvernement, mais qui ne sont pas pour cela dans un état de dépendance comme citoyens, ces maires des communes, ces administrateurs des établissements de charité, qui d'ordinaire sont choisis parmi les plus imposés, des hommes enfin qui se dévouent gratuitement au service public avec un zèle qu'il est convenable de distinguer. On y place également les ecclésiastiques exerçant le ministère, dans l'espoir que leur présence aura un effet moral, toujours salutaire dans l'influence politique.

Telles seraient les assemblées cantonales dans le même système du gouvernement, et je me permets de faire cette question: Les soixante plus imposés de chaque canton et les fonctionnaires que le projet désigne ne sont-ils pas réellement les habitants notables du canton, et s'ils le sout en effet, à qui peut-on confier avec plus de sûreté la nomination des électeurs chargés de choisir de bons et loyaux députés?

Je prie la Chambre d'observer que le droit de nommer ces électeurs ne fait pas partie des droits publics des Français énumérés dans le titre Ier de la Charte, et c'est pour cela qu'il ne serait ni constitutionnel ni irrégulier de laisser le droit de nommer les députés aux seuls citoyens payant 300 francs d'impôt, comme le proposent des esprits très-éclairés; alors point d'assemblées primaires, point d'assemblées cantonales. Je viens de combattre ce système par des considérations politiques que je ne rappellerai pas; mais j'ai le droit de m'appuyer sur les principes du système pour conclure qu'en réglant la composition des assemblées cantonales, le législateur n'est soumis à aucune disposition fondamentale, qu'il ne doit prendre des motifs de décision que dans des considérations d'utilité publique, et que, quelle que soit la résolution qui aura une telle base, on n'aura porté atteinte à aucun droit. Ainsi ce n'est pas d'après une théorie antécédente, mais d'après le seul intérêt de l'Etat que l'on doit décider cette importante question; et s'il y a quelque avantage à comprendre les fonctionnaires parmi les membres des assemblées électorales, la loi peut, elle doit les y admettre.

Mais la commission oppose à ce projet : « Que « la présence des fonctionnaires pourrait contra«rier la liberté des élections, qu'il est indispen<< sable qu'elle soit le plus possible le résultat de << l'opinion, et que le concours de tous les citoyens « qui jouissent d'un état et d'une fortune indé« pendante, est nécessaire pour nommer les élec«teurs qui doivent choisir les députés chargés de « l'exprimer. »

"

La commission écarte ceux qui n'auraient de titres que leurs fonctions, et admet aux assemblées cantonales tous ceux qui acquittent 50 francs de contribution directe.

Si c'est le besoin de l'uniformité qui fait préférer ce système, la réflexion apprendra qu'il convient d'y renoncer; car les résultats ne répondraient pas à l'attente et rien ne serait plus inégal que cete apparente égalité. D'abord la richesse ou la pauvreté d'un pays introduiraient la plus grande inégalité dans le nombre des électeurs de canton.

Tel en réunirait à peine trente ou quarante; tel autre en aurait mille, ce qui a obligé la commission à proposer la division des assemblées en section mode difficile, qui entraîne beaucoup d'abus, qu'il n'est pas nécessaire d'indiquer. Il faut encore observer que la contribution foncière est la seule qui se perçoive sur des bases uniformes indépendantes de la population. Les contributions personnelle et mobilière, les patentes et l'impôt des portes et fenêtres s'élèvent en raison de la population de la commune, et non en raison de la fortune des contribuables. Ainsi, selon le plan de la commission, le nombre de ceux qui exerceraient un droit politique serait proportionnellement bien plus considérable dans les villes que dans les campagnes, dans les grandes villes que dans les petites. Et la même classe de patentes qui ferait un électeur primaire à Bordeaux ne le ferait point à Périgueux.

Penseriez-vous, Messieurs, que l'on doive tendre à multiplier ainsi les membres des assemblées cantonales dans les grandes communes, où les hommes aisés seront toujours si nombreux? le contraire ne vous paraîtrait-il pas plus équitable et surtout plus politique? Qu'est-ce donc qu'une assemblée cantonale, sinon une réunion de citoyens chargée de nommer des électeurs et qui n'a d'autre devoir que de confier la fonction électorale à ceux qu'elle croit le plus dignes de la remplir? Ce n'est pas sans doute pour faire jouir un certain nombre de Français de l'exercice d'un droit politique que vous voulez établir ce premier degré d'assemblée; c'est pour obtenir de bons choix; car s'il en était autrement, si vous vouliez nous placer dans une autre théorie, ce ne serait pas à ceux qui payent 50 francs de contribution qu'il vous serait permis de vous arrêter, et s'il s'agissait d'un droit, il faudrait bien l'accorder à d'autres qui seraient fondés à réclamer contre une privation que rien ne pourrait justifier.

C'est ainsi que je crois pouvoir répondre à la commission qui reproche à notre projet d'établir une différence injuste dans l'exercice du droit de voter entre les citoyens des diverses parties du royaume. La commission n'a pas assez considéré qu'une assemblée cantonale est une réunion locale qui, pour faire de bons choix, doit être assez nombreuse et ne l'être pas trop; que ceux qui y seront admis n'auront d'autre droit que celui que la loi leur donnera, et que la loi ne leur accordera pas ce droit pour eux-mêmes, mais uniquement dans l'intérêt de leur mission.

Les principaux habitants d'un canton sont partout les plus imposés, parce que l'importance d'un citoyen est toujours relative à l'existence de ceux qui l'environnent. Il arrive que tel qui n'acquitte qu'une contribution de 40 francs en Limousin est bien plus notable que celui qui paye 100 francs, 200 francs dans une province riche, où les fortunes particulières sont très-multipliées. Si donc vous voulez que les assemblées cantonales soient composées de l'élite des propriétaires de chaque contrée, appelez-y les plus imposés selon le mode qui vous a été présenté par le gouvernement.

Mais, ainsi que je l'ai déjà fait observer, c'est particulièrement sur l'exclusion des fonctionnaires que la commission insiste dans son rapport, car c'est par erreur qu'on les nomme électeurs de droit, pour les distinguer des membres des assemblées cantonales qui y entreraient comme contribuables. En effet, si on y admet les plus imposés, d'après notre projet, ou tous ceux qui acquittent 50 francs de contribution, comme le propose la commission, ils seraient, ainsi que les

fonctionnaires, des électeurs de droit, puisque la somme de contribution ou les fonctions détermineraient le droit des uns et des autres.

Les dispositions du projet, présenté par le gouvernement, montrent assez qu'il a considéré la propriété comme la base sur laquelle le système électoral doit être établi. Les plus imposés du canton seraient toujours en nombre plus que triple de celui des fonctionnaires qui, quoique admis par le titre de leurs fonctions, ne seraient pas pour cela des prolétaires; on pourrait même dire que presque tous, à l'exception des curés, compteraient parmi les principaux contribuables. Cependant on craint de les admettre si leur taxe se trouve inférieure aux 50 francs exigés..

Ainsi on ne reconnaîtrait d'autre tribut payé à l'Etat que celui qui s'acquitte en argent; le tribut du temps, du dévouement, des lumières payé par la vertu serait compté pour rien. Ce tribut cependant est celui qu'on paye dans les fonctions publiques, surtout quand elles sont gratuites.

Si l'on cherche dans un électeur primaire l'éducation, l'intégrité, la connaissance des affaires et des intérêts locaux, le dévouement au Roi, la fidélité aux lois, l'amour de la patrie, comment s'élève-t-on contre l'idée d'admettre celui qui de sa personne sert le prince et la patrie?

On craint que le fonctionnaire ne manque d'indépendance; mais un simple propriétaire que son indifférence, d'autres causes peut-être, éloignent de toutes fonctions, connaitra-t-il mieux les intérêts de son pays que le maire qui l'administre, et qui jouit de la confiance des habitants?

On dit que le maire est choisi par le Roi; mais nous savons que de nécessité, on le choisit toujour parmi ceux qu'appelle le vœu des habitants; autrement le but serait manqué c'est une sorte d'élection populaire que l'autorité juge et confirme.

On veut de l'indépendance. Où trouvera-t-on une indépendance plus vraie et plus entière que dans le juge inamovible? On veut de l'indépendance'; il faut donc la chercher dans le sentiment des devoirs; et où trouvera-t-on mieux ce sentiment des devoirs que dans ces vénérables pasteurs qui remplissent des fonctions aujourd'hui si pénibles et presque gratuites, et qui tous resteraient exclus de vos assemblées, parce que la Révolution a dévoré le patrimoine de leurs paroisses?

D'ailleurs toute fonction publique, et surtout le ministère ecclésiastique, ne suppose-t-elle pas un capital employé pour une longue et coûteuse instruction? Ce capital, dont la société recueille les intérêts, est aussi une propriété quoique non inscrite au rôle des contributions.

Enfin, quand la présence d'un magistrat, d'un ecclésiastique ne serait qu'un élément moral dans une élection, elle y serait politiquement utile; et si l'on veut que le titre de membre d'une assemblée cantonale soit honorable et honoré, il ne faut pas se refuser à en faire un objet d'émulation et une récompense pour les services publics.

Messieurs, je crois avoir prouvé que le système d'assemblées cantonales qui vous est proposé par le gouvernement ne contrarie aucune des dispositions de la Charte, et que la réunion des propriétaires les plus imposés avec les autres notables de chaque canton, offre toutes les garanties qu'il est possible de désirer pour la bonté des choix. Plusieurs observations que j'ai soumises à la Chambre sur les assemblées cantonales, sont applicables aux colléges électoraux de département, et je m'abstiendrai aujourd'hui de vous

que les habitudes d'une nation sont une des propriétés qu'elle se montre le plus jalouse de conserver; que du respect que l'on a pour ces habitudes dépend sa disposition à s'attacher au gouvernement nouveau ou sa répugnance à le

communiquer les réflexions auxquelles donnent lieu les autres articles du projet de votre commission. Mais avant de terminer ce premier discours, souffrez, Messieurs, que je témoigne mon étonnement sur le soin inquiet avec lequel on semble vouloir prévenir toute influence de la cou-servir, et qu'il est d'une sage politique de les

ronne sur la nomination des députés, comme si l'influence qui descend d'un trône destiné à maintenir toutes les institutions, à veiller sur tous les intérêts était un danger pour l'Etat. On s'appuie sans cesse sur l'exemple d'un gouvernement voisin, et on néglige de se souvenir que ce gouvernement ne doit sa durée qu'aux influences directes qu'il exerce sur un grand nombre d'élections, et on oublie surtout qu'en France la royauté doit être et est en effet tout autre chose que la royauté de l'Angleterre. Le Roi, Messieurs, nous a donné la Charte; pourrait-on lui disputer les moyens d'en suivre la vie et le mouvement? Et parce que l'usurpateur a fait peser son joug de fer sur le corps législatif comme sur la nation entière, serait-il permis de conclure des violences de la tyrannie contre un gouvernement paternel et légitime? Enfin, la Chambre des députés ne sera-telle pas toujours composée de Français, et l'indépendance des opinions n'est-elle pas un des traits les plus saillants du caractère de notre nation? Sans doute l'asservissement de la Chambre serait un malheur public; mais est-ce donc le seul malheur qu'il faille craindre, et le danger contraire ne serait-il pas encore plus funeste? Ah! qu'on écarte de vaines alarmes! Sous l'empire des Bourbons, les Chambres sauront toujours user avec courage du pouvoir qui leur est confié; elles sauront toujours faire parvenir aux pieds du trône toutes les vérités utiles, et, pour ne citer qu'un exemple de l'indépendance du caractère français, je rappellerai qu'en 1787, des hommes nommés par le Roi seul, choisis dans les rangs les plus élevés de la société, au sein même de la cour, furent réunis à Versailles sous les yeux du souverain, en assemblée de notables, et qu'ils rejetèrent tous les plans du gouvernement.

Je finis avec la confiance que la Chambre aura reconnu dans les observations que je viens de lui soumettre, les véritables sentiments qui m'animent, ceux d'un fidèle serviteur du Roi et d'un bon et loyal député.

M. le baron d'Hausscz (1), député de la Seine-Inférieure. La France attend de vous un système d'élections approprié aux intérêts de l'Etat, analogue à nos mœurs, conforme à nos lois constitutives. Le projet présenté par les ministres du Roi, les amendements proposés par votre commission remplissent-ils toutes ces conditions? Je ne le crois pas, et cette opinion paraît être partagée par un grand nombre de membres de cette Assemblée.

Le caractère principal de toutes nos révolutions, celui qui s'est constamment reproduit à chacun des changements survenus dans la forme de notre gouvernement a été un besoin de renouveler les institutions créées par le gouvernement précédent, quelque bonnes, quelque bien établies, quelque confirinées quelles fussent par le temps et par l'expérience; on s'est plu à méconnaître ce principe si simple qu'il en paraît trivial, tellement avoué qu'il semble inutile de le citer : qu'un gouvernement qui s'établit doit s'accommoder des institutions qu'il trouve existantes;

(1) Le discours de M. le baron d'Haussez n'a pas été inséré au Moniteur.

adopter au moins provisoirement, et de ne s'occuper de les modifier que lorsque le silence des passions permet à la raison de faire entendre ses conseils. Si l'on convient de ce principe, Messieurs, on conviendra aussi qu'il s'applique d'une manière absolue aux circonstances présentes. Pourquoi donc, sans nécessité, changer un système d'élections contre lequel s'élevaient peu de réclamations, depuis surtout qu'il avait été amélioré par l'ordonnance du 13 juillet, et que de légères modifications pouvaient rendre parfait ? Simple dans son mécanisme, calculé de manière à faire émaner les élections du peuple (par ce mot, j'entends la portion de la société qui, ayant des intérêts à défendre, doit seule être appelée à choisir ses mandataires), il ne s'agissait, pour le rendre parfait, que de déterminer, pour l'organisation des assemblées cantonales, un mode différent de celui adopté à leur création. Il avait en outre l'avantage de satisfaire la modeste ambition d'une foule de citoyens, de les classer dans la société, de les entourer d'une considération utile, d'établir enfin le premier anneau de la chaîne des distinctions qui sont dans l'essence d'une monarchie. Dans leur composition actuelle, les colléges électoraux ont-ils produit des choix que l'Etat puisse redouter, que la nation doive désavouer; et longtemps avant le retour du Roi, le despotisme avaitil pu tellement influer sur ces corporations que parmi les hommes qu'elles investissaient de leur confiance il ne s'en soit pas trouvé que la France cite avec orgueil, parce que les premiers ils ont donné l'idée d'une résistance possible; parce qu'en s'opposant au tyran ils l'ont séparé du peuple; parce qu'enfin l'éclat de la lutte entre la représentation nationale et l'usurpateur de l'autorité souveraine a dessillé les yeux les plus fascinés et préparé le bonheur de la France.

J'ose vous le demander, Messieurs, l'institution que produisit de tels résultats ne devait-elle pas être respectée? C'est elle cependant que, sans examen, sans discussion préalable, le projet de loi présenté par les ministres tendrait à ànéantir, pour lui substituer des assemblées sans consistance et sans garantie, parce que la propriété ne serait plus la base essentielle de l'admission, parce que, multipliées à l'infini, elles donneraient un nombre infini d'électeurs, et que la considération attachée à ce titre serait en sens iuverse de ce nombre, parce que certaines fonctions indépendantes du principe de la propriété donneraient aux titulaires le droit de siéger dans les colléges, dont une portion considérable des membres, placée dans la dépendance du gouvernement, échapperait difficilement au soupçon d'être influencée par lui.

Plusieurs des vices reprochés au projet de loi présenté par les ministres du Roi, ont, il est vrai, disparu dans le projet de votre commission. La propriété devient une condition absolue du droit de voter, et l'opinion publique n'aura plus pour organes des hommes dont la volonté, dont la faculté même d'indépendance pourraient être suspectées.

L'âge des électeurs, la quotité de contributions qu'ils devront payer, écarteront les dangers que présentent et la disposition trop constante de la première jeunesse, et celle non moins reconnue

de l'indigence, de se laisser entraîner par des insinuations perfides.

Les deux projets concordent dans les attributions des assemblées cantonales. Ils leur assi gnent la nomination des électeurs du collège du département et la désignation des candidats pour les conseils d'arrondissement.

C'est ici que se place le reproche principal que je me permettrai de faire à ce mode d'élections. Si l'on juge par analogie, on trouvera dans cette disposition un défaut d'hiérarchie, puisque, dans le système administratif, il n'existe aucun rapport entre les cantous et l'administration départementale. C'est donc une sorte d'inconséquence de supprimer un des degrés de l'échelle actuellement existante, et c'est rompre sans nécessité un ordre d'idées sagement établí.

Le système des élections n'est bon qu'autant qu'il recueille la confiance de tous les citoyens, pour en rendre dépositaires quelques-uns d'entreeux. Si vous considérez l'organisation actuelle de la France, vous compterez pour beaucoup ces divisions secondaires que l'on nomme arrondissement, parce qu'elles sont plus rapprochées du peuple, plus dans la confidence des intérêts des localités que les départements eux-mêmes. Les départements n'offrent jamais qu'un centre, les arrondissements représentent tous les rayons qui viennent y aboutir. Ils ont des vœux, des espérances, des intérêts qui leur sont propres, mais qui ne sont que trop souvent négligés, s'ils ne sont pas défendus par le crédit d'un homme revêtu d'un caractère public. Cet homme, ils le trouveront dans le député qu'ils auront indiqué par une première désignation, et qui, par reconnaissance, fera retentir jusqu'au pied du trône les justes réclamations de ses commettants, comme par devoir, il se rendra dans cette enceinte l'interprète de leurs opinions.

Dans tout ce qui tient aux élections, ce qui est le plus près du peuple est le meilleur; et, certes, il est regrettable, comme l'a dit le ministre de Sa Majesté, que les élections directes ne puissent pas être admises en France. Mais à défaut des élections directes, ne nous privons pas de ce qui est le plus rapproché, c'est-à-dire, des collèges d'arrondissement. Je regretterai d'avoir vu le ministre et votre commission garder l'un et l'autre le silence sur l'introduction des candidats sur notre système d'élections. Cette heureuse application d'un usage consacré par l'expérience des peuples de l'antiquité, était due à la profonde sagesse du Roi, et, par cette seule raison, méritait au moins d'être discutée.

Qui ne reconnait que le double choix d'un même sujet est la meilleure garantie de sa bonté? Comment a-t-on pu abandonner si vite un système aussi fécond en bons résultats? N'avezvous pas vu, Messieurs, comment les choix des candidats, n'offrant pas le même intérêt que celui des députés, la première élection a été moins tourmentée par l'intrigue et plus réellement libre, et combien à influé sur la facilité, sur la tranquillité des élections définitives, cette circonstance qu'elles ont été resserrées à un petit nombre d'hommes désignés?

En Angleterre, les choix ne sont tels que nous les voyons, que parce que l'opinion publique, si puissante dans ce pays, s'arrête sur un certain nombre de candidats signalés à l'avance par leurs talents, leur fortune, leur nombreuse clientèle et les dépenses qu'ils font pour obtenir des suffrages.

Rien de tel ne se présente en France, et c'était

une ingénieuse idée que d'y suppléer par une forme d'élections, qui, seule, pouvait Peremplacer, et assurer de bons choix sans porter atteinte à la liberté des votes, comme l'eût fait l'adjonction aux diverses assemblées d'un certain nombre de magistrats et de fonctionnaires.

Enfin, je le répète, Messieurs, la désignation des membres de cette Assemblée donnait à cette forme la sanction d'une expérience anticipée; et j'espère que des voix plus éloquentes que la mienne s'élèveront pour défendre notre propre origine, premier acte de naturalisation, et, si j'ose m'exprimer ainsi, premier titre de noblesse du système électoral en France.

Mais les colléges électoraux d'arrondissement eussent-ils été inutiles sous le dernier gouvernement, ils ont reçu de l'ordonnance du 13 juillet une importance et une utilité réelles qu'ils ne doivent plus perdre. En effet, ils élaborent l'opinion sur les choix qui peuvent être désirés par les localités; ils indiquent, par la désignation des candidats, les hommes sur lesquels les suffrages doivent se réunir; ils offrent à la reconnaissance publique le moyen de s'acquitter envers les citoyens que leurs vertus et leur dévouement signalent. Sans ces désignations préliminaires, les Votes des collèges de département flotteront incertains sur la masse entière des éligibles, jusqu'à ce que l'intérêt ou le caprice les fixe sur des hommes que n'aurait pas avoués la masse de leurs concitoyens.

Il est donc dans l'intérêt du gouvernement, qui obtiendra une plus forte garantie de la bonté des choix dans celui des arrondissements qui participeront aux élections d'une manière prèsque immédiate, de conserver les colléges d'arrondissement.

Dans une des précédentes séances, Messieurs, j'ai développé mon opinion sur la nécessité d'admettre les dispositions de l'ordonnance du 13 juillet, relatives au nombre des députés, à leur répartition entre les départements et à l'âge auquel un citoyen est éligible. Aucune des objections qui ont été opposées à cette opinion ne m'a paru assez forte pour la faire changer. J'ai trouvé même dans l'éloge que tous les orateurs ont fait des députés, que les deux projets déclareraient inhabiles à être réélus, un nouveau motif d'insister sur ma proposition de reporter à vingt-cinq ans l'aptitude d'éligibilité que l'on vous propose de fixer à quarantě.

Je persiste également dans mon opinion sur la nécessité de rendre intégral le renouvellement de la Chambre, que les ministres proposent d'opé rer par cinquième.

Les additions au projet de la commission, que je vais avoir l'honneur de vous proposer, auraient l'avantage de compléter notre système d'élections, de le rendre simple en y faisant concourir d'une manière plus directe tous les citoyens, de se rapprocher d'un système longtemps essayé, et confirmé récemment encore par la plus heureuse expérience.

Ainsi, sans rien donner au hasard, sans remuer de nouveau ce terrain si mouvant, sans chercher à épuiser toutes les combinaisons du système électoral, en nous servant d'un instrument déjà éprouvé, nous arrivons à ce premier et fondamental résultat de donner pour base de la représentation nationale, la propriété, par laquelle la société fut créée et se soutient, et pour laquelle il faut faire toutes les lois, parce que toutes sont destinées à fortifier et à conserver la société. Nous n'appellerons dans cette Chambre des députés que

« PreviousContinue »