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pour le moment présent. Mais les hommes passent et les institutions demeurent. Aujourd'hui ici, demain nous pouvons disparaître. Créons pour l'avenir et non pour le temps qui fuit. Je le dis avec conviction, l'extrême mobilité des esprits m'inquiète, et je ne connais pas de système d'élection qui puisse garantir la stabilité du gouvernement contre l'influence d'une Chambre qui aurait exagéré sa force. Mon esprit ne se repose que sur les garanties que le pouvoir royal s'est réservées dans sa prévoyance. Faisons mieux encore que de bonnes lõis; donnons à nos successeurs l'exemple du respect pour la loi fondamentale, exemple efficace pour le maintien de l'équilibre établi entre les différents corps de la puissance législative, exemple de modération rare sans doute, mais précieux, d'une autorité éminente dans l'Etat, qui se montrera disposée à céder plutôt quelque chose de sa force momentanée que d'étendre ses attributions.

De ces principes, Messieurs, découlent quelques observations sur les dispositions principales du projet de loi.

Je ne puis admettre avec votre commission le système des élections cantonales, parce que je le crois contraire au principe de la monarchie, contraire à l'article 40 de la Charte, qui n'accorde le droit de suffrage que sous la condition de payer 300 francs de contribution; dans l'un et dans l'autre des deux projets qui vous ont été présentés, on s'est écarté de cette condition imposée par la Charte.

On objecte, à l'égard des colléges électoraux de canton, que la Charte ne règle aucune condition pour ceux qui seraient appelés à choisir les électeurs. Mais elle a tout réglé en excluant du concours à l'élection, du droit de suffrage, celui qui ne paye pas 300 francs, et l'électeur de l'électeur n'est pas moins important pour le résultat, que l'électeur lui-même. Repoussés par la Charte, les colléges électoraux le sont aussi par l'esprit de la monarchie. Si on substitue à 364 colléges d'arrondissement environ 2,000 colléges de canton, alors non-seulement l'influence de la couronne sera nulle sur les colléges, mais l'influence de l'aristocratie, cet auxiliaire de la couronne, sera elle-même perdue pour ces cantons.

Je suppose qu'un homme éminent, soit par son caractère moral, soit par sa fortune, exerce une grande influence sur son arrondissement; restreint par le système d'élection cantonale à ne l'exercer que sur un seul canton, elle devient nulle pour tous les autres. Or, à peine dans certains arrondissements se trouvera-t-il deux hommes appelés par leur position à jouir de cette grande considération qui produit aussi une grande influence... Les petits intérêts individuels et locaux l'emporteront ainsi dans la plupart des cantons, et par suite, dans les collégés de déparment sur les grands intérêts conservateurs qui se rattachent éminemment à cette couronne qui les protége à son tour.

Le projet de loi présenté par les ministres, celui de la commission n'offrent aucune garantie de la bonté des choix. Les hommes appelés à composer les colléges de canton n'auront pas assez de lumières pour apprécier ceux qu'ils devront choisir. On a oublié la sage loi de Solon qui exigeait un revenu de 200 mesures pour remplir des fonctions publiques; celle de Servius Tullius qui, dans la composition des centuries, rejeta dans les dernières les nombreux prolétaires dont il voulait paralyser l'influence. A plus forte raison devonsnous écarter des élections une multitude qui ne

T. XVI.

désire que le repos, qui s'éloigne naturellement de toutes les affaires politiques et qu'il serait imprudent d'agiter de nouveau.

Je sais qu'on a dit que sous le gouvernement de Buonaparte les assemblées primaires s'étaient réunies sans inconvénient; mais il est fort dangereux d'établir des comparaisons sans tenir compte des différences: or, ici, elle est immense. Celui dont on parle avait transporté dans toutes les parties de l'action politique la précision et la régularité des évolutions militaires.

Mais quel jeu nouveau se présenterait aux calculs et aux spéculations de l'intrigue sous un gouvernement libéral et paternel? Et jugez, Messieurs, combien est sage la disposition de la Charte, qui ne permet de voter dans les colléges électoraux qu'à ceux des citoyens qui, par une contribution de 300 francs au moins, présentent une garantie de leur éducation, de leurs lumières, de leur esprit modéré et conservateur. Nous avons une loi précise, commençons par l'exécuter.

Je ne sais même pas si les électeurs de canton se trouveraient satisfaits de leur lot, s'ils n'aspireraient pas à élire eux-mêmes les députés. Je me rappelle cette distinction de citoyens actifs et passifs, imprudemment établie par une de nos assemblées; je songe aux envahissements qui en furent la suite, et j'en reviens à la Charte, plus convaincu encore de sa sagesse et de sa pré

voyance.

Si l'on me demande ce que je prétends substituer aux projets de loi que je combats,je réponds qu'il me paraît presque impossible de produire un nouveau projet quand on en a changé toutes les bases. Je demanderai du moins que nous portions une résolution qui soit en harmonie avec la Charte; mais je préférerais que l'on tînt aux colléges d'arrondissement où le gouvernement peut excercer une salutaire influence. Ecartons-nous le moins possible du système d'élections directes. Par exemple, les collèges d'arrondissement pourraient présenter des candidats à la Chambre des députés, les colléges de département choisiraient dans le nombre de ces candidats; par ce moyen, la règle fondamentale serait conservée. Si, dans les premiers choix, l'intérêt local avait prévalu, le gouvernement serait encore à temps de réparer les erreurs lors des choix définitifs.

Je fais ici ma profession de foi. Ce que je crains le moins dans notre système représentatif, c'est l'influence de la couronne et des ministres du Roi. Je pose en fait que le ministère eût-il seul produit le choix des membres d'une Chambre des députés, il ne l'aurait pas encore toute pour lui. Cette vérité sera sentie par ceux qui ont observé les effets de la contrariété humaine.

Quant à l'âge requis pour l'admission des députés dans la Chambre élective, je me plais à reconnaître que l'esprit de la Charte a inspiré votre commission. Elle a senti que la maturité éloigne les rêves d'une perfection chimérique et des idées d'indépendance qui sourient trop à la jeunesse inexpérimentée; qu'il est essentiel d'avoir des députés parvenus à cette époque de la vie où l'on commence à sentir le prix du repos, de la stabilité pour soi-même et pour ses descendants, âge en un mot qui prête davantage à l'influence de la

couronne.

Mais par le même motif, je ne partage point son opinion sur le nombre de députés dont la Chambre doit être composée, car ici l'âge se lie nécessairement au nombre ; autrement ce que l'on gagnerait de garantie dans un cas, se trouverait perdu dans l'autre.

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Autre inconvénient si la Chambre est nombreuse, non-seulement il la faut jeune, mais encore non gratuite. Dans l'état actuel de la richesse publique et particulière, il n'y a pas assez de citoyens qui jouissent d'une fortune suffisante pour accepter des fonctions gratuites. Plus les députés seront nombreux, plus on aura de peine à en trouver de cette catégorie. Alors la nécessité d'une indemnité se fait sentir, et quelle Chambre votera cette indemnité? Vous voyez qu'ici l'on recule la difficulté sans pouvoir la résoudre. La corruption sera plus à craindre si les fonctions sont salariées, car on cherchera à conserver une fonction qui pourra être considérée comme place lucrative. Si vous voulez qu'aucun traitement n'altère la noblesse de vos attributions, renoncez à multiplier le nombre des députés à la Chambre élective.

Il me reste à discuter une dernière base, le renouvellement partiel ou intégral de la Chambre. Ici la Charte a parlé, ses dispositions sout claires, sans équivoqué.

On a voulu flétrir l'origine du renouvellement par série; mais c'est l'expérience qui en a fait apprécier les avantages. Le cinquième renouvelé s'assimile plus aisément avec les quatre séries; l'influence ministérielle se maintient aussi plus aisément au profit de l'administration générale et de la stabilité. Le renouvellement par masse, au contraire, avec la mobilité du caractère français, et le défaut d'esprit public, exposerait l'Etat à passer périodiquement de crise en crise quiconque méditera profondément ces deux conditions particulières à notre pays, n'hésitera pas à considérer le renouvellement partiel comme indispensable au maintien et à la sécurité du gouvernement royal, dont il ne peut gêner aucune des prérogatives, et qui toujours usera, comme il vient de le faire, du renouvellement intégral, lors seulement qu'il le jugera comptatible avec le bien de l'Etat.

Je dois encore répondre à une objection qui peut m'être faite. On dira: Si vous croyez à l'impossibilité d'admettre un projet de loi dont vous rejetez les bases, vous croyez donc aussi que l'on peut se passer de loi sur les élections. Je réponds qu'il est possible d'attendre; que l'on peut renvoyer à la session prochaine. Le Roi veut la Charte; et comme l'article 76 veut qu'un cinquième de la Chambre soit renouvelé en 1816, suivant l'ordre établi entre les séries, rien n'empêche que le Roi convoque les colléges électoraux pour choisir le nombre déterminé par la Charte. Ainsi, c'est en rentrant dans la Charte que nous trouverons et le principe et la possibilité d'une bonne loi.

Enfin, avant de quitter cette tribune, je dirai qu'à regret j'ai combattu cette fois, contre mon habitude, la proposition de loi faite au nom du Roi par les ministres. Mais j'ai trouvé ses bases contraires à cette loi fondamentale, volonté perpétuelle du Roi, méditée par lui durant vingt années d'exil, reçue par la France comme le gage de son salut; et j'ai pensé alors que ma résistance devait être une raison directe de ma fidélité.

MM. les ministres des affaires étrangères et de la police générale avaient été introduits dans la salle pendant que M. de Serres était à la tribune. Après le discours de ce membre, M. le ministre de la police générale demande à être entendu; il monte à la tribune, et du ton qui annonçait l'émotion profonde qu'il allait communiquer, d'une voix sensiblement altérée, il s'est exprimé à peu près en ces termes :

M. le comte Decaze. Messieurs, le Roi nous a chargés de vous faire une communication qui doit toucher vivement vos cœurs..... (Un profond silence s'établit la Chambre semble pressentir l'objet de la communication: un sentiment d'émotion est empreint sur toutes les physionomies...)

M. le comte Decaze continue. La mort du juste n'est jamais perdue pour la postérité : elle donne toujours de graves et salutaires leçons; la Providence avait permis qu'il restât une trace écrite des dernières pensées, des derniers vœux que formait pour son peuplé un monarque dont le nom est à jamais consacré dans le souvenir des hommes; elle avait permis qu'il existât un testament de Louis XVI.

Mais cette triste consolation ne nous avait pas été accordée. Parmi les touchants souvenirs que laissait la plus auguste et la plus infortunée des mères, des épouses et des reines, la fille de MarieThérèse, cette princesse digne du fils de saint Louis, digne de partager sa couronne et son martyre, Dieu seul avait entendu la voix de la Reine mourante son auguste fille n'avait pas recueilli l'expression de ses derniers vœux. Vingt-trois ans se sont écoulés depuis que cet écrit a été tracé à l'heure dernière de la plus aimée comme de la plus malheureuse des souveraines. Enfin la Providence a permis qu'il pût être présenté à l'auguste fille de nos Rois et porter quelque adoucissement à ses douleurs, alors méme qu'il les renouvelle. Cette lettre est reconnaissable par l'empreinte de l'écriture de la Reine, dont les caractères ne sont nulle part tracés d'une main plus ferme et plus sûre, comme pour montrer le calme de son âme en cet affreux moment. Elle n'est pas signée; mais l'authenticité en est garantie par un témoignage qui inspire l'horreur..... Le testament de la victime est signé par ses bourreaux.

Ce testament respire la tendresse d'une mère, d'une épouse, d'une sœur et d'une amie, la dignité d'une reine, la fermeté d'un sage: il est digne d'être entendu à côté de ce testament auguste et saint qui mérita d'être lu dans la chaire de vérité après la parole de Dieu.

M. le comte Decaze donne ici lecture de la lettre de la reine de France Marie-Antoinette à sa sœur Madame Elisabeth.

(Voyez plus haut le texte de cette lettre, séance de la Chambre des pairs du 22 février.)

Après cette lecture, le ministre est longtemps sans pouvoir poursuivre; l'émotion de l'Assemblée et la sienne ne le lui permettent pas ; des pleurs sont dans tous les yeux : ce n'est qu'après un long silence que le ministre peut reprendre la parole.

Messieurs, dit M. le comte Decaze, le Roi, en nous chargeant de cette auguste communication, a bien voulu nous autoriser à vous dire, qu'en faisant tomber son choix sur nous, c'était autant le député que le ministre qu'il avait voulu honorer. Sa Majesté a désiré aussi que vous vissiez dans cette communication une preuve du besoin qu'elle éprouve de confondre tous ses sentiments dans ceux de son peuple, et de vous faire partager les consolations qu'elle reçoit comme elle partage nos espérances et nos maux.

Je dépose sur le bureau une copie certifiée du testament de la reine Marie-Antoinette Sa Majesté m'a chargé de vous annoncer qu'elle avait ordonné qu'il en fût pris un fac simile dont une expédition sera délivrée à chacun des membres de la Chambre.

A ces mots l'Assemblée entière se lève aux cris de vive le Roi!

M. Lainé. Messieurs, quelle touchante diversion fait à nos discussions politiques la communication qui vient de faire tressaillir nos cœurs, et que nous avons bien raison de vouloir mettre un frein à ces passions qui renversent les Etats, et ont fait tomber sur la France les calamités dont la lecture de cette royale lettre rappelle le souvenir! Une trop vive émotion ne me permet pas de donner cours à cette idée. Cependant l'expression des derniers sentiments de notre Reine nous élève à des pensées plus hautes encore que la politique, elle élève nos âmes vers la religion, et nous rappelle que la religion seule pourrait être le plus puissant moyen de gouvernement. Quelle sécurité pour les peuples quand elle remplit le cœur des rois! Quelle paix, quel bonheur pour les souverains si elle pénètre dans l'âme du peuple comme dans les âmes royales! Mais je m'aperçois que j'anticipe sur l'expression de vos sentiments: il faut être moins ému et avoir plus de temps pour les exprimer dignement. Je propose, Messieurs, qu'il soit fait une humble adresse au Roi, laquelle, s'il le permet, lui sera portée par une députation de vingt-cinq membres. Si l'élan de vos cœurs avait besoin d'un exemple, je vous dirais, et je viens d'en être instruit, que la Chambre des pairs a voté une adresse au Roi, qui doit lui être présentée par une grande députation.

Un cri général s'élève : Aux voix ! aux voix !... Bientôt l'Assemblée entière est debout.

M. le Président reproduit la proposition de M. Lainé, qui est accueillie par un suffrage unanime et aux cris de vive le Roi!

M. le Président donne acte aux ministres de Sa Majesté de la communication qu'ils viennent de faire à la Chambre, et prononce le dépôt aux archives de la copie certifiée de la lettre de la reine Marie-Antoinette.

M. le Président. L'intention de la Chambre ne paraît pas être de continuer la discussion qui l'occupait.

On s'écrie de tous côtés : Non! non!

M. le Président annonce la continuation de cette discussion à demain midi, et propose à la Chambre de se former en comité secret pour donner la suite nécessaire à la proposition de M. Lainé.

La Chambre se forme en comité secret.

ANNEXE

A la séance de la Chambre des députés du 22 fé vrier 1816.

NOTA. Les organes du gouvernement et les orateurs des deux Chambres, ayant rappelé, à l'occasion de la lettre de la reine Marie-Antoinette, le testament de Louis XVI, nous avons pensé que nous devions insérer ce document dans les Archives parlementaires. On le verra ci-dessous :

TESTAMENT DE LOUIS XVI.

Au nom de la Très-Sainte Trinité, du Père, du Fils, et du Saint-Esprit. Aujourd'hui vingt-cinquième jour de décembre 1792, moi, Louis, seizième du nom, roi de France, étant, depuis plus de quatre mois, renfermé, avec ma famille, dans la tour du Temple, à Paris, par ceux qui étaient mes sujets, et privé de toute communication quelconque, même depuis le 11 du courant, avec ma famille; de plus, impliqué dans un procès dont il est impossible de prévoir l'issue, à cause des passions des hommes, et dont on ne trouve aucun prétexte ni moyens dans aucune loi existante; n'ayant que Dieu pour témoin de mes pensées, et auquel je puisse

m'adresser, je déclare ici, en sa présence, mes dernières volontés et mes sentiments.

Je laisse mon âme à Dieu, mon créateur; je le prie de la recevoir dans sa miséricorde, de ne pas la juger d'après ses mérites, mais par ceux de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui s'est offert en sacrifice à Dieu son père, pour nous autres hommes, quelque indignes que nous en fussions, et moi le premier.

Je meurs dans l'union de notre sainte mère l'Eglise catholique, apostolique et romaine, qui tient ses pouvoirs, par une succession non interrompue, de saint Pierre, auquel Jésus-Christ les avait contiés.

Je crois fermement et je confesse tout ce qui est contenu dans le symbole et les commandements de Dieu et de l'Eglise, les sacrements et les mystères, tels que l'Eglise catholique les enseigne et les a toujours enseignés. Je n'ai jamais prétendu me rendre juge dans les différentes manières d'expliquer les dogmes qui déchirent l'Eglise de Jésus-Christ; mais je m'en suis rapporté, et rapporterai toujours, si Dieu m'accorde vie, aux décisions que les supérieurs ecclésiastiques, unis à la sainte Eglise catholique, donnent et donneront, conformément à la discipline de l'Eglise, suivie depuís Jésus-Christ. Je plains de tout mon cœur nos frères qui peuvent être dans l'erreur; mais je ne prétends pas les juger, et je ne les aime pas moins tous en Jésus-Christ, suivant ce que la charité chrétienne nous enseigne. Je prie Dieu de me pardonner tous mes péchés; j'ai cherché à les connaître scrupuleusement, à les détester et à m'humilier en sa présence. Ne pouvant me servir du ministère d'un prêtre catholique, je prie Dieu de recevoir la confession que je lui en ai faite, et surtout le repentir profond que j'ai d'avoir mis mon nom (quoique cela fût contre ma volonté) à des actes qui peuvent être contraires à la discipline et à la croyance de l'Eglise catholique, à laquelle je suis toujours resté sincèrement uní de

cœur.

Je prie Dieu de recevoir la ferme résolution où je suis, s'il m'accorde vie, de me servir, aussitôt que je le pourrai, du ministère d'un prêtre catholique, pour m'accuser de tous mes péchés, et recevoir le sacrement de pénitence.

Je prie tous ceux que je pourrais avoir offensés par inadvertance (car je ne me rappelle pas d'avoir fait sciemment aucune offense à personne), ou ceux à qui j'aurais pu avoir donné de mauvais exemples ou des scandales, de me pardonner le mal que je peux leur avoir fait; je prie tous ceux qui ont de la charité, d'unir leurs prières aux miennes, pour obtenir de Dieu le pardon de mes péchés.

Je pardonne, de tout mon cœur, à ceux qui se sont fait mes ennemis, sans que je leur aie donné aucun sujet, et je prie Dieu de leur pardonner, de même qu'à ceux qui, par un faux zèle, où par un zèle mal entendu, m'ont fait beaucoup de mal.

Je recommande à Dieu, ma femme et mes enfants, ma sœur et mes tantes, mes frères, et tous ceux qui me sont attachés par le lien du sang, ou par quelque autre manière que ce puisse être ; je prie Dieu particulièrement de jeter des yeux de miséricorde sur ma femme, mes enfants et ma sœur, qui souffrent depuis longtemps avec moi, de les soutenir par sa grâce, s'ils viennent à me perdre, et tant qu'ils resteront dans ce monde périssable.

Je recommande mes enfants à ma femme je n'ai jamais douté de sa tendresse maternelle pour eux; je lui recommande surtout d'en faire de bons chrétiens et d'honnêtes hommes, de ne leur faire regarder les grandeurs de ce monde-ci (s'ils sont condamnés à les éprouver), que comme des biens dangereux et périssables, et de tourner leurs regards vers la seule gloire solide et durable de l'éternité; je prie ma sœur de vouloir continuer sa tendresse à mes enfants, et de leur tenir lieu de mère, s'ils avaient le malheur de perdre la leur.

Je prie ma femme de me pardonner tous les maux qu'elle souffre pour moi, et les chagrins que je pourrais lui avoir donnés dans le cours de notre union; comme elle peut être sûre que je ne garde rien contre elle, si elle croyait avoir quelque chose à se reprocher.

Je recommande bien vivement à mes enfants, après ce qu'ils doivent à Dieu, qui doit marcher avant tout, de rester toujours unis entre eux, soumis et obéissants à leur mère, et reconnaissants de tous les soins et les peines qu'elle se donne pour eux et en mémoire de moi.

Je les prie de regarder ma sœur comme une seconde

mère.

Je recommande à mon fils, s'il avait le malheur de devenir Roi, de songer qu'il se doit tout entier au bonheur de ses concitoyens ; qu'il doit oublier toute haine et tout ressentiment, et nommément, ce qui a rapport aux malheurs et aux chagrins que j'éprouve; qu'il ne peut faire le bonheur des peuples qu'en régnant suivant les lois; mais en même temps, qu'un Roi ne peut les faire respecter, et faire le bien quí est dans son cœur, qu'autant qu'il a l'autorité nécessaire, et qu'autrement, étant lié dans ses operations, et n'inspirant point de respect, il est plus nuisible qu'utile.

Je recommande à mon fils d'avoir soin de toutes les personnes qui m'étaient attachées, autant que les circonstances où il se trouvera lui en donneront les facultés; de songer que c'est une dette sacrée, que j'ai contractée envers les enfants ou les parents de ceux qui ont péri pour moi, et ensuite de ceux qui sont malheureux pour moi.

Je sais qu'il y a plusieurs personnes de celles qui m'étaient attachées, qui ne se sont pas conduites envers moi comme elles le devaient, et qui ont même montré de l'ingratitude; mais je leur pardonne (souvent, dans les moments de trouble et d'effervescence, on n'est pas le maître de soi), et je prie mon fils, s'il en trouve l'occasion, de ne songer qu'à leur malheur.

Je voudrais pouvoir témoigner ici ma reconnaissance à ceux qui m'ont montré un attachement véritable et désintéressé; d'un côté, si j'ai été sensiblement touché de l'ingratitude et de la déloyauté des gens à qui je n'avais jamais témoigné que des bontés, à eux, ou à leurs parents ou amis; de l'autre, j'ai eu de la consolation à voir l'attachement et l'intérêt gratuit que beaucoup de personnes m'ont montrés. Je les prie d'en recevoir tous mes remerciments dans la situation où sont encore les choses, je craindrais de les compromettre, si je parlais plus explicitement; mais je recommande spécialement à mon fils de chercher les occasions de pouvoir les reconnaître.

Je croirais calomnier cependant les sentiments de la nation, si je ne recommandais ouvertement à mon fils MM. de Chamilly et Hue, que leur véritable attachement pour moi avait portés à s'enfermer avec moi dans ce triste séjour, et qui ont pensé en être les malheureuses victimes; je lui recommande aussi Cléry, des soins duquel j'ai eu tout lieu de me louer depuis qu'il est avec moi comme c'est lui qui est resté avec moi jusqu'à la fin, je prie Messieurs de la Commune de lui remettre mes hardes, mes livres, ma montre, ma bourse, et les autres effets qui ont été déposés au conseil de la Com

mune.

Je pardonne encore très-volontiers à ceux qui me gardaient, les mauvais traitements et les gênes dont ils ont cru devoir user envers moi; j'ai trouvé quelques àmes sensibles et compatissantes que celles-là jouissent dans le cœur de la tranquillité que doit donner leur façon de penser!

Je prie MM. de Malesherbes, Tronchet et Desèze de recevoir ici tous mes remerciments, et l'expression de ma sensibilité pour tous les soins et les peines qu'ils se sont donnés pour moi.

Je finis en déclarant devant, Dieu et prêt à paraître devant lui, que je ne me reproche aucun des crimes qui

sont avancés contre moi.

Fait double à la tour du Temple, le 25 décembre 1792. Signé LOUIS.

Est écrit BAUDRAIS, officier municipal.

CHAMBRE DES DÉPUTÉS.
PRÉSIDENCE DE M. FAGET DE BAURE.
Comité secret du 22 février 1816.

M. Faget de Baure, l'un des vice-présidents, occupe le fauteuil.

Le procès-verbal du comité secret du 21 février est lu et adopté.

La discussion s'ouvre sur la manière dont la Chambre exprimera ses sentiments au Roi, tou

chant la communication dont Sa Majesté a chargé ses ministres au sujet de la lettre de la reine.

M. le Président donne lecture des articles du règlement concernant les adresses et les députations.

Un membre (M. de Bonald) dit que la célérité plaira sans doute plus à la Chambre que des formalités peu d'accord avec la vivacité des sentiments qui l'animent. Il demande que l'adresse soil sur-le-champ rédigée par le membre (M. Lainé) qui en a fait la proposition en séance publique, et que les noms de ceux qui doivent, avec le bureau, composer la députation, soient tirés au

sort.

La Chambre adopte ces deux propositions et M. le président procède au tirage.

Cette opération étant terminée, M. le ministre de la police fait à la Chambre le détail des moyens par lesquels la lettre dont il a donné lecture dans la séance publique, ainsi que quelques autres objets non moins précieux, ont été recouvrés.

Le membre (M. Lainé) chargé de la rédaction de l'adresse en donne la lecture.

Elle est adoptée pour être présentée au Roi, lorsque les ordres de Sa Majesté seront parvenus au président.

M. le Président annonce que la séance est levée, et que la discussion sur la loi des élections continuerà le lendemain à midi en séance publique.

Les membres de droit de la députation étaient MM. Lainé, président de la Chambre; Ilyde de Neuville, Cardonnel, de Kergorlay le marquis de La Maisonfort, secrétaires; M. le chevalier Maine de Biran, et M. le marquis de Puyvert, questeurs. Vingt membres choisis par la voie du sort leur ont été adjoints; ce sont:

MM. le marquis de Bailly, Pardessus, Néel, Jollivet, Ménessier, Aupetit-Durand, le comte Humbert de Sesmaisons, Dussumier-Fonbrune, le chevalier de Lanery, Daigremont de Saint-Manvieux, Clément, de Bruère de Vaurois, le baron de Berkheim, le comte de Beaupoil de Saint Aulaire, Roux la Borie, de Trinquelague, de Foucaud, le marquis de Clermont Mont-Saint-Jean, Chabron de Solilhac et d'Hardivillers.

CHAMBRE DES DÉPUTÉS.

PRÉSIDENCE DE M. LAINÉ.

Séance du 23 février 1816.

Le procès-verbal de la séance du 22 février est lu et adoptée.

Dix pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions, lecture faite des noms des pétitionnaires.

M. le Président, au nom de la députation chargée de présenter une adresse au Roi, donne connaissance de cette adresse et de la réponse de Sa Majesté.

Messieurs, le grand maître des cérémonies a fait connaître à la Chambre que Sa Majesté voudrait bien recevoir sa grande députation à neuf heures. Elle a été introduite, avec les formes d'usage, dans la salle du Trône, et, après la lecture de l'adresse, Sa Majesté a daigné répondre à votre députation.

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est d'admirer la Providence qui a permis au temps de nous révéler les derniers sentiments de notre princesse. Pourquoi faut-il que la tombe seule soit inexorable et retienne à jamais l'auguste victime que nous pleurons! Mais non, elle n'est pas pour nous morte tout entière. Son âme religieuse et royale s'est répandue dans cette lettre qui semble ajouter quelque chose au testament qui vous a légué des vertus plus qu'héroïques, parce qu'elles sont chrétiennes.

« Nous vous remercions, Sire, du don que votre bonté fait à chacun de nous, de la lettre dont l'art reproduit les traits originaux, mais où notre âme découvre bien mieux l'image du cœur de Marie-Antoinette, reine de France et de Navarre; nous la transmettrons cette lettre en héritage à nos enfants; elle leur apprendra qu'il est des vertus supérieures aux égarements des siècles, et que la religion qui inspire ces vertus est, dans le cœur des rois, le gage le plus sûr du bonheur des peuples. »

Réponse du Roi.

« Je suis sensible aux sentiments que m'ex« prime la Chambre des députés à l'occasion de « la communication que je lui ai faite. Aucun « événement ne m'a plus profondément touché « que cette découverte. J'en rends grâces à la « Providence qui a voulu révéler les vertus de « celle dont je fus le sujet, le frère, et j'ose dire « l'ami. Je suis sûr que chacun de vous conser

vera avec soin le présent que je lui fais, et le « transmettra à nos neveux, et, comme nous, ils rendront justice à celle à qui elle fut si peu « rendue de son vivant. »

M. le Président ajoute qu'en prononçant les derniers mots de sa réponse, la voix de Sa Majesté était sensiblement altérée.

Nous avons, poursuit M. Lainé, demandé la permission, conformément aux lois, de nous présenter chez MADAME. Cette princesse nous a reçus quoiqu'il fût déjà fort tard. Le président de la grande députation a dit :

<< MADAME,

Le Roi vient de nous permettre d'exprimer à Votre Altesse Royale les sentiments qu'a fait naître la lettre de votre auguste mère. Ces nobles caractères ont réveillé en nous la vive douleur que le temps fait taire sans l'affaiblir. Mais cette douleur se tempère à la vue de Votre Altesse Royale; nous nous disons que Marie-Antoinette revit en Marie-Thérèse; ce sont les mêmes vertus, c'est le même courage, et en voyant briller en vous, MADAME, les sentiments religieux de deux princesses, les cœurs apaisés se rouvrent à l'espérance et aux consolations. »>

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On demande de toutes parts l'impression et la distribution à six exemplaires.

M. de Marcellus. Messieurs, l'attendrissement religieux dont a pénétré nos âmes la touchante communication qui nous a été faite au nom du Roi, l'émotion profonde de mon cœur, qui sait si bien s'unir à tous les sentiments de mes collègues, me laissent à peine la force de vous exprimer un vœu qui, je n'en puis douter, est déjà le vôtre. Nous n'avons pas assez de larmes pour déplorer tous les excès, tous les malheurs auxquels a livré notre patrie la plus désastreuse révolution qui ait jamais ravagé le monde. Ah! désabusons-nous enfin de cet esprit révolutionnaire dont nous voyons de si funestes résultats! Que de si cruelles expériences ne soient pas perdues! Que la Révolution ne pèse plus sur la France! Que sa fatale influence ne se fasse plus sentir! Embrassons, comme l'autel du refuge, ces principes immuables et salutaires qui font la stabilité des Etats. Hélas! par quels regrets amers et superflus Dieu punit les Français de leur imprudence à écouter des novateurs perfides, à ébranler les bornes qu'avait posées la sagesse de leurs pères, de leur amour déréglé pour l'indépendance, et surtout de leur irréligion! O France! ma patrie! apprends et vois combien il est amer et douloureux pour tes enfants d'avoir abandonné leur Dieu et leur Roi! Ah! si tu avais toujours marché dans la voie que t'avaient tracée les pieux législateurs qui ont fondé de siècle en siècle le royaume très-chrétien, le bonheur et la paix auraient toujours présidé à tes destinées!

Reviens, reviens à cette religion divine qui, non contente de faire le bonheur des hommes dans une autre vie, les rend heureux dès celle-ci, en établissant sur des bases fixes et inébranlables, les constitutions de l'ordre social. Que du moins ce que tu as perdu te rende plus cher ce qui te reste! Profite de tes regrets en chérissant de plus en plus le meilleur des rois et cette auguste famille que recommandent à ton amour, à ta vénération, j'ai presque dit à ton culte, dé si précieux, de si nobles, de si touchants souvenirs! Que les haines, que les divisions cessent en France. Unissons-nous dans le sein du meilleur des pères; vivons pour son bonheur et pour le nôtre. Soyons tous enfants. d'une même famille; pressons-nous, serrons-nous autour de ce trône de salut. O France! ô ma chère patrie! nous verrons encore luire pour toi de beaux jours, si nous parvenons à l'honneur, à la foi !

Nous ne pouvons, Messieurs, rendre assez public, assez solennel un monument si touchant, si sacré, et qui nous prêche si éloquemment toutes ces doctrines bienfaisantes, qui seules peuvent nous sauver. Que tous les Français écoutent, pratiquent ces graves et si importantes leçons.

J'ai donc l'honneur de proposer à la Chambre d'ordonner l'impression du testament de notre Reine, de l'adresse de la Chambre, et de la belle réponse de Sa Majesté. Je désirerais encore que ces pièces fussent envoyées à toutes les communes du royaume pour être déposées dans leurs archives.

M. le Président. Je dois faire observer à l'opinant qu'il n'est pas de la compétence de la Chambre d'envoyer aux communes les objets dont elle ordonne l'impression.

Une foule de voix. Non! non!

M. Pélissier-Feligonde. Je crois interpréter le vœu de la Chambre en demandant que la

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