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« pensées d'indulgence et de pardon pour ses << bourreaux!

« Leur audace impie n'a pas osé détruire ce précieux monument de la plus haute vertu; « c'est au moment où le crime, trop longtemps <«< impuni, commence enfin l'expiation de sa nou. « velle révolte, qu'il est forcé par la Providence « de restituer à sa royale victime cet ancien titre de gloire, qui devient pour elle un nouveau « gage d'immortalité, et pour la France entière « un nouveau sujet d'éternelle admiration.

Vos fidèles sujets, les pairs de France, ne « peuvent trop remercier Votre Majesté d'avoir << daigné les associer à des émotions qu'ils étaient « dignes de partager. Nous saisissons avec em« pressement cette occasion d'adhérer de cœur et « d'âme aux sentiments exprimés, comme au « serment prononcé par la Chambre des députés << relativement au crime du 21 janvier.

« On peut nous égaler, Sire, mais on ne nous « surpassera jamais en véritable dévouement, en « respect pour votre personne, en fidélité pour « votre auguste dynastie.

« Nous supplions Votre Majesté de permettre que le nom de la Chambre des pairs ne soit « pas oublié sur les monuments qui serviront à « éterniser le deuil et les regrets de la France. »>

Le Roi a répondu :

« Je suis fort touché des sentiments que vous << m'exprimez au nom de la Chambre des pairs. «En lui donnant communication de la pièce qui « m'a le plus ému dans ma vie, j'ai voulu fui « faire partager la douleur et l'admiration qu'elle « a excitées dans mon âme.

«Je reçois avec plaisir le désir que vous m'ex«primez de voir vos noms gravés sur l'airain qui « doit attester à jamais nos regrets et notre véné⚫ration; c'est ainsi que vous pouvez le mieux « me prouver votre attachement. »

M. le Président ajoute que la grande députation de la Chambre des députés s'était présentée, avec la permission du Roi, chez MADAME, duchessé d'Angoulême. Quoique la députation n'eût pas reçu de mission expresse à cet égard, assuré des sentiments de la Chambre, il a cru devoir solliciter de Sa Majesté la même faveur; et admis, à la tête de la grande députation, près de Son Altesse Royale, il s'est exprinié en ces termes :

<< MADAME,

« Le Roi permet à la grande députation de la « Chambre des pairs de venir auprès de Votre « Altesse Royale bénir avec elle les bienfaits de «la Providence, qui restitue à notre vénération « un des plus beaux titres de gloire de Sa Majesté << votre auguste mère.

« Nous retrouvons dans cette pièce mémorable « la source féconde des hautes vertus dont nous "possédons avec orgueil la vivante image.

Cet écrit sublime nous offre aussi le principe de cette union touchante qui fit la consolation, « comme elle fait aujourd'hui le bonheur, dé « votre auguste famille.

«Puisse, Madame, cette grande Reine, qui pré<< parait nos destinées quand elle s'occupait si « tendrement des vôtres, accueillir du haut du « ciel l'hommage de respect et d'admiration que « la Chambre des pairs aime à rendre à sa mé<< moire! >>

MADAME a répondu :

« Je reçois avec plaisir l'assurance des senti«ments de la Chambre des pairs; je remercie le

«Roi de vous avoir permis de me les exprimer. « Je le remercie aussi d'avoir ordonné la publi«cation d'une pièce que tous les Français verront « avec sensibilité. »

La Chambre, en approuvant la conduite de M. le président, et en applaudissant à la manière dont il a exprimé les sentiments qu'elle éprouve, arrête que le compte qu'il vient de rendre sera inséré au proès-verbal de ce jour.

Elle arrête pareillement que les discours adressés au Roi et à MADAME seront imprimés avec la réponse de Sa Majesté et celle de Son Altesse Royale.

L'ordre du jour appelait la suite de la discussion ouverte sur le projet de resolution présenté par la commission spéciale du règlement judiciaire.

Un membre de cette commission obtient la parole pour remettre sous les yeux de l'Assemblée le véritable état de la question, en y ramenant la discussion qui s'en écarte.

M. le marquis de Talaru. Messieurs, au point où en est la discussion sur le projet de loi que votre commission vous a présenté, discussion qui, je dois le dire, n'a pas encore avancé d'un pas, et semble de plus en plus s'écarter du but, je demande la permission de vous rappeler en peu de mots le plan de notre travail, de vous exposer les réflexions que m'ont fait naître les discours déjà prononcés, et de prouver la nécesité de rentrer dans la route de discussion qui doit être suivie.

Vous avez chargé votre commission d'examiner toutes les questions auxquelles peut donner lieu la formation de la Chambre des pairs en cour de justice; le sujet est vaste, la matière importante. Tant de questions se présentaient à la fois, que dès la première séance votre commission a senti la nécessité de les classer. Deux grandes divisions se sont présentées; ce qui doit faire la matière d'une loi, ce qui doit faire la matière d'un règlement.

Tout ce qui concerne à la fois la Chambre, les accusés qui y sont traduits, et la société tout entière, doit être réglé par les trois branches du pouvoir législatif, et par conséquent fait la matière d'une loi. Tout ce qui concerne uniquement la Chambre des pairs fait la matière du règlement déterminé par elle, sauf l'approbation du Roi. Ce principe à rendu la division facile; toutes les questions ont été examinées, leur classement a été effectué, et c'est le résultat de ce travail qui forme les articles du projet de loi qui vous est soumis. Cette portion de notre travail nous a paru devoir vous être présentée d'abord, parce qu'elle est la plus urgente, la plus importante, parce que devant être envoyée à la Chambre des députés, il était à désirer qu'ils pussent s'en occuper dans le cours de la session actuelle, et que ce n'est qu'après sa fixation définitive que nous pouvons procéder à la formation du règlement qui doit être coordonné avec la loi.

Qu'avons-nous à faire actuellement pour arriver au but? Examiner si le projet est complet, si tout ce qui y entre est effectivement matière de loi; approuver, rejeter ou modifier les idées et la rédaction de chaque article.

Au lieu de cette marche simple, qu'avons-nous entendu? Des traités sur l'initiative. Messieurs, depuis quelque temps les dissertations sur l'initiative sont ici à l'ordre du jour; elles s'adaptent à tout. La Chambre des députés nous envoie-t-elle une résolution; au lieu d'examiner uniquement si le principe en est utile ou dangereux, si la rédaction en doit être adoptée ou inodifiée, on

nous parle de l'initiative. Une commission nommée par vous apporte-t-elle le résultat du travail dont vous l'avez chargée; au lieu de l'examiner, on parle encore de l'initiative. Le Roi, dans sa sagesse, a jugé que, pour connaitre les vœux et les besoins de ses peuples, il était utile que les Chambres eussent aussi une initiative; et cependant on nous dit, contradictoirement au texte clair et précis de la Charte, que cette initiative est tellement dangereuse qu'il ne faut presque jamais en faire usage. Parce que dans le cours d'une session qui dure depuis près de cinq mois, les députés, organes des voeux et des besoins de la France, emploient les intervalles que leur laisse la discussion des lois apportées par les ministres, à s'occuper des projets, et nous ont envoyé deux ou trois résolutions qu'ils croient utiles au rétablissement de la religion, de la morale, à l'affermissement du trône et de la tranquillité publique, malgré le principe fondamental si nécessaire au maintien de l'union qui ne permet pas que dans une des deux Chambres on puisse jamais improuver ce qui se fait dans l'autre, on se récrie sur une initiative si peu répétée, et l'on nous dit que les formes monarchiques sont étouffées, qu'on cherche en vain le pouvoir gouvernant, qu'une défiance vague est à l'ordre du jour, que nous allons à la démocratie. Certes, Messieurs, je suis bien éloigné de partager ces craintes; je ne vois que des résultats inhérents à la nature du gouvernement représentatif.

Tout membre d'une assemblée appelée à s'occuper des affaires de l'Etat a le désir et le devoir de présenter les idées que l'amour du bien lui suggère. Ce désir est universel, sans exception. Un de nos collègues qui, au sujet de deux résolutions de la Chambre des députés, s'est le plus fortement prononcé contre l'initiative, a cependant cru devoir présenter un projet qui donnat aux pairs le droit d'exprimer l'opinion de leurs collègues absents; et, dans la dernière séance, la conclusion d'un discours contre l'initiative a été de demander la réforme du Code pénal: proposition d'une importance bien supérieure à tout ce qui vous a été présenté jusqu'à présent.

Au surplus, Messieurs, ne nous effrayons pas des inconvénients attachés à l'initiative des Chambres; ils sont sans danger dans notre état actuel, et les inquiétudes que quelques personnes éprouvent tiennent au souvenir des premiers temps de notre révolution. Alors il y avait une Assemblée unique et permanente. Tourmentée par la fièvre qui travaillait les esprits, elle harcelait sans cesse le trône de propositions nouvelles, et mettait souvent le Roi dans la triste alternative, ou d'adopter un principe dangereux, ou de s'opposer à ce qu'elle voulait faire croire être l'opinion publique. Tous nos malheurs en ont été la conséquence; et l'on a raison de dire que c'est à coups d'initiative que cette Assemblée, pour laquelle l'épithète de constituante sera une éternelle dérision, a sapé les fondements du trône, et que l'Assemblée dite législative a achevé de le renverser. Mais aujourd'hui, avec deux Chambres dont les sessions doivent être courtes, comment ferons-nous connaître au Roi les vœux et les besoins de ses peuples, si les Chambres n'exercent pas l'initiative? En la prenant, elles remplissent un devoir quel danger peut-il en résulter? Toute proposition dangereuse ou même inutile qui sort d'une Chambre vient expirer dans l'autre, sans que le pouvoir royal ait besoin de s'en occuper; et je ne vois là rien d'inquiétant pour la chose publique.

Je voudrais, Messieurs, ne pas être obligé de continuer encore sur ce sujet ; mais comme pour combattre le projet de loi on a créé des théories nouvelles de l'initiative, il faut bien y revenir encore. Je ne cherche à m'expliquer ni cette initiative indicative, vague, obscure, d'après laquelle le Souverain verrait que les Chambres désirent quelque chose, mais ne pourrait pas comprendre ce qu'elles désirent, ni cette autre initiative qui, apparemment pour être plus respectueuse, prendrait la forme de questions adressées au souverain par les Chambres; mais j'ouvre la Charte et je lis l'article 16: Le Roi propose la loi. » J'examine ensuite si cet article, que les adversaires de l'initiative des Chambres présentent comme unique et exclusif, l'est effectivement. Je continue et je trouve l'article 19 qui consacre le droit d'initiative pour les Chambres; et c'est ce grand bienfait de la volonté royale, ce moyen légal et constitutionnel d'exprimer les vœux des peuples, que l'on nous présente comme dangereux et comme antimonarchique.

Et qu'a-t-elle donc d'antimonarchique? En quoi nuit-elle à la dignité et à la majesté du pouvoir royal, cette initiative qui, partant d'en bas, fait naître la proposition dans le sein d'une Chambre? Elle y subit toutes les lenteurs nécessaires, se développe successivement, éprouve toutes les modifications qu'amène la différence des opinions et des intérêts. La proposition estelle adoptée dans la Chambre où elle a pris naissance, elle passe dans l'autre Chambre, où de nouvelles opinions, de nouveaux intérêts font examiner la question sous d'autres points de vue; et lorsque enfin, adoptée par les deux Chambres, elle peut être présumée l'expression du désir général, et devient digne d'être présentée à la sanction royale, le Roi la juge dans sa sagesse, la laisse dans le néant ou lui donne l'âme et la vie, la crée expression de la volonté générale, en disant Que la loi soit. Et la loi est.

Cette initiative, qui laisse la mobilité aux sujets, l'unité et la fixité au Roi, est donc tout à fait monarchique. Elle a chez nos voisins la sanction de l'expérience; elle y facilite l'action du pouvoir royal; les ministres y trouvent de puissants moyens pour la conduite et la direction des affaires, et je suis persuadé que, sagement combinée avec l'initiative royale, elle produira toujours chez nous les mêmes effets.

L'article 19 de la Charte est ainsi conçu : « Les Chambres ont la faculté de supplier le Roi de proposer une loi sur quelque objet que ce soit, et d'indiquer ce qu'il leur paraît convenable que la loi contienne. »>

Voilà une initiative précise, aussi étendue que la première, quant au fond, différente seulement par les formes. L'une est celle d'un souverain qui commande à ses sujets de s'occuper de tel objet; l'autre est celle de sujets soumis et respectueux qui expriment leurs désirs. La clarté dans l'expression de ce désir ne nuit pas au respect; et puisque les Chambres ont la faculté d'indiquer ce qu'il leur paraît convenable que la loi contienne, il faut bien qu'elles l'indiquent d'une manière claire et détaillée, autrement le Roi ne pourrait pas juger s'il lui convient ou non de l'adopter.

Voilà, Messieurs, la vraie théorie de l'initiative; c'est celle qui a été suivie par les Chambres dans cette session et dans la session précédente le projet que votre commission vous présente n'y a rien de contraire. Il ne s'agit plus de savoir si la Chambre doit ou non, s'en occuper; vous

avez décidé la question il y a deux mois, en nommant la commission; et je ne vois que des raisons pour maintenir votre décision. Votre commission a divisé son projet en titres et en articles, parce que l'ordre et la clarté du travail l'exigeaient. Je demande que la discussion se porte directement sur l'examen du projet qui vous est soumis.

La Chambre ordonne l'impression du discours de M. le marquis de Talaru.

M. de Sèze. Messieurs, j'ai été inscrit trop tard dans l'ordre de la parole pour pouvoir vous présenter, sur le projet de loi qui vous est soumis par la commission chargée d'examiner les questions relatives à l'organisation de la Chambre des pairs en cour de justice, des observations qui ne vous aient pas déjà été faites. Tous les orateurs qui m'ont précédé à cette tribune ont tous relevé, avec plus ou moins d'étendue, tout ce qu'ils ont aperçu ou cru apercevoir de défectueux, ou d'incomplet, ou même d'inconvenant dans le projet que nous discutons. Ils ont comme épuisé la matière. Je ne puis donc guère que vous redire ce qu'ils vous ont dit; car j'avoue que je pense à peu près comme eux sur les différents articles qui sont devenus l'objet de leur examen ou de leur censure. Cependant, Messieurs, je vais essayer de vous soumettre à mon tour quelques observations que j'ai eu à peine le temps d'écrire; mais je vous aurai donné au moins une preuve de zèle, et j'aurai toujours payé le tribut de mon opinion.

Et d'abord, Messieurs, je n'hésite pas à vous déclarer que je suis absolument de l'avis de votre commission sur la question qui a été la première agitée: celle de savoir si une loi était nécessaire pour déterminer votre compétence pour les crimes qui pourraient être commis ou jugés par les pairs, où si, sur quelques-unes des dispositions, au moins, qui pourraient embrasser cette compétence, on pouvait se borner à un règlement. La commission s'est décidée pour la nécessité de la loi, et je trouve qu'elle a eu parfaitement raison; j'ai bien de la peine même à concevoir comment les bons esprits ont pu vous exprimer à cet égard une opinion différente. Il ne faut, en effet, qu'ouvrir la Charte pour se fixer sur ce principe: c'est elle qui, en créant la Chambre des pairs, a créé ses attributions. Et, que dit l'article 33? Vous le savez, Messieurs, il dit que la Chambre des pairs connaît des crimes de haute trahison et des attentats contre la sûreté de l'Etat, qui seront définis par la loi. Je n'entrerai pas ici dans l'examen grammatical du sens qu'il faut attacher à ce mot seront définis dont se sert la loi je n'examinerai pas la question de savoir s'il faut prendre le mot seront pour le futur ou pour le présent; je vous dirai seulement qu'avec l'article tel qu'il est, il faut nécessairement de deux choses l'une ou que vous vous en teniez au Code pénal actuel tant qu'il existera, pour la définition de ces crimes qui doivent vous être soumis, ou qu'il intervienne pour vous une loi particulière qui les définisse. S'en tenir au Code pénal, assurément n'est pas proposable; ce n'est pas là l'intention de la Charte; la Charte a même voulu évidemment exclure le Code pénal, puisqu'elle a renvoyé votre compétence à une loi spéciale qui la réglerait. Je sais bien que, dans le procès du maréchal Ney, nous avons eu recours à ce Code; mais il était impossible alors de faire autrement; les circonstances étaient impérieuses; nous manquions de guide et d'exemples. Des ordonnances du Roi, pleines de sagesse, sont heu

reusement venues à notre secours; elles nous ont investis de l'accusation; elles nous ont tracé des formes; elles ont fixé notre marche; elles ont ouvert la voie au jugement que nous devions rendre. Mais ces ordonnances n'étaient que pro visoires; elles n'avaient pour objet qu'une seule accusation; elles n'embrassaient pas toutes celles qui pourraient se présenter dans l'avenir, et c'est cependant cet avenir qu'il s'agit aujourd'hui de déterminer ; et comment le déterminer, si ce n'est par une loi telle que la Charte la réclame, et que la raison elle-même l'indique ? D'ailleurs, Messieurs, il n'est pas question seulement ici de nos intérêts, de nos prérogatives, de nos priviléges, il est question de l'intérêt même de ceux qui seront étrangers à notre dignité, et qui seront pourtant soumis à notre justice. Ce n'est donc pas par un règlement purement intérieur et qui nous concernerait exclusivement, ni même par une simple ordonnance, qu'on peut statuer sur cet intérêt-là; ce ne peut être que par une loi; mais quand je dis une loi, Messieurs, je n'entends pas prétendre que vous n'ayez pas la liberté de présenter vous-mêmes au Roi un projet de loi, et rédigé d'avance même en articles. Je suis bien loin de partager l'opinion ou plutôt la doctrine nouvelle qu'on a professée l'autre jour à cette tribune, et qui voudrait resserrer notre faculté à cet égard-là. Je pense, au contraire, que cette forme d'articles est précisément la seule qui remplisse d'une manière exacte cette liberté que la Charte nous donne d'indiquer au Roi ce que nous désirons que la loi renferme; je pense que cette indication ne serait pas entière, qu'elle n'exprimerait pas parfaitement ce que nous pourrions regarder comme nécessaire, qu'elle n'atteindrait pas son but ou le nôtre, si elle ne présentait pas une forme de dispositions déjà rédigées; je pense que cette rédaction toute préparée épargne au gouvernement comme à nous des difficultés, des discussions, des explications toujours fatigantes et souvent inutiles : et comme cette rédaction est toujours faite de bonne foi, sans prétention de notre part, sans ambition, sans amour-propre, uniquement pour la plus grande facilité de nos communications politiques, et qu'elle est en outre livrée à la disposition absolue du gouvernement, il me paraît impossible qu'on puisse s'en plaindre.

Au surplus, Messieurs, c'est ainsi que vous avez toujours expliqué la Charte. Ce système qu'on vous présente aujourd'hui est un système nouveau. J'ai lu tous vos procès-verbaux de votre session de 1814, dont je n'avais pas l'honneur de faire partie, et j'y ai trouvé toutes les propositions faites dans cette Chambre rédigées en articles. Vous ne pensiez donc pas alors que cette forme fût inconvenante; le Roi, Messieurs, ne le pensait pas non plus: il n'a jamais trouvé cette forme extraordinaire; si elle lui eût paru telle, il y a longtemps qu'elle aurait cessé d'exister. Il sait bien d'ailleurs que sa prérogative n'est pas gênée de ces articles qu'on lui présente; il adopte leur rédaction s'il la juge bonne; si elle est imparfaite, il la rectifie; et la rejette, si elle est mauvaise.

Mon opinion, Messieurs, est donc que vous avez en général la faculté de présenter au Roi un projet de loi rédigé d'avance en articles et que vous pouvez l'exercer sans inconvénient; mais je ne pense pas que vous ayez cette faculté sur l'objet même que nous discutons. Il s'agit, en effet, ici, d'un principe posé par la Charte ce principe nous le devons au Roi, nous le devons à lui seul; c'est sa sagesse qui l'a établi, c'est à sa

sagesse à le développer; c'est lui qui a créé votre compétence, il faut que ce soit lui qui la déterminé; on peut dire même qu'il se l'est réservée : mais en tout cas vous ne pouvez pas ici le prévenir; en lui présentant vos propres idées, vous courriez le risque de ne pas entrer dans les siennes, et de faire un travail inutile. Le Roi sait seul ce qu'il a voulu dans l'article 33, il n'y a donc que lui qui puisse le faire connaître. C'est là le grand principe en matière de législation, c'est à celui qui a fait à interpréter, disent tous les publicistes; cujus est condere ejus est interpretari, disaient les Romains. Il n'y a donc que le Roi qui puisse vous proposer sur cette matière un projet de loi; il faut même qu'il ait la bonté de vous proposer la loi tout entière, et c'est à vous, Messieurs, de l'en supplier; il faut qu'il règle non-seulement votre compétence, mais encore la manière de l'exercer; il faut que la loi embrasse l'accusation, la poursuite, la marche à tenir, les formes à suivre, en un mot le principe et toutes les conséquences qu'il peut entraîner. Et il le faut ainsi, Messieurs, parce que ce seront des tiers que vous aurez à juger; que ces tiers ont droit à des formes qui les protégent; que ces formes tutélaires ne peuvent être établies que par la puissance publique tout entière; qu'elles sont par conséquent étrangères à vos règlements; que vos règlements ne peuvent fixer que vos intérêts pour ainsi dire domestiques, et que tout ce qui tient à autrui est nécessairement hors de leur domaine.

Maintenant, Messieurs, que cette difficulté est éclaircie, et que je vous ai fait connaître mon opinion, je passe aux différents articles du projet de loi.

Il y en a, et c'est un hommage à rendre à la commission, un assez grand nombre dont la justice se fait sentir seulement en les parcourant, et qui n'appellent pas même les observations, comme il y en a quelques autres aussi qui en exigent.

On n'a rien à dire, par exemple, sur le premier article, qui fixe d'une manière générale la coinpétence de la Chambre des pairs, en déclarant que cette compétence est déterminée par la nature des crimes ou délits, et la qualité des personnes qui en sont prévenues.

Il ne se présente guère non plus d'observations critiques à faire sur le second article, qui porte que l'attentat ou complot dirigé contre la personne du roi, de la reine, ou de l'héritier présomptif de la couronne est toujours de la compétence de la Chambre, quelle que soit la qualité des prévenus.

J'en ferai cependant une: c'est que je suis étonné qu'on ait borné la compétence de la Chambre à l'attentat dirigé contre l'héritier présomptif de la couronne, et qu'on n'y ait pas compris aussi les enfants de France. Ce sont pourtant là les anciens principes. On en trouve la preuve dans nos criminalités les plus reculés et les plus modernes; on la trouve aussi dans une ordonnance de Louis XI de 1477. On en voit également des exemples dans les annales de nos tribunaux, et ces exemples sont consignés même dans l'histoire. Il y en a entre autres trois: un sous le règne de François Ier, et deux sous celui de Henri III; et on les trouve dans Mezerai, dans le Journal de Henri III,et dans l'Histoire des troubles de France. Il n'y a donc pas de raison aujourd'hui pour s'en écarter. C'était autrefois, pour ce genre de crimes, les mêmes juges et les mêmes peines; pourquoi ne serait-ce pas la même chose dans ce moment-ci?

Du reste, Messieurs, je ne partage pas du tout l'opinion de ceux des préopinants qui se sont plaints de ce qu'on attribuait la connaissance des attentats et complots dirigés contre la personne du roi, celle de la reine, et de l'héritier présomptif de la couronne, à la Chambre des pairs, plutôt que de l'attribuer aux cours royales. Ils observent qu'il y a dans les cours royales assez de talents et de lumières pour offrir sur ce point des garanties plus que de suffisantes à la confiance publique, et ils craignent que ce ne soit leur ôter de la considération dont elles jouissent que de leur refuser cette compétence.

Mais il me semble, Messieurs, que c'est une

erreur.

:

Personne ne disputera sans doute aux magistrats des cours royales, et j'en suis bien loin moimême, et les lumières et le zèle dont ils donnent tous les jours des preuves; et le premier magistrat de celle de la capitale, que nous avons le bonheur de posséder parmi nous, ne fait que justifier encore plus cette opinion mais il faut prendre garde qu'il y a des crimes, comme ceux qui attaquent la majesté royale elle-mème ou les personnes qui tiennent au trône, pour lesquels, on ne saurait assigner un tribunal trop éminent. Sous l'ancien régime on avait parfaitement senti toute la convenance de cette mesure: on avait bien créé des juges exprès pour prononcer sur les cas qu'on appelait royaux; mais c'était aux grand'chambres des parlements, comme les historiens et les jurisconsultes le remarquent, que la connaissance de tous les attentats à la vie de nos rois était exclusivement réservée; et on avait préféré les, grand'chambres des parlements précisément parce qu'elles formaient alors le corps de magistrature le plus imposant et le plus majestueux qui existât dans ce temps-là. Les forfaits des Ravaillac, des Barrière, des Châtel, des Damiens et des autres monstres de cette espèce, ont tous été jugés par la grand'chambre du parlement de Paris. Mais vous croyez bien, Messieurs, que s'il eût existé à cette époque une Chambre des pairs organisée en cour de justice, c'est à cette magistrature auguste qu'on eût, par préférence, confié cette grande et douloureuse compétence. Mais on ne connaissait plus alors que des pairs isolés, et qui ne formaient pas de corps judiciaire on ne pouvait pas les investir d'une autorité qui n'appartenait qu'à un tribunal. Il avait dont fallu se déterminer pour les grand'chambres des parlements, qui présentaient à la société des garanties encore plus importantes que les autres juges, et auxquelles d'ailleurs les pairs avaient eux-mêmes la faculté de se réunir. Il y a cependant, Messieurs, un exemple d'un attentat d'une nature toute particulière commis sur la personne d'un des plus brillants et des plus chevaleresques de nos rois, François Ier, et qui fut jugé par un prévôt de maréchaussée. Cet exemple, qui a été recueilli par nos jurisconsultes (1), et que j'ai été étonné de n'avoir pas trouvé dans les historiens, fait trop d'honneur au courage et à l'admirable présence d'esprit de ce prince qui fut la gloire et les délices des Français, pour ne pas mériter d'être plus connu et surtout rappelé ici. Il paraît que François Ier, chassant un jour dans les bois de Lelvis, près de Rambouillet, et s'étant égaré dans ces bois, entra seul dans une maison appelée des Bréviaires. Il trouve dans cette maison quatre hommes qui faisaient semblant d'être endormis. Un d'entre eux se lève, et, s'approchant du Roi,

(1) Bruneau, Serpillon et autres.

:

il lui dit qu'il avait rêvé qu'il avait sur la tête un bon feutre, et lui prend son chapeau. Un autre se lève à son tour, et dit au Roi qu'il avait rêvé aussi que son habit, ou plutôt sa casaque, suivant la naïveté du langage de ce temps-là, l'accommoderait, et il la lui ôle. Un troisième, sous le prétexte d'un autre rêve, le dépouille de son surcot, qui était une espèce de cotte blanche à l'usage des chevaliers de l'Etoile, qu'avait institué le roi Jean; et enfin le quatrième, fouillant le Roi, et apercevant dans ses poches une chaîne d'or à laquelle était suspendu un cor de chasse, il veut le lui enlever; mais le Roi, malgré le danger imminent qu'il courait, se possédant parfaitement lui-même, lui dit sur-le-champ: Permettez qu'avant de le prendre je vous en montre la vertu; alors il sonne du cor, et à l'instant même arrivent dans la maison tous les serviteurs et tous les gardes fidèles qui étaient occupésà le chercher avec inquiétude, età qui il dit: Voilà des hommes qui ont rêvé tout ce qu'ils ont voulu; moi, j'ai rêvé à mon tour qu'ils étaient tous les quatre dignes de punition, et que, pour exercer cette punition, il fallait les envoyer au prévôt de Montfort-l'Amaury, qui se trouvait le juge le plus voisin du lieu du délit. Et en effet, ces misérables, si audacieusement profanateurs de la majesté royale, furent renvoyés à ce prévôt, qui, comme l'observent les jurisconsultes, en fit bonne et briève justice. Mais vous sentez, Messieurs, que cet exemple, qui ne ressemble à aucun autre, et qui n'est, pour ainsi dire, que de hasard, ne peut pas devenir principe. Il faut, pour les attentats qui pourraient menacer la vie de nos rois, de nos reines, et des héritiers de leur couronne, des mesures plus élevées et des tribunaux d'une plus haute dignité. C'est donc avec raison que votre commission a attribué la connaissance exclusive de ces attentats à la Chambre des pairs: car c'est nous qui avons, pour ainsi dire, le plus d'intérêt à la conservation de nos rois; c'est nous qui sommes leurs premiers gardiens politiques; c'est nous qui sommes, en quelque sorte, obligés d'avoir sans cesse les yeux fixés sur le trône pour en écarter toutes les espèces de périls : c'est donc aussi à nous à poursuivre, à juger et à venger tous les attentats et tous les complots qui peuvent se former contre leur personne, et ce droit même nous appartient, comme l'a fort bien pensé la commission, quelle que puisse être la qualité des prévenus; car il ne faut pas croire qu'on ait sur ce point de compétence la faculté de faire valoir la disposition de la Charte, qui veut que nul ne puisse être distrait de ses juges naturels. Cette disposition est sans doute extrêmement juste, elle est sage, elle est nécessaire; elle est un hommage rendu à la partie la plus précieuse de nos libertés: mais cette liberté, consacrée par la Charte, est susceptible d'un exception apposée par la loi; et certes il serait difficile d'en trouver de plus nécessaire ou de plus favorable que celle qui a été indiquée et adoptée par la commission. Mon opinion est donc que l'article doit substituer, en ajoutant seulement aux mots de l'héritier présomptif de la couronne, ceux-ci et des enfants de France.

Je n'en dirai pas autant, Messieurs, du troisième article.

J'avoue que, sur cet article, je partage absolument l'opinion de notre honorable collègue, M. le comte de Lally-Tollendal. Je suis même aussi étonné, et je pourrais dire aussi affligé que lui, ne votre commission ait eu la pensée de nous boser, comme modèles de définition des

crimes sur lesquels s'étendrait notre compétence, la disposition de vingt-neuf articles de ce Code pénal,devant lequel la plus grande partie des mandataires de la nation recula, quand on appela leur suffrage, avec une sorte d'horreur, qui confondit le tyran lui-même, le fit douter de sa puissance, et fut pour lui comme un présage, terrible avantcoureur de sa chute. Je ne vous parlerai pas, Messieurs, de la recherche machiavélique que des dispositions de ces vingt-neuf articles, de leurs profondes et perfides combinaisons, de l'atrocité des intentions qu'elles décèlent; il me suffit qu'elles appartiennent au code de la tyrannie pour que je m'oppose de tout mon pouvoir à ce qu'elles nous servent de règle. Votre commission aurait-elle donc cru que ce code affreux serait éternel? Serions-nous destinés à vieillir sous ces lois horribles de l'usurpateur? Les monuments de son écrasant despotisme survivraient-ils à son exécrable mémoire ? Ah! Messieurs, espérons que cette législation sanglante disparaitra bientôt de la nôtre; espérons que toutes ces dispositions atroces, ou absurdes, ou immorales, qui souillent tous les codes que le tyran nous a laissés, même en fuyant comme les Parthes, en nous perçant le cœur, seront retranchées de ces lois qui sont encore la règle vivante de nos tribunaux; espérons que tous les principes corrupteurs de ces lois seront réformés; espérons même que cette réforme sera universelle. J'ai été le premier moi-même, Messieurs, lorsque le Roi m'a fait l'honneur de me nommer le premier magistrat de la cour de cassation, au moment de son ouverture, à l'invoquer dans un discours public, cette réforme si nécessaire; j'en ai appelé au cœur du Roi, à sa modération, à sa raison; mais moi, Messieurs, simple individu, je ne suis rien; ma Voix se perd dans les airs, et la vôtre, au contraire, qui a toute la force dont la Constitution l'a douée, retentira facilement jusqu'au trône et sera entendue. On vous a proposé l'autre jour à cette tribune de supplier le Roi d'accorder à nos vœux la réforme du Code pénal; mais ce n'est pas assez, Messieurs, il faut lui demander la réforme de la législation tout entière. Cette législation n'est pas sans doute vicieuse dans toutes ses partics, mais dans toutes les parties il y a des principes qui la corrompent, et qu'il faut nécessairement en faire disparaître; il faut donc jeter ses regards sur toutes; il faut que toutes nos lois portent aujourd'hui l'empreinte de la sagesse du Roi, il faut qu'elles portent son nom, il faut qu'elles soient son ouvrage, il faut qu'elles continuent ou qu'elles rappellent ces belles ordonnances de nos rois qui ont si longtemps et si heureusement gouverné nos pères, et qui sont comme le triomphe de la prévoyance et de la raison. Le Roi, seul, Messieurs, peut faire à la France ce beau présent qu'elle attend de sa puissance et de ses vertus. Et ne croyez pas qu'il vous propose jamais, pour votre législation criminelle, de sévérité inutile; il ne serait pas Bourbon, si l'exercice de son pouvoir n'était pas paternel. C'était sous un Bourbon que vivait cet immortel Montesquieu, quand il disait dans cet ouvrage, une des plus belles créations de l'esprit humain, ce mot admirable, « qu'il fallait dans les lois une certaine « candeur, et que, faites pour punir la méchan«ceté des hommes, elles devaient avoir elles« mêmes la plus grande innocence. » Croyez-vous, Messieurs, qu'on eût permis à Montesquieu de te nir ce langage sous l'usurpateur? Et admirez pourtant ici comment la légitimité du trône peut servir à tout, comme elle entre dans tout, comme elle

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