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vigueur à nos anciennes lois sur le mariage, rien n'est plus juste; que nous disions qu'à l'avenir les prêtres qui se marieraient seront privés de leurs pensions, à la bonne heure mais vouloir punir ceux qui se sont mariés sous une législation différente et dans un temps où la loi civile non-seulement ne défendait pas ces mariages, mais les autorisait, mais les encourageait, ce serait une rétroactivité qu'il n'est pas possible d'admettre.

Mais la morale! la morale!

La morale, Messieurs, n'est du ressort des tribunaux ou de l'autorité temporelle, qu'autant que les infractions qu'elle condamne, sont défendues par la loi temporelle. Il n'est pas toujours honorable de faire tout ce que la loi permet, mais elle ne punit jamais ce qu'elle ne défend pas. C'est à l'opinion publique à en faire justice. Vingt-cinq ans ont passé sur le mariage des prêtres. Sices mariages pouvaient encore scandaliser, qu'on les flétrisse par l'opinion: on ne peut pas faire davantage.

Abandonnons, Messieurs, ces objections, et arrêtons-nous à des considérations plus élevées.

La foi publique ne permet pas qu'on revienne sur ses engagements. Une nation grande et loyale ne doit, sous aucun prétexte, manquer à ses obligations. Elles ont pris naissance, ces obligations, à l'égard des ecclésiastiques, dans la remise entre les mains du gouvernement de tout les biens du clergé. Il était juste que tous ceux qui avaient droit pendant leur vie à la jouissance des ces biens, eussent au moins de quoi subsister pendant leur vie.

C'est sur cette foi publique, garantie par toutes les lois du temps, qu'ils sont rentrés dans la société, qu'ils y ont formé des engagements, des acquisitious, des opérations de commerce; qu'ils ont vendu, donné, cédé le droit à la pension qui leur était acquis pendant leur vie. Pourrait-on dépouiller ces acquéreurs du droit à cette pension pendant la vie du pensionnaire ? Pourrait-on frustrer les créanciers des ressources qu'ils devaient y trouver ? cela n'est pas possible. Les choses ne sont plus entières; on ne peut revenir sur ce qui a été fait.

Là résolution, dira-t-on, fait présumer qu'on donnera des secours aux indigents.

Mais d'abord, quelle sera la limite qui séparera l'aisance du besoin? Quelle sera la règle qui fera reconnaître le point où commencera la nécessité du secours?

L'objection suppose que le secours dont il s'agit serait purement arbitraire, qu'il serait libre de le conserver aux uns, de le supprimer aux autres. Ce serait aller contre l'essence même de la pension. Cette pension, en effet, n'a été constituée elle-même qu'à titre de secours; et c'est par cela même qu'elle est inviolable. Ce secours dans le titre primitif doit durer autant que la vie, quelles que soient à l'avenir les chances de la fortune; une pension alimentaire, qu'est-elle autre chose qu'une pension à titre de secours? Peut-on la suspendre, la refuser sous aucun prétexte? Il est clair que la pension constituée aux ecclésiastiques ne peut subir de modifications. Elle doit subsister entière et pendant toute leur vie; elle est pour eux un bien auquel ils ont un droit aussi légitime, aussi durable, aussi entier que tous les propriétaires de rentes viagères. Cette pension n'a pas été purement gratuite, puisque l'Etat s'est emparé à son profit de tous les avantages dont ils jouissaient alors.

La Charte, Messieurs, a garanti la dette, publique

à quelque prix que ce fût. Aussi, dans le budget de l'année dernière, toutes les pensions ecclésiastiques ont été indistinctement portées dans la dépense elles ont donc été solennellement reconnues et par le Roi et par les deux Chambres. Il n'est rien survenu depuis qui ait pu changer la nature de ces rentes, ou l'obligation de les payer.

Prenez garde, Messieurs, on ne porte pas sans danger atteinte à la foi publique. Si elle est entamée aujourd'hui sous un prétexte, on pourra craindre qu'elle ne le soit demain sous un autre. Votre sagesse saura apprécier ces considérations

Votre commission termine ici son rapport; et convaincue, d'une part, que le fait qui est reproché aux prêtres maries ne peut appartenir qu'à l'autorité de l'Eglise, de l'autre, que l'autorité civile a permis dans le temps et autorisé les mariages qui ont eu lieu; enfin, que la pension qui a été concédée aux ecclésiastiques est pure et simple et sans aucune condition, que cette pension est sous la garantie nationale ainsi que toutes les rentes, elle pense que la résolution qui vous est présentée ne peut être accueillie.

On demande et la Chambre ordonne l'impression du rapport qui vient d'être entendu. La discussion est ajournée à mardi prochain.

L'ordre du jour appelle en second lieu le rapport de la commission spéciale du règlement judiciaire, formation de la Chambre des pairs en cour de justice, sur les différents objets qui lui ont été renvoyés lors de la discussion générale du projet de résolution qu'elle a soumis à la Chambre.

M. le comte Molé, rapporteur, appelé à la tribune, présente, au nom de cette commission, les résultats du travail dont elle a été chargée.

Indépendamment de plusieurs amendements adoptés sauf rédaction, et de quelques corrections purement de style, la commission avait à s'occuper de différentes propositions modificatives et additionnelles, notamment une réforme désirée dans la première partie de l'article 3, relative à la définition des crimes d'une disposition tendante à priver du droit de siéger dans la Chambre le pair qui aurait été condamné à l'une des peines portées dans l'article 23; enfin, de l'adoption proposée du nom de cour des pairs pour distinguer la Chambre sous le rapport des fonctions judiciaires.

Au lieu de présenter séparément des observations sur chaque objet, là commission, par l'organe de son rapporteur, soumet à l'Assemblée une nouvelle rédaction de la totalité du projet, modifié par les divers amendements qu'après une mûre délibération, il lui a paru convenable d'y apporter. Ces amendements ont porté de vingtsix à trente le nombre des articles dont la résolution se compose. Des quatre articles ajoutés, trois le sont au titre II et le quatrième au titre III. Le rapporteur donne lecture de ce projet, ainsi conçu :

RÉSOLUTION DE LA CHAMBRE DES PAIRS.

Le Roi sera supplié de proposer une loi tendant à déterminer la compétence de la Chambre, et son mode de procéder comme cour judiciaire. Suivent les dispositions qu'il paraît convenable que la loi contienne :

TITRE Ier.

De la compétence.

Art. 1er. Dans l'exercice de ses fonctions judiciaires, la Chambre des pairs prend le nom de cour des pairs.

Art. 2. La compétence de la cour des pairs est déterminée par la nature des délits et des crimes et la qualité des personnes qui en sont prévenues.

Art. 3. Cependant l'attentat ou complot dirigé contre la personne du Roi, de la Reine, ou de l'héritier présomptif de la couronne, est toujours de la compétence de la cour, quelle que soit la qualité des préveuus.

Art. 4. Les crimes de la compétence de la cour des pairs, auxquels se rapporte l'article 33 de la Charte, sont ceux que les lois existantes définissent comme crime contre la sûreté de l'Etat, lorsque le prévenu, ou l'un des prévenus, est revêtu de l'une des dignités, ou remplit une des fonctions suivantes, savoir :

Princes du sang,

Pairs de France,

Archevêques et évêques,

Maréchaux de France,

Grands officiers de la couronne,

Grands officiers de la maison du Roi, désignés ciaprès :

Capitaines des gardes en activité de service,
Ministres secrétaires d'Etat,

Ministres d'Etat.

Ambassadeurs et ministres plénipotentiaires près les cours étrangères,

Généraux commandant en chef les forces de terre et de mer,

Gouverneurs de colonies et de divisions militaires en

activité.

Art. 5. Toutefois et conformément à l'article 34 de la Charte, un pair ne peut être jugé que par la cour des pairs, même pour tous autres crimes ou délits que ceux exprimés ci-dessus.

Art. 6. Si les tribunaux ordinaires, saisis de la connaissance de l'un des crimes ou délits spécifiés en la présente loi, reconnaissent parmi les prévenus, un ou plusieurs individus justiciables de la cour des pairs en raison de leurs dignités ou fonctions, lesdits tribunaux se dessaisissent de l'affaire, qui est portée devant la cour des pairs, laquelle continue alors l'instruction et procède au jugement de tous les prévenus qu'elle que soit leur qualité.

Art. 7. Il sera pourvu par une loi particulière à la forme d'accusation à suivre par la Chambre des députés, dans le cas prévu par les articles 55 et 56 de la Charte.

TITRE II.

Du mode de procéder et du jugement.

Art. 8. Il y a toujours près la cour des pairs un procureur général nommé par le Roi et choisi hors de la cour.

Art. 9. Dans le cas où le procureur général, sans être provoqué par le flagrant délit, soit par un mandat spécial du gouvernement, soit par une partie civile, soit entin par une instruction commencée devant les juges ordinaires, croit devoir intenter d'office un procès criminel contre un pair, ou tout autre justiciable de la cour des pairs, d'après une dénonciation secrète, il ne peut le faire sans avoir préalablement fait écrire la dénonciation circonstanciée sur un registre qu'il tient à cet effet, et de l'avoir fait signer par chaque dénonciateur.

Art. 10. Indépendamment de l'action du procureur général, les fonctionnaires publics qualifiés par la loi, comme agents directs du pouvoir judiciaire, ou comme auxiliaires du même pouvoir, peuvent, pour tous crimes ou délits dont la connaissance appartient à la cour, recevoir les dénonciations ou les plaintes, et faire toutes recherches et poursuites, chacun suivant sa compétence, après néanmoins que lesdites dénonciations ont été écrites, registrées et signées par le dénonciateur comme il est dit ci-dessus.

Art. 11. Les dénonciations reçues dans cette forme, et les plaintes adressées auxdits fonctionnaires publics sont, ainsi que le résultat de leurs recherches, transmises par eax sans délai au procureur général du ressort, lequel en informe sur le champ le président de la cour des pairs, sans que les poursuites demeurent suspendues ou ralenties.

Art. 12. Le président de la cour transmet toutes les pièces qui lui sont adressées au procureur général remplissant les fonctions du ministère public près la cour

des pairs, lequel peut alors requérir du président le permis d'informer.

Art. 13. L'information se fait devant le président de la cour, assisté de deux pairs désignés par lui.

Le président peut commettre un pair pour le remplacer.

Art. 14. Quand le procureur général juge les informations suffisantes, il présente à la cour son réquisitoire, et l'acte d'accusation, s'il y a lieu.

Art. 15. L'accusation n'est admise qu'à la majorité de deux voix au-dessus de la minorité.

Art. 16. Si l'accusation est admise, le président invite l'accusé à choisir ses défenseurs, et à défaut par lui de le faire, il lui en nomme d'office.

Art. 17. Les pairs opinent à haute voix et en séance secrète, tant sur l'accusation que dans toutes les décisions, déclarations ou arrêts qui interviennent pendant le cours de l'instruction et du jugement.

Art. 18. Avant l'ouverture des débats, le président arrête la liste des pairs présents, lesquels peuvent seuls participer ensuite au jugement.

Art. 19. A l'ouverture des débats, l'accusé présente ses moyens préjudiciels, s'il en a.

Art. 20. Tout pair peut être récusé par l'accusé: 1o S'il est parent ou allié des parties ou de l'une d'elles, jusqu'au degré de cousin issu de germain inclusivement;

20 S'il est créancier ou débiteur de l'une des parties; 30 S'il y a procès entre lui, sa femme, leurs ascendants et descendants, ou alliés dans la même ligne et l'une des parties, et que ce procès ait été intente avant la récusation proposée;

40 S'il est tuteur, subrogé-tuteur ou curateur, héritier présomptif ou donataire de l'une des parties, ou enfin si l'une des parties est sa présomptive héritière;

50 S'il a déposé comme témoin dans le cours de l'instruction;

60 S'il y a inimitié capitale entre lui et l'une des parties, s'il y a eu de sa part, ou de celle de l'une des parties, agression, injures ou menaces dans les six mois qui précèdent la récusation.

Art. 21. Tout pair qui sait cause de récusation en sa personne est tenu de le déclarer à la cour qui prononce, ainsi que sur toutes les récusations présentées par l'accusé.

Art. 22. Les débats sont publics.

Art. 23. Les cinq huitièmes des voix sont nécessaires pour la condamnation.

Art. 24. Les voix de tous les pairs sont comptées, quels que soient les alliances ou degrés de parenté exis

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De l'application des peines.

Art. 26. Les peines prononcées par la Chambre des pairs sont la mort, la déportation, la détention à perpétuité, le bannissement et la détention à temps.

Art. 27. Elle fait l'application de ces peines dans les cas et de la manière prévus par les lois existantes.

Art. 28. Cependant, si ces lois prononcent une autre peine que celles portées en l'article 26 de la présente loi, la cour peut y substituer la déportation, le bannissement ou la detention, en les graduant, d'après la gravité du délit ou du crime, et selon ce que la justice exige.

Art. 29. La condamnation aux peines portées en l'article 26, entraîne de droit, à l'égard du pair condamné, la privation pendant sa vie du droit de siéger dans la Chambre.

Art. 30. En matière correctionnelle, la Chambre des pairs prononce toutes les peines portées par le Code, et dans les cas qu'elles ont prévus.

Quelques membres demandent l'impression du projet qu'on vient de lire. D'autres proposent d'ouvrir de suite la délibération sur les nouveaux articles qu'il contient.

Ce dernier avis est adopté.

Les divers articles du projet sont relus par un de MM. les secrétaires, et M. le président met aux voix chacun de ceux qui renferment ou des modifications ou de nouvelles dispositions.

Le premier article est dans ce cas. Sa disposition, portant que dans l'exercice de ses fonctions judiciaires la Chambre des pairs prend le nom de cour des pairs, est mise aux voix et adoptée.

Les deux articles suivants n'ayant éprouvé aucun changement, M. le président se dispense de les remettre aux voix.

La première partie de l'article 4, celle qui concerne la définition des crimes, avait été renvoyée à la commission pour être modifiée par elle conformément aux observations de divers membres.

M. le Président met aux voix la rédaction suivante qu'elle en propose: Les crimes de la compétence de la cour des pairs, auxquels se rapporte l'article 33 de la Charte, sont ceux que les lois existantes définissent comme crimes contre la sûreté de l'Etat, lorsque le prévenu, ou l'un des prévenus, est revêtu de l'une des dignités ou remplit une des fonctions ci-après.

Un membre pense que cette rédaction ne satisfait pas à l'observation qui avait déterminé le renvoi de l'article à la commission spéciale. On voulait que les crimes dont la Chambre doit connaître, en vertu de l'article 33 de la Charte, fussent définis d'une manière positive, et sans aucun renvoi aux articles du Code.

M. le Rapporteur de la commission observe qu'elle a trouvé de l'inconvénient à cette définition directe, qui, dans l'intention de ceux qui l'ont proposée, ne devait comprendre qu'une partie des crimes définis par le Code depuis l'article 75 jusqu'à l'article 104. En laissant de côté une partie de ces crimes, qui pour cela n'auraient pas cessé d'appartenir à la classe des crimes de haute trahison et d'attentat à la sûreté de l'Etat, voici l'inconvénient auquel on s'exposait. Les tribunaux ordinaires auraient continué de connaître des crimes sur lesquels la Chambre n'aurait pas cru devoir étendre sa compétence; et les justiciables de la Chambre des pairs auraient pu être traduits pour raison de ces crimes devant les tribunaux dont il s'agit. Un maréchal de France aurait donc pu être jugé dans une cour d'assises par un jury d'artisans et de laboureurs. Il a paru impossible à la commission d'admettre cette conséquence, ni, partant, le principe dont elle dérive. Elle s'est alors bornée à modifier l'article d'après une autre observation qui tendait à substituer à la citation précise des articles du Code les termes plus généraux d'un renvoi aux lois existantes.

Plusieurs membres insistent, malgré cette explication, sur la nécessité d'une définition positive. Elle est indispensable, à leur avis, pour remplir le vœu de l'article 33 de la Charte, qui exige qu'une loi définisse les crimes dont jugera la Chambre des pairs. Ce n'est point dans les articles d'un Code justement odieux qu'il faut chercher cette loi. Les rédacteurs de la Charte ont bien entendu (l'un des opinants en a l'assurance) qu'il serait fait une loi nouvelle. Pourquoi différerait-on de s'en occuper? La matière de cette loi était l'objet capital du travail de la commission. Comment n'en a-t-elle pas senti l'importance? Elle craint de diviser la législation, de laisser dans la compétence des tribunaux ordinaires une partie des crimes de haute-trahison, quand l'autre partie sera jugée par la Chambre; de voir traduire à une cour d'assises les justiciables de la Chambre des pairs; mais ces

justiciables ne ressortissent à la Chambre des pairs que pour les crimes dont la connaissance lui est attribuée qu'importe qu'ils soient jugés ailleurs pour d'autres crimes! Elle ne prétendra pas sans doute les juger pour fait d'homicide: pourquoi le prétendrait-elle sur un autre fait qui ne serait pas plus dans son attribution? Ce n'est pas de tous les crimes de haute trahison indistinctement que la Chambre doit connaître, mais de ceux-là seulement qui seront définis. Il faut donc en venir à la définition, et aborder franchement la difficulté, si la question en présente quelqu'une.

M. le Rapporteur de la commission estime que ce ne serait pas une médiocre difficulté que de refaire, ainsi qu'il le faudrait dans ce système, un titre presque entier du Code pénal. Ce travail surpasserait tout ce qu'a fait la commission: elle n'a pas cru qu'il entràt dans le mandat qu'elle avait reçu. Elle ne pense pas même qu'il appartienne à la Chambre de provoquer ainsi, à propos d'une loi particulière, la réforme d'une législation générale. C'est de front et par une résolution directe qu'il faut attaquer cette législation, si la Chambre juge qu'il y ait lieu de le faire.

L'un des opinants pense, au contraire, que le meilleur moyen de parvenir à une réforme générale de la législation, c'est d'en améliorer successivement les différentes parties, à mesure que l'occasion s'en présente. Chaque loi, chaque résolution dont s'occupent les Chambres n'estelle pas un élément de législation générale? N'est-ce pas au Code civil, par exemple, que tient la résolution sur le divorce, adoptée récemment par la Chambre des députés? Qui empêche d'appliquer ainsi le remède aux différentes parties où le besoin s'en fait sentir? Une réforme partielle n'est pas moins au pouvoir des trois branches de la législature qu'une réforme générale, et son entreprise est moins effrayante. De quoi s'agit-il ici? De définir, ainsi que la Charte l'a voulu, les crimes de haute trahison et les attentats à la sûreté de l'Etat dont la Chambre des pairs doit connaître. Ces crimes une fois définis seront la loi de la Chambre des pairs comme celle des autres tribunaux, dans le cas où ceux-ci connaîtraient des mêmes crimes imputés à des prévenus non justiciables de cette Chambre. Sans une pareille loi, comment sera-t-elle saisie des crimes dont la connaissance lui appartient? Comment en dessaisira-t-elle les tribunaux ordinaires ?

Un pair, en appuyant cette doctrine, observe qu'une rédaction conforme avait été présentée, dans le cours de la discussion générale, par un membre de la commission. 11 demande que ce membre soit invité à la reproduire.

La rédaction dont il s'agit est reproduite par son auteur, qui annonce qu'il a pris pour base, dans la définition des crimes de lèze-majesté au premier chef, les principes de la législation romaine et ceux des anciennes ordonnances de nos rois. Il ajoute que trois motifs principaux lui ont fait adopter, sur l'objet de la discussion actuelle, une opinion différente de celle de ses collègues. Le premier est l'intention formelle de la Charte, qui exige absolument une loi de définition. L'opinant, appelé, dans le temps, à concourir à la rédaction de cet acte, confirme l'assurance déjà donnée par un autre pair, sur le véritable sens de l'article 33. Un second motif est à ses yeux la nécessité de distinguer entre les crimes de haute trahison et de lèse-majesté au premier chef, et ceux d'une classe inférieure qui tous se trouvent mêlés et confondus dans les trente arti

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cles du Code pénal auquel on renvoie, sous le nom de lois existantes, comme par une citation plus directe. Il lui a paru important de faire une classe à part de ceux de ces crimes qui ont une gravité réelle. Enfin il a trouvé un troisième et dernier motif dans le besoin de restreindre la compétence de la Chambre, sous le rapport de la matière, quand on l'étend sous le rapport des personnes. Elle ne pourrait être étendue à la fois sous l'un et l'autre rapport, sans exposer la Chambre à exercer à tous moments les fonctions de cour de justice.

Un autre membre de la commission observe que le préopinant part d'un principe tout à fait opposé à celui qui a dirigé ses collègues ils ont voulu soumettre à la compétence de la Chambre tous les crimes de haute trahison et de lèse-majesté, quand les prévenus de ces crimes exerceraient certaines fonctions, seraient revêtus de certaines dignités. Le préopinant, au contraire, n'entend soumettre à la compétence de la Chambre que les crimes d'une certaine classe. Il motive l'excèption sur la nature des crimes, quand la commission propose de la motiver sur la qualité des prévenus. Ce sont deux systèmes différents entre lesquels devra choisir l'Assemblée.

Un pair demande qu'on renvoie de nouveau à la commission spéciale la rédaction proposée par l'un de ses membres.

M. le Rapporteur de la commission observe que ce renvoi n'aurait aucune utilité, la rédaction dont il s'agit ayant été mûrement examinée par la commission, qui n'a pas cru devoir l'adopter. Elle a pensé que tous les crimes définis dans les trente articles du Code, dont l'article projeté contenait originairement l'indication, étaient de leur nature assez graves pour être jugés par la Chambre des pairs, quand les prévenus de ces crimes appartenaient à certaines classes de la société. Il n'est pas exact de présenter l'article 4 comme étendant la compétence de la Chambre sous le rapport des personnes. Il la restreint, au contraire, en bornant à certaines classes de prévenus les justiciables de la Chambre des pairs, dans une matière où la Chambre n'avait posé aucune limite.

Un autre membre de la commission avoue qu'il ne peut se familiariser avec la pensée de trouver un crime de haute trahison ou de lèse-majesté dans chacune des dispositions de cette loi expirante, plutôt qu'existante, à laquelle on se réfère. Quelle idée, par exemple, veut-on qu'il se forme du crime prévu par l'article 78, et qui consiste dans le fait d'une correspondance entretenue sans dessein criminel, mais dont le résultat néanmoins aurait été de fournir des instructions nuisibles à la situation militaire ou politique de la France? Quel crime définit l'article 85 en punissant du bannissement quiconque aura, par des actes non approuvés par le gouvernement, exposé les Français à éprouver des représailles? Peut-on de bonne foi proposer à la Chambre des pairs de prendre pour base de ses jugements de telles définitions?

Un membre, pénétré des mêmes sentiments, renouvelle la proposition qu'il a précédemment faite d'adresser au Roi, dans les formes prescrites par l'article 19 de la Charte, une supplique tendante à la réforme du Code pénal.

Un autre membre observe que, sans être spécialement demandée, cette réforme, si le Roi la juge nécessaire, pourrait être la suite de la résolution prise par la Chambre. En effet, Sa Majesté n'est gênée en aucune manière par les termes dans lesquels cette résolution serait conçue; elle

peut s'en écarter; elle peut même n'y avoir aucun égard, et proposer tout autre chose. Pourquoi donc attaquerait-on sans nécessité comme sans profit des questions hérissées de difficultés, ne pas s'en tenir simplement à l'article présenté par la commission?

Un membre de cette commission ajoute que l'adoption du projet actuel n'empêcherait pas la Chambre de s'occuper ultérieurement, si elle le jugeait convenable, d'une loi de définitions. Elle sera toujours à temps de proposer à cet égard les compléments qui lui paraîtraient exiger une première loi sur sa compétence.

M. le Président remet sous les yeux de la Chambre les termes dans lesquels est conçu l'arl'article 4 du projet.

Un membre insiste sur la proposition qu'il a faite de le renvoyer de nouveau à la commission. La question préalable est invoquée sur ce renvoi mise aux voix par M. le président, elle est adoptée par la Chambre, qui, sans s'arrêter au nouvel amendement de rédaction pro posé par un pair, adopte dans les termes du projet la première partie de l'article 4.

Elle adopte pareillement la seconde partie de cet article, contenant la nomenclature des justiciables de la Chambre des pairs, modifiée par les amendements qui ont été adoptés dans la discussion générale.

L'article 5 n'ayant éprouvé aucun changement, la délibération passe de suite à l'article 6.

Il est adopté avec les corrections de style que propose la commission spéciale.

L'article 7, précédemment adopté, n'est rappelé que pour mémoire.

L'article 8, relatif à l'exercice des fonctions du ministère public, était adopté, sauf rédaction. Il obtient, dans les termes où la commission l'a reproduit, une approbation définitive.

Il en est de même des articles 9 et 10 concernant les dénonciations.

Les articles 11 et 12, précédemment adoptés, ne donnent lieu à aucune délibération

L'article 13, adopté en principe, est mis aux voix quant à sa rédaction et adopté pour la teneur actuelle.

Rien n'étant changé dans l'article 14, c'est sur l'article 15 que la délibération s'établit.

Cet article, qui fixe à deux voix au-dessus de la minorité la majorité nécessaire pour que l'accusatien soit admise, est mis aux voix et adopté.

La Chambre adopte pareillement l'article 16, relatif à l'invitation qui doit être faite à l'accusé de choisir ses défenseurs. Ce dernier article n'a éprouvé d'autre changement que celui de la place qu'il occupait dans le classement originaire.

Les articles 17, 18 et 19, précédemment adoptés, n'entrent point en délibération.

Elle s'établit sur l'article 20, qui spécifie les causes de récusation pour lesquelles l'article originaire qu'il remplace renvoyait au Code de procédure civile.

La rédaction de cet article est mise aux voix et adoptée après quelques débats.

L'article 21, formé d'une partie de l'ancien article 18, et d'une disposition additionnelle qui oblige tout pair de déclarer à la Chambre les causes de récusation qu'il fait de sa personne, est pareillement adopté.

Les articles 22, 23, 24, 25, 26, 27 et 28 ne sont rappelés qu'avec la mention de leur adoption antérieure.

Quelques débats s'engagent sur l'article 29, qui exclut du droit de siéger dans la Chambre tout

pair condamné à l'une des peines portées en l'article 26.

Un membre pense que cette exclusion pourrait sembler rigoureuse, dans le cas où la peine prononcée serait la détention à temps. Un autre membre observe que suivant le principe établi, le fils d'un pair serait d'avance exclu de la Chambre, si, par jugement d'un tribunal ordinaire, il était condamné à l'une des peine dont il s'agit. L'opinant voudrait que cette exclusion fùt prononcée, suivant l'exigence des cas, par un jugegement de la Chambre.

Un membre de la commission remarque, pour la justification de l'article, que la détention à temps remplace, dans le cas supposé, une peine plus grave de la nature de celles que la Chambre s'est interdit de prononcer.

L'article 29 est mis aux voix et adopté.

L'adoption antérieure de l'article 30, qui termine le projet, rendant inutile toute délibération à cet égard, M. le Président annonce que la discussion est épuisée.

Il consulte la Chambre pour savoir si elle veut passer de suite au scrutin sur l'adoption définitive de la résolution qui lui est soumise.

La Chambre ordonne l'ouverture du scrutin. M. le Président désigne en conséquence, par la voie du sort, deux scrutateurs pour assister au dépouillement des votes.

Les scrutateurs désignés sont M. le duc de Serent et M. le comte de Durfort.

On procède au scrutin dans la forme accoutumée. Le nombre des votants était de 122. Sur ce nombre le résultat du dépouillement donne 101 suffrages en faveur du projet. Son adoption est proclamée au nom de la Chambre par M. le président.

Ce projet, converti en résolution, sera transmis à la Chambre des députés, après le délai de dix jours fixé par la Charte.

M. le Président lève la séance après avoir ajourné l'Assemblée au mardi 12 de ce mois, à une heure.

CHAMBRE DES DÉPUTÉS.

PRÉSIDENCE DE M. LAINÉ.

Séance du 9 mars 1816.

La séance est ouverte par la lecture du procèsverbal. Sa rédaction est adoptée.

L'ordre du jour appelle à la tribune MM. les rapporteurs de la commission du budget.

M. le comte Corvetto, M. le comte de Vaublanc, M. le baron Pasquier, M. le baron Dudon, MM. de Saint-Cricq, Portal et de Barante sont au banc des ministres.

M. le Président. La commission du budget a divisé son travail en trois parties. La Chambre va entendre successivement les trois rapporteurs (I).

(1) Les membres de la commission sont MM. d'Hélyot aîné, Brenet, Cornet d'Incourt, Feuillant, secrétaire; le marquis de Saint-Géry, Bonne, Gouin-Moisant, Potteau d'Hancardrie, le marquis d'Archimbaud, de Bourienne, Fornier de Saint-Lary, le prince de Broglie, de Villèle, Pontet, le marquis de Blosseville, Richard, le comte de Scey, le comte de Bruyère-Chalabre, Corbiere, JosseBeauvoir, Garnier-Defougeray, Pardessus, de Lastours, de Marandet, le comte Pianelli de la Valette, président; le baron Morgan de Belloy, Tixier de la Chapelle, de Bouville, Clauzel de Coussergues, le comte de La Bourdonnaye, Barbier, d'Hardivilliers, le vicomte de Castelbajac, Delamarre."

M. Corbière monte à la tribune et fait à l'Assemblée le rapport suivant sur l'ensemble du budget:

Messieurs, vous êtes préparés depuis longtemps, ainsi que toute la France, aux sacrifices qu'elle doit s'imposer. Vous avez été témoins des désastres qui les ont rendus nécessaires; les besoins de l'Etat n'ont jamais cessé de vous être présents. Vous avez aujourd'hui à délibérer sur les moyens d'y satisfaire; à offrir au Roi les ressources sur lesquelles il a le droit de compter; à répondre à la confiance qui lui a fait dire qu'avec des Français il n'avait point désespéré du salut de la patrie.

Il faut en même temps fixer le sort des créances arriérées, résultats inévitables des événements des dernières années;

Régulariser la contribution extraordinaire de 100 millions imposée avec précipitation au mois d'août, pour éviter de plus grands malheurs,

Assurer le crédit public par l'établissement d'une caisse d'amortissement, avec une dotation convenable;

Remplir les engagements contractés par le traité du 20 novembre;

Faire face aux dépenses ordinaires de l'Etat, dans un moment où toutes les parties du service public ont souffert et exigent de prompts se

cours.

Fournir enfin aux administrations locales des moyens de subvenir à leurs besoins particuliers, et poser ainsi les premiers principes d'une amé lioration réclamée par tous les bons esprits, dans le système actuel de l'administration publique.

Tels sont, Messieurs, les grands objets dont vous avez à vous occuper, par la nature même de vos fonctions, et sur lesquels le projet de loi sur les finances, qui vous a été présenté au nom du Roi, a appelé votre attention.

Votre commission a dû recueillir avec soin les lumières que lui a fournies une première discussion dans vos bureaux, pour former, sur la loi qui vous a été proposée, l'opinion que vous l'avez chargée de vous soumettre. Si son plan diffère de celui du projet sur quelques points importants, le but a été le même, c'est celui de pourvoir à tous les besoins du Trésor, quelque grands qu'ils paraissent, sans laisser même à cet égard une inquiétude au gouvernement, ni un prétexte à la malveillance.

Un autre devoir non moins difficile est de choisir, dans l'intérêt des peuples, les moyens les plus convenables; de discerner les taxes dont la charge est la moins pénible et la perception la plus douce.

Ici, Messieurs, les dissentiments qui peuvent s'élever ne s'expliquent que trop naturellement par les difficultés de la matière; nous croirons avoir fait tout ce que vous attendiez de nous, si les vues que nous allons vous présenter, les motifs qui nous ont guidés peuvent être utiles, sinon à fixer, du moins à faciliter votre détermination définitive.

Vous connaissez comme nous, Messieurs, les nombreuses observations qui nous sont parvenues de toutes parts. Les questions qui vous sont soumises touchent trop directement tous les intérêts pour n'avoir pas occupé les esprits. Toutes les opinions ont trouvé des organes, et nous devons nous en féliciter. Les uns se sont occupés de plans généraux, dans la seule vue de l'utilité publique, et vous avez applaudi à leur zèle. Cette espèce d'association aux travaux du gouvernement ne peut que tourner à l'avantage commun; elle sera

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