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191 millions de ces dettes; 113 millions ne sont pas remboursables en ce moment; enfin, par les calculs que nous établissons, vous n'avez que 194 millions à payer, il vous reste encore l'équivalent de la totalité des 300,000 hectares de bois, et vous avez la prétention de rester en jouissance de la libre disposition de la totalité de ce gage, quoique l'Etat l'ait racheté par les payements qu'il a effectués par d'autres moyens, quoique l'Etat reste grevé de la partie de la dette que vous ne pouvez payer en ce moment, quoique l'exposé sur lequel on vous a donné ce gage fût exagéré. Non, sans doute, un règlement de compte serait fait par la Chambre avec le ministre, et la base en est claire comme les résultats: 759 millions sont à 300,000 hectares de bois, et à la valeur des biens des communes, comme 194 millions sont à la portion du gage que l'Etat doit vous laisser; c'est ainsi seulement que la lei de 1814 peut être exécutée avec justice. Qu'on calcule les résultats de ce mode de payement et qu'on cesse d'accuser ceux qui sont chargés de défendre les intérêts de leur pays, de vouloir jeter le désordre dans l'Etat, de ne respecter aucun engagement, de fouler aux pieds les lois et la justice, quand ils ne font que ce que leur prescrit le devoir qui leur est imposé, en défendant l'intérêt des créanciers de l'Etat en général, contre la petite portion de ces créanciers auxquels on veut sacrifier tous les autres. Lorsque la commission s'est résolue à vous proposer de consolider tous les arriérés, elle a calculé la position de la France, elle a balancé tous les intérêts, elle n'a pas oublié ceux des créanciers de l'Etat, car les hommes qui la composent ont aussi la conscience de leur devoir et l'ont rempli, quoi qu'en ait dit dans son discours un des orateurs qui m'ont précédé à cette tribune; mais ils sont comme vous, comme les créanciers de l'Etat, comme la France entière, soumis à la dure loi de la nécessité; ils ne pouvaient admettre la possibilité de la vente de tous les bois nécessaires pour payer tous les créanciers de l'Etat; car, pour payer 700 millions, il eût fallu vendre toutes vos forêts; et, je le demande, cette vente est-elle possible? Ils ne pouvaient donc consentir à cette vente, parce qu'elle ruinerait d'Etat sans payer les créanciers; parce qu'elle enrichirait des agioteurs sans payer les créanciers; parce qu'elle tendrait à réduire encore la valeur véuale des propriétés foncières en France, sans payer les créanciers; parce qu'entin, comme je viens de le dire, ces ventes eussent reproduit d'année en année ces funestes arriérés, jusqu'à ce qu'ils eussent absorbé tous les bois de l'Etat. Votre commission ne pouvant vous proposer non plus de payer les créanciers en argent, puisque les contribuables sont d'ici à cinq ans dans l'impossibilité d'en fournir pour cet objet, a dù calculer, dans l'intérêt du créancier, quelle était l'obligation qui lui serait le plus profitable et l'exposerait à moins de dangers.

Or, j'en appelle aux créanciers eux-mêmes, à tous les financiers, à tous les hommes qui sont en état de calculer l'effet sur la place de Paris de l'émission de 4 ou 500 millions d'un papier quelconque, et qu'ils me disent si la consolidation n'est pas plus profitable aux créanciers de l'Etat, qu'un payement qui serait fait avec un tel papier. L'inscription au grand-livre de la dette publique est si bien le mode de payement le plus avantageux aux créanciers de l'Etat, que les membres de la commission qui ont défendu leurs intérêts avec le plus de chaleur, ont voté pour l'inscription, mais ont demandé pour eux un dé

dommagement pour la différence entre la valeur nominale et la valeur vénale de la rente. Ici, Messieurs, se présente une nouvelle question sur laquelle votre commission n'a pas été aussi unanime. On a d'abord proposé d'ajouter à la rente une bonification fixée par le cours ; ainsi, en supposant nos arriérés de 700 millions, et la rente au cours actuel, il en eût coûté à la France une perte de 260 millions pour opérer sa liquidation; il est sans doute impossible d'en adopter une plus ruineuse; pour ne pas faire perdre les créanciers, on leur eût assuré à jamais plus de 8 p. 0/0 dintérêt, et la possibilité de gagner avant peu 20 ou 30 p. 0/0 sur le capital: est-ce ainsi que vous pouvez remplir vos devoirs envers les contribuables, chargés en dernière analyse, de pourvoir par des impôts à de telles prodigalités ?

On a proposé d'autres transactions plus ou moins ingénieuses, mais toutes ayant le double vice de ne pas satisfaire intégralement les créanciers, et d'imposer une surcharge injuste aux contribuables.

De très-hautes considérations sont liées à cette question, et ne doivent pas être perdues de vue par ceux qui croiraient ne pas faire tout ce qu'ils doivent, en inscrivant au livre de la dette publique les créanciers de l'arriéré, en assurant par des fonds spéciaux le payement exact de la rente, en établissant une caisse d'amortissement suffisante pour lui assurer avant peu un cours avantageux. Sans doute que les engagements contractés envers les créanciers de l'arriéré doivent être templis; mais, est-ce les violer que de les payer par les seuls moyens compatibles avec la moderation des impôts sur laquelle repose et la sûreté de l'Etat et celle du créancier lui-même ?

Les rentiers viagers et perpétuels, réduits injustement au tiers de leur créance; les communes, les départements, pour les dépôts faits par eux dans les caisses publiques; les propriétaires, pour toutes les fournitures faites par voie de réquisition à vos armées étrangères, en 1814 et 1815, ne sont-ils pas aussi vos créanciers? Si vous faites revivre tous les arriérés rejetés par l'ancien gouvernement, jusques et compris l'an 1801, faites revivre aussi toutes les réclamations fondées qu'on peut faire avec autant de justice à votre Trésor public, depuis cette époque, et vos dettes s'élèveront à des milliards. Donnez le motif de la préférence que vous accordez à ceux que vous payez intégralement sur ceux auxquels Vous ne payez rien, ou renoncez à me parler au nom de la justice; calculez le montant de toutes les dettes que je viens de vous signaler, ajoutezles aux 696 millions de créances arriérées adoptées par le budget de 1816, et à la vue de cette somme énorme, reconnaissez avec moi l'insigne faveur accordée aux créanciers préférés que vous consolidez, et l'impossibilité évidente, après une révolution aussi longue, aussi violente, aussi féconde en spoliations et en malheurs de toute espèce, de régulariser le passé, et de fonder sur cette régularisation le crédit du gouvernement du Roi.

Sans doute que le Roi veut ménager les intérêts des créanciers de l'arriéré; mais il veut aussi ménager ses peuples; mais il veut aussi, parce que c'est le premier de nos intérêts et des siens, terminer la révolution et rendre enfin à la France, à l'Europe et au monde une tranquillité si nécessaire après de si longues et de si violentes agitations.

Et, je le demande, peut-on terminer la révolution par les moyens qu'on vous propose? L'État

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Considérez, Messieurs, la conséquence du système qu'on veut vous faire adopter, et jugez-le par les raisons elles-mêmes que ses défenseurs sont obligés d'employer pour le soutenir.

Vendre les biens des communes sans leur consentement, c'est dépouiller un légitime proprié taire de sa propriété; c'est porter atteinte à la Charte, et sous tous ces rapports les dispositions de la loi de 1814, qu'on vous présente comme irrévocables, sont inconstitutionnelles, et notre devoir ne se borne pas à ne pas l'avoir votée, il s'étend jusqu'à la rapporter.

Mais les motifs qui vous font repousser cette loi ne seraient-ils pas une des causes qui fait qu'on ajoute tant d'importance à vous la faire respecter? Les principes sur lesquels on fonde le système d'amalgame et de fusion dont nous a parlé un des derniers orateurs, n'iraient-ils pas jusqu'à faire désirer de voir donner ce nouveau gage à la Révolution ? Un discours mémorable fait dans le sein de votre commission m'autorise à émettre cette opinion.

Mais, Messieurs, quand vos principes ne mettraient pas un obstacle invincible à cette prétention, les vues politiques les plus ordinaires suf-` firaient pour vous faire prévoir qu'en suivant ce système, nous ne sortirions jamais du cercle vicieux dans lequel nous serions entrés. De gage en gage, de concession en concession on compromettrait sans le vouloir, mais inévitablement, le sort de notre patrie; que les partisans d'un tel système nous expliquent pourquoi les gages et les concessions faites en 1814 n'ont pas empêché la révolution du 20 mars; et s'ils n'ont pas de réponse satisfaisante à faire à cette observation, adoptons une marche politique plus rassurante et préférable sous tous les rapports; élevons un mur d'airain entre le passé et l'avenir; mais sortons de l'ornière de la Révolution pour n'y rentrer jamais; c'est le seul moyen que je voie de sauver notre pays dans sa situation présente, et j'ai dû le dire sans détour, comme je soumets avec confiance mon opinion au jugement de tous les amis de la tranquillité et du bonheur de la France.

Je vote contre le projet de loi du ministre, parce que je trouve injuste de vendre les biens des communes sans leur consentement, et contre leurs droits et leurs intérêts; parce que je crois dangereux de réduire le prix vénal des propriétés en France, par la concurrence d'une aussi grande masse de vente de bois, dans un moment où on a tant de sacrifices à demander aux propriétaires; parce que les créanciers ne pouvant acheter euxmêmes ces bois, ils seront forcés de passer à vil

prix leurs créances à des compagnies de capita

listes qui, après avoir fait la loi aux créanciers, la feront encore à l'Etat pour l'achat de ses bois.

Parce que la loi de 1814, dont le ministre veut s'autoriser pour continuer ces ventes, n'a pourvu aux intérêts que de quelques-uns des créanciers de l'Etat, tandis que la justice exige que tous soient également traités; parce que cette loi a été si bien rapportée par la force des événements malheureux qui sont arrivés depuis, que le ministre lui-même, qui réclame son exécution, ne l'exécute

pas, puisqu'il n'émet pas, comme cette loi le lui ordonne, 100 millions de bons royaux sur la place, pour les 100 millions de créances déjà liquidées, attendu que cette émission, conforme à la loi du 23 septembre, prouverait de suite, par la perte des bons royaux, que les créanciers n'ont rien à gagner à l'exécution de cette loi.

Je vote aussi contre le projet du ministre, parce qu'il demande aux propriétaires 130 centimes en sus du principal de leur contribution ordinaire, ce que je crois inexécutable après les malheurs qui les ont accablés en 1815.

Je vote enfin contre le projet du ministre, parce qu'il tend à nous faire faire, dans des circonstances aussi difficiles, l'essai périlleux de six nouveaux droits assez peu mûris pour avoir excité des réclamations générales dans tout le royaume, et avoir été changés deux fois avec de nouvelles combinaisons par leur auteur lui-même, sans réunir plus de suffrages en leur faveur.

Je vote pour le projet de la commission, parce qu'il me parait résoudre d'une manière moins funeste à mon pays et moins onéreux pour les contribuables, le triste problème dont la solution était imposée au budget de la France en 1816. Cet avis est fortement appuyé.

La suite de la discussion est renvoyée au lendemain à midi.

La séance est levée.

CHAMBRE DES DÉPUTÉS.

PRÉSIDENCE DE M. LAINÉ

Comité secret du 18 mars 1816.

Les procès-verbaux des comités secrets du 13 et du 16 mars sont lus et adoptés.

Un membre (M. de Kergorlay) lit une proposition tendante à supplier Sa Majesté de faire présenter, en exécution de l'article 56 de la Charte, un projet de loi sur la responsabilité des ministres. Le développement de cette proposition sera fait dans le prochain comité secret.

L'auteur de la proposition relative à l'épuration des administrations est appelé à la tribune pour en faire le développement.

M. de Salaberry dit qu'il ne faut pas espérer de changement dans les choses, tant qu'il n'y en aura pas dans les hommes, et que le peuple ne sera tranquille que quand les agents de Bonaparte ne seront plus en place.

Il se hâte, pour prévenir les fausses interprétations de la crainte et de la malveillance, de déclarer qu'il n'entend parler que de ceux qui ont trahi leur serment au 20 mars, et que tout homme qui est resté fidèle à cette époque, est pour lui un vrai Français.

Il rappelle que tous les gouvernements qui ont précédé le gouvernement actuel, n'ont jamais manqué de faire des opérations dans leur sens, et que ce fut le principe de leur force. Il dit que le moyen de former l'esprit public est de récompenser la vertu, l'honneur et la fidélité.

Ce sont les bureaux des ministères et des directions générales qui, selon lui, maintiennent en place les ennemis de la légitimité; il montre comment un agent du pouvoir peut le contrarier sans se compromettre, et il cite l'exemple de l'année dernière, pour prouver que le dévouement des ministres est impuissant si les subordonnés sont mal choisis.

Il conclut en ces termes : J'ai l'honneur de proposer à l'Assemblée de faire à Sa Majesté une

humble adresse concernant les épurations, etc. Je ne me permets pas de présenter à l'Assemblée les articles que l'adresse, suivant mon opinion, pourrait contenir; nous professons tous la haine du crime, le mépris pour la lâcheté, l'indulgence pour l'erreur je me borne à demander le renvoi à une commission centrale pour régler le mode d'épuration le plus efficace, le plus équitable, et surtout le plus prompt.

Mais vu l'importance de l'objet qui occupe en ce moment la Chambre (le budget), je demande l'ajournement de la prise en considération de ma proposition jusqu'à la conclusion du budget.

La Chambre prononce que la question de savoir si la proposition sera prise en considération est ajournée après le budget.

La séance est levée.

CHAMBRE DES PAIRS.

PRÉSIDENCE DE M. LE CHANCELIER.

Séance du 19 mars 1816

A une heure, la Chambre se réunit, en vertu de l'ajournement porté au procès-verbal de la séance du 16 de ce mois.

Lecture faite de ce procès-verbal, sa rédaction est adoptée.

L'ordre du jour appelle la discussion en assemblée générale de la résolution de la Chambre des députés relative au divorce.

Un des MM. les secrétaires donne lecture de cette résolution, et M. le Président consulte la Chambre pour savoir si elle veut ouvrir la discussion, ou nommer une commission spéciale pour lui faire son rapport.

La Chambre décide que la discussion sera ou

verte.

M. de La Luzerne, évêque de Langres (1). Messieurs, la proposition qui vous est adressée intéresse trop essentiellement les objets précieux et sacrés confiés à notre ministère, pour qu'il nous soit permis de rester dans le silence. Nous trahirions ce ministère sacré dont nous sommes revêtus, pour faire pratiquer les bonnes mœurs, pour faire observer les lois de la religion, si, lorsque les unes et les autres sont méconnues, nous ne les réclamions pas; si, lorsqu'elles sont attaquées, nous ne les défendions pas.

Vous n'attendez pas de moi sans doute que j'entre dans la discussion théologique des preuves qui établissent le dogme de la sainte indissolubilité du mariage. Je dis le dogme; car ce n'est pas ici un de ces règlements que l'Eglise a publiés dans le cours des siècles, pour établir, fortifier et perfectionner sa discipline, c'est l'oracle de JésusChrist; c'est la parole qui ne passera jamais. Il est au-dessus de la puissance de l'Eglise de déroger à cette divine loi; il est hors de la mesure de ses droits d'en dispenser. Dans ses premiers temps, lorsque les lois du paganisme autorisaient le divorce des citoyens, elle l'interdisait aux chrétiens; et les Pères défendaient sévèrement l'usage de cette funeste tolérance. Depuis ce temps les lois de l'Eglise et de l'Etat se sont constamment réunies pour faire du lien d'un mariage subsistant un empêchement dirimant qui frappe de nullité absolue tout autre mariage.

Tel a donc été, depuis le jour où Clovis rendit la France chrétienne, le principe reconnu et révéré

(1) Le discours de M. de La Luzerne n'a pas été inséré au Moniteur.

de tous les Français. Le mariage est un engagement non-seulement des époux entre eux, mais des deux époux conjointement, envers Dieu qui consacre leur union par le sacrement; envers l'Etat qui la corrobore par ses lois; envers les enfants qui naîtront d'eux, pour lesquels ils contractent l'obligation d'une éducation chrétienne et civile.

Mais après douze siècles de religion et de prospérités, est venue fondre sur la France notre affreuse Révolution. Des Assemblées de plus en plus criminelles se sont succédé. Préparées par la première qui s'était déclarée constituante, en détruisant la constitution de l'Etat et celle de l'Eglise préludant elle-même aux meurtres et aux carnages, dont la troisième, intitulée Convention nationale, a couvert la France, la seconde de ces Assemblées dite Législative s'est efforcée de détruire les mœurs; elle a proclamé le divorce. Pour assurer l'exécution de cette loi immorale et irréligieuse, elle en multiplia les motifs et les moyens. Les causes du divorce furent étendues à tout ce que put imaginer la corruption de ces législateurs : elles comprirent dans leur longue énumération l'adultère, les mauvais traitements, l'incompatibilité d'humeurs, la diffamation publique, l'absence pendant cinq ans sans nouvelles, l'abandon de l'un des deux époux par l'autre, le consentement mutuel, la démence, et jusqu'à l'émigration. A ce signal répondit une multitude d'hommes dissolus. Le noeud conjugal, ce lien puissant et sacré des familles, et par là de la société politique, fut brisé de beaucoup de côtés. On vit, à la honte de la nation, les divorces non-seulement se multiplier, mais se répéter; et des époux, à la faveur de la loi, passer de divorce en divorce, comme avant cette honteuse loi, ils allaient de débauches en débauches. L'Eglise même, l'Eglise gémit de voir plusieurs de ses ministres s'associer à la législation impie. Elle se lamenta avec le prophète sur les pierres du sanctuaire dispersées et foulées aux pieds parmi les décombres de la société. Des hommes consacrés par l'onction sacerdotale à une perpétuelle continence joignirent au scandale de leur mariage celui du divorce; les uns épousant des feinmes divorcées, les autres se divorçant de celles qu'ils avaient épousées.

Enfin l'excès même de la dépravation fit sentir la nécessité d'y mettre un frein. L'indignation publique, et le cri universel de tous les hommes qui avaient conservé, je ne dis pas seulement des principes de religion, mais quelque sentiment d'honneur et de pudeur, exigèrent la réforme de cette monstrueuse législation. L'impiété ellemême parut rougir de la multitude de ses prostitutions. Mais l'homme que les circonstances avaient placé au sommet du gouvernement était incapable d'être mu par un motif religieux ou honnête. Il se garda bien d'annuler cet opprobre de la nation, parce qu'il jugea plus utile de capituler avec lui. Il se vanta, et ses flatteurs le louèrent d'avoir rétabli l'empire de la vertu, parce qu'il avait un peu diminué les facilités du crime. Le Code Napoléon parut, réduisant les causes du divorce à quatre chefs, qui furent l'adultère, les mauvais traitements, la condamnation à peine infamante, et le consentement_mutuel. Telle est la loi sous laquelle vivent les Français depuis le mois de mars 1803, et dont la vertueuse Chambre des députés réclame, au nom de toutes les âmes religieuses et honnêtes des départements, l'entière abrogation.

Pour adopter cette réclamation si juste, si sage, si utile, si nécessaire, une seule considération

:

devrait suffire Telle est la loi de Dieu. Ce mot seul tranche toutes les difficultés. Sans doute les lois humaines peuvent, pour l'intérêt public, interdire des choses qui ne sont pas prohibées par la loi de Dieu. Il est vrai aussi que la prudence oblige quelquefois à tolérer, c'est-à-dire à ne pas punir des actions que condamne la loi religieuse. Mais la loi humaine, qui autorise expressément ce qui est condamné par la loi de Dieu, est une loi impie, essentiellement criminelle.

De ce principe sacré, qui doit être le motif principal de nos délibérations, descendant à des considérations d'un ordre infiniment inférieur, j'ajoute que, faisant abstraction de la divinité du Maître que nous adorons, et me permettant de le considérer uniquement comme homme, et son évangile comme uue simple loi morale, il est impossible de ne pas reconnaître en lui le plus profond des législateurs, celui dont le code est le plus sagement attempéré à la nature des hommes, à leurs inclinations, à leurs passions, à leurs intėrėts, à leurs besoins; celui dont les préceptes sont les plus utiles, non-seulement pour la vie future, mais pour la vie présente; non-seulement à la vie privée, mais à la société humaine; nonseulement à la société civile, mais à la société politique. Pour ne pas sortir de la question qui nous occupe, je ne ferai l'application de cette grande vérité qu'à la loi évangélique de l'indissolubilité absolue du lien conjugal, et je la considérerai sous le triple rapport de la société, des époux, et de leurs enfants.

La société civile et politique se compose de l'agrégation, de la réunion des sociétés particulières, qui sont les familles. C'est donc de l'union de toutes les familles que résulte l'union du corps politique. Mais comment resteront unies entre elles les diverses familles, quand, dans leur intérieur même, quand, entre leurs divers membres, il existera des principes de division. Or, c'est le mariage qui crée les familles; c'est la stabilité des mariages qui maintient l'union des familles; c'est l'indissolubilité absolue du mariage qui perpétue, qui garantit, qui assure cette précieuse union. Brisez cette barrière sociale, qui contient dans son enceinte l'union du corps politique; laissez-y pénétrer le divorce, vous aurez reinpli, d'abord les mariages, bientôt après les familles, et enfin, lorsque les divorces se seront multipliés, la société entière, de divisions et de discordes.

La seule pensée, le désir, l'espoir du divorce, anéantit l'harmonie du système conjugal, détruit cet heureux accord d'autorité et de condescendance, cette balance entre l'empire que la loi donne à l'époux, et cet autre empire plus doux, mais autant et souvent plus efficace, de la grâce et de la douceur que la nature attribue à l'épouse. L'autorité maritale est méprisée par la femme, qui sait qu'elle peut s'y soustraire. Le charme de la condescendance conjugale s'évanouit aux yeux de l'homme que des affections criminelles entraînent pour toujours vers d'autres objets.

Et quand s'est effectuée cette malheureuse scission, une grande injustice s'est opérée. Les choses ne sont pas restées égales entre les deux. L'époux a emporté avec lui les avantages qu'il avait apportés, et il a acquis une liberté que les préjugés du monde ne dégradent pas. Mais l'épouse à perdu, avec sa chasteté conjugale, sa dignité d'épousé et sa considération publique.

Enfin, que vont devenir, dans ces unions dissoutes, les enfants qui en seront issus? Forcés d'aller chercher leurs parents dans des familles étrangères, ils y trouveront d'autres enfants qui

leur disputeront avec avantage la tendresse paternelle. Leurs mœurs, qui devaient être formées et dirigées par le concours et l'action commune du père et de la mère, comment, dans cette triste scission, seront-elles réglées? La première des mœurs, celle qui, dès la plus petite enfance, est le fondement de toutes les autres, l'amour pour les parents, la soumission envers eux, n'en serat-elle pas altérée? N'est-il pas à craindre que les enfants cessent de respecter des parents qui ne se sont pas mutuellement respectés? Prendront-ils parti pour l'un ou pour l'autre, ou ne les mépriseront-ils pas tous les deux ? Et quel respect pour la loi sociale doivent avoir, dans la suite de leur vie, des êtres qui auront commencé par perdre le respect primitif et fondamental que prescrivent les lois divines et humaines, et qu'inspire la nature?

L'objet direct et final de l'institution du mariage n'est pas seulement la procréation des enfants; l'instinct physique, commun aux hommes et aux animaux, aurait suffi pour cet effet. Le divin Auteur du mariage a eu un but plus digne de lui, plus conforme à la nature de l'être qu'il créait à son image. Il a institué le mariage pour que les enfants reçussent de leurs parents une éducation qui les rendit dignes d'atteindre la haute destinée qu'il leur préparait. Le mariage impose aux parents l'obligation commune et solidaire d'elever conjointement les fruits de leur union; de donner à la religion des chrétiens pieux, à la patrie des citoyens vertueux, au souverain des sujets fidèles. Leur divorce prive les enfants au moins de la moitié, peut-être des deux êtres qui devaient concourir à leur éducation.

Et quelles sont donc les raisons alléguées pour justifier cette loi si irréligieuse, si immorale, si impolitique? Que disaient ces législateurs inconsidérés de notre Révolution, qui, lorsqu'ils apercevaient dans ce qui existe quelque inconvénient, se hâtaient d'ordonner le contraire, sans examiner s'ils ne donnaient pas lieu à des inconvénients plus nombreux et plus graves?

Ils prétendaient, par le divorce, punir et em pêcher l'adultère. Les imprudents! ils le récompensaient, ils l'encourageaient, ils le multipliaient. ils donnaient à des époux, ennuyés de la longucur' de leur union, dégoûtés l'un de l'autre, entraînés par d'autres affections, exaspérés par quelques démêlés, le funeste intérêt de donner à leur scission le prétexte de l'infidélité, et de marcher à la profanation par le crime. Sans entrer à cet égard dans de longues discussions, j'en appelle, Messieurs, à votre expérience. Que chacun de vous se rappelle les divorces qu'il a vus ou dont il a entendu parler. Dans presque tous, l'adultère n'a pas été la suite du divorce; mais il l'avait précédé; il en avait été la cause avant d'en être l'effet.

On a prétendu encore justifier la loi du divorce par une raison d'Etat, par l'intérêt de la population. I met, a-t-on dit, des époux dont l'union a été frappée de stérilité, en état de se remarier, et de donner des enfants à la patrie.

Un noble membre de cette Assemblée, M. le comte de Maleville, a résolu d'une manière tranchante cette difficulté : Le divorce n'est guère pratiqué que par des gens corrompus; et ce ne sont pas ces gens-là qui peuplent. A ce raisonnement j'ajouterai une seule réflexion. Ce n'est pas seulement des sujets qu'il faut à la patrie, c'est surtout de bons sujets. Peut-on espérer que des enfants nés par le crime seront élevés dans la vertu?

D'autres causes du divorce, établies par le code, sont alléguées par le justifier. Ce sont l'incompa

tibilité des caractères et les mauvais traitements. Mais comment n'a-t-on pas senti que l'espoir du divorce est un aliment aux causes de dissension; que l'on chercherait moins à reprimer son humeur, à modérer ses emportements; qu'on serait au contraire plus porté à les exalter, quand on se donnerait ainsi la facilité de briser un nœud importun, de secouer un joug onéreux? Nous disons au contraire la loi divine de l'indissolubilité est un principe d'union dans le mariage. Ils ont besoin de vivre bien ensemble ceux qui seront toujours astreints à vivre ensemble. Ils ont l'intérêt d'alléger, en la portant de concert, la chaîne qui les unit, puisqu'ils ne peuvent espérer de la rompre.

Et quelle est d'ailleurs cette si urgente nécessité de renverser par une loi destructive de la religion, subversive de la morale, contraire à la saine politique, la sage législation qui pourvoyait efficacement, et d'une manière qui ne contrariait pas les principes sacrés, aux incompatibilités et aux querelles? La séparation de corps et d'habitation, que les tribunaux prononçaient avec peine, et seulement lorsque les excès étaient devenus intolérables, en éloignant les époux l'un de l'autre, mettaient fin pacifiquement aux suites de leurs divisions. Ce moyen doux à la fois et puissant avait encore l'avantage de ne pas ôter l'espoir du retour. Avec le temps, les humeurs pouvaient se calmer, les passions s'éteindre, les caractères se modérer, les intérêts contraires cesser, les torts réciproques s'oublier, que diraisje? les intidélités même se pardonner; et la douce, la vertueuse union conjugale redevenir la consolation de leurs vieux jours, comme elle avait été le charme de leurs jeunes années. Mais pour réprimer des dissensions qui pourraient dans la suite se concilier, est-il nécessaire délever entre des époux un mur impénétrable de séparation? S'il est dur de leur dire: Malgré vos incompatibilités, vous serez forcés de vivre toujours ensemble, n'est-il pas barbare de leur déclarer : Quelque désir que vous puissiez avoir un jour de vour réunir, vous ne vous rapprocherez jamais?

Contre le remède de la séparation d'habitation aux dissensions qui surviennent dans le mariage, les fauteurs du divorce ont opposé une difficulté. Une simple séparation ne mettrait pas à couvert le mari, comme ferait le divorce, dù danger de la naissance d'un enfant illégitime survenu pendant la durée. Le respectable rapporteur de la commission dans la Chambre des députés a répondu avec une grande justesse: Cet inconvénient de l'indissolubilité du mariage est grave sans doute; mais il doit disparaître, avec tous les autres, devant les grands intérets qui la réclament. Nos pères ne les avaient jamais mis en balance. Mais de plus, Messieurs, est-il raisonnable, juste, honnête, religieux, pour prévenir les suites de l'adultère, d'autoriser l'adultère même ?

Permettez que j'ajoute une dernière considération, qu'il est de notre devoir spécial de vous présenter, parce qu'elle intéresse essentiellement, non-seulement l'honneur et la sainteté de notre ministère, mais la sûreté même des ministres. Jetez les yeux sur la périlleuse situation où la loi du divorce place les pasteurs des âmes, administrateurs des sacrements; lorsque des personnes divorcées viendront, le code à la main, les sommer de leur administrer la bénédiction nuptiale, prévaricateurs s'ils consentent, réfractaires s'ils refusent, ils se voient placés entre le péché et le délit, entre la profanation et la désóbéissance, entre l'enfer et les supplices. Sera-ce le

gouvernement qui a témoigné une si indulgente clémence aux plus grands criminels, qui laissera le bras de la persécution levé sur les personnages les plus vertueux, et dont le crime serait d'être fidèles à Dieu ?

Messieurs, jusqu'ici, dans tout ce que j'ai dit sur l'incompatibilité de la loi du divorce avec la religion, j'ai parlé dans les principes sacrés de la religion catholique, dont j'ai l'honneur d'être le ministre, qui est la religion de l'Etat, la religion de l'immense majorité des Français. Mais je dois considérer qu'il existe parmi nous des concitoyens qui ont le malheur de n'être pas de cette sainte religion; leur loi religieuse autorise le divorce; et peut-être ne voudraient-ils pas renoncer à cette tolérance. Mais je dois à cet égard présenter à vous et à eux quelques observations.

1o Les auteurs de la prétendue Réforme n'ont permis le divorce que dans le seul cas de l'adultère. Mais le Code Napoléon étend cette licence à plusieurs autres cas. Il est donc en opposition avec la loi protestante, ainsi qu'avec la religion catholique et il devrait, par rapport aux religionnaires, être au moins restreint à ce point.

2o Le droit de donner des lois au mariage, d'y apposer des empêchements appelés dirimants, dont l'effet est de le frapper de nullité, appartient dans tous ses principes, soit catholiques, soit protestants, à la puissance civile.

3o Mais j'ajoute qu'il est même utile aux communions protestantes de se rapprocher sur ce point de la communion catholique, et de renoncer à la dangereuse liberté que leur ont donnée les auteurs de leur scission. Oui, nos frères, séparés de nous, dont nous chérissons les personnes, en condamnant les erreurs, si la voix que j'élève de cette tribune parvient jamais jusqu'à vous, je vous invite, je vous exhorte par la charité qui me presse pour vous, je vous exhorte pour l'utilité de votre Eglise, pour le bien de vos propres personnes, pour l'honneur de vos épouses, pour l'intérêt si cher de vos enfants, je vous exhorte avec la plus vive instance à joindre vos sollicitations aux nôtres, pour obtenir une loi qui prononce l'absolue et universelle indissolubilité du lien conjugal.

Unissons donc nos vœux aux vœux que la sagesse, le patriotisme et la piété ont inspirés à la Chambre des députés; et portons-les de concert avec elle au pied du trône. Nous sommes asurés qu'ils y seront accueillis. Nous en avons pour garant le cœur religieux du Roi, et la parole qu'au premier moment de son retour il fit re tentir dans tout son royaume, et qui pénétra de joie tous les hommes honnêtes, qu'en laissant subsister le Code, il en retrancherait tout ce qui est contraire à la religion.

Je vote pour l'adoption de la résolution de la Chambre des députés.

La Chambre ordonne l'impression du discours de M. de La Luzerne.

M. de Clermont-Tonnerre, évêque de Châlons (1). Messieurs, d'après les principes qui vous ont été développés par mon vénérable confrère, que ses vertus, ses lumières et ses écrits mettent au rang des pères de l'Eglise, je devrais me dispenser de porter la parole sur la question soumise à votre décision; mais j'ai aussi un devoir à remplir, et dans les objets qui intéressent la religion, un évêque doit se faire entendre.

Oui, Messieurs, la question du divorce ne pa

(1) Le discours de M. l'évêque de Chalons n'a pas été inséré au Moniteur.

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