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politique, bien plus qu'avec la masse de leur dette, et les moyens employés pour l'acquitter.

En exprimant dans les termes les plus précis le résultat de cette discussion, on peut dire que le crédit public est en raison composée de la stabilité du gouvernement, de sa solvabilité et de sa fidélité à ses engagements; et que dans ce calcul la stabilité y entre comme cinquante, la solvabilité comme trente, et la fidélité comme vingt au plus.

Vous êtes maintenant, Messieurs, en état de discerner les moyens factices de créer un crédit passager, et ce qu'on peut appeler les leurres de la confiance, d'avec les moyens positifs de fonder un crédit durable.

Les premiers consistent à payer, avec ce qui ne nous appartient pas et plus qu'intégralement les uns, en laissant aux autres des espérances éloignées, à montrer de la générosité aux dépens de la justice, à sacrifier le présent et l'avenir au passé et la réalité à l'apparence, et à ôter aux deux premières bases du crédit plus qu'on n'ajoute à la troisième c'est ce que vous n'avez pas cru devoir faire.

Les moyens directs et durables de la restauration du crédit consistent à affermir le gouvernement en étouffant tous les germes de révolution nouvelle, à se ménager par une sévère dispensation des revenus publics la faculté de remplir ses engagements à l'avenir, à se défendre des illusions d'une libéralité imprudente, pour être juste envers tous. Voilà ce que vous voulez exécuter.

C'est parce que toutes les conditions ci-dessus exigées pour la restauration du crédit se trouvent réunies dans l'établissement d'une caisse d'amortissement, qu'elles s'y fortifient réciproquement sans se nuire les uns aux autres, que la proposition qui vous a été faite par les ministres de Sa Majesté a obtenu un assentiment unanime de la commission. Ainsi cette institution lie à la stabilité du gouvernement tous les créanciers, dont elle améliore le sort. De concert avec une scrupuleuse exactitude dans le service courant des intérêts, elle atteste à la fois et sa fidélité aux engagements en payant ce qui est exigible et ce qui ne l'est pas, et la solvabilité du gouvernement qui, malgré la difficulté des temps, consacre à l'amortissement de sa dette une somme annuelle de 20 millions.

Il peut, à la vérité, paraître extraordinaire que nous songions à réduire notre dette, lorsque nous l'augmentons, en ouvrant au ministre un crédit de 120 millions. Il y a une sorte d'inconséquence à répandre d'une main ce qu'on retire de l'autre. D'abord ce crédit éventuel peut ne pas être employé, ou ne l'être pas en entier; et comme avec 20 millions on en peut racheter 37, il y aurait compensation.

En réduisant la difficulté à une simple question de fait, suffirait-il de faire voir, par l'expérience d'une nation voisine, que l'amortissement soutient le crédit, quoique le montant des nouveaux emprunts excède considérablement celui de la dette amortie? On peut mème théoriquement rendre raison de ce bizarre résultat. En effet, le fonds d'amortissement n'a point à lutter contre toute la masse de la dette de l'État, dont la majorité reste pour ainsi dire immobilisée dans la main des rentiers, mais seulement contre la portion flottante livrée aux spéculations de la hausse et de la baisse. Il en est ici comme de toute autre marchandise; s'il y a plus de vendeurs que d'acheteurs, le prix baisse; et vice versa. Pour amener la hausse, il suffit donc que la caisse d'amortis

sement verse journellement sur la bourse la somme suffisante pour retirer l'excédant des rentes proposées par les vendeurs sur les rentes demandées par les acheteurs. Vous sentez que cet excédant ne peut être considérable, et que souvent mėme il n'existe pas, puisqu'on vend souvent ce qu'on n'a pas, et qu'on achète sans se faire livrer. L'action de l'amortissement sur la masse de la dette publique ne doit pas être conçue comme celle d'un poids, qui lutte contre un autre placé dans la même balance, mais comme une force qui, agissant au bout d'un long bras de levier, soulève un poids centuple d'elle-même.

Pour produire plus sûrement l'effet proposé, nous avons à examiner si l'action de la caisse d'amortissement doit être constante et uniforme, ou bien variable et irrégulière; autrement, si, divisant la dotation en autant de portions qu'il y a de jours de bourse dans l'année, elle doit, ou non, racheter chaque jour une quantité égale.

Il semblerait au premier aperçu que la caisse d'amortissement devrait suivre les variations du cours, et qu'il y aurait bénéfice et convenance de forcer les achats lorsqu'il y a tendance à la baisse; de les diminuer, lorsque la tendance à la hausse se fait sentir. Mais en y réfléchissant plus murement, on sera convaincu que ce serait rendre les directeurs de l'établissement juges de ces variations, les forcer de se livrer à des spéculations de hausse et de baisse, et les associer en quelque sorte à l'agiotage. La confiance sera plus solidement affermie lorsque, au moment de la baisse, le vendeur pourra se dire: Demain, le jour suivant, dans huit jours, la caisse d'amortissement sera là pour racheter; attendons et ne consentons pas au sacrifice exigé aujourd'hui de moi.

Au reste, la loi ne limite point à cet égard les pouvoirs de la direction, elle laisse au règlement qui sera donné par Sa Majesté, le soin de régler ses opérations.

C'est aussi pour ne pas compliquer son régime intérieur, et ne pas porter atteinte à la simplicité régulière de son action, que la commission s'est refusée à rendre la caisse d'amortissement caisse de dépôt pour les consignations judiciaires, et à plus forte raison pour les consignations volontaires et les centimes départementaux, malgré les avantages qu'elle en pouvait retirer. On n'a pas voulu que, forcée d'employer des fonds dont elle payerait intérêt, elle fût exposée à être prise au dépourvu pour un remboursement inopiné, qui la forcerait de revendre peut-être à perte, ou de manquer à ses engagements: ce qui serait en contradiction avec le but de son institution.

A la confiance que doit inspirer la simplicité de son organisation, se joignent les garanties résultantes de son indépendance.

Cette indépendance repose sur la spécialisation des fonds qui lui sont affectés, et qui ne pourront jamais être divertis pour un autre usage; et sur le mode de surveillance à laquelle elle est soumise. C'est ici que le projet des ministres, adopté par la commission, a su très-heureusement concilier ce qui était dû à l'autorité royale, et à l'influence naturelle et rassurante des autres branches du pouvoir législatif, sur tout ce qui a rapport aux recettes et aux dépenses publiques. Tout ce qui est exécution est confié à une commission de direction nommée par le Roi, dont le chef ne peut être destitué au gré des ministres, mais sur la demande motivée de la commission de surveillance adressée directement à Sa Majesté. Tout ce qui est surveillance est exercé par une commission dont les membres sont désignés par les deux

Chambres, mais choisis par le Roi. Ainsi s'établit entre elles un double lien, qui devient un double motif de confiance publique.

La dotation de la caisse d'amortissement a été fixée à 20 millions, c'est-à-dire à 20 p. 00 des rentes émises, ou à 1 p. 0/0 du capital de notre dette arbitrée à 2 milliards après toutes les consolidations consommées. Cette dotation estelle suffisante? J'avoue que je ne le crois pas, quoique disposé à partager presque en tous points les avis de la commission, parce que je partage toujours le sentiment qui l'anime. Cette fixation a été réglée d'après l'exemple de l'Angleterre, qui, à chaque nouvel emprunt, en prévient la dépréciation, par un fonds d'amortissement égal à 1 p. 0/0 du capital emprunté. Je me bornerai à un seul argument, parce qu'il me paraît sans réplique, et qu'il est emprunté de l'exemple même de l'Angleterre dont on s'autorise. En Angleterre, le nouveau fonds d'amortissement de 1 p. 00 n'a pour effet que de maintenir le taux de la rente in statu quo. Si elle est au pair il la maintient au pair; si elle est au-dessous, il ne l'a fait pas hausser. La raison d'analogie se bornerait donc à établir qu'une semblable proportion en France ne pourra qu'empêcher la baisse et maintenir le cours actuel de la rente, en compensant l'effet de la consolidation, et en établissant un équilibre entre ces deux forces qui agissent en sens contraire. En effet, depuis que vos projets de consolidation et d'établissement de caisse d'amortissement sont connus, la rente n'a pas éprouvé de commotion sensible. La raison d'analogie pourrait encore être affaiblie par la comparaison de la situation actuelle de la France respectivement à l'Angleterre, où la prospérité croissante, l'abondance des capitaux, le bas prix de l'intérêt, et l'élévation de la valeur vénale des biens-fonds rejettent dans les fonds publics les capitaux surabondants. Je désire sincèrement voir ma prévoyance trompée. Mais je suis convaincu qu'il est indispensable d'augmenter votre fonds d'amortissement, si vous voulez donner un coup de fouet au crédit public, et élever sensiblement le taux actuel de là rente.

Songez, Messieurs, que vous seriez amplement dédommagés d'un sacrifice de quelques millions, par la bonification du cours, si vous êtes obligés d'user du crédit de 120 millions ouvert au ministre des finances.

En vous proposant d'augmenter la dotation de la caisse d'amortissement, je contracte en quelque sorte l'obligation de vous en indiquer les moyens sans augmenter les impôts, et sans entraver les autres parties du service public.

Et d'abord, si vous avez cru ne pas devoir rendre la caisse d'amortissement, caisse de dépôt pour les consignations judiciaires, vous n'avez pas renoncé à l'idée d'augmenter sa dotation des bénéfices qui en résulteront, soit que vous les remettiez à la Banque de France, en lui faisant payer ce privilége, soit qu'on les confie à une caisse de consignation, auxiliaire de la caisse d'amortissement également indépendante, soumise à la même surveillance, mais distincte et sans solidarité à son égard, comme je vous le proposerais plus en détail. Mais j'apprends à l'instant que la même proposition va vous être faite par un commissaire du Roi.

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de rente au cours actuel, ce qui couvrirait amplement les légères chances de baisse auxquelles elle serait exposée. Si on objecte qu'une caisse de dépôt ne doit jamais user de celui qui lui est confié, je répondrai que cela devrait être, mais que cela n'est pas, et qu'avant la Révolution on a vu des caisses de dépôt faire banqueroute. De plus, une caisse de dépôts judiciaires ne peut jamais être prise au dépourvu pour le remboursement brusque d'une grande masse de consignations, parce que cela ne dépend pas, comme pour les dépôts volontaires, que j'en exclus, du caprice des propriétaires alarmés à la fois, mais de la levée lente et successive des oppositions.

2o Je propose d'augmenter la dotation de la caisse d'amortissement, des retenues à opérer sur les traitements cumulés et sur les gratifications, conformément à votre décision d'hier, et qui sont sans emploi dans le projet de la commission.

Et en troisième lieu, de semblables retenues à exercer sur les augmentations considérables d'émoluments, qui résulteraient pour les receveurs, des augmentations de contributions indirectes, que vous avez adoptées. En réduisant tous les traitements, vous n'avez pas entendu leur rendre d'une main plus que vous ne leur ôtiez de l'autre. Qu'il me suffise de citer les conservateurs des hypothèques. Lorsqu'elles furent confiées à la régie des domaines, le tarif de leurs émoluments fut très-modéré. Il fut presque doublé depuis, sur la plainte formée par eux, que la plupart des citoyens se dispensaient, en vertu du Code civil, de la formalité de la transcription. Aussi voit-on, d'après le tarif de leur cautionnement annexé au budget, égal aux trois quarts de leur bénéfice en 1814 et 1815, années peu productives, qu'il est de ces places qui valent 10, 15, 20, et jusqu'à 40,000 francs. Cependant cet énorme produit va être presque doublé par la transcription générale qui s'opérera, à l'avenir, en vertu de vos déci

sions.

Enfin, je vous proposerai de consacrer à cette dotation ce que coûtent au gouvernement les dépôts de mendicité, source de corruption physique et morale, de dilapidations et d'abus, qui ne remplissent point leur but, et dont la suppression est réclamée par la majorité des conseils de département. Je vous communiquerai, à cet égard, des notions que j'ai recueillies moi-même, si vous jugiez convenable de vous en occuper; et j'y joindrai l'indication d'autres additions importantes à la dotation de la caisse d'amortissement.

C'est ainsi, Messieurs, que vous fonderez une caisse d'amortissement, qui le sera de fait, tandis quell'ancienne ne l'était que de nom. Son influence, peu sensible peut-être dans le principe, acquerra des forces de jour en jour. Une nouvelle ère financière, celle de la restauration du crédit public, datera de ce mois de mars, anniversaire du retour de l'usurpateur qui l'avait anéanti; de même que janvier, époque fatale marquée dans nos fastes par le plus grand des crimes, est devenue celle de son expiation, qui, quoique faible et tardive, atteste qu'il est une Providence.

Je demande que vous décrétiez en principe, dès à présent, l'augmentation de la dotation de la caisse d'amortissement, renvoyant à votre prochaine session les moyens d'exécution, parce que la seule assurance d'une augmentation influera favorablement sur le crédit public.

Sur tous les autres points, j'appuie l'avis de la commission.

La Chambre ordonne l'impression du discours de M. Richard.

M. Huerne de Pommeuse (1). Messieurs, si le choix du parti à prendre pour notre dette antérieure au 1er janvier 1816, a dù faire la base principale de votre système de budget pour cette année, la nature même du parti qui a été choisi, donne une nouvelle importance à votre caisse d'amortissement; car elle seule peut en régler et en déterminer les résultats.

Aucun établissement ne peut mériter plus éminemment aujourd'hui votre intérêt, car c'est par lui seul que nous pouvons faire succéder des ressources nouvelles à ce dénûment de crédit, suite constante et inévitable, en France, des révolutions fondées sur la violation de la fidélité due au Roi.

La déloyauté révolutionnaire frappe alors plus ou moins directement tout ce qu'elle a proclamé prendre sous sa prétendue loyauté; car tous les serments du parjure ne peuvent plus être que des parjures; mais après ces époques rares, où la France infidèle a compromis l'existence du trône légitime, et qui sont les seules où elle ait compromis sa propre existence, jamais elle ne s'est ralliée à ce trône sans trouver une nouvelle force dans ce principe de loyauté, qui ne fait du Roi et de ses sujets qu'une grande et admirable famille; et même alors elle a toujours trouvé, dans l'étendue des sacrifices qui devaient expier ses torts, un nouveau moyen de retremper, pour ainsi dire, son caractère, un nouveau ressort pour son esprit public, et une nouvelle base pour sa prospérité; de sorte que notre histoire semble proclamer cette vérité honorable, que la loyauté constitue si éminemment le caractère français, que la fidélité à son Roi, qui en est inséparable, semble être la règle invariable des destinées de sa patrie.

C'est sous les auspices de cette vérité, devenue pour nous plus sacrée que jamais, que nous avons à fonder notre caisse d'amortissement; pour bien déterminer les avantages que nous en devons attendre, nous avons à considérer cette caisse sous le rapport de l'indépendance qui lui est nécessaire, sous celui des fonctions qu'elle doit remplir, et enfin sous le rapport des dotations possibles pour sa plus grande utilité.

Sous le rapport de son indépendance, les mesures proposées par le ministre du Roi ne nous laissent rien à désirer, et nous ne saurions trop louer le zèle avec lequel il a sacrifié à cet égard le désir naturel à un ministre de conserver ou d'étendre ses attributions. Quant aux fonctions qui doivent être attribuées à la caisse d'amortissement, l'avis du ministre et celui de votre commission différaient en ce qui concerne les articles 66 jusqu'à l'article 71 du projet de loi.

Ce qui est relatif aux dépôts judiciaires et aux consignations vient d'être réglé par une proposition nouvelle de M. le commissaire du Roi; il ne reste donc à observer que ce qui est relatif aux placements volontaires sous un intérêt de 4 p. 0/0.

On oppose à cet égard la crainte des risques que pourrait courir la caisse d'amortissement, par un retirement de fonds considérable; mais en réfléchissant sur les ressources et les moyens assurés à cette caisse, on voit que cette crainte ne se réaliserait jamais.

En effet, la caisse d'amortissement a d'abord un revenu fixe et assuré de 20 millions par an, elle a en outre les rentes qu'elle rachète avec ce

(1) Le discours de M. Huerne de Pommeuse est incomplet au Moniteur.

revenu; mais indépendamment même de ces rentes, elle doit avoir encore les rentes rachetées : 1 avec les capitaux qui lui sont confiés; 2o avec le bénéfice des intérêts qu'elle en retire sur les intérêts qu'elle en sert; 3° avec le produit des intérêts, même de ces intérêts.

Cet emploi des capitaux versés pourrait en doubler la valeur en peu d'années; or, on sait qu'en vingt-quatre heures on trouve à emprunter sur des rentes, avec la plus grande facilité; ainsi donc, en supposant que la caisse d'amortissement eût à satisfaire à des demandes extraordinaires, elle emprunterait sur un gage qui aurait reçu un accroissement progressif de valeur et de consistance, et, outre cet excédant de valeur acquise au gage qui suffirait pour l'empêcher de jamais vendre, elle aurait encore et pour sûreté de l'emprunt et comme moyen de libération, la délégation de son revenu de 20 millions; d'ailleurs des précautions administratives, très-faciles, pourraient séparer ce qui concernerait les opérations relatives aux versements ou placements particuliers de ce qui tiendrait à l'emploi de la dotation fixe de 20 millions, dont l'effet resterait ainsi isolé et ne pourrait jamais être altéré. Enfin, et pour ne rien laisser à désirer à la prévoyance, si la caisse d'amortissement venait à éprouver quelque gêne, le gouvernement, dans la session la plus prochaine, ne manquerait pas de déterminer son entière libération. Les observations de votre commission, quelque louable qu'en soit le principe, ne peuvent donc prévaloir contre la nécessité de donner à la caisse d'amortissement le plus de moyens possible pour agir. Je dis nécessité, et effectivement, jamais il n'en fut de plus impérieuse.

Considérons d'abord les avantages que peuvent produire les versements ou placements particuliers à la caisse d'amortissement; nous en conclurons aisément ensuite à quel point ils peuvent nous être utiles et nécessaires.

Ces placements particuliers, qui ne paraissent qu'un moyen accessoire, peuvent agir encore plus efficacement que le moyen principal; car les reconnaissances de la caisse d'amortissement pouvant être des effets aux porteurs, payables à vue, ce serait offrir le placement le plus sûr et le plus commode à vos capitaux, à ceux de l'étranger; et, de plus, ce placement, à l'abri de toute inquiétude, conviendrait le mieux aux capitaux que veulent faire sortir de France les individus qui ne doivent plus y rester. Vous éviteriez ainsi la sortie de ces capitaux qui accroîtraient sensiblement votre pénurie si vous ne leur offrez un moyen si favorable pour eux et si utile pour vous, car vous les lieriez à votre cause par le calcul toujours prédominant de l'intérêt particulier.

L'esprit public même pourrait se joindre à la confiance pour rechercher un tel placement, et alors ces billets accroîtraient la masse de nos valeurs circulantes, dont, dans notre position actuelle, nous ne pouvons trop craindre la diminution progressive et rechercher l'abondance, en voyant que ce n'est que par l'abondance des valeurs en circulation qu'un Etat voisin, auquel on ne suppose que 500 millions de numéraire en circulation habituelle, a trouvé moyen de dépenser en 1813 plus de 2 milliards, d'après la quantité de ses autres valeurs circulantes.

Messieurs, ne privons pas les bons Français d'un moyen si facile et qui pourrait être si efficace pour nous sauver d'une crise dont nous ne pouvons trop calculer l'importance.

Les considérations les plus puissantes peuvent nous convaincre que nous n'avons rien de plus essentiel aujourd'hui que de rechercher tous les moyens d'accroître la dotation de la caisse d'amortissement sous peine d'être frustrés dans notre attente et de voir l'épuisement de nos finances entraîner celui de toutes nos ressources.

Ne nous faisons pas d'illusions, Messieurs; ainsi que vous l'a précédemment observé l'honorable rapporteur de votre commission, l'option que vous avez laissée à vos créanciers n'a pas une importance bien réelle, et, comme l'a dit l'auteur même de la proposition qu'on a suivie, le choix de vos créanciers doit unanimement se porter vers la jouissance immédiate des rentes incrites. Ce choix devient plus assuré encore depuis qui vous avez décidé (avant-hier) que les mutations des créances arriérées resteraient passibles d'un droit proportionnel d'enregistrement, tant qu'elles ne seraient pas converties en une inscription qui, alors, en est affranchie. Ainsi nous devons franchement et prudemment calculer les résultats de l'opération comme d'une émission de rentes données en payement par un Etat qui ne peut emprunter, et nous ne saurions trop calculer pour l'intérêt général la différence qui existe entre une opération de cette nature et un emprunt qui ne fait que donner des rentes à celui qui les achète, pour les garder ou ne les vendre qu'à bénéfice, ce qui n'augmente point la concurrence des vendeurs et laisse aux moyens d'amortissement toute leur énergie, tous leurs ressorts, tandis qu'ils peuvent être annulés par une émission de rentes données en payement à des créanciers qui, étant débiteurs eux-mêmes, ne les prennent que malgré eux, pour les vendre à tout prix, parce que c'est de l'argent qu'il leur faut; ce qui établit de leur part une concurrence qui doit surmonter les facultés restreintes et disproportionnées du rachat par la caisse d'amortissement. Enfin, puisque nous ne sommes réduits à prendre cette mesure que parce qu'il nous est impossible d'emprunter, ce fait seul exclut toute comparai son avec ce qu'éprouvent, pour le cours de leurs effets publics, les Etats qui peuvent emprunter, et surtout un Etat voisin qui, malgré là masse d'une dette énorme, a trouvé à emprunter, en février et novembre 1813, plus de 1,500 millions de nos francs, qui lui furent prêtés avec la plus grande facilité.

D'ailleurs le rapprochement de ce fait avec ce qui se passa dans ce même Etat en 1784, où son principal effet public tomba à 52 p. 0/0, quoique dans une profonde paix, et malgré l'activité depuis soixante ans du système d'amortissement que nous cherchons à imiter, tend aussi à prouver ce qui peut être attribué au phénomène d'exécration réservé à cet ambitieux célèbrc, qui sut à la fois creuser l'abîme le plus épouvantable pour le peuple qu'il voulait élever, porter le peuple qu'il voulait abattre au plus haut degré de grandeur, en ayant été, pour obtenir de tels résultats, celui de tous les hommes qui en a fait périr le plus grand nombre.

Ecartons donc toutes comparaisons qui nous seraient d'autant moins applicables qu'elles seraient plus brillantes; et jugeant sans illusions notre position actuelle, tirons-en les conséquences d'après lesquelles nous devons agir.

Vous avez choisi, Messieurs, le parti que vous avez pris, principalement, parce que vous avez considéré qu'il aurait été impossible de vendre 260,000 mille hectares de bois, sans avilir leur prix et celui de tous les bois particuliers, sans com

promettre la valeur de la propriété foncière qui fait la base principale de vos revenus, et détermine le produit proportionnel des droits d'enregistrement et d'hypothèques, sans offrir aux spéculateurs un appât en quelque sorte effrayant, parce qu'alors le capitaliste aurait voulu un intérêt proportionnel, soit pour laisser ses fonds entre les mains des propriétaires grevés d'hypothèques, qui se seraient alors trouvés ruinés, soit pour les fonds nécessaires au soutien du commerce et de l'industrie. Le dénûment de nos valeurs circulantes, la rareté progressive de notre numéraire donnaient encore à ces réflexions une importance que, dans l'intérêt même du créancier, il eût été dangereux de ne pas calculer. Mais, Messieurs, ces réflexions doivent, par des causes analogues, s'appliquer à la valeur vénale de votre effet public, dont la masse va s'élever progressivement à un capital de 2 milliards, et faire ainsi une partie de vos valeurs circulantes qu'il est on ne peut plus important de maintenir.

Sans rappeler les éloquentes discussions qui ont eu lieu à cettre tribune sur la nature et la nécessité du crédit public, dont la meilleure définition sera toujours dans sa simple étymologie, considérons que, dans l'état actuel du système politique, la richesse nationale et, par conséquent, la puissance relative des grands Etats (car on né peut plus faire la guerre qu'à force d'argent) repose sur trois points d'appui dont aucun ne peut être ébranlé ni détruit sans risquer d'ébranler ou de détruire les deux autres. Ces trois éléments de la richesse nationale sont: la valeur vénale de la propriété foncière, la valeur vénale des effets publics, qui influe toujours sur l'intérêt des capitaux, détermine les ressources de l'Etat et ces deux éléments, en formant, en propageant l'aisance du propriétaire, du cultivateur, du capitaliste, les rendent consommateurs, les rendent acheteurs, et, déterminant ainsi la valeur des produits industriels commerciaux, forment le troisième élément de la richesse nationale; celuici, par un heureux retour, ordinaire dans tout ce qui peut contribuer au bien de l'humanité, donne lui-même aux deux autres une nouvelle consistance et de nouveaux développements. C'est ainsi que la richesse nationale se compose de la solidarité de tous les intérêts particuliers, qui ne peuvent chercher à s'isoler, sans, par cela même, se compromettre.

Nous devons donc appliquer nos réflexions et nos efforts au maintien de la valeur vénale de nos effets publics, non pas tant dans l'intérêt du créancier de l'arriéré, quoiqu'il semble nous occuper plus directement, non pas tant encore dans l'intérêt du créancier anciennement inscrit, qui peut être réduit au besoin de vendre un capital dont il a déjà perdu les deux tiers, quoique légalement prêté à l'Etat, et qui est resté sans aucuns revenus pendant plusieurs années, mais surtout dans l'intérêt général; mais parce que l'avilissement de la valeur vénale d'une portion aussi im. portante de nos valeurs circulantes opérerait l'avilissement de la valeur vénale des propriétés foncières, et ferait hausser, au gré de la cupidité du capitaliste, l'intérêt, soit des emprunts malheureusement nécessaires aux propriétaires fonciers dont on croit les deux tiers grevés d'hypothèques par suite des charges dont ils ont été écrasés, soit des fonds nécessaires au soutien de vos produits industriels. Or, dans les circonstances actuelles, notre industrie pourra s'anéantir si l'intérêt de l'argent en France est tel qu'il offre à l'industrie

étrangère, qui ne subirait qu'un intérêt beaucoup moindre, une prime d'encouragement supérieure à tous nos systèmes de douanes; mais il est surtout de notre devoir de considérer que la valeur vénale de notre dette consolidée doit être pour nous d'un intérêt qu'aucun autre ne peut surpasser, puisque c'est cet effet public que les puissances étrangères prennent pour gage de nos payements éventuels, pour payement au cours de 75 francs (c'est-à-dire que nous devons payer la différence), pour ce qui est dû à leurs sujets, aux termes de la convention no 4 faisant partie du traité de paix, et enfin, puisque cet effet, en raison du soin que nous prendrions de sa valeur, peut, au terme de ce traité, nous libérer de notre dernier payement et hâter d'une année la décharge du poids énorme sous lequel nous avons à voir gémir la patrie, tant qu'elle aura à le supporter; poids dont la surchage peut avoir acquis pour cette dernière année une progression effrayante par l'épuisement de notre numéraire et de nos ressources pendant les quatre années antérieures.

Cette idée seule, Messieurs, nous fait, ce me semble, et comme je viens de le dire, un devoir impérieux de rechercher tout ce qui est possible pour élever la valeur vénable de notre dette consolidée, et vous ne pouvez espérer parvenir à l'élever, qu'en augmentant les moyens déjà disponibles de votre caisse d'amortissement, de manière à ce qu'ils puissent lutter et prévaloir contre la concurrence des vendeurs dont nous ne pouvons pas nous dissimuler la prochaine affluence.

C'est d'après ces diverses et importantes considérations que j'ai l'honneur de vous soumettre l'opinion ci-après.

Je vote pour le maintien des articles 66 et suivants du projet de loi, sauf les changements qui viennent d'être proposés par M. le commissaire du Roi.

Je propose en outre d'ajouter à la dotation de la caisse d'amortissement:

1o Les arrérages de rentes viagères particulières qui s'éteindraient pendant l'année;

2o Les sommes qui pourraient être dues pour tout traitement de places ou emplois qui vaqueraient par décès, démissions ou destitutions, et qui écherraient depuis le jour de la vacance de l'emploi jusqu'au jour du remplacement;

3o Les sommes qui, conformément à l'article 14 de la loi du 11 ventôse an VII seraient payées dorénavant pour confirmation des domaines aliénés entièrement à la Révolution, et lorsque le domaine de la couronne était reconnu inaliénable sans des formalités déterminées.

Messieurs, permettez-moi de vous exposer en peu de mots les motifs qui me font désirer de ne vous soumettre que subséquemment, et en comité secret, une autre mesure plus digne de vous par sa grandeur, plus efficace par sa grande supériorité sur la masse négociable de notre dette flottante. Elle la porterait assurément au pair. Ses moyens d'exécution ne présentent aucune observation contraire; car il ne s'agit que de réaliser en partie, et en déterminant des avantages particuliers beaucoup plus grands, ce qui a été exécuté, ce qui a sauvé en 1798 les finances, dans un pays obligé alors de suspendre tout payement public en numéraire. Mais en me référant sur cette mesure à des personnes dont je devais respecter les lumières, il m'a été répondu qu'il était douteux que nous eussions assez d'esprit public.

J'avoue que je ne puis croire que, malgré les oscillations décroissantes qui peuvent résulter encore les commotions terribles que nous avons re

çues, l'esprit public manque aujourd'hui aux Français. Aurions-nous donc démérité à ce point de nos sages et généreux ancêtres ? Pourrionsnous oublier comment ils surent faire succéder immédiatement des temps prospères à ces massa. cres affreux de la Jacquerie, à ce couronnement d'un roi d'Angleterre, proclamé et reconnu roi de France dans Paris, dans Notre-Dame! à ces fureurs de la Ligue, qui firent condamner le bon Henri? Pourrions-nous oublier comment leur es prit public, leurs sacrifices, surent réparer promptement tous les torts, tous les malheurs de ces époques, les seules où on ait désespéré du salut de la France, les seules que nous voudrions retrancher de notre histoire, parce qu'elles sont les seules où, comme dansnotre déplorable révolution, le Français, égaré par le prestige des factions, mérita et subit la punition terrible qui, chez une nation loyale, doit atteindre la violation du serment, la violation de ce principe sacré, qui veut que, dans la monarchie, le Roi soit pour le bon citoyen ce que, dans nos camps, le drapeau est pour le bon soldat, le signe exclusif du ralliement; parce qu'alors il est pour tous le signe tutélaire de l'honneur, le gage assuré du salut? Sous le digne descendant de Charles V, de Charles VII et d'Henri IV, nous saurons imiter ce que nos aïeux ont eu la gloire de faire si utilement sous ces rois; et même en voyant dans leur des cendant le plus vénérable des monarques, luttant pour nous contre une adversité non méritée, nous aurons, s'il est possible, encore plus de dévouement, parce que nous devons avoir encore plus de repentir.

Toutefois, Messieurs, et ainsi que je viens d'avoir l'honneur de vous l'exposer, je crois devoir ne soumettre à votre sagesse qu'en comité secret la mesure dont je viens de parler.

On demande l'impression du discours de M. Huerne de Pommeuse. L'impression est ordonnée.

M. Benoist succède à M. de Pommeuse, et prend pour texte de son opinion la discussion d'une partie des raisonnements des honorables membres qui l'ont précédé. Il établit aussi une définition de ce qu'on doit entendre par une caisse d'amortissement, et se félicite de ce que tous les avis se réunissent à reconnaître son utilité. L'opinion publique s'est prononcée à cet égard; d'anciens préjugés ont été dissipés, et ce n'est pas une des moindres preuves des progrès qu'a fait parmi nous la science de l'administration. On commence, en effet, à ne plus tant s'effrayer du mot de théories; on commence à n'avoir plus constamment raison, en se bornant à dire : Repoussons de vaines théories. Tout a sa théorie en finances, en politique, en administration, et parce qu'on a cherché à appliquer des théories en effet très-vaines, sur des matières spéculatives, il ne faut pas en conclure que sur des matières positives, il n'y a pas de théorie qui puisse être positive également: ce sont ces théories positives, démontrées par l'expérience, qu'il faut non dédaigner, mais étudier, approfondir et appliquer.

On objecterait en vain que le budget étant annuel, et les fonds devant être votés par session, il est difficile d'adopter un système qui embrasse l'avenir, et le lie, pour ainsi dire; mais autant vaudrait dire qu'il ne faut point de système de finances; car il ne peut en exister un qui ne repose sur des calculs réalisables dans l'avenir. Vos successeurs, sans doute, ne seront pas rigoureusement liés par vos résolutions. Ils pourront en prendre d'autres qui, à leur tour, pourront être

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