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l'assemblée dressa une instruction qu'elle joi- HII.• Ep; guit à un décret portant ordre de former les assemblées coloniales, pour délibérer sur les parties de la constitution qu'elle jugerait inap. plicables à leur territoire. La première impression ne s'effaça point; et la crainte de l'affranchissement des nègres, et plus encore l'éloignement, pour toute espèce d'égalité civile, avec des hommes que l'on aurait vus dans la servitude, fut un germe de troubles que rien ne put détruire, et que les circonstances développèrent dans la suite. Cette liberté des nègres, que sollicitait l'humanité et la philanthropie des Amis des noirs, avait déja été effectuée dans une partie des Etats-Unis d'Amérique ; mais on n'observait pas assez que ce grand acte de justice n'était pas dû à la politique et à la législation seule. Les Quakers d'Amérique, en donnant la liberté à leurs esclaves, ne cédèrent qu'à la persuasion, à des motifs tirés de leur religion; leurs prédicants seuls obtinrent ce grand sacrifice; et l'Angleterre, qui n'était pas tentée de l'imiter, aurait desiré qu'en renonçant à la traite des nègres, on lui eût fait gagner la concurrence. D'ailleurs, depuis la perte de ses colonies dans l'Amérique septentrionale, les îles françaises étaient une indemnité que sa politique convoitait. Aussi rien ne fut négligé par son gouvernement, pour fomenter les troubles.

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III. Ep. qui éclatèrent dès l'année suivante, et dont le succès ne fut que trop assuré. Cette grande affaire fut souvent reprise, et toujours avec des mesures qui se trouvèrent intempestives ou insuffisantes. Les nègres, sollicités, pressés, payés, prirent les armes qu'ils reçurent des ennemis de la France. Les habitations des colons furent incendiées; eux-mêmes poursuivis, massacrés avec leur famille, ou forcés de se soustraire, par la fuite, à la férocité d'esclaves qui venaient de briser leurs fers; et la prédiction d'un écrivain célèbre se vérifia. On vit, plusieurs années après, un nègre commander des armées et donner des lois sur ces mêmes terres que ses mains serviles avaient travaillées, et qu'avaient arrosées jadis ses sueurs, et peut-être son sang.

Des lois aussi humaines et plus heureuses dans leurs effets, rendirent aux protestants exilés par la révocation de l'édit de Nantes, leurs biens, ou du moins ce qui en restait, non aliénés, lorsqu'ils cherchèrent un asile en Allemagne. Pour encourager leur établissement,

ils y
avaient obtenu une exemption des charges
publiques pendant cent ans. Ce terme finissait;
et cette circonstance fit rentrer beaucoup de ces
familles; le souvenir de leur patrie ne s'était
pas effacé pendant plusieurs générations.

Nos relations extérieures devenaient aussi plus
Inquiétantes; les premiers événements de la ré-

volution n'avaient été vus, dans les cours étran- III. Ep. gères, que comme une saillie du moment; et le 1790. caractère de légèreté nationale rassurait sur la durée de ce qu'on nommait une effervescence passagère. On traitait assez gaîment la liberté française; on s'était même permis de jouer, sur le théâtre de Londres, l'assemblée nationale de France; on voyait, sur la scène, le président, armé d'une grosse cloche, occupé à faire taire les opinants qui parlaient tous à la fois; mais lorsque les événements du 6 octobre, et la suite des décrets sur la constitution eurent annoncé une persistance inattendue, les gouvernements commencèrent à craindre un système de liberté qui pouvait porter. leur peuple à l'imitation. L'Angleterre arma, dans ses ports, sous prétexte d'une guerre avec l'Espagne; Autriche fit approcher ses armées des Pays-Bas; la Prusse rassembla des troupes sur les frontières de la Hollande; la Sardaigne en réunit dans le comté de Nice; l'Espagne ordonna des levées, et porta des forces vers les Pyrénées. Un incident léger amena des explications dans l'assemblée; on y dénonça le ministre Montmorin, comme ayant autorisé le passage de quelques corps de troupes allemandes sur le territoire de France. On nomma une commission pour en conférer avec le ministre et en faire le rapport à l'assemblée. Il se trouva que ce passage de troupes

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III. Ep: était une facilité usitée et réciproque pour des changements de garnison; mais cette conférence amena d'autres éclaircissements. Un manifeste avait été répandu en France, au nom du prince de Condé, et il était regardé comme le chef du parti qui commençait à se former autour des princes qui s'étaient éloignés de France. On proposa un délai de trois semaines pour que le manifeste fût désavoué, sous peine de confiscation des biens de la maison de Condé. On proposa aussi diverses mesures de sûreté au dedans et au dehors. L'assemblée, quoiqu'elle ne doutât d'aucun de ces faits, considérant qu'elle n'en avait cependant aucune connaissance officielle, passa avec dignité à l'ordre du 29 juill. jour, et renvoya le tout au pouvoir exécutif. On acheva, cependant, les décrets relatifs à la constitution des armées de terre et de mer; et le président dut se retirer pardevers le roi, pour lui en demander la prompte exécution.

8 août.

Une affaire plus personnelle vint appeler l'attention de l'assemblée. L'information sur les attentats de la nuit du 6 octobre était terminée au tribunal du Châtelet; ses membres, en députation, vinrent à la barre, apportèrent la procédure, et annoncèrent qu'elle contenait le nom de deux membres de l'assemblée, assez impliqués par l'audition des témoins, pour que le respect dû au caractère de

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représentant du peuple, ait, seul, pu arrêter le III. Ep. cours de la justice, jusqu'à ce que l'assemblée eût déterminé les démarches ultérieures du tribunal. Les prévenus ne furent pas nommés dans le discours, mais personne n'ignorait qu'il s'agissait de Mirabeau et de Philippe d'Orléans. L'affaire fut renvoyée d'abord au comité des recherches, ensuite au comité des rapports. Mirabeau lui-même proposa et fit passer le décret. Cette grande accusation ne fut jugée que quelque temps après; les deux prévenus furent mis hors d'accusation. Ce qui fut remarquable, c'est que l'assemblée, presque entière, se refusa à prononcer sur chacun des prévenus, et voulut que le même décret réunît leur jugement. Plus de dix mois s'étaient écoulés depuis les événements dénoncés ; on craignit d'intéresser un grand nombre de coupables, ou présumés tels, et l'idée de faire le procès à la révolution, comme on disait alors, l'emporta sur toute autre considération. Le procès ne contenait aucun fait probant, aucune charge convaincante; mais les dépositions cumulaient une foule de témoignages, et des vraisemblances rapprochées formaient au moins un corps de preuves morales, qui eussent pu disparaître par un jugement, et qu'un refus de mise en jugement laissa entières, malgré la violence de Mirabeau, acquitté, qui se leva et dit. « Oui, le secret de cette «< infernale procédure est découvert ; il est là tout

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