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Diplomatie italienne

du moyen

âge.

résultat qui doit suivre l'action des causes analogues dans les mêmes circonstances. C'est ainsi qu'en méditant sur l'expérience de tant de siècles passés, la portion la plus éclairée des nations civilisées a fini par se convaincre des calamités immenses qui sont les suites de la guerre. C'est ainsi qu'on est parvenu à modifier les usages de la guerre entre les nations, en s'abstenant de la saisie des personnes et des biens des non combattants sur terre, et on apprendra avec le temps, il faut l'espérer, l'utilité de s'abstenir également de la saisie et de la confiscation des bâtiments marchands en mer1.

On a déjà vu que les publicistes italiens ont été les premiers à s'occuper de la théorie de cette partie du droit des gens qui traite des immunités des ministres publics. On peut également affirmer que c'est en Italie que la science de la diplomatie et l'art de négocier furent d'abord enseignés et pratiqués. Le génie fin et adroit de la nation italienne se développa dans les luttes, et les intrigues politiques des divers états de la péninsule, Florence, Venise, et Rome, ont produit, au seizième, quatorzième et quinzième siècles, une foule de diplomates consommés. La république de Florence employait dans ces fonctions les plus illustres et les plus instruits de ses citoyens. On peut nommer cinq des littérateurs les plus renommés de la Toscane, le Dante, Pétrarque, Boccace, Guicciardini et Machiavel (le plus grand de tous comme homme d'état), qui furent chargés par cette république des missions les plus importantes et les plus difficiles. Machiavel déploya un grand talent et un zèle infatigable dans ses diverses missions auprès de Louis XII de France, de l'empereur Maximilien, du pape Jules II, de César Borgia, et de plusieurs autres princes de l'Italie. Florence cherchait toujours à suppléer par l'habileté de ses hommes d'état à la faiblesse de ses ressources

1 Voyez un article critique fort remarquable écrit par M. Senior, sur la première édition de cet ouvrage, dans la Revue d'Edimbourg, No. CLVI, pp. 340-324.

militaires. Tant que ses conseils furent dirigés par Laurent de Médicis, l'équilibre entre les états de l'Italie fut maintenue par une main ferme, et son indépendance fut garantie contre les nations plus puissantes au delà des Alpes. Cette indépendance fut détruite sous son faible successeur Pierre de Médicis, qui provoqua par son imprudence et son ineptie l'invasion de Charles VIII. Si les nations de l'Italie furent effrayées de la férocité des armées françaises, les Français mêmes ne furent pas moins étonnés de l'astuce et du manque de bonne foi qui caractérisaient les négociateurs italiens. Les instructions données par la seigneurie de Florence pendant l'époque malheureuse qui suivit l'irruption de Charles VIII en Italie, et les dépêches de Machiavel dans ses diverses missions, jettent une grande lumière sur les mœurs politiques et les usages diplomatiques tu temps. Ces documents sont marqués par une grande simplicité de style, et par une sagacité rare en jugeant les hommes et les événements, combinée avec une politique astucieuse vraiment italienne. Lorsque Machiavel fut envoyé en 4500, conjointement avec L. della Casa, auprès Louis XII, pour demander de ce monarque de nouveaux secours contre Pise, et pour lui expliquer pourquoi les troupes françaises avaient levé le siège de cette ville, les Florentins savaient très-bien que le manque du succès devait être attribué à l'insubordination de ces troupes et n'était nullement la faute du commandant. Cependant le conseil des dix, dans ses instructions aux ambassadeurs, s'exprime ainsi : « Quoique dans >> nos plaintes nous n'ayons fait aucune mention du comman>dant, pour ne pas nous attirer son inimitié, si toutefois en » parlant devant sa majesté, vous trouvez occasion de l'accu» ser, et que l'accusation puisse réussir, faites-le vivement, et >> ne craignez pas de le taxer de lâcheté et de corruption; dites » qu'il avait continuellement dans sa tente l'un des embassa> deurs lucquois, et que c'était par son entremise que les >>Pisans étaient instruits de tout ce qui se passait dans le con

D

>> seil de guerre mais, jusque là, ne cessez d'en parler d'une >> manière honorable; rejetez toute la faute sur d'autres. >> Évitez surtout d'en dire du mal en présence du cardinal >> d'Amboise; car nous ne voudrions pas perdre la faveur de » son éminence sans en être dédommagés d'un autre côté. » Cette même politique se montre dans les instructions données à Machiavel pour sa mission auprès de César Borgia en 1502, lorsque ce prince luttait contre les petits tyrans et les condottieri de la Romagne, qui avaient formé une ligue pour l'empêcher d'établir sa souveraineté sur ce pays. Les dépêches du jeune secrétaire, où il rend compte, jour par jour, de sa mission et de la manière dont Borgia a fait périr ses ennemis par la plus infâme des trahisons, et en foulant aux pieds les serments et les traités les plus solennels, seront lus avec le plus grand intérêt, comme complétant le tableau tracé par l'histoire de ce siècle de perfidies et de crimes.

La diplomatie jouait aussi un grand rôle dans les affaires de la république de Venise, qui, selon le génie de ses institutions, suivait une politique traditionnelle et invariable envers les états étrangers. Les autres républiques de l'Italie furent déchirées par des factions implacables, et souvent elles furent bouleversées par des révolutions intérieures qui les empêchaient de suivre une politique extérieure aussi constante et aussi ferme que celle du sénat vénitien. L'aristocratie de Venise opprima la liberté du peuple en l'écartant de toute action directe sur les affaires publiques, mais elle fonda la puissance de la république sur des bases immuables, en dirigeant toutes ses forces vers l'agrandissement extérieur. Une série d'ordonnances, depuis le commencement du treizième siècle, pour régler le service diplomatique de la république, montre l'importance qu'on attachait à cette branche de l'administration. Par une ordonnance du sénat de 1268, les ambassadeurs, en revenant chez eux, devaient apporter au trésor tous les présents qu'ils avaient reçus en pays étrangers, et en même temps

ils devaient faire un rapport détaillé de leur mission. Pour être ambassadeur il fallait être noble et avoir trente-huit ans. La durée de chaque mission était limitée à trois ans par une ordonnance qui date seulement du seizième siècle, lorsque des missions permanentes étaient déjà presque généralement établies en Europe. Ce règlement était sans doute fondé sur cet esprit de méfiance et de jalousie qui caractérisait toute la politique vénitienne; mais souvent on obvia à ses inconvénients en renvoyant le même ambassadeur à la même cour, après qu'il avait fait son rapport général sur sa première mission. Ces rapports (relazioni) des ambassadeurs vénitiens contiennent des notices très-détaillées sur le pays où l'ambassadeur avait résidé, sur sa géographie et sa statistique, ses institutions politiques et religieuses, ses alliances et ses forces militaires, son peuple, ses mœurs et ses coutumes, la personne du souverain, sa famille, ses favoris et ses ministres, enfin sur tous les objets et toutes les circonstances qui pouvaient influer sur la politique et la morale de son gouvernement. Ceux qui les ont écrits étaient des observateurs froids et pénétrants, placés sous un point de vue plus favorable à l'impartialité que celui des auteurs du pays, dont les mémoires sont souvent dictés par l'esprit de parti ou les préjugés de secte. Ces rapports forment une riche collection de mémoires sur l'état politique des divers états de l'Europe, depuis le commencement du seizième siècle jusqu'à la chute de la république, où les meilleurs historiens de nos jours ont puisé les matériaux de leurs ouvrages'.

Les titres officiels des agents diplomatiques en Italie étaient d'abord oratores, oratori; au milieu du quatorzième siècle nous trouvons les dénominations de ambiaxiatores, ambiaiasctori. Charles V n'accordait ce dernier titre qu'aux envoyés des

1 REUMONT, Italienische Diplomaten und Diplomat. Verhältnisse, 1260 1550. Apud RAUMER, Historisches Taschenbuch, 1841, S. 422-437.

têtes couronnées et de la république de Venise, qui par son importance jouissait déjà des honneurs royaux, à l'exclusion des princes qui étaient soumis à la souveraineté de l'empereur. Le titre d'excellence était donné aux ministres du premier rang au commencement du seizième siècle. Dans les états monarchiques, le droit d'envoyer des ministres publics appartenait au prince; dans les républiques, aux autorités désignées par les lois fondamentales de l'état. Dans la république de Florence la commission et les instructions des ambassadeurs émanaient du « conseil des dix de la liberté et de la paix; » et souvent même le choix des envoyés était fait et les instructions données par des autorités subordonnées pour les affaires spéciales concernant leur administration. De cette manière Machiavel fut envoyé à Venise en 1525 par les consuls de l'art de la laine (arte della lana), pour traiter des affaires commerciales. A Venise les ambassadeurs étaient nommés par le conseil des Pregadi, et quelquefois même par d'autres conseils pour des affaires spéciales, puisque l'ordonnance de 1296 leur enjoint de faire leur rapport au conseil qui les a nommés1.

La langue nationale remplaça la langue latine dans les négociations diplomatiques pendant la dernière moitié du quinzième siècle. Ce fut alors qu'on commença à écrire les lettres de créance, les instructions et les depêches en langue toscane. Les commissions ou lettres de créance étaient courtes et souvent contenaient le plein pouvoir de négocier; on peut citer, pour la formule observée dans ces occasions, la commission donnée à Machiavel pour sa mission à Forli en 1499. « A son excellence la dame Catharina Sfortza Visconti et mon>> seigneur Ottaviano Riario, seigneurs de Forli et d'Imola. — >> Très-chers et grands amis, nous vous envoyons Niccolò >> Machiavelli, citoyen de notre république et secrétaire de

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