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L'édit de 1604 consacra définitivement les vœux des acheteurs d'offices. La Paulette, c'est-à-dire le droit annuel, moyennant le payement duquel les résignations d'offices échappaient à toute revendication de la couronne, la Paulette garantit aux possesseurs d'offices l'hérédité de leurs charges.

Contre l'état de choses créé par l'édit de 1604, un retour offensif se produisit aux Etats de 1614. Poursuivant leur lutte intéressée contre la vénalité, la noblesse et le clergé réclamèrent l'abolition de la Paulette. Autrement, disaient les orateurs des deux ordres privilégiés, « les charges allaient tomber en démocratie». Le Tiers para l'attaque en dénonçant de son côté l'abus prodigieux des pensions, mais surtout en rappelant au roi, qui n'avait guère besoin, d'ailleurs, d'en être persuadé, l'avantage qu'il retirait du commerce de ses offices. On vous demande, Sire, que vous abolissiez la Paulette, « s'écria l'orateur du Tiers, le président du baillage d'Au« vergne, Savaron, c'est-à-dire, que vous retranchiez de << vos coffres, seize cent mille livres que vos officiers vous << paient tous les ans ».

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Le roi n'y songeait guère. Forcé, en 1618, de supprimer la Paulette, moins de deux ans après, il la rétablissait. Désormais, la vénalité est « partie intégrante du droit public (1) et le restera jusqu'à la fin de l'ancien régime.

Richelieu qui, aux Etats de 1614, avait combattu la vénalité au nom du clergé, la maintiendra, devenu Ministre. Non pas qu'il ait changé d'opinion sur la valeur du principe, mais pour raisons d'opportunité. Si l'on avait à fonder un Etat, explique-t-il dans son Testament politique, il y aurait crime à ne pas en bannir la vénalité. Mais il est des imperfections passées en habitude dont le désordre fait (non sans utilité) << partie de l'ordre de l'Etat ». Supprimer la vénalité, ce serait rouvrir la porte aux brigues et aux factions. « Bien « que la suppression de la vénalité et de l'hérédité des offices « soit conforme à la raison et à toutes les constitutions du << droit, si est-ce néanmoins que les abus inévitables qui se « commettraient en la distribution des charges, si dépen« dantes de la volonté des rois, en ce qu'elles dépendraient de la faveur et de l'artifice de ceux qui se trouveraient plus puissants auprès d'eux, rendent la façon par laquelle on << y pourvoit maintenant plus tolérable que celle dont on s'est << servi par le passé, à cause des grands inconvénients qui « l'ont toujours accompagnée ». Richelieu concluait « qu'il << faut plutôt corriger les abus de la vénalité qu'en changer « l'établissement ».

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(1) De Crozals.

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Corriger les abus de la vénalité, ce sera, pour les successeurs de Richelieu, lui faire rapporter le plus qu'on en pourra tirer. Louis XIV va créer des offices de maires, lieutenantsmaires, échevins, consuls, capitouls, jurats, avocats et procureurs, assesseurs, commissaires aux revues et logements des gens de guerre, contrôleurs d'iceux, secrétaires, hoquetons, greffiers des hôtels de ville et contrôleurs d'iceux, archers, héraults, massarts, valets de ville, trompettes, tambours, fifres, portiers, concierges, garde-meubles, syndics perpétuels et greffiers des rôles. Bref, à la veille de la Révolution, «< non seulement toute fonction, mais presque tout « métier sera devenu un office. Même la vénalité aura trouvé un philosophe pour la défendre. Montesquieu en a fait l'apologie.

L'opinion de Montesquieu n'était celle que des intéressés. Ceux-ci exceptés, il y avait contre la vénalité un cri universel, comme dira le cahier du clergé de Saintes en 1789. Et s'il se trouve encore quelques cahiers pour reprendre, en faveur de la vénalité, l'excuse de Richelieu, et faire valoir « les avantages qu'elle présente lorsque le despotisme corrompt tout ». la plupart la dénoncent « comme une source de ruine pour le peuple ». Si grand, en effet, était le mal que même l'ancien régime avait manifesté la velléité d'y remédier. Le chancelier Maupeou se vantait auprès de Louis XVI d'avoir osé proposer à son auguste aïeul d'anéantir sans retour la trace « de ce honteux trafic qui a déshonoré et morcelé la puissance publique. La tentative de Maupeou ne pouvait manquer « d'échouer. L'ancien régime n'avait plus la vitalité nécessaire pour se réformer lui-même. La révolution y pourvut. Tout d'abord, la loi du 4 août 1789 abolit la vénalité des offices de judicature et de municipalité. Puis, successivement, la loi du 28 février 1790 supprima la vénalité des emplois et charges militaires, ainsi que des emplois de finance. La loi des 16-24 août 1790 déclara que la vénalité des greffiers n'avait pas de raison d'être. La loi du 29 janvier 1791 supprima la vénalité et l'hérédité des offices ministériels auprès des tribunaux pour le contentieux. La loi du 2 mars 1791 étendit cette suppression à tous les privilèges de profession, notamment aux offices des agents de change. La loi du 21 avril 1791, aux offices de courtiers. La loi du 14 avril aux offices des avocats au conseil. Enfin, la loi du 29 septembre déclara abolies « la vénalité et l'hérédité des offices royaux de notaires. » En un mot, pour tous les offices sans exception, la vénalité était abolie. Il n'y a plus ni vénalité, ni hérédité d'aucun office public, dit la Constitution du 3 septembre 1791.

Cette solennelle condamnation de la vénalité est restée dé

finitive pour le plus grand nombre des offices publics. Mais quelques-uns n'ont pas tardé à échapper. De tout temps, la tendance s'était manifestée dans les écrits des théoriciens, de distinguer entre les offices et ceux où l'exercice d'une profession se confondait avec la fonction. De ceux-ci, nos gens inclinaient, comme on peut le prévoir, à trouver le commerce << en tout licite » (1). Pour les notaires, par exemple, Loyseau estime qu'à la vérité, il semble que cette invention ne soit << pas du tout sans raison, parce que, par le moyen de l'héré<dité de ces offices, il y plus d'assurance et de foy publique, « et du bien d'un chacun en particulier, dont les greffes et ⚫ les notaires sont comme les gardiens et les dépositaires; et « surtout parce que, par leur continuation en une même famille, leurs minutes sont plus seurement gardées, plus aisées « à trouver et moins sujettes à être ou égarées ou diverties ». Quant aux procureurs, ils n'étaient pas considérés, à proprement parler, comme de vrais officiers.

Même sous la Révolution, cette distinction ne paraît pas avoir été sans influence sur les décisions relatives à la vénalité. Tandis que, dès le début, la Constituante déclare abolir pour toujours la vénalité des offices de judicature, elle ajourne à statuer pour les charges des simples ministres de justice ». Quand, en septembre 1791, elle se décide à supprimer la vénalité et l'hérédité des offices ministériel, elle consacre, cependant, au profit des notaires, le droit de disposer de leurs minutes, et de faire, avec leurs successeurs, des conventions au sujet de leurs recouvrements. Toutefois, en dépit de ces tâtonnements, la Constituante n'en finit pas moins, comme on l'a vu, par proscrire, absolument et sans exception, la vénalité de tous les offices.

Mais le souvenir de la distinction établie par Loyseau subsistera. « La propriété ou la patrimonialité des offices étaient « tellement entrées dans nos mœurs depuis plus de deux siècles, écrit M. Dard, dans son Traité des Offices, que, à peine « les fonctions de certains offices supprimés, tels que ceux de « procureurs, d'huissiers, d'agents de change, de courtiers, « eurent été rétablies par le Gouvernement consulaire, les << vendirent comme se vendirent les anciens offices en présen<< tant leurs successeurs en même temps qu'ils remettaient « leur démission aux Chambres syndicales ».

Pourtant, la Révolution n'avait pas seulement supprimé la vénalité et l'hérédité des offices ministériels. Elle avait, en outre, modifié les conditions de leur institution. La loi du 21 avril 1791 avait déclaré libre la profession d'agent et de cour tier de change, de banque et de commerce. La loi des 16-24 août 1790 avait décidé que les greffiers seraient nommés au

scrutin et à la majorité des voix par les juges. La loi des 29 septembre et 6 octobre 1791 avait établi des notaires publics, nommés au concours et à vie. La Convention, par la loi du 3 brumaire an II, avait supprimé les fonctions d'avoué. La loi du 19 vendémiaire an IV avait affecté à chaque section de Tribunal deux huissiers nommés et révocables par le Tribunal.

Mais, la plupart de ces dispositions étaient restées sans effet. Dès le 28 vendémiaire an IV, la Convention établissait les agents de change et les courtiers de marchandises. Les anciens notaires royaux, autorisés à continuer provisoirement leurs fonctions jusqu'à l'établissement des botaires publics, les exercèrent dans un grand nombre de localités, comme si la loi n'avait pas été rendue (1). Les huissiers aussi avaient été également autorisés à continuer leurs fonctions. La tradition de la vénalité se trouvait ainsi maintenue, s'affirmant de plus en plus, à mesure que s'affaiblissait l'esprit de la Révolution, et toute prête à s'imposer dès que triompherait la réaction. Aussitôt après que la loi du 27 ventôse an VIII eût rétabli les avoués, et rendu au Gouvernement le choix des greffiers et des huissiers, et que la loi du 25 ventôse an XI eût supprimé le concours pour les notaires, la vénalité se trouva pratiquée en fait, en attendant qu'elle reçût la consécration du droit.

Peu s'en fallut qu'elle ne fût, dès lors, légalement consacrée. C'est aussi une propriété sans doute, disait le rappor«teur de la loi des 15 et 16 ventôse an XI, le Conseiller d'É<< tat Réal, que cette confiance méritée, que cette clientèle « acquise par une vie entière, consacrée par un travail opiniâtre et pénible. Cependant, le législateur de l'an XI n'osa pas aller jusqu'au rétablissement de la vénalité. Il se borna à ne pas l'interdire. Le projet que nous présentons, <«< continue le rapporteur Réal, ne prononce rien à ce sujet, « parce que la théorie de toute cette partie de la loi se con«cilie parfaitement avec tout ce que pourront exiger les con< venances et les circonstances. >>

Greffiers, notaires, huissiers, avoués, tous les officiers ministériels s'empressèrent d'user de la permission. Légalement, ils n'avaient toujours pas le droit de céder leurs offices à prix d'argent. Mais les chambres syndicales refusaient le certificat de capacité et de moralité exigé par la loi aux candidats qui n'avaient pas traité avec le dernier titulaire. Les tribunaux déclaraient nulles les conventions ayant pour objet la vente ou la cession du titre, mais valables, les conventions relatives à la clientèle d'un office.

(1) Voir Perriquet : Offices ministériels, page 145.

Bref, la vénalité refleurissait, non seulement avec la tolérance des pouvoirs publics, mais même, les paroles de Réal permettent de le dire, à leur instigation. Si bien qu'on a pu écrire que la loi du 28 avril 1816 qui est aujourd'hui la source de la prétention des officiers ministériels à un droit de propriété sur leurs charges, n'a fait que « consolider des « droits déjà existants.

« La loi de 1816, dit M. Bataillard, dans son livre sur la • Propriété des offices, n'avait pas, lors de sa promulgation, toute l'importance que l'on pourrait aujourd'hui supposer. Pour s'en convaincre, il suffit de ne pas perdre de vue que le droit des officiers ministériels de vendre leur pratique, leur clientèle, leurs minutes, leurs répertoires, leurs livres, ⚫ et leurs papiers, leurs recouvrements et même leur démis«sion, ne leur était pas contesté; il ne faut pas oublier non • plus que le Gouvernement, de qui dépendaient les nomina«tions, accueillait depuis de longues années les résignations « in favorem, et que, par conséquent, il restait au législa<< teur bien peu de choses à accorder. »

Ce ne fut pas la seule raison. D'autres considérations encore que celle de consacrer une pratique universellement admise ont inspiré le législateur de 1816. L'œuvre de 1816 fait partie du plan de réaction entrepris par la Restauration. << Louis XVIII, a écrit M. Jeannest Saint-Hilaire dans son « traité du Notariat, ne devait-il pas à ses ancêtres de resti⚫ tuer les offices dont ils avaient touché le prix ? N'était-ce « pas pour lui d'une bonne politique de réparer le tort que la République avait causé? L'essence de son Gouvernement « était de ramener la nation au culte du passé; le Consulat ◄ et l'Empire avaient restitué aux émigrés ceux de leurs << biens que la République n'avait pu vendre; la Restauration pouvait bien se croire obligée à la restitution des offices. La loi de 1816 ne fut que la quittance de cette dette loyale«ment reconnue ».

A la vérité, on n'osa pas procéder ouvertement à cette << restitution ». Telle était sans doute la pensée secrète des conseillers de Louis XVIII (1). Mais les temps n'étaient pas encore venus du milliard des émigrés, et ce fut hypocritement par une disposition législative ambiguë (2) », un article inséré, sans discussion, dans la loi de finances, que la Chambre de 1816, s'en rapportant aux intéressés qui n'y manquèrent pas, du soin de profiter de l'ambiguité, reconnut aux officiers ministériels un droit d'espèce si particulier que

(1) A. Varenne. Étude critique sur le droit de cession des offices ministériels, (2) A. Varenne 'Ibid.)

page 44.

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