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rager la désertion ou l'empêcher pour faciliter l'organisation des bandes royalistes sur le territoire français ?

« J'avoue, écrit Talleyrand1, que je ne conçois rien à « notre manie d'émigration. Elle ne nous a pas bien « réussi la première fois. Je désire vivement qu'elle << nous soit plus utile aujourd'hui, quoique l'expérience " n'ait que trop prouvé, pendant vingt-cinq ans, que « c'est dans l'intérieur de la France que se font les « révoltes et non au-dehors.

Quand Bonaparte est retourné d'Égypte, a-t-il fait << sortir sur un point quelconque de la frontière les gens « de son parti pour entrer à leur tête et se faire nom«mer consul? Lorsqu'il vient de revenir à Paris, a-t-il << fait émigrer personne? Au contraire, il a eu soin de « préparer et de ménager son opération dans l'inté« rieur.

« Lorsque les alliés, en 1814, sont entrés en France, « si toutes les personnes dévouées à Sa Majesté avaient « quitté Paris, qui l'aurait emporté du roi ou de la « régence? Si les gens fidèles sortent d'une ville, leur << est-il plus facile de la prendre d'assaut que, s'ils res<«<tent, de faire un mouvement dans l'intérieur et de « livrer une porte?

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<< M. de la Rochefoucauld dit dans sa lettre que ceux qui émigrent donnent au roi une plus grande preuve « de dévouement que ceux qui restent chez eux. Cela «peut être; mais la question est de savoir s'ils lui sont plus utiles. Un homme peut, en dedans, en entraîner « vingt autres; mais il lui est infiniment plus difficile de

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1. 7 juin 1815.

« les emmener à l'étranger, où il est fort douteux qu'ils « soient reçus, qu'ils puissent vivre et où ils n'ont pas « la conviction de rendre des services bien impor<<< tants.

« J'avouerai que ces ordres que reçoit à mon insu « M. le comte de la Rochefoucauld, le faisant agir dans <«< un sens tandis que, d'accord avec les ministres, j'agis << dans un autre, il en résulte un manque d'ensemble << dans les opérations qui nuit à la cause du roi et qui « la discrédite... »

M. de La Rochefoucauld est d'un avis contraire. Il répond le même jour :

« Oui, je vous ai demandé de provoquer l'émigration «<et je vous ai dit que j'espérais organiser un corps en « France.

«Sans doute, il faut provoquer fortement l'émigra«<tion: 1o parce que le roi la désire et que c'est sur elle « que le ministère fonde une partie de ses projets. <«< Ainsi nous devons obéir et ne pas déranger le plan « du gouvernement. Nous croyons très bien raisonner «dans notre petite sphère, mais les plans qui embras<«<sent tout le gouvernement ne sont peut-être pas bien «< connus de nous, et nuiraient, je crois, si nous ne ser<< vions pas de la manière que l'on veut que nous ser<< vions.

« 2o Parce que je ne crois pas, je l'avoue, malgré << toutes les promesses que l'on vous fait, sur ces hom<< mes dévoués dans l'intérieur. Un homme qui ne s'ex« pose ni à perdre sa fortune, ni à être séparé de sa <«< famille, un homme enfin qui n'a pas ce sentiment de

« l'âme, qui fait qu'on ne peut pas rester sous un gou<< vernement aussi injustement établi et aussi détesta<«<blement composé que celui qui existe actuellement, << n'est pas un homme sur lequel on puisse compter « dans des moments de crise.

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« 3° Parce que enfin les hommes qui sont dans l'in<«<térieur ne sont utiles à rien et que ceux en dehors « sont utiles à tout. Ceux dans l'intérieur, dites-vous, << travaillent l'opinion. C'est ce que je ne puis com<< prendre, car si vous admettez son pays mal disposé, <«< un tel homme sera arrêté au premier mot qu'il dira, «<et si le pays est bon, il n'y a pas besoin de lui. M. de «Scey dit à cela qu'on ôte l'élite des bons et je réponds que c'est ce qui est heureux, car si les meilleurs <«< émigrants avaient de l'influence dans leur pays, un grand nombre émigreraient à leur suite et s'ils n'en <«<ont pas, ils en acquerront le jour où ils reviendront « avec un habit militaire, des épaulettes et à la tête << d'une compagnie criant de bon cœur, vive le roi! «En effet, les émigrants actuels étant sûrs de rentrer «en France à la suite des puissances, sont extrême<«<ment utiles, parce que c'est alors qu'ils auront dans «<leur pays la considération qu'on attache à ceux qui « sont en bonne position. Ils pourront alors concourir « à donner au gouvernement du roi la force qu'il n'avait pas l'année dernière. Ajoutez à cela que nous serons « sûrs d'avoir à la tête des compagnies, des adminis«trations et des finances, des hommes sûrs, dévoués «<et agissant pour le roi, tandis que, en prenant des << hommes restés dans l'intérieur, nous serons trompés << par les bonapartistes retournés, qui oseront nous « dire, peut-être encore plus haut que les autres, qu'ils

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<< ont travaillé l'opinion. Les émigrants sont encore très « utiles au roi par leur présence, en montrant aux puissances que le roi est assuré et suivi d'un grand <«< nombre de ses sujets et je vous prie de ne jamais <«< oublier ce point de vue dans la question actuelle, « parce que je sais que c'est celui sous lequel le roi et le « ministère l'examinent principalement... »

L'ordre du roi était en effet formel, et le même jour on expédiait sur tous les points de la frontière la proclamation du prétendant.

PROCLAMATION DU ROI.

Le roi rappelle auprès de lui ses fidèles sujets; il veut rentrer en France, entouré de Français.

Le quartier général de l'armée du roi est à Lorrach', près de Bâle.

Tout soldat et tout officier au service de Buonaparte sera licencié, privé de tous grades, de toutes pensions et décorations, s'il ne revient sous les drapeaux du roi. Ceux qui reviendront conserveront leurs grades, leurs pensions et décorations; ils seront payés de l'arriéré de leurs traitements, et seront recommandés à Son Excellence le ministre de la guerre pour obtenir un grade de plus dès leur arrivée au corps.

Les volontaires qui se rendront au quartier général seront admis à la fin de la campagne comme officiers dans l'armée, ou seront reçus dans la maison du roi, s'ils le désirent.

1. Le quartier général sera porté à Altkirch, aussitôt après l'entrée des alliés en France.

Il sera accordé une gratification de dix francs à celui qui aura engagé un volontaire au quartier général.

Les volontaires qui rentreront au service du roi et qui amèneront un cheval, recevront une gratification de quatre-vingts francs, le cheval leur sera conservé.

Un huitième de cette somme sera accordé à celui qui les aura engagés à retourner sous les drapeaux du roi.

Les autres soldats qui se rendront au quartier général, recevront, outre la solde, la nourriture, l'habillement et l'armement, une gratification de vingt francs. Un quart de cette somme sera accordé à celui qui les aura dirigés vers le quartier général.

Tout volontaire et soldat qui ne voudra servir que trois mois, recevra son congé absolu à la fin des trois mois.

A Bâle, ce 25 mai 1815.

Le commissaire du roi sur les frontières de la 6 division militaire,

Le comte DE LA ROCHEFOUCAULD.

Mais ce n'est pas seulement la désertion qu'encouragent ces étranges Français, c'est encore la trahison. Ce qu'il leur faut, ce sont des traîtres en mesure de leur livrer les troupes et certaines places de guerre sur la frontière. Pour l'armée royale de l'est, Huningue, Neuf-Brisach et Besançon ont une importance capitale. On cherche à acheter le concours des honorables chefs qui les commandent.

Lafon et Lamarre annoncent qu'ils sont en train de traiter avec le général X.... Talleyrand, de son côté, le 23 avril, fait connaître à Gand que le général Stuggentesch

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