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subsides du gouvernement de la Grande-Bretagne, et Gand, le centre de ralliement de la conspiration royaliste, devenu l'asile des Bourbons et de leurs agents.

S'il arrivait à temps, s'il parvenait à empêcher les armées anglaise et prussienne de se réunir et à les détruire séparément, il pouvait espérer entrainer la nation et désagréger les forces de ses adversaires.

Dans la nuit du 14 au 15, les troupes passaient la Sambre. Le 15 au matin, fâcheux pronostic, le général Bourmont et son état-major quittaient l'armée pour se rendre au quartier royal. Le 16, se livrait la bataille de Ligny; le 18, tout s'effondrait à Waterloo. Le 20, l'empereur était de retour à Paris.

J'ai de mauvais pressentiments, dit Lucien dans ses notes.

Waterloo!

Première nouvelle de la victoire. Je la trouve assez louche pour conseiller à Joseph de ne pas tirer le canon ou d'attendre quelques heures de plus. On n'attend pas assez. Le canon est tiré. Vingt-quatre heures après, quelle victoire !

A Paris, le trouble est immense; les ennemis de l'empereur se dévoilent. Les royalistes se remuent. Joseph n'ose réprimer personne. Discours décourageant du maréchal Ney.

Le 3 juillet, le jour même où les alliés entraient dans Paris, Napoléon arrivait à Rochefort. Le 14, il écrivait au régent; le 30, il partait pour Sainte-Hélène.

Pendant ce temps, les Bourbons triomphaient bruyam

ment.

Dès le 19, on pouvait lire dans le Moniteur gantois :

«La journée du 18 a terminé de la manière la plus.

<< heureuse pour les alliés la lutte sanglante et opiniâtre qui durait depuis le 15... L'armée de Bonaparte, cette « armée qui n'est plus française que de nom depuis

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qu'elle est la terreur et le fléau de la patrie, a été << vaincue et presque entièrement détruite. »>

Le 22, le ministre écrivait aux agents diplomatiques :

<< Monsieur..., je m'empresse de vous soumettre le « n° 20 du Journal universel, qui vous fera connaître « les premiers détails de la victoire décisive remportée « le 18 par les armées anglaise et prussienne sur Napo«<léon Buonaparte. La gloire de cette heureuse journée <«<est commune aux généraux des deux armées, dont <«<les dispositions, la valeur et la coopération franches «<leur méritent un tribut d'admiration et de reconnais«sance. Le roi part ce matin pour Mons, son inten«tion étant de se rapprocher immédiatement des fron«tières de son royaume. Je suivrai Sa Majesté..... »

Le 23, en effet, Louis XVIII était à Mons, le 26 à Cambrai et le 30 dans sa bonne capitale.

L'épouvantable drame était fini.

L'empereur avait-il fait tout ce qu'il devait pour sauver ceux qu'il avait entraînés à sa suite? Après Waterloo, devaitil rentrer à Paris ou rester à la tête de ses troupes? Ces questions, son frère Lucien a tenté de les élucider.

Les reproches, dit-il, que le général Lamarque 2

1. La Vérité sur les Cent-Jours (chez Ladvocat, 1835). 2. Lamarque (Maximilien), général, comte de l'empire, né à

fait à Napoléon d'avoir quitté son armée et d'être venu à Paris se confier aux Chambres, fut presque universel à cette époque, et je partageai vivement cette opinion avec les autres membres du conseil du gouvernement, présidé par le prince Joseph. Je pense que nous raisonnions fort logiquement, et cependant je suis aujourd'hui convaincu que Napoléon ne devait pas agir autrement qu'il ne l'a fait. Nous raisonnions logiquement, parce que nous n'envisagions que le péril où s'exposait l'empereur. Il était évident qu'il était plus fort au milieu de son armée, dont plusieurs corps n'étaient pas encore entamés, que dans l'enceinte de Paris, où s'agitaient tant de passions, et où il pouvait se trouver en collision avec les Chambres représentatives; cette différence de position, tout à son désavantage, était appréciée par tous les esprits aussi le conseil du gouvernement expédia-t-il un courrier pour supplier l'empereur de suspendre son retour. Et cependant, l'empereur ne pouvait pas, ne devait pas suivre notre avis. Il raisonnait aussi logiquement que nous, mais il partait d'un autre principe, et il devait nécessairement arriver à une autre conséquence. Le sentiment de son bien-être personnel, la conservation de son trône, l'amour de sa famille et de son fils, n'entrèrent pour rien dans la décision de Napoléon; il s'agissait bien pour lui de ses intérêts et des nôtres !

C'est de la France qu'il s'occupait uniquement. Quel était le meilleur, le plus prompt moyen de défendre

Saint-Sever (Landes), le 22 juillet 1770, mort à Paris, le 1er juin 1832. Volontaire en 1791, général de brigade en 1801; en 1815, fut chargé de réprimer le royalisme en Vendée; exilé jusqu'en 1818, député de Mont-de-Marsan en 1828.

Paris contre les armées victorieuses qui approchaient? Voilà le seul problème qu'il cherchait à résoudre; et la réunion patriotique de tous les corps de l'État lui paraissait la meilleure, la plus courte, l'unique route de salut; devait-il hésiter à s'engager tête baissée dans cette route, au risque de son trône, au risque de sa vie? — Ah! si les Chambres avaient répondu à une confiance héroïque; si elles avaient appelé la levée en masse; si elles s'étaient pressées autour du chef de l'État; demandons-le aux plus audacieux de nos ennemis... auraientils osé marcher sur Paris?

N'est-ce pas la nouvelle de nos folles divisions qui encouragea les alliés à s'aventurer au milieu de nous ? Prévenir ces divisions autant que cela dépendait de lui, voilà quel était le devoir de Napoléon. Voilà le sentiment qui lui fit quitter ses soldats pour s'exposer à T'aveugle légèreté des factions. Il n'ignorait pas les périls auxquels il s'exposait en sortant de son camp, pour accourir seul au Forum, le lendemain d'une défaite. Il savait que les orateurs ont une autre sorte d'éloquence devant un prince à la tête d'une armée dévouée, ou devant un prince isolé dans une grande capitale. Mais ces motifs personnels n'entraient pas dans les éléments. de son problème à ses yeux le péril était dans les divisions des esprits, à Paris, et c'est là qu'il devait accourir.

Lamarque dit avec raison, que c'étaient les Jacobins que craignait l'empereur. Oui, sans doute, il les craignait, mais c'était pour la patrie. Il savait que le fanatisme de ces hommes de cœur et de main était d'autant plus redoutable qu'il partait d'une conviction sincère. Mais la liberté, la vertu, la philosophie, la religion, que

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font-elles aux hommes lorsqu'elles sont souillées de sang et de boue?

Le monde peut-il, doit-il reconnaître Minerve sous le masque des Euménides? Mutiler un corps politique pour le faire marcher, le brûler pour l'éclairer, le renverser pour le soutenir..... n'est-ce pas le triste résultat de la démocratie jacobine? N'est-ce pas à cet épouvantable système qu'a dû sa chute notre grande république, qui, par la plus injuste prévention, a pour ainsi dire hérité de ce qui l'a tuée, en gardant sur sa mémoire la haine et l'horreur amassées sous le régime antirépublicain de la terreur? - Oui, c'est ce régime de funeste souvenir qui a retardé d'un demi-siècle la réforme constitutionnelle de l'Europe.

En domptant cette hydre, Napoléon remporta la plus utile victoire ce serait déshonorer son nom que de pactiser jamais avec cette faction et d'encourager ses erreurs. Ah! puissent tous les esprits éclairés et généreux de la jeunesse française, puissent tous les adeptes de la grande déesse, se répéter souvent, qu'exhumer les livrées et les exemples de la terreur, c'est servir le despotisme!... Évoquer les noms de Robespierre, de Marat, de Saint-Just, c'est faire rétrograder, par bonds, vers les ténèbres du passé, l'humanité qui s'avance. Il faut que tout cœur d'homme et de citoyen se ferme à ces provocations funèbres. Il ne faut jamais cesser de repousser chacune de ces provocations par un concert de réprobation universelle et rigoureuse, car ce sont là (quoique bien intentionnés) les plus mortels ennemis du progrès social.....

Mais revenons à Waterloo. A l'esprit démagogique, malheureusement vivace dans quelques imaginations

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