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SOIRÉE LXII.

Suites de la bataille de Waterloo.

Napoléon à Paris. Colloque de Napoléon avec le comte Regnauld. Discussion de l'Empereur Napoleon avec le comte Lanjuinais. Intervention du comte Labédoyère. Napoléon et Lucien. Divers évènements qui ont lieu à Paris. For ché en jeu. Beau caractère de Carnot. Napoléon abdique. Situation de Paris. Ney et les autres divers détails. Intrigues. Départ de Napoléon. Rochefort. Sa lettre au prince-régent; sa captivité.

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La catastrophe épouvantable qui termina la bataille de Waterloo produisit malheureusement sur l'armée française le fatal effet de la retraite de Moskow.Tous les corps, les divisions, les régiments, se désorganisèrent; il n'y eut aucun moyen humain de les rallier dans le premier moment; ainsi la résistance à opposer aux armées victorieuses, fut nulle. Le seul corps de Grouchy demeura entier; ce général, qui n'avait pas combattu, put se

replier facilement. Les débris de la grande armée vinrent se fondre dans celle-là, et sous peu de jours après le maréchal compta soixante-dix mille soldats de toute arme sous son commandement.

Que faisait Napoléon, pendant ces heures d'angoisse, pour sa patrie? Une seule pensée l'occupa, il se ressouvint, au moment de son désastre, des dispositions républicaines de la chambre des représentants; il demeura persuadé que celle-ci, instruite de ce désastre, en tirerait partie pour proclamer la patrie en danger; pour abolir l'Empire, et pour rétablir la république avec ses auxiliaires inséparables, la terreur, les prisons et l'échafaud, passage sanglant qui ramène à la victoire.

Napoléon aussi s'effraya trop facilement de la contenance que les royalistes allaient tenir, il les voyait rallumer dans la Vendée la guerre civile, soulever le Poitou, la Guienne, le Languedoc, la Provence, et tendre la main aux ennemis, leurs amis, qui leur viendraient par l'Océan, les Pyrénées, la Méditerranée et les Alpes... Il ne les connaissait pas bien; aucun d'eux ne remuerait tant qu'un soldat porterait la cocarde tricolore, on n'avait à les craindre qu'au jour même où la nation toute entière accepterait le drapeau blanc.

Mu, d'un autre côté, par l'idée que sa présence à Paris, en comprimant toutes les factions, exciterait une levée en masse dans la caste du

peuple, il se flatta, avec ces nouveaux appuis, de contenir les royalistes, les orléanistes et les républicains; qu'en même temps devant lui la chambre des représentants n'oserait rien entreprendre de contraire aux constitutions, et que, paralysant tous les mauvais projets et donnant du véhicule à l'enthousiasme, il sauverait ainsi par cette démarche l'armée, la France et son trône.

En conséquence, des Quatre - Bras il se rendit à Philippeville, et de là partit rapidement pour Paris, où il arriva le 21 juin. La première personne qu'il fit demander en arrivant, fut le comte Regnault. Après les premiers instants donnés de sa part à raconter ce qui s'était passé, et de l'autre à exprimer une douleur véritablement sentie, Napoléon se mit à dire :

« Que va-t-on faire demain à la chambre des Représentants? Pensez-vous qu'on y tente quelque coup d'État?

REGNAULD. - Notre grande infortune occupera trop les esprits.

NAPOLÉON.Ne ferais-je pas mieux de prendre les devants?

REGNAULD.

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NAPOLÉON. Dissoudre la chambre élective, ressaisir la dictature et ne la déposer qu'à la paix générale.

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NAPOLÉON. Serais-je abandonné du peuple ? REGNAULD.Non, Sire, la chambre vous sou

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chambre des Représentants voudra que je sois....... Les temps ont bien changé. Au reste, je saurai bientôt à quoi m'en tenir : je viens d'écrire un mot au président et je présume qu'il viendra vite... Je n'aime pas Lanjuinais.

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L'Empereur pourtant l'a fait sé

NAPOLÉON. C'est que je l'estimais et que j'ai souvent employé sans affection ceux dont le mérite était réel : l'abbé Grégoire, par exemple, autre stoïcien. Ah! que cette trinité est honorable pour la France, Lanjuinais, Boissy-d'Anglas et Grégoire. Comte Regnauld, faites attention: dans ces trois hommes de vertu si pure, un protestant et deux jansénistes. »

Un huissier annonça le comte Lanjuinais qui entrait.

NAPOLÉON. Oui, monsieur le président, moi, à la merci de votre chambre, je suis vaincu...; vaincu à ne plus avoir d'armée. Une faute de Grouchy a commencé, la Providence a fait le reste, ou plutôt Dieu a tout consommé. L'armée est anéantie ou éparpillée; néanmoins on peut tout réparer, si la chambre des Représentants ne se sépare pas de moi.

LANJUINAIS. - Elle est à la France, et ne lui manquera pas.

NAPOLÉON. - Et moi, suis-je séparé de toutes les deux?

LANJUINAIS. Plaise au ciel que non. Mais si les évènements sont tels qu'un sacrifice soit nécessaire; qui doit périr, Sire, de la France ou de vous ?

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NAPOLÉON. Moi, sans doute, Messieurs, et grâce à vous, j'ai fait mes preuves.

Oui,

LANJUINAIS avec force et attendrissement. — Sire, et votre conduite l'an passé a été sublime, vous avez su périr à propos.

NAPOLEON, vivement. - Et je saurai recommencer s'il le faut; mais prenez-y garde. Que voulezvous, monsieur le comte?

LANJUINAIS. La liberté et le bonheur pour la

France.

NAPOLÉON.

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Les aurez-vous tous avec les

Bourbons? Songez qu'ils vont arriver remplis de haine, de colère et de vengeance, que les étrangers vont accabler le pays de constitutions, de réquisitions, d'exactions en tous genres, qu'ils nous dépouilleront de nos richesses, de notre honneur et d'une portion du territoire.

LANJUINAIS. Je crains tout cela.

NAPOLÉON. Ne vaut-il pas mieux employer notre argent à les combattre et à les vaincre. Je peux encore beaucoup.

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