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mille prisonniers. Notre perte s'éleva à douze cents morts, dont le général polonais Grabouski, et à trois mille blessés, dans ce rang les généraux Zayoncheck, Grandeau et Daltors.

» Ce grand succès pour les Français fut changé à Saint-Pétersbourg en une victoire russe, dans laquelle nous aurions eu vingt mille morts, et des régiments entiers auraient mis bas les armes, trois régiments de Cosaques ayant battu le roi de Naples, etc., etc. Ces causes furent démenties par ma marche triomphale sur Moskow.

>> Le 19, au combat de Valutina-Gora, nous remporțâmes une autre victoire. Elle eût été complète si le duc d'Abrantès eût pris part au combat, mais attardé par divers incidents, il laissa à cinq divisions russes le loisir de se sauver, Là mourut du trépas des héros le général Gudin, vrai chevalier français, et qui possédait un cœur de géant dans l'enveloppe d'un vrai pygmée: sa taille était à peine de quatre pieds dix pouces. Certes on pouvait lui appliquer le beau vers:

Et dans un faible corps s'allume un grand courage.

» Nous le vengeâmes par mille Russes tués ou blessés plusieurs de leurs généraux y laissèrent aussi la vie. Notre perte ne dépassa pas trois mille morts ou blessés.

» Le 20, je passai en revue mes nobles et braves troupes, cette pépinière de maréchaux. A la vue

de ces hommes de bronze, simples comme des enfants et valeureux comme des lions, je ne pus me retenir de dire:

« Ah! je poursuivrai mes avantages: avec de tels soldats on doit aller au bout du monde, et Londres et Moskow ne sont pas si loin! »

» Les Russes, défaits de manière à ne pas changer cette fois leur déroute en victoire, se mirent à fuir sur Borodino. Ce fut là que l'opinion de la nation moscovite et celle surtout de son clergé, contraignirent le czar à investir le feld-maréchal Kutusow du commandement suprême des deux armées de l'ouest. Ce fut un double et cruel affront pour Barklai de Tolly et pour Bagration, Au reste, le nouveau venu, peu estimé de son souverain, a dû aux éléments toute la part de gloire qu'il s'attribue dans la campagne de 1812.

>> Je passe sous silence le combat de Swolna, du 17 août, où le duc de Reggio fut grièvement blessé. La bataille de Polotsk, le 18, où nous perdîmes les généraux Deroi et Sierbein, et où furent blessés les généraux Verdier et Raglowich; les combats de Grafenthal, le 26, et d'Olaï. Je ne m'arrête qu'aux faits principaux.

» Je me dirigeai vers Moskow, que j'allais atteindre, et jusque là il me semblait que les Russes n'avaient pas fait ce qu'ils devaient faire. Je désirais mieux que Smolensko, lorsque j'atteignis, le 5, les rives de la Moskowa, rivière qui a donné

son nom à la capitale, et peut-être à la nation des Moskovites; là, enfin, l'ennemi se présenta avec une masse imposante: Kutusow le commandait, et son centre obéissait à Bennigsen. Kutusow avait fait construire, à cent toises en avant du village de Chivarino, une redoute formidable qu'il fallut emporter dès le 6 septembre, tant son feu nous était meurtrier. Le général Compans, avec sa division, prit ce soin. Trois fois vainqueurs, trois fois repoussés, les Français s'emparèrent enfin de cette batterie, qui vomissait le feu et la mort. Elle avait fait un mal immense : elle avait tué plus de mille · des nôtres. Et moi, ayant demandé au colonel du 61° ce qu'était devenu son deuxième bataillon, il me répondit:

« Sire, il est resté dans la redoute. »

» A deux heures du matin, le 6, et déguisé, je parcourus le front des Russes. Je vis que leur gauche, trop resserrée, était le côté faible. Je me déterminai à frapper sur ce point: un grand succès devenait nécessaire pour abattre l'orgueil des ennemis, et pour les amener à la paix. Je fis mes dispositions en conséquence. Kutusow, de son côté, faisait promener dans les rangs de ses soldats une image miraculeuse de saint Serge, et leur distribuait une proclamation folle, dirigée contre moi uniquement.

» Les fatigues, les combats partiels, les maladies, avaient diminué les deux armées, ainsi que

les garnisons à laisser en arrière. Nous n'avions mutuellement que cent trente mille combattants, mais les Russes touchaient à leur capitale, et nous étions à cinq cents lieues de la mienne. Une déroute devenait pour moi décisive, et je n'avais de salut dans le succès. Hélas! si je l'obtins, ce fut le dernier.

que

>> Le 7, à trois heures du matin, j'étais sur pied, et j'inspectais encore la position prise depuis le 5. Tous les maréchaux qui commandaient sous moi vinrent prendre mes ordres. A cinq heures et demie, le ciel rayonna aux feux d'un soleil pur. A sa vue, je m'écriai:

« Ah! c'est le soleil d'Austerlitz. »

>> Des cris joyeux en acceptèrent l'augure. Je m'avançai en dehors des colonnes; je fis battre un ban, et je fis lire au milieu de chaque régiment la proclamation suivante :

« SOLDATS,

» Voilà la bataille que vous avez tant désirée. >> Désormais la victoire dépend de vous: elle nous » est nécessaire; elle nous donnera l'abondance » de bons quartiers d'hiver et un prompt retour » dans la patrie. Conduisez vous comme à Austerlitz, à Friedland, à Witespk, à Smolensko; » que l'antiquité la plus reculée cite avec orgueil votre conduite dans cette journée, et que l'on dise de vous: Il était à cette grande bataille » sous les murs de Moskow. »

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J'achevais, et de tous côtés s'élevèrent les cris de vive l'Empereur ! en avant, victoire à la France. De pareils hommes, en effet, ne pouvaient être vaincus que par les éléments.

» A six heures du matin, le général Sorbier fit tirer un coup de canon, qui devint le signal de la mêlée. Cent vingt autres bouches à feu, placées à notre extrême gauche, lui répondirent. Les princes Poniatowski, d'Eckmülh, Eugène ; le roi de Naples; les généraux Friant, Compans, Desaix, Bernetti, Delzon, Morand, Gérard, Broussier, Poitevin, Nansouty, Montbrun, Grouchy, Foucher, Dufour, Plauzonne, Ornano, Auguste de Caulaincourt, Bruyères, Saint-Germain, Pajol, Paultre, Chouard; les maréchaux commandants; tous se signalèrent, tous se distinguèrent dans cette journée mémorable, où aucune faute ne fut commise; où la vaillance, où l'habileté de chacun, concourut au succès universel. Jamais on ne vit un plus bel ensemble. Le colonel Charrière, du 57e, se fit distinguer avec son régiment parmi cette multitude de beaux faits. Toutes les armes rivalisèrent de zèle, de courage et d'intelligence.

» Les Russes, en retour, se battirent en braves gens il fallut des Français pour les vaincre en cette circonstance. Le triomphe, opiniâtrement disputé, fut acheté par de grands sacrifices, mais enfin, à la nuit, la déroute des ennemis fut complète. On tira ce jour plus de cent-vingt mille

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