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reçus la visite de M. le général comte de Niepperg, que l'empereur d'Autriche avait envoyé à Aix pour y être aux ordres de sa fille la plus chérie. La ville d'Aix ainsi que Chambéry était restée dans les limites du royaume de France; mais à une distance assez rapprochée, un corps de troupes autrichiennes était établi sur les frontières des états appartenant au roi de Piémont. M. de Niepperg avait été de service à Prague en 1812, comme chambellan de l'empereur d'Autriche, auprès de Marie-Louise; le même honneur lui était réservé dans cette circonstance. M. le général Niepperg venait s'entendre avec moi pour l'établissement de madame la duchesse de Colorno à Aix, où il était arrivé depuis quelques jours. Rien ne fut plus facile, car il avait tout prévu : il était déjà parti pour revenir à Aix, avant le retour de S. M. à Genève.

Le 17, nous arrivâmes au terme de notre voyage. La maison choisie par M. le général Niepperg était hors de la ville d'Aix et sur une petite colline; la vue était charmante, l'habitation pcu considérable, mais l'air excellent. Des appartemens furent loués dans la ville pour tout ce qui n'avait pu s'établir auprès de S. M.

Le 19, arriva de Paris le comte de Cussy, mon ancien collègue, que son dévouement et le consentement de S. M. amenaient auprès d'elle.

On dit que le mouvement rend l'usage des eaux minérales plus salutaire. Fidèle à ce principe d'hy

giène, madame la duchesse de Colorno, autant par goût que par régime, faisait tous les jours de longues courses à cheval, et de nombreuses promenades en bateau sur le lac du Bourget, si heureusement situé dans le voisinage de la ville d'Aix.

Talma, qui venait de donner des représentations à Genève, vint passer quelques jours à Aix... Pendant plusieurs soirées il lut et déclama devant S. M. quelques scènes du théâtre anglais, avec cette chaleur, ce goût et ce talent supérieur que la nature, encore plus que l'étude, avait imprimés à son ame.

Isabey, aussi célèbre par ses aimables qualités personnelles que par la supériorité de ses talens, vint également passer quelques jours à Aix. Le dérangement de sa santé lui rendait nécessaire l'usage des bains avant d'entreprendre le voyage de Vienne, où il était appelé pour faire les portraits de tous les souverains qui devaient y former le congrès. Pendant son séjour il fit ce charmant portrait de Marie-Louise dont elle daigna me faire présent quelques mois plus tard, et dont la gravure est placée au commencement du second volume de cet ouvrage.

La présence de M. de Cussy, qui me remplaça dans mon service, et l'arrivée prochaine de madame la duchesse de Montebello, de M. Corvisart, etc., qui allaient entourer S. M. des soins les plus tendres et les plus éclairés, décidèrent madame de Colorno à m'envoyer à Parme pour y

prendre une connaissance exacte des établissemens qui lui étaient réservés pour sa résidence.

Je partis le 31 juillet, emportant avec moi une lettre de cette princesse pour l'empereur Napoléon. Ce fut, je crois, la dernière qui parvint à l'illustre captif sans passer par les filières diplomatiques du cabinet d'Autriche. Une fois arrivée au palais de Schoenbrunn, les lettres de Napoléon étaient remises tout ouvertes à MarieLouise, et ses réponses étaient également remises par elle sans être cachetées. Une correspondance entourée de tant d'entraves, devait, à la longue, se refroidir. Pendant mon séjour à Parme, je trouvai moyen d'envoyer à Livourne un courrier italien, sous prétexte d'y aller chercher des échantillons d'étoffes et de bois précieux, pour l'usage du mobilier des palais, qu'il fallait restaurer et compléter. Ce messager fut porteur d'un petit buste du jeune Napoléon, d'une ressemblance extrême. C'était l'oeuvre d'un statuaire français que nous avions trouvé établi à Vienne. Ce buste fut porté à Sainte-Hélène ; et c'est sur les traits de cet enfant si cher que se fixèrent les yeux d'un père mourant!!! Ce courrier, qui s'appelait Capra, parvint heureusement jusqu'à l'île d'Elbe, et rapporta une lettre de Napoléon pour l'impératrice, et une autre du général Bertrand à mon adresse.

J'étais de retour à Aix auprès de madame la

duchesse de Colorno le 31 août. Madame de Montebello n'y était plus; elle s'était séparée de l'impératrice avant mon arrivée.

Je ne dois pas oublier de dire que j'avais trouvé à Parme une compagnie de lanciers polonais qui avaient fait partie de l'escorte de Napoléon jusqu'à l'île d'Elbe. Des considérations d'économie, ou plutôt une sollicitude dictée par son attachement avait décidé ce prince à envoyer à Parme ces fidèles et valeureux guerriers, pour faire partie de la garde de Marie-Louise. Ils y trouvèrent beaucoup de bienveillance de la part des habitans, mais non des secours de la part du gouvernement. L'impératrice me donna l'ordre de leur faire remettre de sa part une forte gratification. Plus tard la politique du cabinet autrichien prescrivit leur licenciement.

Je ne dois point passer sous silence les marques d'intérêt dont madame la duchesse de Colorno fut l'objet pendant son séjour à Aix. Le gouvernement français avait donné des ordres pour faire respecter ses goûts et son indépendance, persuadé qu'il n'était point dans le caractère de cette princesse de violer les droits sacrés de l'hospitalité. Rien cependant n'était plus singulier que de voir sur le territoire français, et sous le voile transparent d'un incognito de convention, une jeune TOME III.

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princesse qui, peu de mois auparavant, régnait en souveraine sur ces mêmes lieux, qui y rentrait suivie d'une cour toute française, et dont toute la domesticité portait encore les livrées impériales, etc... Il aurait peut-être été plus convenable pour tout le monde de choisir un autre établissement. L'Allemagne, si riche en eaux minérales de toute espèce, devait offrir à MarieLouise, dans le cas où l'état de sa santé l'eût exigé, des sources plus salutaires et plus commodes pour sa résidence, comme Toeplitz, Carlsbad, Égra, Baden, etc. Mais elle n'écouta que les sentimens de son cœur et de son amitié pour la duchesse de Montebello, et la cour de France n'y vit rien qui dût l'alarmer. Dans cette circonstance assez critique au premier aspect, elle agit avec autant de réserve et de discrétion que de délicatesse et de galanterie...

Nous allâmes coucher à Lausanne le 9 septembre. Le lendemain, une lieue avant d'arriver à Payerne, madame de Colorno fit arrêter sa voiture pour entendre une petite sérénade patriarcale qui lui fut offerte par le ministre protestant de Payerne, qui s'était placé à mi-côte dans le bois de Boulèz. Les chants de ce brave homme étaient accompagnés par ses deux filles, qui jouaient, l'unc du violon et l'autre de la flûte. Après ce petit concert de famille, ils offrirent à MarieLouise des fruits et des fleurs. Le frère de ces jeunes personnes, vêtu de l'antique costume hel

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