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La substitution était-elle nulle, et la nullité emportait-elle la nullité de toute l'institution?

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Le Code Napoléon prohibe les substitutions (art. 896), voilà le principe général; mais la même loi établit des modifications en faveur des petits-enfans du donateur ou testateur, ou des enfans de ses frères et sœurs. C'est la matière du chapitre 6 de la loi sur les donations et testamens.

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Jacques Joseph Drion étant célibataire pouvait aux termes de l'article 1049 du Code Napoléon disposer au profit d'un ou de plusieurs de ses frères ou sœurs de tout ou partie de ses biens avec la charge de les rendre aux enfans nés et à naître, au premier degré seulement, desdits frères ou sœurs donataires; mais au lieu de se conformer littéralement au vou de cet article, Jacques-Joseph Drion n'avait fait porter la défense d'aliéner, et l'obligation de restituer, qu'en faveur des deux enfans de François, son frère et héritier universel.

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Or, suivant l'article 1050, les dispositions permises par les articles 1048 et 1049 ne sont valables qu'autant que la charge de la restitution est au profit de tous les enfans nés et à naître du grevé, sans exception ni préférence d'âge ou de sexe..

Donc, disaient les demandeurs, la substitution, prononcée taxativement au profit des deux enfans exis tans de François Drion, est nulle, où, si l'on veut, n'est pas valable, et cette nullité vicie l'institution, aux termes de la seconde partie de l'article 896, qui est ainsi conçue :

Toute disposition par laquelle le donataire, « l'héritier institué, ou le légataire, sera chargé de << conserver et de rendre à un tiers, sera nulle, mê« me à l'égard du donataire, de l'héritier institué, «ou du légataire. »

La seconde disposition, commune aux enfans de François et d'Adrien, et qui constitue égalément un fidéicommis, est aussi radicalement nulle.

1o. En ce qui concerne les enfans de François, le même vice subsiste. Puisque le testateur venait d'appeler limitativement les deux enfans de François, il est censé vouloir ne parler que des mêmes individus dans sa vocation au legs particulier. Il a cru qu'il serait inutile de rappeler le nombre, parce qu'on présume que les premières expressions, répétées dans le même acte, se référent les unes aux autres, et frappent toujours le même objet, à moins d'indication formelle d'une intention contraire.

Il faut donc tenir comme certain que la volonté du testateur a été que la seconde disposition était relative aux deux enfans de François Drion, compris dans la première; et comment serait-il à supposer qu'en les substituant taxativement à leur père, pour l'universalité des immeubles existans dans la succession, il ait diminué ses soins et son affection à leur égard, pour leur conserver une libéralité de moindre valeur ?

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Disons-le franchement, il n'avait pas consulté la loi. François Drion n'avait que deux enfans. La libéralité est l'effet de l'amitié que le testateur avait personnellement pour eux, il n'a rien vu au-delà;

il s'est trompé, et c'est ainsi que la sagesse de la loi ab intestat a triomphé de la faiblesse du testateur ou des embûches de la cupidité.

2.0 La disposition fidéicommissaire relative aux enfans d'Adrien est doublement vicieuse.

Elle est prohibée par l'article 896 du Code Napoléon.

Elle n'est pas valable, puisqu'elle n'est faite qu'au profit de ceux des enfans d'Adrien qui ne sont pas établis par mariage, et non en faveur de tous ses enfans nés et à naître, condition sans laquelle elle n'est point permise, suivant l'article 1050.

Elle est encore nulle, parce qu'il n'est permis au frère de substituer ses neveux ou nièces qu'en grati-. fiant leur père, soit par institution, donation ou legs.

Ici Adrien Drion ne reçoit aucune libéralité; il n'est ni donataire, ni institué, ni légataire: ses enfans sont appellés à la mort de François leur oncle, seul grevé.

Les articles 1048 et 1049, qui sont des exceptions à · la règle générale établie par l'article 896, doivent être réservés dans les cas formellement exprimés.

Ces articles, très-clairement expliqués par l'article subséquent, n'autorisent la substitution qu'en faveur des enfans du grevé; il n'y a de grevé que celui qui reçoit à charge de conserver et de rendre ; donc la disposition relative aux enfans d'Adrien non gratifié est nulle: elle sort de l'exception pour rentrer dans la règle pro-hibitive.

Il en est de même du legs de 6000 francs fait à ceux des enfans d'Adrien non encore mariés; ce legs contient évidemment une substitution fideicommissaire réciproque, prohibée par l'article 896.

Tous ces moyens furent suivis d'un entier succès par jugement du 20 novembre 1807; le tribunal de l'arrondissement de Charleroi annulla l'institution universelle et les charges apposées à cette institution, mais il ordonna le paiement des legs particuliers : il paraît que cet objet n'avait pas été traité en première instance sous son véritable point de vue; ce jugement fut déféré à la connaissance de la Cour d'Appel par François Drion.

La cause prit un nouveau degré d'intérêt sur une question non agitée devant le premier juge : l'institution universelle serait-elle nulle pour le tout, ou la nullité serait-elle limitée au seul genre de biens substitués ?

On a vu que la charge imposée à François Drion de conserver et de rendre à ses deux enfans ne frappait que sur les immeubles : de ce que la substitution des immeubles serait nulle et emporterait la nullité de l'institution de cette partie, François Drion soutenait qu'il ne s'ensuivait pas que le mobilier dût être enveloppé dans la nullité; il prétendait au surplus que l'institution était entièrement valable.

C'est ici que François Drion renouvelait la discussion sur le sens du paragraphe de l'article 896 : la nullité de la substitution emporte-t-elle la nullité de l'institution?

Cette difficulté est du nombre de celles qui ont

exercé la plume des jurisconsultes ; la matière est trop connue pour ressaisir toutes les observations qui ont été faites jusqu'à présent; les opinions sont formées; mais la raison de droit reste toujours; la nullité du fidéicommis n'entraîne pas la nullité de l'institution; c'est ce qui est décidé dans les lois romaines, et c'est ce qui a été suivi dans la jurisprudence française selon cette maxime de droit : utile per inutile non vitiatur.

Pour renverser cette règle généralement adoptée, il faudrait un texte clair et précis; est-ce dans le paragraphe de l'article 896 que l'on trouvera une peine aussi insolite, aussi contraire aux idées reçues?

La disposition, y est-il dit, est nulle, même à l'égard de l'institué, etc.

Que signifie cette explication du législateur? que l'institué ou le donataire est déchargé de l'obligation de conserver et de rendre; que non-seulement le fidéicommis est anéanti, mais qu'il ne reste même aucune action utile contre le grevé.

Le langage de la loi est celui du droit commun; si l'on eût entendu faire tourner le bénéfice de la disposition au profit de l'héritier ab intestat, eût-on manqué de le dire? On ne présumera jamais que le législateur ́ait voulu détruire un principe préexistant sans l'exprimer en termes positifs; mais en abandonnant pour un moment cette opinion, en thèse générale, il serait encore vrai que la disposition serait valable dans l'espèce.

Il s'agit d'une substitution permise, et l'article 896 n'a point d'application à la cause; ainsi en admettant l'imperfection du fidéicommis, il s'ensuivrait tout au plus,

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