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PRÉFACE.

Le commencement du XVe siècle fut une époque désastreuse pour la France la maladie du Roi, les intrigues des Anglais et de la Reine, la lutte des Bourguignons et des Armagnacs la mirent à deux doigts de sa ruine.

Tournai, placée à l'extrême frontière et environnée des états du Duc de Bourgogne, était, plus que toute autre ville, dans une situation difficile. D'une part, les habitants voulaient conserver leur foi au Roi et au Dauphin; de l'autre, il fallait ménager un voisin redoutable. C'est au milieu de ces difficultés que des esprits brouillons, comme il s'en rencontre toujours aux époques troublées, soulevèrent, sous divers prétextes, des émeutes dans le sein de la cité.

Les différents historiens de Tournai ont signalé ces dissensions; mais le cadre de leurs ouvrages ne leur permettait pas d'entrer dans des détails, qui ne sont pourtant pas sans intérêt.

Le hasard a fait tomber entre nos mains une sorte de journal, s'étendant sur une période de 8 ans (1422-1430), dans lequel un contemporain anonyme consigne les évènements dont il a été le témoin. C'est ce récit, encore inédit, que nous offrons au lecteur.

La copie que nous possédons date de 1661 et est signée P. J. Hozeus, J. U. B. Flandro-Nervius. Bien que n'ayant pu contrôler notre texte (le manuscrit original n'existant peut-être même plus), nous pensons pouvoir en garantir l'exactitude. En effet, le chanoine Cousin, le plus ancien comme le plus estimé des historiens de Tournai, avait eu ces mémoires à sa disposition : les chapitres 38 et 39 de son IV livre résument notre manuscrit et reproduisent même textuellement un certain nombre de ses phrases; or, en marge de ces mêmes passages, on lit: Commentaires manuscrits de ce temps. L'identité absolue des textes ne nous laisse aucun doute sur le mérite de notre copie, dont le fond d'ailleurs se trouve confirmé par les Registres des Consaux de Tournai.

Sans nous permettre de rien changer au texte, ni même à l'orthographe tout à fait fantaisiste de l'auteur, notre modeste travail d'éditeur se bornera à mettre une ponctuation totalement absente dans le manuscrit, et à rétablir entre crochets, dans trois ou quatre passages, des mots, sans doute oubliés par le copiste, et qui sont nécessaires pour la compréhension de l'ouvrage.

A. DE LA GRANGE.

TROUBLES A TOURNAI

(1422-1430)

CHY SENSIEULT DU TOURBET DE TOURNAY, QUY FUT LAN MIL QUATTRE CENTS VINGT DEUX.

Il est assavoir que en l'an 1422, environ Pasques, le Roy Charles le Bien Amet, 6o de ce nom, qui pour lors estoit gouverné du Roy d'Engleterre et d'aulcuns François ses adhérans, lequel Roy Henry avoit eu en mariage par aulcuns François le fille dudit Roy Charles, manda à Parys pluiseurs villes de son Royaulme à luy obéissant, pour aulcunes affaires qui leur voloit dire et remonstrer; pour lequel mandement ceux de le Cité de Tournai envoyèrent à Parys Sr. Jean Wettin et sire Simon Saint-Genois, pour lors prévost de Tournay, Caron d'Estrayelles et Guilliaume Catine, procureur de la dicte ville, pour oyr et rapporter ce que là seroit déterminet tant seulement. Et quant iceux furent revenus dudit voiage, il y eult pluiseurs de ceux de Tournay qui disoient entre eulx et murmuroient que il avoient promis et juret de obéir audit Roy Henry d'Engleterre, come régent et héritier de France, et meismes que il avoient bailliet le seel de Tournay, comme pluiseurs aultres villes avoient faict; et pour ce ledit Caron d'Estrayelles ne si voulloit consentir. Aulcuns luy dirent pluiseurs grosses parolles, ayans paour ce ne sy consenty pour lors, comme pluiseurs de Tournay vouloient dire et maintenir entre eux secrètement; dont eulx revenuz dudit voiage et faisant leur rapport en le Halle devant le Commun de ladicte ville, ledit

Guilliaume Catine, procureur, dist en le présence de tous ceux quy là estoient, que le Roy Henry d'Engleterre estoit le plus-doux, le plus-amiable et ly plus-biaux parliers et le plus-saige prinches qu'il eust oncques veu ne oy parler, et que doucement, benignement et amoureusement les avoit traictiés, en disant que sur ceux de Tournay il ne voloit ne contendoit à avoir aulcuns serments d'eux, ne quelconcq chose nouvelle faire contre eux; car il tenoit tant de bien et d'honneur de ceux de Tournay que, quant venroit le temps que seroient requis d'aulcunes choses, il ne volroient faire chose qui ne fut de droict et de raison. Et icelles raisons, ou pareilles en effect, dit et remonstra ledit Catine, procureur, audit Commun, dont pluiseurs dudit Commun, simples qui n'entendoient pour à quoy ledit Catine contendoit, furent très-liez et joyeux de ce que on ne les requéroit point de faire ung nouvel serment, ne aultruy qu'il avoient fait eulx et leurs prédécesseurs en temps passé.

Item ces choses faictes ainsy et passées, environ un mois après, ledit Roy Charles envoya à Tournay ung mandement par lequel il mandoit et commandoit à ceux de Tournay que ils obéissent audit Roy Henry, son biel fil, régent et héritier de Franche, comme à lui; lequel mandement les Seigneurs de le Loy ne l'osèrent monstrer au Commun de ladicte ville, ains le monstrer à pluiseurs bourgois et marchants par pluiseurs journées, lesquels ils firent venir les uns après les laultres pour avoir avys et scavoir leur volenté. Environ huict jours après ledit mandement venu, les Seignieurs de le Loy mandèrent les trois cens qui estoient ordonnez par le Commun, ainsy come il estoit pour lors accoustumé de faire aux grandes affaires de ladicte ville, lesquels trois cens ainsy mandez, ou au moins une grande partie, Gilles de Grigny, conseiller de ladicte ville, tenant ledit mandement en ses mains, leur remonstra et dict coment ledit Roy Charles, leur Seignieur, leur mandoit que ils obéissent audit Roy Henry, son biel fiel, régent et héritier de France, comme à luy meismes; et par ce que

lesdits Seigneurs de la Loy, nonobstant que il en fussent assez daccord de y obéir, les avoient mandez pour avoir leurs bons advis et consentement, et que ilz se volsissent mettre ensamble pour eux adviser et conseillier. Lesquels trois cents hommes se mirent en six places, come de coustume estoit, et, eux ainsy conseillez, rapportèrent ausdits Seignieurs que ilz n'oseroient consentir au mandement, sans le sceu et consentement dudit Commun de ladicte ville, et que, se ledit Commun s'y consentoit, il se tenroient audit Commun. Et adont ledit messire Gille de Grigny reprist ledit mandement et leur dist: Comment déjà vous avez le nom de estre les plus obéyssans du Royaulme de Franche, et maintenant volez désobéyr. Ralez encoire ensamble et vous conseilliez bien, et soyez bons et loyaux et obéyssans. Et lors iceux trois cents rallèrent ensemble comme devant, et se conseillièrent et respondirent comme devant; et adont encore ledit messire Gille de Grigny reprist ledit mandement et dist ausdits trois cents et remonstra assez follement et dict: Cuidiez vous que ce ne fust le prouffit du Commun et de ladicte ville que Messeigneurs de le Loy se consentissent? Et fist tant par parolles, celluy messire Gille de Grigny, que iceux trois cents s'en rallèrent comme devant pour eulx adviser et conseillier. Lesquels eux advisez et conseilliez respondirent comme devant, et en oultre que ilz n'enyroient plus ensemble pour ceste cause; et lors se leva sire Jehan Wettin et sire Simon Saint-Genois, prévost; et dict sire Jehan Wettin Je vois bien que vous n'en ferez que à voz manières ; nous en escripvrons par delà, et en excuserons, et vous en quierquerons. Adont l'un d'iceux trois cents respondy: Sire, nous buverons tous à ung hanap, car nous n'en ferons rien sans le sceu et le volenté du Commun. Et ainsy le chose demeura en ce point sans faire plus de nouvelles.

Item les choses ainsy faictes et advenues, pluiseurs de la bonne ville de Tournay, doubtans que par aulcuns moyens

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