Page images
PDF
EPUB

heureuses dans certaines localités, et dans tous les cas comme une institution purement facultative, tant que je ne verrai pas la nation elle-même s'interposer dans leur organisation, protéger l'instruction publique dans son premier degré comme dans les degrés ultérieurs, et l'encourager par tous les sacrifices que l'état de nos finances peut comporter.

»Je sais qu'on peut objecter l'immensité de la dépense si l'Etat salariait un instituteur dans chaque commune; et à cet égard on vous à présenté dans la séance d'hier des calculs uniquement basés sur une loi de la Convention, que personne ne propose de remettre en vigueur.

» Mais outre que le fonds de cette dépense pourrait être pris sur la diminution de beaucoup d'autres qui sont moins utiles, il serait facile de la circonscrire en se bornant à établir au moins deux et au plus six instituteurs salariés dans chaque arrondissement de justice de paix, sauf à les répartir selon les convenances locales et selon les besoins de la population.

» Le salaire que je proposerais de leur attribuer serait modique; on pourrait le réduire à 300 francs, outre le logement, qui serait fourni par la commune de leur résidence. Le surplus de leur traitement consisterait dans les rétributions modérées, mais forcées, auxquelles les parens seraient assujettis pour chaque élève fréquentant les écoles, et dont un cinquième de ceux-ci resteraient affranchis conformément au projet.

»Je prouverai bientôt que les seuls retranchemens à faire sur la partie de la dépense relative aux écoles spéciales, et principalement sur les places pensionnées dans les lycées, dont on propose de porter le nombre à six mille quatre cents, suffirait pour faire face à l'entretien des écoles primaires d'après les bases que je viens d'indiquer.

» Aucune considération ne doit donc nous porter à concentrer toute la bienfaisance nationale dans les seuls lycées et dans les seules écoles spéciales, au lieu de répandre une portion. de sa salutaire influence sur les écoles primaires, qui sont l'aliment du peuple et le besoin de tous. Un sentiment profond de justice et une sage politique commandent au contraire de reverser sur le premier degré d'instruction une partie des secours que la nation destine à l'éducation publique, et c'est même l'unique moyen de faire accueillir avec faveur dans l'opinion de nos concitoyens toute la partie du nouveau plan qui n'a pour but que le progrès toujours désirable des arts et des sciences.

» Je passe aux dispositions du projet concernant les écoles secondaires.

» Je dois d'abord prévenir ici que je ne réclamerai point pour ces écoles du second ordre les mêmes secours qu'il me paraît nécessaire d'accorder aux écoles primaires.

» La différence entre ces deux établissemens est en effet sensible.

» Dans les uns on n'apprend que les élémens de la lecture, de l'écriture et du calcul; et comme ces connaissances préliminaires ne peuvent être trop répandues, comme il importe à chaque classe de la société de pouvoir les acquérir, comme enfin la classe industrieuse des artisans, des cultivateurs ne doit en être nulle part privée, cette partie de l'enseignement peut être à juste titre considérée comme une dette nationale envers tous les membres de la grande famille sans exception.

» Dans les autres, je veux dire dans les écoles secondaires, on s'occupe de l'étude des langues, des principes de littérature, et de l'étude des premiers élémens des sciences exactes; les sujets qu'on y destine appartiennent à la classe la moins nombreuse et la plus fortunée, à quelques exceptions près; et ces exceptions, quant aux individus, seront toujours peu nombreuses. Il n'y a donc aucune nécessité que l'Etat vienne au secours de ces écoles, et qu'il en salarie les instituteurs; tout ce qu'il peut faire est sagement proposé par le projet de loi c'est d'établir et de distribuer convenablement un certain nombre de colléges publics sous le nom de lycées ou sous toute autre dénomination moins fastueuse, dans lesquels les enfans des citoyens pourront, comme dans les écoles secondaires, se livrer à l'étude des langues et apprendre les premiers élémens de toutes les sciences; où l'instruction sera gratuite pour les enfans de ceux qui ne sont pas en état de la payer, et dont l'administration sera sans cesse sous l'œil éclairé du gouvernement.

>>

» Mais par cela même qu'il ne veut point, qu'il ne peut pas salarier les écoles secondaires, il faut que ses agens se bornent à une simple inspection de police sur ces établissemens; et il ne doit ni soumettre leur existence à son autorisation, ni s'immiscer en aucune manière dans l'enseignement plus ou moins varié qu'on y observera.

» C'est sous ces deux derniers rapports que je trouve le projet défectueux, impraticable même, jusqu'à certain point injuste, et d'ailleurs nuisible aux progrès des connaissances humaines.

» L'article 6 considère comme écoles secondaires toutes celles qui seront établies par les communes ou tenues par des particuliers, et dans lesquelles on enseignera les langues latine et française, les premiers principes de la géographie, de

l'histoire et des mathématiques. Pourquoi cette nomenclature, ou plutôt pourquoi cette restriction? car en comparant la disposition de cet article à celle de l'article 10, qui prescrit les objets de l'enseignement dans les lycées, il semblerait que ceux-ci doivent rester en possession exclusive d'enseigner les langues anciennes autres que la latine, ainsi que la rhétorique, la logique, la morale et la physique, tandis que les écoles secondaires seraient bornées à un enseignement d'un ordre moins relevé.

"

» Cependant le but de l'enseignement, soit dans les lycées, soit dans les écoles réputées secondaires, doit être absolument le même, s'il est possible; et loin de resserrer dans celles-ci l'émulation, il importe au contraire de l'exciter en invitant les instituteurs de ces écoles à modeler l'instruction de leurs élèves sur celle qui sera adoptée dans les lycées.

» On y parviendrait sans peine en leur présentant la perspective honorable d'arriver aux places de professeurs dans les lycées, et de voir leurs propres élèves admis à égalité de mérite dans les écoles spéciales en concours avec ceux des lycées. Mais il faut du moins laisser, quant au mode d'enseignement, la plus entière latitude à leur zèle, à leurs talens et à leur industrie.

>> On ne peut se dissimuler en effet que la plus grande liberté pourra seule favoriser l'accroissement des écoles secondaires, et continuer à faire fleurir celles qui existent.

[ocr errors]

Déjà l'on a reconnu les services que ces établissemens particuliers rendent à la société ; l'orateur du gouvernement a cité les noms de quelques-uns avec éloge: nous en connaissons tous, à Paris principalement, qui jouissent d'une réputation distinguée. Il n'y a donc aucun motif d'imposer à ceux qui les dirigent, ni aux communes qui voudront en former de semblables, des entraves toujours décourageantes, et qui ne pourraient que nuire à leur succès.

» On peut ranger dans cette cathégorie l'autorisation du gouvernement exigée par l'article 8, ainsi que la surveillance et l'inspection particulière des préfets.

» Sous quels rapports cette autorisation pourrait-elle être réputée nécessaire, des que l'Etat ne se propose ni de nommer ni de salarier les instituteurs des écoles secondaires? N'est-ce pas ouvrir la porte aux sollicitations et à l'intrigue, dont l'effet n'est que trop souvent de la fermer au talent modeste pour faire triompher à son préjudice la médiocrité, moins discrette, et les prétentions jalouses, qui trouvent toujours des protecteurs?

» Au surplus, aucun avantage pour l'Etat ni pour les parti

culiers ne pourrait compenser les inconvéniens d'un système de prohibition appliqué à la partie de l'instruction publique qui comporte le plus de libéralité dans les idées et de liberté dans les moyens; il faut donc y renoncer, pour se restreindre, quant aux écoles secondaires, aux simples encouragemens qu'on jugera à propos de donner soit aux communes, soit aux instituteurs, au lieu de fatiguer les unes et de repousser les autres par la difficulté d'obtenir des autorisations qui deviendraient insensiblement de véritables priviléges.

» Les mêmes motifs ne permettent pas d'attribuer aux préfets une inspection immédiate sur les écoles secondaires : quelques uns pourraient en abuser, soit pour réglementer l'enseignement d'une manière contraire aux vues et même aux forces de l'instituteur, soit pour imposer d'autres conditions également nuisibles au succès de l'entreprise.

» Ainsi c'est une simple surveillance qu'il s'agit d'attribuer ici à ces magistrats, et ils l'ont déjà par la nature même des choses. Elle est utile et nécessaire par rapport aux personnes et par rapport aux choses; mais elle suffira pour prévenir tous les dangers qu'on pourrait redouter; les mœurs, l'ordre public et la morale seront respectés dans les écoles secondaires sous l'influence d'une autorité protectrice et paternelle : là doit se borner la prévoyance du législateur, et tout ce qui en excède les limites me paraît devoir être retranché du projet.

» Je pourrais terminer ici mes observations, citoyens tribuns, puisque j'ai déjà prouvé que le gouvernement ne s'occupe point assez du sort des écoles primaires, tandis qu'il s'occupe trop du sort des écoles secondaires.

» Il n'entre point dans mon plan d'attaquer les parties du projet qui concernent l'organisation des lycées et des écoles spéciales; je reconnais au contraire qu'elles contiennent d'excellentes vues, et mon vœu personnel est qu'après avoir fondé des écoles primaires dignes de ce nom l'Etat se montre prodigue de sacrifices pour étendre le progrès des arts et des sciences par tous les encouragemens qu'il pourra donner tant aux lycées qu'aux écoles spéciales et d'application.

» Mais comme ce dernier but peut être rempli d'une manière également honorable pour la nation en retranchant du projet certaines dispositions qui entraîneront des dépenses dont on n'a pas assez calculé l'étendue, je ne puis me dispenser de présenter à cet égard quelques réflexions.

» La première et la plus importante se rattache au projet d'entretenir aux frais de la République six mille quatre cents élèves, pensionnaires dans les lycées et dans les écoles spéciales.

>> J'admets la nécessité de créer ou plutôt de maintenir deux mille quatre cents places de cette espèce, et de les affecter spécialement aux fils des militaires, ou des fonctionnaires dans l'ordre judiciaire, administratif ou municipal, qui auront bien servi la République, et pendant dix ans aux enfans des citoyens des départemens réunis; tout est grand, généreux, politique et sage dans cette conception, et nous ne pouvons qu'y applaudir.

» Mais je suis loin de donner mon assentiment à la création toute nouvelle de quatre mille places destinées pour des sujets pris dans un nombre d'élèves des écoles secondaires qui seront présentés au gouvernement d'après un examen et un concours, selon la disposition du titre VII, article 34.

» Ici je n'aperçois qu'une source féconde d'abus, de faveurs pour les uns, d'injustice pour les autres. De quelque manière qu'on s'y prenne, quelle que soit d'un côté la circonspection du gouvernement, d'un autre la vigilance et le zèle de ses agens, il arrivera presque toujours que certaines écoles obtiendront d'injustes préférences, et que certains individus en obtiendront avec la même facilité, grâce à tous les moyens d'intrigue que les parens ne manqueront pas de mettre en jeu.

[ocr errors]

Je supposerai maintenant que le choix des quatre mille élèves pensionnés par l'Etat pourra être complètement épuré par l'examen et le concours; et je demande si dans l'ordre des probabilités, je dirai même dans l'ordre naturel des choses, il n'arrivera pas presque toujours que le choix du gouvernement reposera tout entier sur les enfans des citoyens aisés, et qui, à quelques exceptions près, n'auront aucun besoin de ce

secours.

» J'entendais dire hier à cette tribune que la disposition de l'article 34 du projet tournerait à l'avantage de la classe industrieuse et pauvre; que l'admission au concours pour les quatre mille places était même le seul moyen qui fût dans la main du gouvernement soit pour favoriser cette classe utile, soit pour distinguer ceux de ses enfans qui montreraient une grande aptitude, et pour ouvrir à ceux-ci la noble carrière des arts et des sciences.

» Mais autant cette intention serait louable, autant il serait difficile de lui trouver un appui dans les bases du projet de loi que nous examinons.

>> En effet, dès que le concours ne pourra s'ouvrir qu'entre les élèves des écoles secondaires, il est évident que les enfans de la classe des citoyens pauvres en seront constamment exclus, puisque ceux de la classe aisée peuvent seuls continuer d'être admis dans ces mêmes écoles d'après le plan proposé, et per

« PreviousContinue »