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» Ces établissemens étaient confiés à des hommes qui appartenaient à un ordre privilégié; cet ordre, par la loi constitutionnelle de l'Etat, formait le tiers de la volonté nationale; cet ordre fut dépouillé non seulement de ses priviléges, mais de ses immenses richesses. De bonne foi, eût-il été prudent que la génération qui venait de le dépouiller lui confiât ses enfans? Ajoutez que bientôt après les membres du clergé se divisèrent les uns furent proscrits; les moins malheureux ne furent qu'abandonnés.

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» Ainsi furent renversées ces institutions antiques où chacun de nous avait recueilli les gérmes de ces talens qu'il a pu consacrer à son pays.

qui

» Pour les remplacer on créa une institution nouvelle, était mixte de sa nature, puisqu'elle participait de l'instruction publique et de l'éducation domestique. Ces écoles furent lentes à s'organiser, non que la France ne pût fournir un assez grand nombre de maîtres; c'étaient les élèves qui manquaient.

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L'opinion, plus forte que toutes les lois, repoussa cette institution, malgré ce qu'elle avait d'utile. Quelle fut la cause de cette résistance? Je ne crois pas me tromper en l'attribuant aux opinions religieuses. Rien de plus juste sans doute que ce sentiment qui dit à l'homme qu'on ne peut pas plus lui défendre que lui ordonner de croire; rien de plus naturel que les alarmes que durent concevoir des parens lorsqu'on leur proposa de confier leurs enfans à un maître qui garderait le plus profond silence sur la religion qu'eux-mêmes professaient.

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Cependant alors les enfans pouvaient recevoir dans leur famille cette instruction si importante dont le législateur ne s'occupait pas; ils ne devaient point habiter les maisons où on leur enseignait les sciences humaines, et le père pouvait journellement, soit par lui-même, soit par les soins d'autrui, suppléer au silence du professeur. En cela le législateur était au moins conséquent; il ne distinguait, il ne reconnaissait aucun culte, mais il laissait aux pères le moyen d'élever leurs enfans dans le leur.

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Aujourd'hui le législateur sent l'insuffisance de cette instruction passagère, la nécessité d'isoler les enfans de leur famille, de les réunir, de les renfermer dans une même habitation, de leur donner des soins continuels; et cette conception est justifiée par les avantages bien reconnus de ce qu'on appelle l'éducation commune.

>> Il y a peu de jours que le législateur a reconnu que la presque totalité du peuple français professe une religion; et l'universalité des citoyens fonde sur cette déclaration l'espérance du bonheur et de la tranquillité de l'Etat.

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» Je rapproche ces deux idées, et je ne puis voir sans éton nement que le projet de loi sur l'instruction publique ne fasse aucune mention des idées de religion à donner aux enfans.

» La loi laisse à tous les citoyens une liberté indéfinie pour le choix entre toutes les opinions religieuses; elle reconnaît l'existence des cultes non seulement comme constante, mais comme utile à l'ordre public et à la morale. Si elle l'est, l'ordre public, la morale sont intéressés à ce que les opinions religieuses se propagent; et quand même cette utilité n'existerait pas nul citoyen n'a besoin pour cela de l'assentiment général, puisque sa foi est indépendante de la loi même.

» Si ce raisonnement est sans réponse, comme je le crois, il n'y aurait que deux moyens d'en éluder la conséquence..

L'un serait de déclarer qu'un père n'a pas le droit de désigner la religion dans laquelle il veut que ses enfans soient élevés; ce qui ferait frémir la nature, ce qui effraierait au moins autant le père déiste que les pères les plus crédules.

» L'autre serait d'ordonner que les enfans n'entendraient parler de religion que lorsque leur éducation serait à peu près finie, lorsqu'ils rentreraient dans leurs familles, lorsqu'ils seraient en état de choisir, c'est à dire à l'âge de la puberté, à l'âge des passions. On prévoit aisément quelles seraient les suites de ce système.

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Mais, quelles qu'elles pussent être, il faut se rappeler que le législateur ne s'occupe ici que d'une partie de l'espèce humaine; que les filles, sur lesquelles il ne peut pas réclamer une pareille influence, resteraient dans le sein de la famille, qu'elles y puiseraient d'autres principes; et voilà la génération qui doit nous suivre, celle qui a le plus de droits à notre intérêt, composée de frères, de sœurs, de femmes, de maris, détestant ou au moins méprisant mutuellement leur croyance.

» Si ces conséquences ne devaient pas effrayer le législateur, pouvons-nous douter qu'elles n'effrayassent les pères; et ne voyez-vous pas déjà les nouvelles écoles frappées de la même stérilité que celles qui les ont précédées ? Peut-on penser que des parens religieux se sépareraient de leurs enfans, et les confieraient pendant six ans à des instituteurs qui ne leur donneraient aucune idée de religion, eux qui ont mieux aimé faire des sacrifices ou laisser leurs enfans sans instruction, plutôt que de les envoyer pendant quelques heures apprendre les sciences. humaines chez un maître qu'ils soupçonnaient d'incrédulité ou d'indifférence?

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Que ce soit préjugé, fanatisme, obstination, haine de l'institution politique, le mot n'y fait rien; il suffit que la chose existe pour se convaincre qu'on n'aurait probablement

qu'en très petit nombre d'élèves, et que par conséquent le but du législateur serait manqué.

» Vous n'avez pas besoin, tribuns, que je vous avertisse que ces observations ne se rapportent qu'aux maisons d'éducation entretenues par l'Etat.

Je pense que cette omission si importante détruirait toutes les espérances que la loi qui vous est présentée permet de con

cevoir.

» Il me paraît impossible, dans l'état actuel de la législation, de retrancher entièrement la religion de l'instruction publique. Je dis plus; j'avoue que, quel que fût l'état de la législation, je ne concevrais pas une éducation qui ferait abstraction de toutes les idées religieuses. La nature des choses est telle qu'elles s'y introduiraient nécessairement d'elles-mêmes; et à ce mot je conçois d'autres craintes, qui me font ajouter que le silence du législateur à cet égard serait impolitique.

» Une expérience eternelle a averti les gouvernemens de se méfier de l'influence des prêtres. Cette influence n'a jamais été plus grande que lorsque les prêtres ont pu pénétrer dans le secret des consciences, et surtout lorsqu'ils ont eu à diriger des esprits faibles, sans expérience, des imaginations mobiles et susceptibles d'exaltation.

» Je sais que, s'ils concevaient des projets dangereux, ils ne pourraient guère faire servir des enfans à leurs desseins; en général on ne redoute pas des instrumens si faibles dans une main ennemie. Mais cherchons bien la raison de cette sécurité; ne serait-ce point qu'on présume que ces enfans s'éloigneront peu à peu des prêtres dans l'âge mûr, que la foi ou la crédulité s'affaibliront avec l'âge? Mais alors pourquoi leur inculquer dès leur jeunesse des principes qu'on espérerait leur voir abjurer? Est-ce donc l'âge de l'innocence qui a besoin d'être effrayé par les peines terribles dont la religion menace les criminels?

Soyons plus conséquens. Puisque nous voulons inspirer des idées religieuses à nos enfans, désirons que leur raison les approuve un jour, et que leur vie entière en soit plus pure et plus heureuse; n'outrageous point d'avance, par une méfiance cruelle, des hommes à qui des fonctions augustes viennent d'être rendues; que les sages montrent combien ils abhorent toute espèce de persécution; que les pères appellent la religion au secours de leur autorité, mais qu'ils étudient avec le plus grand soin le caractère, la capacité, la doctrine, les mœurs de l'homme qui sera chargé d'ouvrir ces âmes innocentes à la parole céleste.

Que le législateur imite la prudence du père de famille

XVIII.

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qui n'admet point dans sa maison le ministre insinuant qui voudrait s'y introduire, et qui s'applique à choisir avec discernement le sage vieillard à qui il confiera la pureté de sa fille. Mais, outre la sollicitude paternelle que le gouvernement doit aux enfans, son propre intérêt lui commande la vigilance sur tous les principes que ces enfans doivent recevoir.

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» Il ne faut pas qu'il permette que l'instruction religieuse s'introduise dans l'instruction publique; il faut qu'il l'y appelle pour la diriger et la surveiller.

>> Quelques uns expliqueront peut-être le silence de la loi en pensant que ces dispositions sont réservées pour des articles réglementaires; mais qu'y a-t-il de plus important dans la société que l'éducation? qu'y a-t-il de plus important dans l'éducation que l'instruction religieuse? Qu'y a-t-il par conséquent de plus digne des méditations et de la sanction du législateur?

»Je me résume.

» Il me paraît impossible de ne pas admettre la religion dans l'instruction publique. Cette omission, je crois l'avoir prouvé, paralyserait l'instruction elle-même; elle serait injuste pour les enfans, effrayante pour les pères; elle serait impolitique, c'est à dire dangereuse pour l'Etat. Elle doit être réparée par une loi.

» Cette loi sera difficile sans doute : elle aura à prévoir la réunion de plusieurs enfans de différentes religions; elle aura à déterminer le choix des ministres, la surveillance à laquelle ils seront soumis... Je m'arrête. L'embarras que j'éprouve pour indiquer ce qu'il faudrait faire m'inspire quelque honte d'avoir hasardé ces réflexions sur ce qui a été fait : elles ont pour objet non pas d'attaquer une loi dont les dispositions sont généralement sages, mais d'y faire remarquer une omission importante, et c'est précisément parce que j'approuve ce projet que je voudrais en rendre le succès plus certain. »

DISCOURS de Fourcroy, orateur du gouvernement; prononcé devant le Corps législatif.-Séance du 10 floréal

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an 10.

Citoyens législateurs, le vœu que viennent d'émettre les orateurs du Tribunat, les puissans motifs par lesquels ils l'ont soutenu, sembleraient réduire au silence les orateurs du gouvernement, si d'ailleurs l'importance du sujet qui vous occupe n'appelait une discussion solennelle, et si, dans le cours de celle qui a eu lieu dans plusieurs des séances du Tribunat, n'avait été présenté quelques difficultés qu'il ne faut pas laisser

il

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sans réponse. Les objections doivent surtout être repoussées ; les éclaircissemens les plus précis doivent être donnés dans une matière qui intéresse si essentiellement l'utilité publique, et sur laquelle les défiances, les soupçons, le doute même, s'ils pouvaient s'introduire dans les esprits, compromettraient le sort des institutions quelle gouvernement propose à votre sagesse de sanctionner. A la vérité, si l'on en excepte un seul des orateurs du Tribunat à qui l'ensemble du projet a paru défectueux, les objections, les difficultés qui lui ont été opposées sont et peu nombreuses et de nature à n'exiger que quelques éclaircissemens pour dissiper le léger nuage qu'elles auraient pu rassembler sur le plan qui vous est soumis. Quelques considérations générales suffiront, et j'y trouverai même des armes assez fortes pour combattre victorieusement celui des orateurs qui, en attaquant les principales bases du nouveau projet, semble s'être le plus éloigné des dispositions qui le constituent: elles me fourniront en même temps l'occasion de donner sur le mécanisme même du projet, et sur son exécution, quelques développemens qui n'ont pas dû faire partie de l'exposition des motifs, et qui sont néanmoins très propres à mettre dans tout leur jour les avantages du plan nouveau.

» Je suivrai dans ces considérations l'ordre du projet; je traiterai successivement, et le plus brièvement qu'il me sera possible, des écoles primaires, des écoles secondaires, des lycées et des écoles spéciales. Je ne dirai rien des parties du projet qui ont été généralement approuvées, même de la part du très petit nombre d'orateurs qui l'ont combattu.

Des écoles primaires.

» Quoique la première exposition des motifs ait présenté avec précision, mais avec force, les raisons qui ont engagé le gouvernement à laisser aux conseils municipaux le soin d'organiser et d'entretenir, et aux sous-préfets celui de surveiller les écoles primaires, on est plusieurs fois revenu dans la discussion sur la crainte de voir encore ces institutions languissantes ou nulles. En insistant beaucoup, et avec raison sans doute, sur la nécessité et la justice d'offrir à tous une première instruction, qui est en effet le besoin de tous, on a témoigné des regrets sur ce que ces écoles n'étaient pas fondées aux dépens du trésor public, et sur ce qu'on n'en assurait pas ainsi l'existence d'une manière irréfragable: on aurait voulu au moins des moyens correctifs pour forcer les conseils municipaux à s'en occuper et à les organiser. On reproche au projet de ne rien dire sur l'instruction des filles. On ne voit pas le sort des instituteurs assez certain pour les regarder comme établis soli

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