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rappelées à l'époque de la guerre de sept ans, qui fut la derniere où elles eurent occasion de se signaler (1).

» Depuis la paix de 1763 elles restèrent sans activité, furent renouvelées périodiquement par le moyen du tirage au sort, et éprouvèrent quelques changemens dans leur organisation (2), jusqu'en 1775, où un ministre, qui avait plus de caractère que de talent, effaça ces corps précieux du tableau de l'armée (3) de la même main qui venait de supprimer les troupe fastueuses qui composaient la maison du roi.

Le comte de Saint-Germain, en poursuivant rigoureusement les abus, se laissa entraîner jusqu'à ne voir dans les milices qu'une dépense inutile; cependant il conserva le tirage au sort pour désigner les hommes destinés à marcher en temps de guerre, mais qu'il était défendu d'appeler hors de cette

nécessité.

» Ce licenciement ne dura que trois ans ; les régimens de grenadiers royaux et les bataillons provinciaux furent recréés par l'ordonnance du premier mars 1778, l'une des meilleures du dernier règne. Ces milices formaient un corps de soixantequatorze mille cinq cent cinquante hommes.

» En 1776 on en avait créé un autre, sous le nom de canonniers-gardes-côtes, et cette dénomination désigne leur destination. Leur nombre était de vingt-six mille, et leur enrôlement durait cinq ans.

» Ainsi, dans les derniers temps de la monarchie, la France avait une réserve de soixante- quatorze mille cinq cent cinquante auxiliaires, un corps de vingt-six mille hommes qui veillait à la sûreté de ses côtes, et une armée active qui aurait dû être d'environ cent soixante-dix mille hommes au complet.

»Les troupes réglées se recrutaient par des engagemens volontaires; les cent mille hommes delmilices par des enrôlemens forcés. Un des auteurs qui ont recueilli le plus d'observations intéressantes sur les milices, le chevalier Despommelles, évaluait à six cent mille hommes le nombre des garçons ou veufs sans enfans en état de porter les armes. Cette évaluation serait aujourd'hui au dessous de la vérité, parce que la population

(1)« Elles furent licenciées par l'ordonnance du 20 novembre 1762, qui réforma les grenadiers royaux, »

(2) Ordonnance du 25 novembre 1763, qui détermina le mode de la levée et organisa les milices en bataillons; des 20 octobre 1766, 27 novembre 1767, 19 novembre 1768; du 4 août 1771, qui forma de ces bataillons quarante-sept régimens provinciaux et onze régimens de grenadiers royaux ; · des 17 avril 1772, 7 avril 1773, 19 octobre 1773, 1er décembre 1774. »>

(3) « Ordonnance du 15 décembre 1775. »

de la France s'est accrue, et que l'on n'admet plus les exemptions très abusives de l'ancien régime, qui rendaient le système des milices extrêmement odieux (1).

>> Sur, ce nombre de six cent mille hommes on levait tous

les ans :

» 1°. Pour le recrutement des troupes de ligne, par enrôlement volontaire, environ.

» 2°. Pour le remplacement des milices, fortes de 74,550 hommes, et dont l'engagement durait six ans, un sixième de ce nombre, c'est

à dire.

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». Et pour le remplacement des

pertes éventuelles, environ. .

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3,500

» 3°. Pour le remplacement annuel de 526,000 gardes côtes, dont le service

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durait cinq
5,200 h.

18,000 h.

12,425 h.

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}

6,700

40,625 h.

1,500

» Total général du recrutement annuel, non compris l'armée de mer.

>> Ce nombre était à la population, évaluée à 25,000,000 d'habitans, dans le rapport de 1 à 615.

» A la masse de garçons ou veufs en âge de porter les armes, évaluée à 600,000 hommes, comme i est à 15.

» Mais comme sur ces 40,625 recrues il y en avait 18,000 enrôlés volontairement, il s'ensuivait que l'enrôlement forcé se réduisait à 22,625, qui étaient, avec la masse des hommes sujets au tirage, dans la proportion de 1 à 25 ou 26.

Examen des divers systèmes de recrutement par l'Assemblée constituante. (Voyez tomes 1, iv et vii de ce Recueil.)

» L'Assemblée constituante (2) examina les avantages des

(1) « Les ordonnances sur les milices exemptaient de cette contribution les officiers de justice et de finance, et leurs enfans; les employés aux recettes et fermes du roi; les médecins, chirurgiens et apothicaires; les avocats, procureurs, notaires et huissiers ; les étudians dans les universités et les colléges, depuis un an au moins; les commerçans et maîtres de métiers dans les villes où il y avait maîtrise; les maîtres des postes aux lettres et aux chevaux, et pour ceux-ci un postillon par quatre chevaux; les laboureurs faisant valoir au moins une charrue, et un fils ou domestique à leur choix, s'ils en faisaient valoir deux; les valets servant les ecclésiastiques, officiers ou nobles. » (2) « Son comité militaire était (d'abord) composé des députés Emmery, Wimpfen, Rostaing, d'Egmont, Dubois-Crancé, Bouthilier, Noailles, de Panat, de Flanchslanden, Menou et Mirabeau l'aîné. »

divers systèmes de recrutement. Soit qu'on dût considérer la défense de la patrie comme un devoir ou comme un droit, les principes généralement admis dès les premiers jours de la révolution rendaient ce droit ou ce devoir commun à tous les citoyens, et l'on ne proposa d'en exempter que le monarque et l'héritier présomptif de la couronne (1).

>> On discuta avec quelque étendue la question de savoir si les citoyens devaient y concourir de leur personne ou de leur fortune.

» On reconnut d'abord que si on se décidait pour le service personnel il serait juste d'autoriser à se faire remplacer ceux que « leurs affaires, leurs habitudes et leur genre de vie même >> rendraient peu propres ou peu disposés au métier des » armes. » (2)

» On vit dans l'obligation du service personnel un moyen d'augmenter la population, en portant les célibataires au mariage; une institution qui assurerait à l'armée une espèce d'hommes plus robustes, plus exempts des vices trop communs dans les grandes villes ; et l'on sentit dès cette époque qu'une armée de citoyens était préférable sous tous les rapports à une armée de stipendiaires.

» Mais on avait pesé aussi les inconvéniens de ce système on ne pouvait prendre d'autre base que la population pour la répartition de cette contribution personnelle.

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n'étaient

D'abord les hommes en état de porter les armes n' pas répartis dans une égale proportion sur toute la surface de la France; l'esprit des habitans des diverses provinces ne les portait pas également au service militaire; le commerce et les manufactures perdraient un grand nombre de bras nécessaires à l'Etat; les campagnes seraient obligées de fournir en raison de leur population comme les villes, ce qui nuirait à l'agriculture; les citoyens appelés au service, et autorisés à se faire remplacer, paieraient pour ce remplacement une contribution infiniment plus forte que la contribution générale éta– blie pour le recrutement.

» Enfin on fut effrayé de la comparaison que l'on ne manquerait pas de faire entre cette institution et celle des milices, qui, quoique beaucoup moins onéreuse, avait excité des réclamations universelles, consignées dans tous les cahiers.

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Ces considérations firent proposer la préférence en faveur du système qui n'obligeait les citoyens qu'à contribuer de leur fortune à la défense publique.

(1) « Rapport de Bouthilier, séance du 19 novembre 1789. » (2) « Idem. »

» On avouait les inconvéniens de ce système, qui était celui du recrutement volontaire.

» Le plus grand de tous était son insuffisance.

» Le ministre de la guerre (1), qui proposait d'entretenir une armée de cent cinquante mille hommes, avouait qu'aux premiers bruits de la guerre la prudence commanderait de la doubler. Tout le monde devait reconnaître que le recrutement ordinaire ne pouvait fournir un accroissement si rapide, et on proposa une conscription.

» Mais l'esprit de parti, qui s'empara de cette idée, vrit de quelque défaveur en l'exagérant.

la cou» Il voulait que la conscription comprît depuis le dernier citoyen jusqu'à la seconde tête de l'Empire, et que tout remplacement fût absolument interdit (2).

» Ce système de la conscription n'eût que peu de défenseurs (3). Mirabeau lui-même, dont l'opinion avait tant d'influence dans cette Assemblée, se borna à demander que le rejet de cette proposition ne compromît pas l'existence de la garde nationale (4. Un grand nombre d'orateurs (5) s'attachèrent à prouver les inconvéniens de la conscription.

» On y vit un impôt qui ne pesait que sur le pauvre, une loi destructive de l'égalité. Dans cette délibération l'esprit de système entraîna la plupart des orateurs au-delà de la vérité : les uns ne voyaient dans l'armée actuelle que des mercenaires ; les autres ne voulaient voir dans un soldat enrôlé qu'un homme libre, qui, par un amour raisonné de son pays ou de la gloire, faisait volontairement le sacrifice de sa liberté individuelle et de ses jours ils oubliaient que les recruteurs, « peu délicats » sur le choix des moyens, pourvu qu'ils procurent des >> hommes, favorisent le libertinage et le provoquent même ; qu'ils emploient la fraude, souvent la violence, toujours la séduction; que, répandus en grand nombre, surtout dans les grandes villes, ils y trafiquent ouvertement des hommes; ils en » établissent un commerce entre eux, et que cette manière d'opérer, également immorale et fâcheuse pour les villes dans lesquelles ils sont établis, devient en même temps très dis» pendieuse pour les régimens qui les emploient, et par con»séquent pour l'Etat qui les paie. »

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(1) « Latour-du-Pin; mémoire dont le rapport fut fait le 12 décembre 1789. "

(2) « Opinion de Dubois-Crancé, séance du 12 décembre 1789. » (3) Dubois-Crancé, Beauharnais, d'Harambure. »

(4) « Séance du 16 décembre 1789. »

(5) << Bouthilier, Liancourt, Mirabeau cadet, Wimpfen, Dambly, Burcau-de-Puzy, Toulongcon, Noailles, d'Egmont. »

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» Ils oubliaient ces vérités, et cependant elles venaient d'être prononcées à la tribune; et à qui étaient-elles échappées? A l'un (1) des orateurs de ce parti. « Quelle doi, disait l'un des » membres les plus estimables de cette Assemblée (2), quelle » loi que celle qui peut écraser le cœur d'un homme de bien >> entre la douleur ou l'infamie, et la nécessité d'obéir à des » devoirs qui lui répugnent, auxquels il n'est appelé ni par sa complexion, ni par sa force physique, ni par son énergie morale, ni par ses talens, ni par ses goûts! Et ce serait chez » la même nation qui vient de fonder avec tant d'éclat l'édi»fice de sa liberté politique et civile que le patriotisme égaré érigerait cet étrange monument à la servitude et à l'immora»lité! et les mêmes législateurs qui viennent de donner à » l'univers l'exemple d'un respect religieux pour les droits imprescriptibles de l'humanité, pourraient dans cet instant » contredire à ce point leurs principes, et violer par une loi fondamentale de l'Etat la liberté personnelle de tous les citoyens! Et ce serait à des hommes dont on aurait éteint » l'émulation, flétri le caractère, découragé les vertus par une » contrainte légale, aussi rigoureuse que peu nécessaire , que >> la France confierait l'honneur de ses armes, la garde et la » tutelle de son indépendance et de ses droits!»

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>> Ce discours était éloquent peut-être, et je me réserve de l'approfondir; mais une raison plus forte, et que personne n'osait dire, déterminait l'opinion de cette grande Assemblée: elle craignait de se dépopulariser, et elle rejeta ce système de la conscription pour prononcer que l'armée se recruterait des enrôlemens volontaires (3).

par

» Ce même esprit perce dans la suite de ses opérations. Peut-être cette Assemblée ne prévoyait-elle pas dès lors combien l'édifice qu'elle venait de commencer aurait besoin de défenseurs; elle montrait, elle cherchait à inspirer une sécurité parfaite; et lorsqu'elle délibéra sur l'organisation_de l'armée on établit en principe que la France, constante dans ses intentions pacifiques, et assurée de celles de ses voisins, n'avait besoin d'entretenir habituellement que cent quarantedeux mille hommes, et on proposa de réduire de vingt et un mille l'armée actuelle, qui s'élevait à cent soixante-trois (4). » Ainsi on diminuait ses moyens de défense au moment où

« Bouthilier. »

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Bureau-de-Puzy, séance du 16 décembre 1789.

(3) « Décret du 16 décembre 1789. »

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(4) « Rapport de Bouthilier au nom du comité militaire, séance du 20 janvier 1790. »

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