Page images
PDF
EPUB

l'on se faisait des ennemis ; et dans le même discours on ajoutait que les circonstances politiques pouvaient tourner à la fois contre nous les forces réunies de l'Angleterre, de la Prusse, de l'empereur et de la Hollande. Il est vrai que dans ce cas on annonçait un renfort de cent mille hommes préparés pendant la paix. Cette coalition était effrayante, et les événemens ont prouvé que la prévoyance de l'orateur ne s'étendait pas encore assez loin (1).

>>

Quoique la réduction de l'armée eût facilité la solution du problème du recrutement, l'Assemblée constituante prouvait par son irrésolution qu'elle ne comptait que faiblement sur les enrôlemens volontaires, et qu'elle n'avait aucun système sur les moyens de porter l'armée au pied de guerre en cas de né

cessité.

» On avait développé avec talent les rapports de la constitution de l'armée avec la constitution de l'Etat (2); mais on n'avait nullement abordé la question la plus difficile, celle sur les moyens d'exécution. C'est toujours là que viennent échouer les auteurs des théories.

» Six mois s'écoulèrent sans qu'on reprît cette discussion. Vers le milieu de 1790, le comité militaire proposa de porter

(1)« Au moment où l'on proposait à l'Assemblée nationale de France de n'avoir qu'une armée de cent quarante-deux mille hommes, la diète de Pologne arrêtait l'organisation de la sienne ainsi qu'il suit :

>> Etat-major

» Cavalerie nationale; huit brigades de mille huit cent dix-neuf hommes chacune.

Hommes.

45

[ocr errors]

14,552

» Quatre régimens de gardes à cheval, de quatre. cent soixante-cinq hommes

[blocks in formation]
[ocr errors][merged small]

Cinq pulks de cavalerie, de treize cent soixante

6,845

10,650

» Infanterie, régiment des gardes à pied.

1,556)

» Garde hongroise.

146

» Dix-sept régimens de douze compagnies de cent

soixante-seize hommes ».

» Quatre bataillons de chasseurs, de cinq cent quatre-vingt-dix-huit hommes

35,904 39,998

2,392)

>> Infanterie de la Lithuanie.

» Total.

» Artillerie, vingt compagnies, y compris celles du génie

» La dépense de cette armée était évaluée à 46,375,579 florins.

(2) Discours d'Alexandre Lameth et de Liancourt, séance du 9 février 1790. »

21,991 3,326

99,267

la force de l'armée sur le pied de paix jusqu'à cent cinquantequatre mille hommes, et d'en avoir constamment cinquante mille en réserve dans les départemens (1). Les moyens de recrutement pour cette réserve n'étaient pas même indiqués, et sa destination n'était guère moins incertaine. Quelle devait être cette destination? Ecoutons le rapporteur : « Ces soldats, >> retirés dans leurs départemens, pourraient s'occuper à l'agri>> culture et au commerce, et pourraient aussi foriner la maréchaussée, les gardes des bois, les commis des douanes. » On voit ce que c'était que l'inactivité qu'on promettait dans ce système à une troupe qui ne devait avoir qu'une païe peu considérable (2).

[ocr errors]

>> Enfin on indiqua l'idée de prendre cinquante mille hommes de réserve dans ceux qui se retireraient de l'armée active après y avoir servi six ans. C'était ajourner à bien longtemps l'organisation de ces auxiliaires ; c'était vouloir remplacer les milices par des vétérans; et cependant, à l'époque de cette discussion, les rapporteurs mêmes du comité militaire disaient : « Il est 'instant d'organiser l'armée; les circonstances dont nous » sommes environnés, l'agitation de l'Europe, les événemens qui semblent se préparer nous le prescrivent impérieuse>> ment. » (3)

[ocr errors]
[ocr errors]

» Ce fut au milieu de cet orage que le décret du 18 août 1790 fixa la force de l'armée à cent cinquante-un mille hommes, sans faire aucune mention de l'armée de réserve.

[ocr errors]

Ainsi, pendant un an, on avait écrit des volumes pour dix mille hommes de plus ou de moins, et dans cet intervalle les événemens avaient décidé la question; il n'y avait plus d'armée.

[ocr errors]

L'indiscipline l'avait désorganisée; tous les soldats étaient en insurrection, tous les officiers étaient en fuité, et les dangers approchaient: aussi dès le commencement de l'année 1791 vit-on se multiplier les décrets pour l'augmentation de la force militaire (4).

(1)« Rapport fait au nom du comité militaire par Noailles, séance du 13 juillet 1790. »

(2)

Ce n'est pas la destination de ces soldats que je blâme. Il n'avait pas une juste idée de l'institution militaire ce paysan suédois qui dans la diète s'opposa à ce que les troupes fussent employées à la levée des impôts, en disant : et que deviendra la dignité du soldat?

» La dignité du soldat est de prêter main-forte aux lois, comme de défendre la patrie contre les ennemis extérieurs; ceux qui ont vanté ce mot n'étaient pas des esprits justes. »

(3) « Rapport d'Alexandre Lameth, séance du 29 juillet 1790. »

« Décret du 14 février 1791 sur les moyens de pourvoir à la sûreté de la France, et de lever cent mille auxiliaires;

>> On revenait toujours à cette idée favorite de former une réserve de soldats auxiliaires, à qui l'on assurait une paie de trois sous pour les porter à s'inscrire volontairement (1), et l'on comptait tellement sur le succès de cette mesure qu'on crut devoir confirmer par une loi (2) l'abolition du régime des milices, prononcée tumultuairement dans la fameuse nuit du 4 août 1789.

[ocr errors]

Cependant le ministre de la guerre avouait (3) qu'on n'avait pu encore compléter l'armée active.

[ocr errors]

Après avoir par quelques décrets essayé de réaliser ce système de l'inscription volontaire, on ordonna que les départemens frontières fourniraient le nombre d'hommes, exigé par leur position, et que les autres fourniraient de deux à trois mille hommes chacun (4).

» L'année 1792 était commencée, et il manquait encore cinquante et un mille hommes au complet de l'armée (5).

» Tel fut le résultat des longues délibérations d'une Assemblée recommandable par de grands souvenirs, mais qui dans les commencemens s'aveugla peut-être sur ses dangers; qui parut s'attacher à la conservation de sa popularité plus qu'à consolider son ouvrage, et qui détruisit l'armée du monarque sans organiser celle de la nation.

[ocr errors]

Cependant, en accusant son imprévoyance, avouons qu'elle y avait elle-même habilement suppléé. Cette Assemblée

» Décret relatif aux recrutemens, engagemens, rengagemens et congés, du 25 mars 1791;

>> Décret additionnel sur la levée de cent mille auxiliaires, du 20 avril 1791;

>> Décret contenant des mesures générales pour la sûreté de l'Etat, du 15 juin 1791;

» Décret pour mettre la garde nationale en activité, du 21 juin 1791. » Décret du 24 juin 1791, qui autorise les généraux à armer les gardes nationales;

» Décret du 9 juillet 1791, qui porte tous les régimens au complet de guerre, et augmente le nombre des gardes nationales en activité; » Décret du 29 juillet 1791, qui porte à quatre-vingt-dix-sept mille le nombre des gardes nationales en activité;

» Décret du 12 août 1791, relatif à la formation des gardes nationales destinées à la défense des frontières. »

(1)« Rapports d'Alexandre Lameth et de Mirabeau, séance du 28 janvier 1791. »

« Du 20 mars 1791. »

« Mémoire du ministre de la guerre, d'où il résulte qu'au 1er mars l'armée n'était encore que de cent trente mille sept cent quatre vingt-deux sous-officiers ou soldats. »

(4) « Décret du 21 juin 1791. »

(5) « Rapport du ministre de la guerre, séance du 17 janvier 1792. »

en se séparant laissa la nation animée d'un esprit d'enthousiasme que les résistances ne firent qu'exalter; il semblait que le peuple français, plus sûr de lui-même que ses législateurs n'attendit que le premier coup de canon de ses ennemis pour déployer tout l'appareil de sa puissance.

[ocr errors]

Recrutement des armées pendant la guerre de la liberté. (Voyez entr'autres le tome xii de ce recueil, pour la première réquisition.)

[ocr errors]

Ce fut un beau spectacle de voir au premier signal du danger ce peuple se précipiter vers ses frontières, et détromper, par des coups terribles, ces rois imprudeus qui croyaient que cette guerre ne serait pour eux qu'une marche triomphale.

» A peine le danger était-il certain, que les représentans du peuple vinrent déclarer à la tribune: « Ce ne sont pas les » hommes de bonne volonté qui nous manquent; c'est l'ar>> deur des volontaires nationaux qui ralentit le recrute» ment. >> (1)

» Si nous ouvrons les comptes de ce ministre qui le premier a donné l'exemple de soumettre ses opérations au jugement de ses concitoyens (2), nous verrons une armée de cent soixante mille hommes s'élever dans quelques mois à six cent quarantecinq mille, et dans un an dépasser le nombre de ces armées fabuleuses dont les calculateurs ne pouvaient concevoir ni les mouvemens ni l'existence.

» Ce recrutement sans exemple, occasionné par la guerre de la liberté, peut se distinguer en quatre opérations successives, dont les résultats méritent d'être consignés dans l'his

toire.

[ocr errors]

ro. La levée en masse ordonnée en 1791 (3), et qui ne s'effectua que l'année suivante.

» 2o. La levée de trois cent mille hommes en 1793.

[merged small][ocr errors][merged small]

» Levée en masse. Lorsque la guerre se déclara l'infanterie de ligne n'était composée que de cent six régimens de deux bataillons. On porta les premiers bataillons à l'armée; on réserva les seconds pour la garde des places et l'instruction des recrues; et on éprouva dès cette première campagne que

(1) Discours de Dumas, rapporteur du comité militaire de l'Assemblée législative, séance du 19 janvier 1792. »

(2) « Premier compte rendu par le ministre de la guerrc Petiet. » (3) « Lois du 24 juin 1791, des 12 et 18 août. »

chacun de ces corps isolés ne présentait pas une masse assez considérable.

» Les volontaires nationaux montraient une telle ardeur pour passer de leurs bataillons dans ceux de l'armée de ligne, qu'il fallut les contenir (1); et en cela le législateur donna une grande preuve de sagesse; il prévoyait d'avance que ces bataillons de volontaires devaient non pas recruter les troupes réglées, mais les remplacer (2).

» Il serait difficile d'établir avec précision le produit de ce recrutement, auquel l'enthousiasme national eut une si grande part; mais il est certain qu'on n'exagère point en évaluant la première levée pour compléter les cadres de l'armée 50,000 hommes.

[ocr errors]

>> La masse des bataillons de volontaires nationaux à

» La seconde levée, qui eut lieu en septembre 1792, à.

100,000

[ocr errors]

100,000

Ainsi cette première opération donna 250,000 hommes.

» Levée de 1793. Par la loi du 24 février 1793, tous les hommes non mariés, depuis dix-huit jusqu'à quarante ans, furent appelés à fournir trois cent mille hommes, répartis entre les départemens, suivant leur population. Le mode de la levée fut laissé au choix des citoyens.

>> Les hommes désignés pour marcher furent autorisés à se faire remplacer, mais en équipant à leurs frais le remplacant. (3)

Deux mois après (4) une nouvelle loi ordonna une levée de trente mille hommes pour compléter la cavalerie.

» Cette levée de trois cent trente mille hommes ne fut pas complète, parce que cette époque fut celle de l'insurrection des départemens de l'ouest; cependant on en évalue le résultat

(1) « Rapport de Dumas, séance du 19 janvier 1792. »

(2)« Beaucoup de lois subséquentes organisèrent ces levées; celle du 28 août 1792 ajouta des compagnies de canonniers à chaque bataillon; celle du 2 septembre créa des troupes légères à cheval; celles des 9, 10 et 24 septembre permirent la levée des compagnies franches; celle du 12 septembre prescrivit des mesures pour l'armement et l'équipement des volontaires. >>

(3) « Le soin d'habiller et d'armer ces trois cents mille hommes fut confié aux administrations locales, auxquelles la loi fixait pour cet objet un délai de huit jours. »

(4)

« Le 16 avril. »

XVIII.

11

« PreviousContinue »