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font chérir la paix, aux talens qui embellissent l'existence. » Ainsi le système de la contribution personnelle assure à l'armée une meilleure espèce d'hommes que ceux que procurent les enrôlemens volontaires : il diminue la désertion; il facilite l'accroissement rapide de la force publique; il donne aux hommes un sentiment plus profond de leurs droits; il augmente la force de la masse des citoyens; il est un garant de plus pour la liberté.

» En développant les résultats de la loi qu'on vous présente, l'orateur peut émouvoir votre sensibilité par le spectacle des familles affligées; il peut vous demander pourquoi, après avoir signé la paix, vous entretenez des armées si formidables; comment vous ne craignez pas, en imposant de si grands sacrifices, de perdre la confiance du peuple souverain dont vous êtes les mandataires. L'Europe entière voudrait que vous écoutassiez ce langage.

» Le législateur s'élève à de plus hautes pensées : il ne se livre point imprudemment à la sécurité que peuvent inspirer des circonstances passagères; il évite de faire des lois pour un moment; il cherche à poser pour un long avenir les bases de l'édifice social; il veut améliorer le sort de ses contemporains, mais il n'oublie pas qu'il est responsable de la paix du monde ; il sait faire le sacrifice de son amour-propre, de son repos, il préfère aux acclamations qui suivent une popularité momentanée l'estime respectueuse que lui gardent les sages et la postérité.

et

» Le Tribunat nous charge de vous porter le vœu qu'il a émis pour l'adoption de la loi. »

IV.

DE LA CRÉATION D'UNE LÉGION D'HONNEUR. MOTIFS du projet de loi, exposés devant le Corps législatif par le conseiller d'état Roederer. Séance du 25 floréal an 10 (15 mai 1802).

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Législateurs, la Légion d'Honneur qui vous est proposée doit être une institution auxiliaire de toutes nos lois républicaines, et servir à l'affermissement de la révolution.

>> Elle paie au service militaire comme au service civil le prix du courage qu'ils ont tous mérité; elle les confond dans la même gloire, comme la nation les confond dans sa reconnaissance.

» Elle unit par une distinction commune des hommes déjà unis par d'honorables souvenirs; elle convie à de douces affections des hommes ru'une estime réciproque disposait à s'aimer.

» Elle met sous l'abri de leur considération et de leur serment nos lois conservatrices de l'égalité, de la liberté, de la propriété.

Elle efface les distinctions nobiliaires qui plaçaient la gloire héritée avant la gloire acquise, et les descendans des grands hommes avant les grands hommes.

» C'est une institution morale qui ajoute de la force et de l'activité à ce ressort de l'honneur qui meut si puissamment la nation française.

» C'est une institution politique qui place dans la société des intermédiaires par lesquels les actes du pouvoir sont traduits à l'opinion avec fidélité et bienveillance, et par lesquels l'opinion peut remonter jusqu'au pouvoir.

» C'est une institution militaire qui attirera dans nos armées cette portion de la jeunesse française qu'il faudrait peut-être disputer sans elle à la mollesse compagne de la grande aisance. »Enfin c'est la création d'une nouvelle monnaie, d'une bien autre valeur que celle qui sort du trésor public; d'une monnaie dont le titre est inaltérable, et dont la mine ne peut être épuisée puisqu'elle réside dans l'honneur français; d'une monnaie enfin qui peut seule être la récompense des actions regardées comme supérieures à toutes les récompenses.

OPINION de Savoye-Rollin, tribun.

28 floréal an 10.

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Séance du

Citoyens Tribuns, depuis que le Tribunat existe il n'a point reçu de loi plus importante que celle qu'on lui propose. En me déterminant à la combattre je n'ai consulté ni mes forces, ni la brièveté du temps laissé à la discussion; je viens remplir un rigoureux devoir : vous m'écouterez avec indulgence; vous ne la refuserez point à un travail nécessairement précipité : vous m'écouterez avec attention, car il s'agit de l'examen d'une loi qui attaque dans ses fondemens la liberté publique.

» Quel est le but qu'énonce la loi proposée? C'est de décerner des récompenses aux militaires et aux fonctionnaires publics qui auront rendu de grands services à la République. Quel est le moyen qu'elle emploie? C'est d'organiser une Légion d'Honneur qui sera composée de six mille légionnaires à vie, et qui recevra dans son sein successivement, et à mesure des vacances, tous ceux qui ont mérité des distinctions militaires et civiles.

» Ce moyen est si visiblement étranger au but que la loi assigne, il est si palpable qu'il n'est pas nécessaire de créer un corps privilégié pour récompenser les défenseurs d'une république, qu'il a bien fallu chercher à revêtir ce corps de fonc

tions tout à la fois imposantes et spéciales; en conséquence on le dévoue, par «< un serment d'honneur, au service de la République, à la conservation de son territoire, à la défense de » son gouvernement, de ses lois, de ses propriétés; à repousser » toute entreprise tendant à rétablir le régime féodal, et les titres et qualités qui en étaient l'attribut; à concourir enfin » de tout son pouvoir au 'maintien de la liberté et de l'éga»lité. »

>> Je n'examine point encore si, l'universalité des citoyens étant soumise aux mêmes devoirs, aux mêmes obligations que ce serment prescrit, il n'en résulte pas que les attributions de ce corps ne sauraient former un titre à son existence; je découvre dans les motifs joints à la loi de nouveaux rapports qu'on essaie de lui rendre favorables. Il est considéré comme une institution auxiliaire de toutes les lois républicaines; on veut que cette institution soit morale en ce qu'elle replacera dans toutes les âmes le ressort si puissant de l'honneur ; qu'elle soit politique, en ce qu'elle se trouvera un intermédiaire propre à concilier les actes du gouvernement avec les vœux de l'opinion; qu'elle soit militaire, en ce qu'elle ouvrira de brillantes perspectives à la jeunesse française. Il ne suffit pas, dit-on, d'organiser des pouvoirs politiques et civils; ils attendent la vie des institutions; les institutions sont au corps social ce que le mouvement est à la matière.

» Il est facile sans doute de présenter une institution sous des faces riantes, lorsqu'en supposant perpétuellement ce qui est en question on en fait découler tous les biens qui seraient enviés par les gouvernemens les plus libres; cette méthode de raisonner des auteurs du projet m'indique la marche que je dois suivre ; c'est de remettre en question tout ce qu'ils ont supposé prouvé.

» Ainsi je démontrerai que l'institution d'une Légion d'Honneur est directement contraire à la lettre et à l'esprit de la Constitution à sa lettre, parce qu'elle n'autorise point la création d'un corps militaire distinct des forces de terre et de mer par des fonctions et des prérogatives extraordinaires; à son esprit, parce que dans une constitution représentative la division des pouvoirs ne peut être altérée en aucun

sens.

>> Si le corps intermédiaire qu'on propose participait de tous les pouvoirs comme on le donne à entendre, il serait inconstitutionnel par sa confusion même; s'il avait des prérogatives particulières sans pouvoir, il serait encore inconstitutionnel, parce qu'il romprait l'égalité des droits. Un état libre ne comporte qu'un ordre de citoyens et des magistrats: si ce corps

n'avait ni pouvoirs ni prérogatives il serait inutile, et ce qui est inutile ne doit pas être l'objet d'une loi.

» L'institution blesse littéralement la Constitution. Le prétexte dont le projet de loi se colore est dans l'article 87; sa seule lecture dément le prétexte : il séra décerné des récompenses nationales aux guerriers qui auront rendu des services éclatans en combattant pour la République. Je vois là des récompenses individuelles accordées à nos braves; mais pouvait-on penser qu'on abuserait de cet article au point d'en induire qu'il autorise la formation d'un corps privilégié et perpétuel, concentrant parmi six mille individus trois millions de rentes, et n'offrant aufreste d'une armée immense que les chances incertaines et tardives des remplacemens? La Constitution n'a ni exprimé ni indiqué une semblable mesure, et en l'interprétant ainsi on ne l'exécute point; on la viole.

» Elle est encore mise ouvertement à l'écart sous un autre rapport. La Légion d'Honneur a un grand conseil d'administration... Ce conseil aura donc quelque chose à administrer; or, administrer en vertu d'une loi, c'est exercer une fonction publique. Je le demande, comment un sénateur, à jamais inéligible à toute autre fonction publique, sera-t-il du conseil d'administration sans choquer expressément l'Acte constitutionnel?

» Si l'on m'objectait qu'il y a trop de subtilité dans cet argument, je répondrais qu'il est puisé dans la signification naturelle des mots; au lieu qu'il a fallu oublier au même moment et sa langue et sa Constitution pour découvrir un ordre de chevalerie dans une simple promesse de récompenser individuellement nos guerriers distingués.

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Quand l'expression littérale d'un acte est si peu ménagée, il est inévitable que son esprit le soit encore moins.

» En admettant que la Légion d'Honneur soit un nouveau pouvoir à introduire dans l'Etat, je soutiens que le pacte constitutionnel s'y oppose. Je cherche dans le serment qu'elle prononce la nature de ses fonctions; elles consistent à veiller au maintien du gouvernement comme à celui des droits du peuple... Mais tout citoyen a la même tâche à remplir; serait-ce donc le serment d'honneur qui la rendrait plus spéciale? Serait-ce encore que la plupart des membres de cette Légion, s'étant illustrés dans les différentes carrières qu'ils ont parcourues, ont acquis une influence proportionnée à l'éclat de leur réputation? S'ils en usent comme de simples particuliers, rien n'est plus juste; la vertu doit être honorée et respectée; mais si cette influence devient collective, si elle élève le corps qui la possède au niveau des autres corps constitués de l'Etat, si elle

lui donne une puissance que la Constitution n'a pas créée, je soutiens une seconde fois qu'il ne faut pas le souffrir; car s'il avait plus de force que tout le peuple, même pour défendre le gouvernement, qu'on m'explique comment celui-ci aurait l'inprudence de le tolérer! N'est-il pas évident qu'il pourrait le renverser comme il pourrait le soutenir? Veut-on examiner la garantie qu'il offre aux droits du peuple? Pour qu'elle soit plus efficace, il a donc des moyens que les autres citoyens n'ont pas? S'il a ces moyens, sous quelque nom qu'on les désigne, ils brisent l'égalité commune; ils sont de funestes prérogatives; ils sont enfin contraires à l'institution même, qui promet de défendre la liberté et l'égalité.

» On parle de créer des institutions : j'y consens tant qu'elles ne seront ni des pouvoirs ni des priviléges. Dans la théorie qu'on vous a présentée, on confond les gouvernemens représentatifs avec les gouvernemens monarchiques. Il est indispensable dans la monarchie de balancer par des corps interinédiaires l'énorme prépondérance de la royauté : dans les républiques ils sont une source intarissable de dissensions, parce qu'ils détruisent l'égalité de tous les citoyens. Dans les monarchies, où le pouvoir souverain est un, la sauvegarde du peuple est dans la multiplicité des obstacles qui tempèrent l'ardeur des volontés du maître : dans les gouvernemens représentatifs, le pouvoir souverain est divisé; le peuple n'est subordonné qu'à ses magistrats, et il ne connaît de magistrats que ceux que la Constitution avoue.

» Je suis dispensé de raisonner dans l'hypothèse que la Légion d'Honneur n'est point un corps intermédiaire, puisqu'on l'a montrée sous ce point de vue, et qu'on l'a décorée d'une triple influence, morale, politique et militaire ; j'ai donc prouvé, en ne l'envisageant même que sous les aspects des auteurs du projet, qu'elle est incompatible avec un gouvernement représentatif.

>> Maintenant j'examinerai ce qu'est véritablement cette Légion; j'établirai qu'en la plaçant parmi vous vous acceptez un patriciat dont la continuelle tendance sera de vous rendre une noblesse héréditaire et militaire; que le mélange dans ce corps des autorités militaires et civiles ne fait qu'ajouter aux vices de sa composition et aux difficultés de l'accueillir.

» De toutes les causes qui ont produit la révolution française, la plus remarquable en influence et en énergie est celle de la division qui régnait entre les différens ordres de l'Etat.

» L'ordre qui était le dernier par son rang était devenu, dans le cours de deux siècles d'un commerce actif et d'une industrie florissante, le premier par la richesse et les lumières. La no

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