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nom n'est pas une vertu pour toi; c'est un devoir de plus d'en acquérir.

» Ainsi parla toujours cette gloire immortelle; sa voix sépare irrévocablement le préjugé des distinctions héréditaires du sentiment sublime des distinctions personnelles; et quoique le système des distinctions héréditaires ait été suivi même dans plus d'une république, il n'en est pas moins contraire à la dignité humaine; il n'en est pas moins condamnable devant l'honneur, la raison et la philosophie.

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>> Mais quelque soin que le gouvernement ait pris, en fixant les récompenses militaires, de s'arrêter aux bornes posées par la Constitution, il est des esprits tellement susceptibles d'une défiance honorable qu'ils trouvent dans une distinction personnelle un ordre privilégié, et même le germe d'une noblesse héréditaire. C'est ici que se présentent naturellement leurs objections.

1. La Légion d'Honneur, disent-ils, est un corps privilégié; elle est alarmante pour la liberté publique, et contraire à l'égalité.

2o. En soumettant ses membres à un serment particulier, et les dotant en biens territoriaux, elle contient le germe d'une noblesse héréditaire.

» Nous ne combattrons ces objections que par leur analise.

» Première objection. La Légion d'Honneur n'est pas un corps privilégié ; elle n'est pas alarmante pour la liberté publique, ni contraire à l'égalité.

» Pour qu'un corps soit privilégié il faut que ses membres aient des droits ou des pouvoirs exclusifs que n'ont point les autres membres de la société or les légionnaires n'ont pas un seul droit, pas une seule parcelle de pouvoir; ils n'ont point de priviléges, mais seulement une distinction honorable qui suffit pour récompenser, parce qu'elle émeut puissamment l'imagination, et la satisfait sans produire néanmoins aucun résultat dans l'ordre politique.

» Cette distinction n'a point de résultat dans l'ordre politique, car les légionnaires n'ont ni droits ni pouvoirs militaires, ni droits ni pouvoirs civils, ni droits ni pouvoirs judiciaires.

1o. Ils n'ont point de droits militaires; car pour arriver à tous les grades de l'armée il n'est pas besoin de faire partie de la Légion. La Légion ne donne donc aucun droit. Mais elle offre, dit-on, un pouvoir militaire inquiétant. Qu'est-ce qu'un pouvoir militaire inquiétant? La réflexion et l'histoire nous disent que c'est un pouvoir qui peut devenir assez fort

pour

s'élever contre le gouvernement et dominer l'Etat or la Légion ne peut point exciter cette inquiétude, puisqu'elle est toute dans le gouvernement, rien sans lui, rien hors de lui. Mais bien plus; la Légion, formée des braves qui sont déjà brevetés dans les divers corps, et de ceux qui le seront à l'avenir, ne forme pas même un corps militaire; car les brevetés sont en activité de service sur les divers points de la République. Ainsi la Légion forme un corps pour l'éclat de la récompense, et n'en forme pas un pour la force; elle n'offre donc pas un pouvoir militaire inquiétant l'établissement de ses quinze chefs-lieux n'a pour but que l'administration des biens nationaux qui lui sont concédés.

2o. La Légion ne confère aucun droit, aucun pouvoir civil; elle est absolument étrangère à la représentation et à tous les degrés de l'administration publique ; ses membres n'ont aucun caractère, aucun droit, aucune prééminence devant aucune des autorités constituées, et il faudrait avoir la fureur des comparaisons pour en établir entre la Légion et un ordre intermédiaire la Légion n'est et ne peut être intermédiaire qu'entre les services rendus au peuple français et les récompenses décernées en son nom.

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3o. Enfin la Légion n'a ni droits ni pouvoirs judiciaires, car elle n'a point de tribunaux spéciaux, point de juridiction particulière; ses membres ne sortent en rien de la classe de tous les citoyens; si la reconnaissance nationale les distingue, la justice impassible les voit d'un air indifférent.

» Nous avons prouvé, citoyens législateurs, que le projet de loi n'attribue aux légionnaires aucun droit, aucune prérogative militaire, civile ni judiciaire; qu'il consacre seulement une distinction personnelle qui n'a aucun résultat dans l'ordre politique il n'offre donc rien de contraire à l'égalité des droits établie par la Constitution.

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» Nous avons prouvé qu'il n'établissait pas un pouvoir inquiétant, puisque la Légion, sous le point de vue de force agissante, ne forme pas même un corps militaire. Le projet de loi n'offre donc rien d'alarmant pour la liberté.

» La grande objection qui représentait la Légion comme un corps privilégié et dangereux est donc dénuée de toute espèce. de fondement; elle est donc réduite à une déclamation vaine, sans aucun sens déterminé ; et c'est sous ce point de vue que le Tribunat l'a envisagée en votant l'adoption du projet de loi.

» Seconde objection. Les adversaires du projet, après avoir essayé de démontrer qu'il créait un ordre privilégié, so

sont attachés à prouver qu'il renfermait le germe d'une noblesse héréditaire. Voyons si les craintes qu'ils ont voulu faire pressentir pour l'avenir sont mieux fondées que celles qu'ils ont témoignées pour le présent.

» 1°. Les craintes pour l'avenir se fondent d'abord sur le serment des légionnaires. Pourquoi, disent-ils, la loi leur imposerait-elle un serment qu'elle n'impose pas aux autres citoyens? Pourquoi! Parce que, recevant de la société une distinction particulière, il convient à la société qu'ils lui dévouent plus particulièrement leur existence; parce que, dans un état bien constitué, une distinction pour des services rendus doit être un gage et un garant que l'on en rendra de nouveaux. Et si ce serment particulier a un but utile pour la société, il ne peut que paraître juste et convenable à ceux qui reçoivent d'elle la plus grande marque de reconnaissance que puisse donner, une république.

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» De quel principe peut donc provenir l'effroi que ce serment a paru inspirer à quelques hommes ? Ont-ils une inquiétude louable pour la prospérité de la République? Mais les légionnaires jurent de se dévouer au service de la République et à la conservation de son territoire dans son intégrité. Appréhendent-ils que ce serment ne soit contraire au gouvernement que le peuple français honore et chérit ? Mais les légionnaires jurent de se dévouer à la défense du gouvernement et des lois. Craignent-ils que ce serment ne consacre une association d'individus privilégiés, injurieuse à l'égalité? Mais les légionnaires jurent de combattre toute entreprise tendante à rétablir le régime féodal, à reproduire les titres et qualités qui en étaient l'attribut. Sont-ils animés d'un saint enthousiasme pour les défenseurs de la patrie? Mais ce serment est dans le cœur de tous les défenseurs de la patrie. Enfin, trembleraient-ils pour les acquéreurs des biens nationaux ? Mais les légionnaires jurent de les défendre. D'où provient donc l'effroi de certains hommes!

» 2o. Sans doute, citoyens législateurs, la simple lecture du serment aura fixé votre opinion. Si la faiblesse des objections auxquelles il a donné lieu vous paraît évidente, il nous reste à démontrer combien sont dépourvus de fondement les argumens opposés à la dotation des légionnaires en biens territoriaux.

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La noblesse héréditaire, dit-on, a commencé par la concession de propriétés territoriales faites par les barbares aux chefs qui les avaient conduits à la victoire; le projet de loi, consacrant une immense concession de biens territoriaux, reu~ ferme donc le germe d'une noblesse héréditaire.

» Pour croire ce rapprochement juste, il faudrait être étranger à l'histoire, ou l'avoir lue avec peu de fruit.

» En effet, citoyens législateurs, personne de vous n'ignore que dans les siècles passés, lorsque des nations entières de barbares, poussées par la soif des conquêtes, se précipitaient sur quelques régions alors délaissées par la Providence, les vainqueurs se partageaient les terres des vaincus; vous savez que les provinces, les villes, les héritages étaient assignés en propriétés personnelles à chaque chef des barbares; que leurs enfans héritèrent ensuite de ces propriétés personnelles, et que cette hérédité territoriale a produit les titres nobiliaires et les fiefs. Mais où les adversaires du projet trouvent-ils une assignation personnelle et héréditaire de propriété? Il n'en existe point dans le projet de loi. Les biens qui forment la dotation de la Légion appartiennent à la légion en masse; la Légion les administre ; et pour cela sont établis, sur le territoire de la République, quinze chefs - lieux d'administration. Les revenus de ces biens servent à acquitter les pensions des légionnaires; mais aucun d'eux n'a, ni par le droit ni par le fait, aucune espèce de propriété, ni héréditaire ni même personnelle, sur les biens de la Légion. Il n'y a donc aucune espèce de parité entre ces revenus et les propriétés qui fondèrent, dans les siècles de barbarie, les premiers titres de noblesse héréditaire; un esprit solide ne peut donc pas être frappé d'un rapprochement aussi insensé, car non seulement il n'y a point de parité, mais une opposition absolue de principes, et par conséquent de résultats nécessaires. C'est la même distance qui existe entre ces peuplades qui cherchaient un sol meilleur, parce qu'elles n'avaient point de patrie, et les peuples policés de l'Europe, qui ne reconnaissent de sol désirable que celui de la patrie; entre ces guerriers fameux par leurs forces corporelles et leur courage féroce, qui ne savaient user de la force que pour vaincre et dépouiller, et ces soldats français qui n'emploient la valeur qu'à vaincre pour défendre la liberté de leur patrie et les propriétés de leurs concitoyens : c'est la même distance qui existe entre les gouvernemens de ces temps misérables et le gouvernement de la République ; en un mot, c'est l'immense intervalle qui sépare ces siècles de ténèbres et le dixneuvième siècle.

» Les alarmes pressenties pour l'avenir sont donc aussi peu fondées que celles qu'on a témoignées pour le présent. Il n'y a dans le serment imposé aux légionnaires, ni dans leur dotation en biens territoriaux, aucun germe de noblesse héréditaire : bien loin de là, tous les germes de philosophie et de bonne politique, développés sous le gouvernement actuel, re

posent dans ce serment et dans cette dotation; germes conser vateurs de tout ce qui existe pour le bonheur de la patrie, ils ne sont un poison que pour ses ennemis, et ils ne peuvent paraître tels qu'à l'esprit trop ombrageux d'un bon citoyen qui s'égare, ou à cette lâche envie que les succès du gouvernement font frémir, et qui est assez malheureuse pour souffrir de félicité publique.

2o. Le projet de loi fixe d'une manière indépendante du trésor public, et conforme à l'intérét national, les pensions attachées aux brevets d'honneur.

» Le projet de loi affecte à chacune des quinze cohortes des biens nationaux portant 200,000 francs de rentes ; les pensions seront acquittées sur cette somme; elles deviennent par ce moyen indépendantes des circonstances; et comme les légionnaires sont nommés à vie, ce n'est plus une pension que la loi leur assigne annuellement, mais un traitement certain pour le reste de leurs jours.

» La dotation de la Légion en biens nationaux a l'avantage en outre de ménager les ressources du trésor public.

>> Si nous la considérons ensuite sous l'aspect d'un intérêt national plus relevé, nous verrons dans cette dotation un nouvel appui pour les acquéreurs des biens nationaux. Non, rien ne peut plus alarmer ces légitimes possesseurs; qu'ils reposent en paix la justice et la foi de la nation assuraient leurs droits; la victoire les a confirmés; la religion les a naguère consacrés, et aujourd'hui enfin la Légion d'Honneur achève de les établir d'une manière inébranlable.

» Nous croyons inutile,, citoyens législateurs, de développer cette seconde vue qui a motivé notre adoption, et qui nous a paru éminemment sage.

» Le projet de loi sur la Légion d'Honneur exécute donc d'une manière digne du peuple français l'article 87 de la Constitution, qui a voulu que des récompenses nationales fussent décernées aux défenseurs de la patrie; elle porte ces récompenses aussi loin qu'il convient de les porter parmi nous; ses principes sont conformes à ceux de la Constitution et de la philosophie, et, par l'ingénieuse dotation des légionnaires en biens nationaux, l'intérêt public se trouve associé à ce grand acte de

reconnaissance.

SECONDE PARTIE. Récompenses civiles.

» L'âme délivrée des pressentimens sinistres qui nous environnaient,passons maintenant, citoyens législateurs, à l'exa

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