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men de la seconde partie; examinons la question des récompenses que la Constitution n'assigne pas, et que le projet de loi assigne à ceux qui ont rendu de grands services civils.

» Nous considérerons aussi cette question sous deux points de vue.

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» 1°. Malgré le silence de la Constitution, la loi doit récompenser les services civils.

2o. Elle ne peut point les récompenser plus convenablement qu'en admettant les fonctionnaires publics dans la Légion d'Honneur.

» 1o. Les services militaires, sans doute, ne peuvent être trop récompensés; quelques époques de notre révolution ajoutent à la valeur ordinaire de ces services une valeur inappréciable, si on se rappelle que les armées pendant longtemps ont soutenu seules la gloire de la France, tandis qu'au dedans la discorde insatiable dévorait jusqu'aux familles des défenseurs de la patrie en ces temps où un esprit ennemi régnait dans le sein de la cité, on eût dit que l'esprit national avait reflué tout entier sur nos frontières.

» Toutefois les armées auraient vaincu inutilement si l'affreuse discorde avait continué à dominer parmi nous; si le courage civil n'avait point animé ceux qui mirent un terme aux fureurs politiques, on ne peut se le dissimuler, nos armées auraient en vain couvert l'Allemagne et l'Italie de leurs trophées. Depuis longtemps elles marchaient de conquête en conquête; leurs exploits gigantesques frappaient l'univers d'étonnement, et rendaient à la patrie l'espérance et la joie : cependant la paix s'éloignait devant leurs victoires; elle s'éloignait parce que nos désordres civils n'offraient aucune garantie à nos voisins; parce que, les peuples craignant pour eux-mêmes la contagion révolutionnaire qui nous dévorait, toute communication ouverte avec nous leur paraissait fatale. Pour atteindre la paix, l'ordre intérieur était une victoire nécessaire à laquelle toutes les autres conquêtes ne pouvaient point suppléer; et devant cette grande considération les services civils prennent un caractère si auguste, que leur récompense devient aussi un devoir national et sacré.

» Mais pourquoi les diverses constitutions qui ont promis des récompenses militaires n'en promirent-elles point de civiles? » Ces promesses ayant été faites par des législateurs au nom du peuple qu'ils représentaient, il est facile de sentir pourquoi les services civils ne furent point inscrits dans la liste des récompenses. Certes, lorsque vous proclamâtes la reconnaissance nationale, vous voulûtes oublier qu'en révolution la carrière

politique est une lice où se livre un combat perpétuel; vous voulûtes l'oublier; cependant, chaque jour entourés de clameurs séditieuses, enveloppés de piéges perfides, ne combattiezvous pas chaque jour pour la République? Que de nuits mêmes, que de nuits passées en présence d'ennemis furieux, sur ces bancs où la proscription a choisi tant de victimes! Comme le champ de bataille, cette enceinte n'était pas couverte de poussière, baignée de sang; mais à cette porte s'aiguisaient les poignards, là se dressaient les échafauds!

» La mort que l'on trouve dans les camps est au moins honorable. Le fer, il est vrai, est quelquefois plus terrible que la mort; des blessures profondes laissent d'affreuses cicatrices; celui qui partit dans tout l'éclat de la jeunesse revient sous le toit paternel abattu, mutilé, se traînant avec peine que de larmes répandues sous le toit paternel! que de regrets! Mais à ces regrets succède une noble fierté ; les égards respectueux de tout ce qui l'environne adoucissent les maux du guerrier, et le sang qu'il a versé sur le champ de bataille produit du moins une gloire assurée.

» Le sort des hommes publics est quelquefois plus terrible. Si nous opposons à ce tableau d'un guerrier mutilé le tableau d'une victime politique, si nous interrogeons la liste sanglante, si nous évoquons l'ombre d'un magistrat ou d'un législateur victime de la multitude ou de la tyrannie, quelle scène affreuse s'ouvre devant nous! Ici l'intrépide magistrat s'agite au milieu d'une foule égarée; il s'efforce de faire entendre sa voix; il montre à tous le signe auguste de sa puissance : mais ces forcenés, poussés par les furies, veulent du sang; le sang peut seul les satisfaire! Le magistrat s'oppose vainement à leur rage; assailli de tous côtés, il brave les injures, il brave les menaces; au péril de ses jours, il veut apaiser la révolte ; il veut au péril de ses jours sauver la victime qu'on poursuit ; il la couvre de son manteau, la presse contre son sein, et, percé de mille coups, il tombe avec elle expirant! Le magistrat a péri! Aura-t-il du moins un tombeau? Non, citoyens, pour lui point de tombeau, point d'honneurs, point de pompe funèbre pour lui! Ses membres déchirés, exécrable trophée d'une foule en délire, sont portés en triomphe jusque sur le seuil de sa demeure; ses amis osent à peine et en silence plaindre son sort; ils fuient devant ses restes! Il a trahi le peuple! s'écriet-on de tous côtés; il a trahi le peuple! et sa mémoire flétrie n'est pour sa famille que le présage sinistre d'une ruine prochaine!

>>Plus loin voyez cette multitude qui couvre la place publique. Un empressement joyeux semble à peine l'agiter; tranquille,

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elle paraît célébrer une fête; elle se présse auto ur d'un char qui roule lentement au milieu d'elle: c'est un char funèbre; il porte à l'échafaud ce législateur dont les tyrans redoutaient le courage. Le législateur victime, au front calme, contemple cette foule, qui peut-être lui prodigua jadis tant d'acclamations bruyantes; il cherche quelques consolations dans les regards de ses concitoyens; il espère y lire au moins une indignation cachée contre les tyrans: vain espoir! Il a trahi le peuple! s'écrie-t-on de tous côtés; il a trahi le peuple! et tous les yeux se détournent de lui avec horreur. Il s'avance abreuvé d'amertume, absorbé dans sa douleur; il ne voit point l'instrument du supplice déjà levé sur sa tête; son âme tout entière souffre de l'ingratitude publique, et le terme fatal arrive sans consolation pour lui, sans espoir pour les enfans qu'il laisse privés d'appui, privés d'honneurs, à la merci des tyrans!

» N'arrêtons pas davantage nos regards sur ces tristes tableaux qui retracent à chacun de nous tant de noms honorables, tant de souvenirs douloureux! Cette esquisse rapide suffit sans doute pour rappeler à tous que dans les temps de révolution la carrière politique est une lice où se livre un combat pétuel.

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» Dans l'intervalle des révolutions ce combat cesse, il est vrai; mais alors la carrière publique est remplie de ces longs travaux qui maintiennent les sociétés, les instruisent, les honorent, et conservent au milieu d'elles tous les bienfaits des lumières et des lois de même qu'après la : l'armée se guerre borne à des services moins brillans, moins périlleux, mais non moins utiles.

» 2°. Il fallait donc suppléer au silence de la Constitution, et récompenser les services civils: c'est ce que le projet de loi propose. Il déclare que les fonctionnaires publics pourront être admis dans la Légion d'Honneur, pourvu qu'ils aient fait partie de la garde nationale.

» Il ne s'offrait pas, citoyens législateurs, de parti plus convenable. En écartant ce mode il eût fallu créer des écharpes d'honneur ou toute autre distinction civile; mais, outre l'inconvénient de multiplier de pareilles institutions, la sagesse du projet de loi nous paraît démontrée par l'observation suivante.

» La Légion établit un centre d'unité entre les citoyens qui remplissent les emplois civils et militaires; elle atteindra par ce moyen un but très utile. En effet, chacun des divers états de la société prétend avoir des droits de prééminence à la reconnaissance publique; ces prétentions rivales nourrissent des jalousies secrètes, forment un esprit de corps souvent fu

neste la Légion d'Honneur tend à détruire cet esprit de corps et ces prétentions rivales; elle réunit les militaires, les magistrats, les administrateurs, les artistes, les savans les plus distingués. Revêtus de la même distinction, on verra s'établir entre eux une sorte d'égalité fraternelle; et cet heureux système d'union, établi.entre les légionnaires, se propagera sans doute dans la société.

» Telles sont les vues principales qui ont mérité les suffrages du Tribunat au projet de loi qui nous occupe. Les récompenses militaires et civiles nous paraissent organisées dans la Légion d'Honneur d'une manière digne de la grandeur de la nation, proportionnées aux services rendus, et conformes aux lois fondamentales de la République.

» Nous avons approuvé les détails d'exécution comme les bases du projet; nous avons reconnu, dans la composition du grand conseil d'administration, cette marche sage et mesurée, toujours guidée par l'esprit constitutionnel, qui consacre à chaque pas le système représentatif et les grands principes d'ordre civil et politique; nous avons vu, et vous verrez sans doute avec un intérêt d'homme et un orgueil de citoyen, ces quinze asiles hospitaliers ouverts dans les chefs-lieux de cohorte, qui nous promettent quinze établissemens sinon aussi somptueux, du moins aussi utiles que la plus belle des institutions du siècle de Louis XIV.

>> Voilà les présages que le présent offre naturellement à l'avenir, et que justifient deux années de prodiges! Livrezvous, citoyens législateurs, à ces heureux présages; organisez les récompenses militaires et civiles; unis d'intention et d'esprit avec un gouvernement réparateur, continuez jusqu'à la dernière heure de votre session, jusque dans le sein de la nuit, à consolider cette République immortelle, qui depuis six semaines a vu se consacrer dans cette auguste enceinte des lois favorables au crédit, à l'instruction publique; des traités de paix dignes de la grande nation que vous représentez, et des institutions religieuses aussi chères aux besoins des peuples qu'à la tolérance et à la philosophie. Au dessus des alarmes vaines, termincz, comme vous l'avez commencée, la session la plus courte, mais la plus glorieuse, la plus chère à la France; et, de retour dans vos foyers, entourés des bénédictions universelles, vous direz à vos concitoyens nous avons semé des récompenses pour recueillir des vertus!

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J'émets, au nom du Tribunat, son vœu d'adoption sur le projet de loi qui crée une Légion d'Honneur.

DISCOURS prononcé par Roederer, orateur du gouver nement, devant le Corps législatif. Séance du 29 floréal an 10.

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Législateurs, un représentant de la nation disait il y a quelques années ces paroles remarquables :

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« L'art de gouverner les hommes n'est que l'art de s'emparer » de leurs passions et de les diriger vers un but proposé. Une >>femme ordinaire en sait plus là-dessus que ceux qui se mêlent » de donner des lois aux nations.

» Nos assemblées nationales ont manqué le but: elles ont » bien excité les passions; mais elles ne s'en sont pas emparé: » c'est qu'elles ont fait des décrets, ce qui est facile, mais » elles n'ont pas fait d'institutions.

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Faute de savoir diriger les passions, les corps

législatifs furent entraînés par elles. L'avantage de la guerre,

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la plus extraordinaire qu'il y ait eu, sera de former cinq cent mille hommes au » courage, à la patience, à l'abstinence, à la sobriété, à la générosité, à la franchise. Les vertus guerrières sont répu»blicaines; alors il paraîtra peut-être un législateur digne » d'elles. »

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» Ces paroles, écrites dans le temps de la Convention par une illustre victime de la liberté, mon collègue à l'Assemblée constituante, par Rabaut Saint-Étienne, frère du citoyen qui préside cette séance, sont la prédiction et la théorie du projet de loi que le gouvernement a présenté au Corps législatif.

» En effet, citoyens législateurs, quel est le pouvoir des lois civiles et politiques sans le secours des institutions morales?

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La nature des lois est de contenir par l'intérêt; celle des institutions est de conduire par les lumières, les passions, les habitudes. Les institutions morales sont les liens qui lient les hommes aux choses, qui font qu'ils aident au mouvement de la machine sociale; elles mettent en harmonie toutes les passions, toutes les opinions, toutes les habitudes avec tous les intérêts, et entretiennent entre eux et elles une heureuse intelligence l'autorité commande et se fait obéir; les institutions font que l'autorité est souvent prévenue, et que l'obéissance est toujours facile.

» Le gouvernement a embrassé cette année un système suivi d'institutions; et celle qui vous est proposée est la troisième de celles qu'il avait à soumettre à votre sagesse.

» L'instruction publique va se trouver rétablie de la manière la plus favorable à la propagation des lumières : voilà la part

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