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» Il faut nécessairement qu'il y ait une puissance supérieure qui ait droit, dans cette espèce de territoire, de lever tous les doutes et de franchir toutes les difficultés; cette puissance est celle à qui il est donné de peser tous les intérêts, celle de qui dépend l'ordre public et général, et à qui seule il appartient de prendre le nom de puissance dans le sens propre.

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C'est un principe certain que l'intérêt public, dont le gouvernement tient la balance, doit prévaloir dans tout ce qui n'est pas de l'essence de la religion : aussi le magistrat politique peut et doit intervenir dans tout ce qui concerne l'administration extérieure des choses sacrées.

» Il est, par exemple, de l'essence de la religion que sa doctrine soit annoncée; mais il n'est pas de l'essence de la religion qu'elle le soit par tel prédicateur ou par tel autre, et il est nécessaire à la tranquillité publique qu'elle le soit par des hommes qui aient la confiance de la patrie: il est quelquefois même nécessaire à la tranquillité publique que les matières de l'instruction et de la prédication solennelle soient circonscrites par le magistrat; nous en avons plusieurs exemples dans les capitulaires de Charlemagne.

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L'Eglise est juge des erreurs contraires à sa morale et à ses dogmes; mais l'Etat a intérêt d'examiner la forme des décisions dogmatiques, d'en suspendre la publication quand quelques raisons d'état l'exigent, de commander le silence sur des points dont la discussion pourrait agiter trop violemment les esprits, et d'empêcher même dans certaines occurrences que les consciences ne soient arbitrairement alarmées.

» La prière est un devoir religieux; mais le choix de l'heure et du lieu que l'on destine à ce devoir est un objet de police. » L'institution des fêtes, dans leur rapport avec la piété, appartient aux ministres du culte ; mais l'Etat est intéressé à ce que les citoyens ne soient pas trop fréquemment distraits des travaux les plus nécessaires à la société, et que dans l'institution des fêtes on ait plus d'égard aux besoins des hommes qu'à la grandeur de l'Ftre qu'on se propose d'honorer.

» Les articles organiques fixent sur ces objets, et sur d'autres qu'il serait inutile d'énumérer, la part que doit y prendre la puissance publique.

>> La matière des mariages demandait une attention particulière. Anciennement ils étaient célébrés devant le propre curé des contractans, qui était à la fois ministre du contrat au nom de l'Etat, et ministre du sacrement au nom de l'Eglise. Cette confusion dans les pouvoirs différens que l'on confiait à la même personne en a produit une dans les idées et dans les principes. Quelques théologiens ont cru et croient encore qu'il

n'y a de véritables mariages que ceux qui sont faits en face de l'Eglise. Cette erreur a des conséquences funestes : il arrive en effet que des époux, abusés ou peu instruits, négligent d'observer les lois de la République, se marient devant le prêtre sans se présenter à l'officier civil, et compromettent ainsi, par des unions que les lois n'avouent pas, l'état de leurs enfans et la solidité de leurs propres contrats. Il est nécessaire d'arrêter ce désordre, et d'éclairer les citoyens sur un objet duquel dépend la tranquillité des familles.

»En général c'est à la société à régler les mariages; nous en attestons l'usage de tous les gouvernemens, de tous les peuples, de toutes les nations.

» Le droit de régler les mariages est même pour la société d'une nécessité absolue et indispensable; c'est un droit essentiel et inhérent à tout gouvernement bien ordonné, qui ne peut abandonner aux passions et à la licence les conditions d'un contrat le plus nécessaire de tous les contrats, et qui est la base et le fondement du genre humain.

» Nous savons que le mariage n'est pas étranger à la religion, qui le dirige par sa morale, et qui le bénit par un

sacrement.

» Mais les lumières que nous recevons de la morale chrétienne ne sont certainement pas un principe de juridiction pour l'Eglise; sinon il faudrait dire que l'Eglise a droit de tout gouverner, puisqu'elle a une morale universelle qui s'étend à tout, et qui ne laisse rien d'indifférent dans les actes humains. Ce serait renouveler les anciennes erreurs, qui, sur le fondement que toutes les actions avaient du rapport avec la conscience, faisaient de cette relation un principe d'attraction universelle pour tout transporter à l'Eglise.

» Le rapport du mariage au sacrement n'est pas non plus une cause suffisante pour rendre l'Eglise maîtresse des mariages.

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Aujourd'hui même on reconnaît des mariages légitimes qui ne sont pas sanctifiés par le sacrement: tels sont les mariages des infidèles, et de tous ceux qui ont une foi contraire à la foi catholique; tels étaient les mariages présumés, qui étaient si communs avant l'ordonnance de Blois. L'usage de l'Eglise est même de ne pas remarier les infidèles qui se convertissent.

» Le mariage est un contrat qui, comme tous les autres, est du ressort de la puissance séculière, à laquelle seule il appartient de régler les contrats.

» Les principes que j'invoque furent attestés par le chancelier de Pontchartrain dans une lettre écrite, le 3 septembre 1712, au premier président du parlement de Besançon.

Dans cette lettre le chancelier de Pontchartrain, après avoir distingué le mariage d'avec le sacrement de mariage, établit que le mariage en soi est uniquement du ressort de la puissance civile ; que le sacrement ne peut être appliqué qu'à un mariage contracté selon les lois; que la bénédiction nuptiale, appliquée à un mariage qui n'existerait point encore, serait un accident sans sujet, et qu'un tel abus des choses religieuses serait into

lérable.

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» Il est donc évident qu'il doit être défendu aux ministres du culte d'administrer le sacrement de mariage, toutes les fois qu'on ne leur justifiera pas d'un mariage civilement contracté. Après avoir déterminé les rapports essentiels qui existent entre le gouvernement de l'Etat et l'exercice du culte, les articles organiques entrent dans quelques détails sur la discipline ecclésiastique considérée en elle-même, et dans ses rapports avec la religion.

» La majestueuse simplicité des premiers âges avait été altérée par une multitude d'institutions arbitraires; le véritable gouvernement de l'Eglise était devenu méconnaissable au milieu de toutes ces institutions. Depuis longtemps on s'était proposé de réformer l'Eglise dans le chef et dans les membres; mais ces réformes salutaires rencontraient sans cesse de nouveaux obstacles; la voix des prélats vertueux et éclairés était étouffée, et le mal continuait sous les apparences et le prétexte du bien.

» Les circonstances actuelles sollicitent et favorisent le retour aux antiques maximes de la hiérarchie chrétienne.

» Tel est l'ordre fondamental de cette hiérarchie : tous ceux qui professent la religion catholique sont sous la conduite des évêques, qui les gouvernent dans les choses purement spirituelles, avec le secours des prêtres et des autres clercs.

» Les évêques sont tous égaux entre eux quant à ce qui est de l'essence du sacerdoce; il n'y en a qu'un qui soit regardé comme établi de droit divin au-dessus des autres, pour conserver l'unité de l'Eglise, et lui donner un chef visible, successeur de celui que le fondateur même du Christianisme plaça le premier entre ses apôtres.

» Toutes les autres distinctions sont réputées de droit humain et de police ecclésiastique (1); aussi ne sont-elles pas uniformes; elles varient selon les temps et les lieux.

» Dans les premières années de l'établissement du christianisme les apôtres et leurs disciples résidèrent d'abord dans les grandes villes; ils envoyèrent des évêques et des prêtres pour

(1) Fleury, Institut, au droit cccl. Part. 1, chap. 14.

gouverner les églises situées dans les villes moins considérables : ces églises regardèrent comme leurs mères les églises des grandes villes, que l'on appelait déjà métropoles dans le gouvernement politique.

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Lorsqu'une religion naît et se forme dans un état elle suit ordinairement le plan du gouvernement où elle s'établit; car les hommes qui la reçoivent et ceux qui la font recevoir n'ont guère d'autres idées de police que celles de l'Etat dans lequel ils vivent.

» En conséquence, à l'imitation de ce qui se passait dans le gouvernement politique, les évêques des grandes villes, tels que ceux d'Alexandrie, Antioche et autres, obtinrent de grandes distinctions; et il faut convenir que ces distinctions furent utiles à la discipline. On reconnut des églises métropolitaines; les pasteurs qui étaient à la tête de ces églises furent appelés archevêques dans la suite on donna à quelques-uns d'entre eux les noms de patriarche, exarque ou primat; quelquefois un grand pouvoir était attaché à ces titres; quelquefois ces titres étaient donnés sans nouvelle attribution de pouvoir.

» Les noms de patriarche, exarque et autres semblables, furent surtout en usage chez les Grecs. En Occident le titre d'archevéque fut uniformément donné à tous les métropolitains; et si les diverses révolutions arrivées dans les Etats qui se formèrent des débris de l'empire romain donnèrent lieu à l'établissement de plusieurs primats, ce titre ne fut qu'honorifique pour tous ceux qui le porterent, à l'exception du primat archevêque de Lyon, dont la supériorité était reconnue par l'archevêque de Tours, par l'archevêque de Sens, et par celui de Paris, autrefois suffragant de Sens (1).

» L'ancienneté des métropoles et leur évidente utilité pour le maintien de la discipline doivent en garantir la conservation ; mais le judicieux abbé Fleury a remarqué qu'elles avaient été trop multipliées, et qu'on ne les avait souvent érigées que pour honorer certaines villes : il observe qu'elles étaient plus rares dans les premiers siècles, et que leur trop grand nombre est un abus préjudiciable au bien de l'Eglise (2).

>> Dans les premiers temps il y avait un évêque dans chaque ville; dans la suite plusieurs villes ont été sous la direction du même évêque.

» L'étendue plus ou moins grande des diocèses a suivi les changemens et les circonstances qui influaient plus ou moins

(1) Fleury, XVI, ch. 14.

(2) Fleury, Disc. IV, n. 4.

sur leur circonscription: on trouve des diocèses immenses en Allemagne et en Pologne; ils sont plus réduits en Italie; en France on les réunissait ou on les démembrait, selon que des motifs d'utilité publique paraissaient l'exiger. Aujourd'hui les changemens survenus dans les circonscriptions politiques et civiles rendent indispensable une nouvelle circonscription des métropoles et des diocèses dans l'ordre ecclésiastique, car la police extérieure de l'Eglise a toujours plus ou moins de rapport avec celle de l'Empire.

» Pour conserver l'unité il ne faut qu'un évêque dans chaque diocèse.

» Les fonctions essentiellement attachées à l'épiscopat sont connucs les évêques ont exclusivement l'administration des sacremens de l'ordre et de la confirmation; ils ont la direction et la surveillance de l'instruction chrétienne, des prières, et de tout ce qui concerne l'administration des choses spirituelles ; ils doivent prévenir les abus et écarter toutes les superstitions (1).

» Dans les articles organiques on rappelle aux évêques l'obligation qui leur a été imposée dans tous les temps de résider dans leur diocèse, et celle de visiter annuellement au moins une partie des églises confiées à leur soin: cette résidence continue est la vraie garantie de l'accomplissement de tous leurs devoirs.

» Les prêtres et les autres clercs doivent reconnaître les évêques pour supérieurs; car les évêques sont comptables à l'Eglise et à l'Etat de la conduite de tous ceux qui administrent les choses ecclésiastiques sous leur surveillance.

» La division de chaque diocèse en différentes paroisses a été ménagée pour la commodité des chrétiens, et pour assurer partout la distribution des bienfaits de la religion dans un ordre capable d'écarter tout arbitraire et de ne rien laisser d'incertain dans la police de l'Eglise.

» La loi de la résidence est obligatoire pour les prêtres qui ont une destination déterminée, comme pour les évêques.

>> Un des plus grands abus dans la discipline de nos temps modernes prenait sa source dans les ordinations vagues et sans titre, qui multipliaient les prêtres sans fonction, dont l'existence était une surcharge pour l'Etat, et souvent un sujet de scandale pour l'Eglise. Les évêques sont invités à faire cesser cet abus ils seront tenus de faire connaître au gouvernement tous ceux qui se destineront à la cléricature; et ils ne pourront promouvoir aux ordres que des hommes qui puissent offrir par

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(1) Fleury, Instit. au droit ecclés. Part. 1, ch. 12.

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