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les meilleures troupes, les plus fameux généraux de l'Europe fuiront devant vous; la gloire de la nation effacera, adoucira ses malheurs ; vous vous élancerez au delà de toutes vos frontières; vous porterez vos armes en Afrique et en Asie; un homme paraîtra qui viendra terminer tout ce qui restait indécis, calmera les factions, éteindra jusqu'aux haines; l'Europe vous respectera; les rois deviendront vos amis, et les peuples se presseront autour du faisceau de la République...

» Si quelqu'un eût osé tenir ce langage, on l'aurait traité d'insensé; je n'ai fait cependant que vous raconter votre histoire ce qu'il n'était pas permis au génie de prévoir, le peuple français l'a accompli; mais il ne pouvait pas le prévoir lui-même.

Ses ennemis étaient si loin de croire à la probabilité de tels prodiges, qu'ils l'accusèrent de méditer une agression, parce qu'eux-mêmes la désiraient s'ils eussent pu le croire en état de faire la guerre, ils ne lui en auraient pas supposé l'intention. Mais ils furent trompés par leur haine; ils le furent par les rapports de tous ces transfuges qui leur exagéraient les désordres intérieurs de la France et la puissance d'un parti tout prêt à favoriser les entreprises de l'étranger.

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L'étranger viola notre territoire, et son agression fut le signal de ce noble enthousiasme qu'on n'avait pu prévoir. Nos ennemis s'aperçurent que les calculs des passions sont toujours faux : les Français comprirent qu'il est toujours aussi imprudent que honteux d'appeler les étrangers dans des dissensions intérieures.

» Nous les vîmes se diviser tandis que nous nous réunissions; conquérir sans savoir ce qu'ils devaient faire de leurs conquêtes; protéger la famille royale, et ne pas lui permettre d'approcher de ces états que l'on envahissait en son nom; fomenter la révolte, et ne fournir aux révoltés que des armes

pour nuire, et non pas des secours pour réussir ; faciliter à

des Français égarés une invasion dans leur patrie, et les aban

donner dans leur défaite.

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Nous les vîmes tour à tour exiger que la France rappelat son ancienne dynastie, et reconnaître aux Français le droit de se choisir un gouvernement; refuser de traiter avec ce gouvernement sous le prétexte de son instabilité, et employer jusqu'au crime pour le détruire; réclamer le droit des gens, et outrager les ambassadeurs; enlever des représentans du peuple, des ministres, des généraux, que la trahison leur avait livrés; ouvrir des négociations pour la paix, et faire ou laisser assassiner les négociateurs; nous commander la restitution de nos conquêtes, et nous en proposer le partage.

» La République vit successivement diminuer le nombre de ses ennemis, et s'éteindre les passions qu'une lutte si vioFente, si imprévue, avait allumées. Les désastres d'une campagne malheureuse achevèrent de faire sentir aux Français le besoin de la réunion de tous les partis, et la nécessité de confier les rênes du gouvernement à un homme digne de ces grandes circonstances: la gloire le nommait, et la voix du peuple français est toujours d'accord avec la gloire.

» Dès que le nouveau chef de la nation fut installé dans sa magistrature, sa première pensée fut de mettre un terme à sa gloire militaire, et d'en chercher une autre en rendant à sa patrie la paix, les lois, le commerce et les arts.

»Ici commence cette négociation de trois années dont toutes les pièces originales sont sous vos yeux, et dont je me contenterai de faire une analise rapide pour rappeler seulement à votre mémoire ce que chacun de vous a déjà profondément médité.

Analise de la négociation entre la République française et l'Angleterre depuis le 5 nivose an 8.

» Le chef de la République pouvait à bon droit soupçonner les ministres du cabinet britannique de ne pas désirer la cessation d'une guerre que leurs prodigalités et leurs intrigues prolongeaient depuis huit ans ; il pensa qu'il diminuerait leur fatale influence en s'adressant au monarque, et il écrivit directement au roi d'Angleterre, le 5 nívose an 8, pour lui proposer l'ouverture d'une négociation afin de ramener cette paix le premier des besoins, la première des gloires. (1)

» D'abord ce système de communications directes entre les chefs des deux états fut rejeté; le ministère anglais voulut s'en réserver la correspondance, et il répondit « qu'on ne » pouvait espérer la cessation des causes qui avaient néces»sité la guerre en négociant avec ceux qu'une révolution » nouvelle avait si récemment investis du pouvoir en France; >> que c'était à une résistance déterminée qu'on devait la con»servation de l'ordre social en Europe; qu'il fallait, pour espérer quelque avantage réel d'une négociation, que les causes de la guerre eussent disparu, que la résistance ces» sât d'être une nécessité, qu'on vit régner en France de meil» leurs principes; et que le garant le plus naturel et en même temps le meilleur de ce changement se trouverait dans le

>>

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(1) Voyez dans le tome xvu la lettre du premier consul au roi d'Angleterre, et la réponse du lord Grenville.

» rétablissement de cette race de princes qui durant tant de » siècles surent maintenir au dedans la prospérité de la nation

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française, et lui assurer de la considération et du respect » au dehors. Mais, ajoutait-on, quelque déplorable que puisse » être un pareil événement, et pour la France et pour le » monde entier, sa majesté britannique n'y attache pas ex»clusivement la possibilité d'une.pacification solide et du>>rable; elle ne prétend pas prescrire à la France quelle sera » la forme de son gouvernement, ni dans quelles mains elle déposera l'autorité. » (1)

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>> Cette reconnaissance du droit qu'ont les nations de déterminer la forme de leur gouvernement était d'autant plus inévitable que c'est de l'exercice de ce droit que le prince qu'on fait parler ainsi tient sa couronne, Quoique dans cette note on eût affecté d'essayer l'apologie de la guerre plus que d'indiquer les moyens de la terminer, le premier consul fit proposer une suspension d'hostilités et la nomination de plénipotentiaires pour accélérer la négociation. (2)

>> Ces deux propositions furent rejetées : le ministère britannique déclara qu'il concerterait avec ses alliés les moyens d'une négociation immédiate lorsque, dans son jugement, il pourrait être suffisamment pourvu à la sûreté de l'Angleterre et de l'Europe. (3)

» Tel fut le résultat des premières tentatives que le gouvernement français avait faites pour la paix : l'Angleterre rejeta même ces propositions de suspendre les hostilités et de négo

cier.

» La bataille de Marengo servit de réponse à ce refus.

» Le cabinet de Vienne commenca une négociation, et bientôt après celui de Saint-James déclara de son propre mouvement qu'il était disposé à concourir avec l'Autriche aux négociations qui pouvaient avoir lieu pour une pacification générale, et à envoyer des plénipotentiaires aussitôt que l'intention du gouvernement français d'entrer en négociation lui serait connue. (4)

» Les événemens subséquens ont fait voir combien ces dispositions étaient peu sincères; ils démontrent que le ministère britannique a refusé de prendre part aux négociations quand

« Note du lord Grenville du 4 janvier 1800. »

<< Note du ministre des relations extérieures du 28 nivose an 8. »

(3) « Note du lord Grenville du 20 janvier 1800. »

(4) « Note du lord Minto, ambassadeur d'Angleterre à Vienne, du 9 août 1800. »

on lui a proposé de les entamer, et que lorsqu'elles ont été commencées il n'a demandé à y être admis que pour les rompre.

» Le gouvernement français ne refusa pourtant point cette intervention; mais il exigea qu'elle fût précédée d'une cessation d'hostilités entre la France et l'Angleterre; et il le devait puisque la France avait suspendu les forces prêtes à accabler l'allié de la Grande-Bretagne ; il le devait, parce que « l'inter»vention de l'Angleterre compliquait tellement la question » de la paix avec l'Autriche qu'il était impossible de prolonger plus longtemps l'armistice sur le continent, à moins que sa » majesté britannique ne le rendît commun aux trois puis»sances. »> (1)

>>

» Dans la correspondance relative à cet armistice les ministres anglais épuisèrent tous ces moyens qui prouvent moins le désir de faire la paix que celui de recommencer la guerre avec plus d'avantage ils refusèrent et l'armistice que le gouvernement français avait proposé pour traiter en commun, et de traiter séparément sous les conditions d'armistice qu'eux-mêmes avaient offertes. (2)

:

» La bataille d'Hohenlinden répondit à ces refus.

» La paix avec l'empereur fut conclue à Lunéville; et si le gouvernement anglais n'y intervint pas, ce fut parce qu'il n'avait pas voulu y concourir avec son allié lorsque celui-ci était dans une position moins désavantageuse.

» A l'instant où l'on signait ce traité, une révolution s'opérait dans le cabinet britannique, et les nouveaux ministres, qui succédaient aux partisans de la guerre, cherchaient à se concilier la bienveillance publique en provoquant l'ouverture d'une nouvelle négociation. (3)

» Il était naturel de ne pas l'entreprendre au milieu des événemens militaires, qui changent inopinément les circonstances. On demanda une suspension d'hostilités (4).

>> Elle fut refusée (5).

» Le gouvernement britannique fit des propositions qu'il ne prit pas même le soin de signer, et par lesquelles, en indiquant ce qu'il offrait de rendre de ses conquêtes, il voulait retenir Malte, Ceylan, la Trinité, la Martinique, Tabago, Demerari, Berbice, Essequibo, et tous les états conquis sur

« Note du citoyen Otto du 17 fructidor an 8. » « Note du citoyen Otto du 24 fructidor an 8. » (3) « Note du lord Hawkesbury du 21 mars 1801. » (4) « Note du citoyen Otto du 12 germinal an 9. » « Note du lord Hawkesbury du 2 avril 1801. »

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Tipoo-Saib (1); on demandait (2) que la France évacuât Nice, tous les états du roi de Sardaigne; que le grand duc de Toscane fût rétabli, et que le reste de l'Italie recouvrât son ancienne indépendance. Ce n'était qu'à ces dernières conditions qu'on offrait l'évacuation de l'île de Malte.

» Ces demandes furent le sujet d'une longue correspondance. D'abord, quant à la Martinique, le gouvernement même n'était pas autorisé à accéder à la cession d'une partie intégrante du territoire français, et en second lieu cette île n'avait pas été conquise, mais livrée (3). Quant à Malte, le premier consul fit représenter au gouvernement anglais « qu'une île de plus ou de » moins ne pouvait être une raison suffisante pour prolonger » les malheurs du monde. » Il proposa de restituer cette île à l'ordre, d'en faire raser les fortifications (4).

» Le ministère anglais déclara que « si le gouvernement français voulait admettre un arrangement raisonnable rela»tivement aux Indes orientales, S. M. Britannique était prête » à entrer dans des explications ultérieures relativement à l'île » de Malte, et désirait sérieusement de concerter les moyens » de faire pour cette île un arrangement qui la rendît indé-pendante de la Grande-Bretagne et de la France. » (5)

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La restitution de cette île à l'ordre fut convenue peu de temps après dans les conférences entre les deux négociateurs (6). Le ministre anglais proposa de la mettre sous la garantie et la protection d'une autre puissance, d'inviter la Russie à y envoyer une garnison, en ajoutant que sa proposition tendait à écarter tout motif de jalousie à ce sujet (7). Dans une note subséquente il proposa que cette île fût mise sous la garde de toute autre puissance (8).

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» Pendant ces négociations les armées de la République réunies à celles du roi d'Espagne, avaient conquis une province du Portugal. Cet événement avait amené de nouvelles propositions, et l'on finit par conclure, le 9 vendémiaire an io, les préliminaires de la paix, dont l'article 4 porte « que l'île de »Malte avec ses dépendances sera évacuée par les troupes

(1) « Aperçu écrit de la main du lord Hawkesbury, page 52 du recueil des pièces officielles. »

(2) « Note du lord Hawkesbury du 25 juin 1801. »

(3) « Note du citoyen Otto du 4 thermidor an 9. » (4) Idem.

(5) « Note du lord Hawkesbury du 5 août 1801. »

(6) «Page 79.du recueil des pièces officielles. >>

(7) «Procès verbal d'une conférence tenue le 20 fructidor an 9 entre

lord Hawkesbury et le citoyen Otto. »

(8) Note du lord Hawkesbury du 22 septembre 1801. »>

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