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» Avant d'avoir reçu cette réponse l'ambassadeur anglais demanda des passeports.

» Le premier consul ne se départit point encore du système de modération qu'il avait suivi dans toute cette négociation. Il fit proposer à l'ambassadeur britannique de remettre Malte sous la garde de l'une des puissances garantes du traité d'Amiens, l'Autriche, la Prusse ou la Russie (1).

>> On avait d'autant plus droit de s'attendre à voir cette proposition acceptée, que le gouvernement anglais lui-même l'avait faite des le 20 fructidor an 9; aussi, pour la refuser, s'est-il contenté de dire que cette proposition était impraticable par le refus de l'empereur de Russie de s'y prêter (2).

>> Quand ce refus de la Russie aurait été réel, les deux autres puissances garantes, c'est à dire l'Autriche ou la Prusse, auraient pu fournir à l'île de Malte la garnison qu'on leur demandait; mais était-il possible que le 20 floréal ( 10 mai ) on eût connaissance de la détermination de la cour de Pétersbourg sur une proposition faite à Paris six jours auparavant ? Et que put répondre le ministre anglais lorsque, le jour même de sa déclaration, on vit arriver de Pétersbourg une lettre par laquelle l'empereur de Russie manifestait « avec une énergie » particulière la peine qu'il avait éprouvée d'apprendre la >> résolution où était sa majesté britannique de garder Malte; » renouvelait les assurances de sa garantie, et faisait con>> naître qu'il accepterait la demande de sa médiation si les deux puissances y avaient recours...!»

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L'ambassadeur s'est contenté d'offrir au gouvernement français un moyen de masquer la cession définitive de cette île, en stipulant ostensiblement que les Anglais l'occuperaient jusqu'à ce qu'ils eussent pu former un établissement à Lampedouse, qui n'en est guère susceptible, et en signant un article secret par lequel la France s'engagerait à ne pas les requérir d'évacuer Malte avant dix ans (3).

» Mais cette disposition, pour être secrète, n'en était pas moins honteuse; le traité n'en était pas moins violé; et il faut remarquer que dans ce traité le cabinet britannique avait soin de faire naître une prétention de plus, une difficulté nouvelle, en exigeant une provision territoriale convenable pour le roi de Sardaigne en Italie.

» Ces propositions n'ont pas été acceptées; elles ne pouvaient

(1) « Note du ministre des relations extérieures du 14 floréal

an 11. >>

(2) « Note du lord Whitworth du 4 mai 1803. »

(3) « Projet d'articles remis par le lord Whitworth le 10 mai 1803. »

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l'être; et l'ambassadeur anglais exigeait qu'elles le fussent dans trente-six heures. Il est parti.

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Français, c'est un langage nouveau pour vous que ce langage impérieux du cabinet britannique! Ces demandes hautaines, ces formes insolites et ces assertions fausses, ces propositions qu'on ne daigne pas même signer, ce terme fatal qu'on prescrit à vos délibérations, voilà donc le respect que vos victoires vous ont acquis dans l'Europe! Désormais vous ne pouvez plus accepter l'alliance d'une nation, lui fournir le secours de vos troupes, rétablir la paix chez vos voisins, faire une conquête, un échange de territoire, sans que l'Angleterre vienne vous dire que vous n'êtes plus dans l'état où vous étiez lorsque vous avez traité avec elle; qu'il faut que vous renonciez à ce que vous avez acquis, ou qu'elle exige une garantie de ses possessions, garantie qu'elle ne demande que parce qu'elle vous croit hors d'état de les attaquer! Elle trace autour de vous le cercle de Popilius.

» Quelque étrange que soit cet excès d'orgueil et d'impudence, il est une chose plus étonnante encore, c'est l'impassibilité, c'est la modération, l'extrême modération du gouvernement français. Pour la justifier il ne faut pas moins que toute sa gloire.

» Mais cette modération est le calme de la force. Imitons-la, et, sans nous appesantir sur des insultes dont je vous ai épargné la moitié, examinons avec autant d'impartialité qu'il nous sera possible les griefs réciproques de l'Angleterre et de la France.

Examen des griefs réciproques de l'Angleterre et de la France.

» Les ministres britanniques n'ont pas énoncé formellement les griefs qu'ils avaient à alléguer; on est forcé de les deviner et de croire qu'ils ont voulu qualifier ainsi deux faits qui sont répétés plusieurs fois dans leurs diverses notes.

» Le premier est l'impression du rapport d'un officier français envoyé en Egypte. La réponse à cette plainte se trouve dans la note de notre ambassadeur du 7 germinal dernier. « Un >> colonel de l'armée anglaise a imprimé en Angleterre un » ouvrage rempli des plus atroces et des plus dégoûtantes >> calomnies contre l'armée française et son général. Les men» songes de cet ouvrage ont été démentis par l'accueil fait au >>> colonel Sébastiani. La publicité de son rapport était en même » temps une réfutation et une réparation que l'armée française » avait le droit d'attendre.

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» Le second fut à ce qu'il paraît le séjour de nos troupes

en Hollande, l'intervention de la France dans les affaires de la Suisse, les changemens survenus en Italie.

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Le séjour de nos troupes en Hollande est le résultat d'un ancien traité que nous avions avec cette puissance. Nos troupes y étaient, et même en plus grand nombre, à l'époque du traité d'Amiens, et le traité ne parle que de l'évacuation du royaume de Naples et de l'Etat romain. Au reste le gouvernement français a annoncé que cette demande n'était susceptible d'aucune difficulté.

» L'intervention de la France dans les affaires de la Suisse n'avait pas été prévue, parce qu'on ne devait pas s'attendre à voir éclater une guerre civile dans ce pays. Nos troupes l'occupaient au mois de germinal an 10, époque où le traité fut conclu, et elles nous y donnaient une influence contre laquelle le gouvernement britannique ne crut pas alors devoir réclamer. Le traité ne portait rien à cet égard; par conséquent il n'en résultait aucune obligation pour nous par rapport à l'Angleterre. Depuis nos troupes ont été retirées de l'Helvétie, et ce pays a payé bien cher l'avantage de se garder lui-même, puisque la guerre civile y a éclaté aussitôt. S'il était possible que cette guerre eût une autre cause que les divisions qui existaient entre les citoyens, serait-on en droit de reprocher au gouvernement français une médiation que les instigateurs de ces troubles civils avaient rendue nécessaire? Quel a été d'ailleurs le résultat de cette médiation? D'arrêter l'effusion du sang, et de procurer à la Suisse un gouvernement qu'elle désirait. Ce gouvernement est-il plus analogue que l'autre aux intérêts de la France ? Il n'y a point de raison de le croire. Plus les Suisses seront ramenés à leurs anciennes habitudes, plus ils formeront d'états particuliers, moins ils seront susceptibles d'éprouver l'influence de leurs voisins.

» Transportons-nous en Italie. Tout ce qui s'y est fait est antérieur au traité : une république nouvelle s'était constituée; une autre avait changé son organisation; le roi de Sardaigne s'était démis de ses états du Piémont ; la famille qui régnait à Parme avait préféré à ses anciennes possessions le trône d'Etrurie. Tous ces événemens étaient si évidemment antérieurs aux négociations Amiens, que durant ces négociations on avait proposé au plénipotentiaire anglais de reconnaître la nouvelle existence politique de ces divers états: il s'y était refusé, et ce refus imprudent obligea le ministre français à lui faire sentir que par là le cabinet britannique s'interdisait le droit de prendre part à tout ce qui concernait ces états, et que le refus de reconnaître ces puissances les obligerait à chercher leur sûreté dans une plus étroite alliance avec la République fran

çaise. Il n'est donc pas exact de dire que la France soit aujour d'hui dans un autre état de possession que celui où elle était à l'époque du traité d'Amiens, à moins qu'on ne veuille parler des conquêtes qu'elle a abandonnées; et l'on ne peut fonder sur un accroissement de puissance qui n'existe pas la demande légitime d'une compensation.

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» Passons maintenant à l'examen des griefs de la France, et parmi ces griefs dédaignons de compter les injures méprisables que les folliculaires ont écrites, et que le gouvernement a tolérées. Le ministère britannique n'a pas nié ces griefs; mais il s'est déclaré dans l'impossibilité de les réprimer. Cette excuse donne la certitude qu'il les approuvait d'abord une partie de ces insultes étaient commises par des étrangers, et les étrangers sont sous la main du gouvernement; les indigènes euxmêmes peuvent être réprimés par l'autorité lorsqu'ils compromettent l'intérêt national et la décence publique, et il y en a plusieurs exemples. Apparemment que les ministres n'ont pas cru que des outrages propres à exciter l'indignation de la France pussent compromettre la sûreté de la nation anglaise.

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L'asile, la protection, le traitement accordés à des hommes dangereux, signalés par le gouvernement français; ce rassemblement de plusieurs d'entre eux à Jersey, l'introduction dans nos départemens de leurs écrits et de leurs machines, ce débarquement d'une bande étrangère sur notre territoire, sont des faits qu'on ne peut qualifier que de violation manifeste du droit gens; et ces faits peuvent-ils être douteux, lorsque le roi d'Angleterre déclare que moyennant qu'on lui accorde la souveraineté de Malte il promettra de prendre des mesures pour que les hommes qui, sur les différens points de l'Angleterre, ourdissent des trames contre la France, soient efficacement réprimés? Eh! quelle sainteté pourrait avoir cette promesse, de plus que celle signée un an auparavant? « Les parties con» tractantes apporteront la plus grande attention à maintenir une parfaite harmonie entre elles et leurs états, sans per» mettre que de part ni d'autre on commette aucune sorte d'hostilités par terre ou par mer, pour quelque cause et sous quelque prétexte que ce puisse être; elles éviteront soigneu>>sement tout ce qui pourrait altérer à l'avenir l'union heureusement rétablie, et ne donneront aucun secours ni protec» tion, soit directement ou indirectement, à ceux qui vou>>draient porter préjudice à aucune d'elles. »

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Quoi! il ne suffit pas du droit des il ne suffit gens, du texte d'un traité solennel; il faut encore l'île de Malte au roi d'Angleterre pour faire ce que la loyauté commande, et ce qu'il a juré! Il faut l'avouer, c'est ici une distraction incon

XVIII.

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cevable des rédacteurs du cabinet britannique; elle est aussi précieuse que leur notification du refus de l'empereur de Russie, démentie à l'instant par une lettre de ce souverain. Quelle est donc la malheureuse condition des hommes, de voir leur fortune, leur repos, leur vie, dépendre de ces petites et perverses combinaisons!

» Le gouvernement anglais a reproché à celui de France l'accroissement de la puissance de la République depuis le traité d'Amiens: nous venons de démontrer la fausseté de cette assertion, et le cabinet britannique n'avait pas besoin qu'on l'en avertît. Quel a pu donc être son objet en nous faisant ce reproche ? D'en prévenir un autre, sans doute, un autre qui serait bien autrement fondé, celui d'avoir envahi d'immenses états dans les Indes. Que dis-je! il ne craint pas ces reproches; il les provoque; et en témoignage des faits que je vais citer je n'appellerai que ses orateurs.

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«La première fois que les Anglais parurent dans les Indes » orientales ils s'y montrèrent comme des marchands sans ambition, jaloux seulement d'étendre leur commerce, satis» faits de pouvoir le faire en liberté, et ne pensant pas même » à une domination territoriale. Il n'y a pas bien longtemps » encore que leurs possessions dans cette partie du monde » étaient comptées pour peu de chose: un rocher nu à Terre» Neuve était d'une plus grande importance aux yeux du public » que la restitution de Madras, assurée par le traité d'Aix-laChapelle. »>

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» C'est ainsi que s'exprimait le docteur Lawrence au milieu du parlement d'Angleterre (1). Il ajoutait : « Bientôt nous acquîmes dans l'Inde une domination immense. Que nos >> droits à cette domination fussent fondés ou non dans le principe, il fallut au moins empêcher les Français et les » Hollandais de s'en emparer. »

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» Demandez à M. Dundas sur quels titres la puissance des Anglais dans l'Inde est fondée; il répond (2): « Il est vrai que » nous reçûmes des concessions de ceux qui depuis huit siècles avaient passé pour les souverains légitimes de toute la péninsule; mais c'était uniquement pour caresser les préjugés des naturels du pays. Quant aux nations européennes, nous leur dirons : nous avons conquis cet empire par la force » de nos armes; c'est par la force de nos armes que nous le

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» conserverons. »

(1)

« Séance de la chambre des communes du 12 mai 1802. Moniteur du 8 prairial an 10. » (2)« Ibid. »

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