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» On va voir si c'est uniquement à la force de ses armes que l'Angleterre doit toutes ses acquisitions.

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Après la guerre que les Anglais avaient faite à Hyder-Aly, et qui finit en 1769, ils lui garantirent, par le traité signé à cette époque, toutes ses possessions même acquises (1); et quelques années après ils conclurent avec le Nizam et les Marattes un traité pour le partage de ses états.

» Bientôt le fils de ce prince a eu trois guerres à soutenir contre la compagnie anglaise, et, après avoir été forcé d'abandonner la moitié de ses possessions, il a vu envahir le reste, et a du moins su mourir glorieusement sous les ruines de sa capitale. C'est là une conquête immense; mais les divisions excitées entre les princes, au mépris de l'acte du parlement de la vingtquatrième année du règne de George III, c'est à dire de 1784, qui défend à la compagnie de prendre aucune part aux querelles des princes indiens, d'entrer même avec eux dans aucun traité offensif ou de garantie; la destruction continuelle du plus faible par le plus fort, la part exigée dans le partage de ses possessions, enfin toutes les violations les plus odieuses du droit de la nature et des gens, sont-ce là de glorieuses conquêtes ?

» Bientôt sans doute les Anglais jouiront d'un autre spectacle que leur vanité trouvera peut-être flatteur : ils verront le fils du nabab du Carnate demander justice de la déposition de son père, de l'envahissement de ses états; ils recevront les supplications des princes de la famille du dernier nabab d'Arcot, qui implorent une captivité moins rigoureuse.

Mais ces malheureux princes veulent-ils savoir quel sera le résultat de cette ostentation de justice? Qu'ils écoutent un orateur de la chambre des communes (2) déclarer d'avance qu'il regarde tout ce qui s'est passé dans le Carnate comme » entièrement conforme à l'équité la plus rigoureuse, et qu'il

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n'y trouve rien qu'il ne voulût avouer.

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» En effet, il ne s'agit que d'avouer une invasion dans le palais d'un allié, sa mort subite, la supposition d'une correspondance, l'arrestation de sa famille, la proposition faite au fils de conserver la dignité de son père en abandonnant ses revenus, son armée, et jusqu'à l'exercice de l'autorité administrative et judiciaire dans ses états; la déposition de ce prince adolescent en punition de son refus, sa captivité, sa mort, celle de son beau-père, et celle d'un vieillard vénérable "

(1)« Discours du lord Porchester à la chambre des pairs, séance du 11 avril 1791. Moniteur du 25 avril 1791. »

(2) «M. Wallace, séance du 11 juin 1802. »

assez courageux pour lui conseiller de préférer la mort à la

honte.

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Il sera beau de voir plaider solennellement une pareille cause, et de comparer la prétendue trahison du nabab avec cette lettre du gouverneur général de l'Inde, en date du 21 octobre 1801, au comité secret de la cour des directeurs, dans laquelle, après avoir félicité le comité sur l'acquisition du Carnate, il s'exprime en ces termes : «< C'est pour moi une grande satisfaction d'avoir enfin rempli un objet désiré depuis si longtemps avec inquiétude par l'honorable com>pagnie, et qui m'avait été recommandé particulièrement par » la cour des directeurs lorsqu'on me fit l'honneur de me cou»férer cette place importante. >>

» Voilà donc l'explication de cette correspondance de trahison imputée au dernier nabab du Carnate, prétexte de la compagnie pour s'emparer de la souveraineté de cet empire! La compagnie, vous l'avez entendu, désirait depuis longtemps et avec inquiétude les états de son ancien allié.

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» On établira sans doute « qu'il est juste de dépouiller l'hé>> ritier de ce trône en punition de crimes imputés à son aïeul. Quand on examinera les preuves qui constatent la réalité de >> ces crimes, il faudra savoir qui les a découverts; on répon» dra que c'est le gouvernement de l'Inde : qui sont les accu»sateurs; le gouvernement de l'Inde qui sont les témoins; » le gouvernement de l'Inde qui sont les juges; le gouverne>>ment de l'Inde: au profit de qui tournera le châtiment ; au

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profit du gouvernement de l'Inde. »

Ce n'est pas moi qui parle ici; c'est un orateur du parlement d'Angleterre (1); je me plais à lui rendre cette justice. Mais quelque odieuses que paraissent ces usurpations, elles n'en sont pas moins profitables; elles ne changent pas moins l'état de possession où était l'Angleterre à l'époque de la paix. Leur effet devrait donc être d'interdire au cabinet britannique tout reproche pareil s'il y en avait à adresser à la France, et d'autoriser au contraire les réclamations de la République contre un excès de puissance qui compromet en Asie la dignité de toutes les nations.

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Examen des conditions proposées, et des résultats de la guerre par rapport à l'Angleterre et à la France.

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Cependant ce mépris du droit des gens, ces trames ourdies en Angleterre contre la tranquillité de la France et contre

(1) « M. Sheridan, »

son gouvernement, ces usurpations du territoire de quelques princes sans défense, ce prodigieux accroissement qui dans un demi-siècle a changé un comptoir de commerce en un vaste empire, tout cela n'aurait peut-être point compromis la paix si le cabinet britannique ne l'eût voulu. Mais l'a-t-il voulu positivement, constamment ? C'est ce qu'il est presque impossible à la raison humaine de décider. Vous le voyez se plaindre des retards d'une négociation qu'il n'a pas commencée ; faire des préparatifs formidables pour repousser un armement qui n'existe pas; bloquer un port, et ne pas en bloquer un autre ; refuser de rendre le cap de Bonne-Espérance, et évacuer l'Egypte; refuser de rendre Malte, et promettre d'évacuer le cap de Bonne-Espérance; rétracter ensuite cette promesse, puis revenir sur sa rétractation; proposer l'indépendance de Malte, en exiger la propriété, s'en désister, la redemander encore, vouloir enfin la garder dix ans.

» Telles sont les irrésolutions d'un ministère qui, déjà en possession de l'objet qu'il voulait conserver, pouvait dans la négociation garder la défensive, et qui a pris l'offensive sans paraître avoir aucun objet déterminé.

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Que demande-t-il aujourd'hui à la République ? De violer à la fois un traité solennel et son intérêt, d'offenser les puissances garantes, de justifier les plaintes des autres états, qu'elle sacrifierait. Et pourquoi la République y consentirait-elle ? Pour accroître la puissance de la Grande-Bretagne.

» Je ne veux point ici provoquer une indignation trop naturelle, et je vais comparer, avec les conditions qu'on nous impose, la paix qu'à ce prix on veut bien nous permettre d'espérer.

>> Je commence par oublier que ces conditions sont inadmissibles en ce qu'elles ne dépendent pas de la France. Je suppose que les puissances qui sont intervenues au traité, soit comme contractans, soit comme garans, ne mettront aucun obstacle à son infraction; je suppose que le roi de Naples se prêtera à tous les sacrifices qu'on exigera de lui, et qu'il ne trouvera point de protecteur; et je me transporte au moment où les conditions dictées par l'ambassadeur anglais auront été signées.

L'Angleterre aura Malte pour dix ans, et Lampedouse pour toujours. La France aura la paix, elle jouira de la paix, c'est à dire de son commerce, si la nation anglaise, en la menaçant de la guerre, ne vient pas encore lui prescrire des conditions onéreuses; elle jouira d'une libre navigation si les Anglais ne la soumettent pas au droit humiliant qu'ils exercent déjà sur tant d'autres puissances; elle jouira de la paix, mais elle

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ne jouira pas de la considération de l'Europe; et dans quelque temps, lorsque l'Europe se sera reposée de ses efforts récens, lorsque les armées de la République seront moins aguerries le cabinet britannique ne manquera pas de lui susciter des ennemis sur le continent. Cependant l'Angleterre possédera l'un des meilleurs ports, l'une des plus belles forteresses du monde; de cette position elle maîtrisera le commerce de la Méditerranée; elle observera le Levant, et sera prête à profiter des premières occasions pour l'envahir.

>> On se demande : Malte vaut-il la guerre ?

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Non pas pour les Anglais, sans doute, parce qu'ils ont beaucoup d'autres moyens de conserver une grande prépondérance sur les mers. D'ailleurs que propose aujourd'hui le gouvernement français à l'Angleterre? Ce qu'elle a elle-même demandé dès le commencement des négociations. Quelle était cette demande ? De remettre l'île de Malte à la Russie ou à une autre puissance. Sur quoi insiste le premier consul? Sur la nécessité de laisser cette île indépendante des deux états. L'Angleterre a-t-elle reconnu la nécessité de cette indépendance? Elle en a exprimé le désir dans plusieurs de ses notes. Que veut-elle aujourd'hui ? La possession de Malte. Quel sacrifice fait-elle pour la garder? Celui de la paix. Quelle importance y ajoute-t-elle ? Vous allez l'entendre. Lorsqu'il fut question du traité de paix au parlement d'Angleterre, les ministres, le lord Nelson s'attachèrent à démontrer que tout ce qui importait à la Grande-Bretagne c'était d'empêcher que cette position restât à la France; qu'elle n'était pas favorable pour surveiller le port de Toulon; qu'elle ne servirait que médiocrement au commerce des Anglais dans le Levant; qu'enfin l'entretien de sa garnison et de ses fortifications coûterait annuellement quatre cent mille livres sterling. Si tout cela est sincère, quel est donc le véritable motif de cette rupture? Quant à la France, elle ne peut accorder Malte à l'Angleterre parce qu'il y va de l'honneur d'abord, et puis de l'existence de l'empire turc et du commerce de la Méditerranée.

» On a offert à l'Angleterre ce que de tout temps elle a dit être le seul objet désirable. Que lui a-t-on refusé? Ce qui ne nous appartenait pas. Qu'exige-t-elle ? Vous avez entendu ce qu'on vous propose.

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L'Angleterre se croit sans doute revenue au temps où ces rois, qui, suivant son expression, faisaient si bien respecter notre nation au dehors, signaient les traités de commerce qu'elle avait dictés, comblaient nos ports parce qu'elle l'ordonnait, et payaient un commissaire anglais pour mieux constater notre humiliation par sa présence.

» A cette paix si dangereuse opposons la supposition de l'état de guerre. Les objets que le commerce nous apporte de l'Inde et de l'Amérique n'arriveront que difficilement, et augmenteront de prix; mais si ces denrées, qu'on peut appeler de luxe, deviennent plus rares pour nous, les denrées de première nécessité, le pain, doubleront de prix en Angleterre. Notre commerce pourra être intercepté; mais celui de nos ennemis aura moins de débouchés. Nous conserverons ou nous reprendrons des positions qui peuvent nous faciliter l'attaque ou la défense. Les puissances du continent qui ont signé ou garanti le traité d'Amiens n'en approuveront pas sans doute l'infraction; elles ne pourront pas blâmer les prétentions de la France, puisqu'elle ne demande rien; elles ne pourront voir sans inquiétude le système de domination d'une puissance usurpatrice. Le continent enfin évitera, nous devons le croire, de rallumer une guerre générale pour favoriser l'ambition du gouvernement anglais. Quelle sera l'attitude des deux puissances belligérantes? L'une fera voltiger ses vaisseaux autour de nos côtes sans oser y aborder à cet égard votre sécurité est parfaite; on ne conçoit pas même la possibilité d'une entreprise ; et si au moment où je parle on venait vous apprendre que les Anglais ont opéré un débarquement sur nos côtes, quel est celui de vous qui ne voudrait qu'on leur laissât faire de grands pas dans le continent pour être plus certain de leur entière destruction? Comparez l'impression que ferait ici cette nouvelle à l'alarme que répandrait en Angleterre l'arrivée d'une armée française, dont le passage est plus difficile sans doute, mais dont l'effet serait bien plus terrible. Nous sommes les maîtres de conquérir les états que le roi d'Angleterre possède sur le continent, et si nous mettons le pied dans son île la puissance anglaise est renversée : elle ne peut nous faire que de légères blessures; nous pouvons l'atteindre au cœur.

» Une armée de quatre cent mille hommes, si bien aguerrie, est prête à s'élancer sur le territoire d'une nation rivale, et ce gouvernement, qui a peu de troupes de terre, se verra obligé de porter une grande partie de sa population sur ses côtes pour attendre notre débarquement : la presse excite déjà de violens murmures; la milice achevera le mécontentement. Le séjour d'une grande armée sur les côtes sera nécessairement fort dispendieux pour nos ennemis, tandis qu'il ne nous occasionnera aucun surcroît de dépenses. Enfin, il est probable que la France termine cette guerre en un jour, et on ne peut dire combien il faudrait d'années pour obliger la France à demander la paix.

>>Ces considérations n'échapperout pas sans doute aux membres du parlement britannique qui ne partagent pas les passions de

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