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le trésor public, mais avec des formes prescrites et dans une mesure déterminée.

Tout à coup une masse de traites (quarante-deux millions) a été créée à Saint-Domingue sans l'aveu du gouvernement, sans proportion avec les besoins actuels, sans proportion avec les besoins à venir. Des hommes sans caractère les ont colportées à la Havane, à la Jamaïque, aux Etats-Unis ; elles y ont été partout exposées sur les places à de honteux rabais, livrées à des hommes qui n'avaient versé ni argent ni marchandises, ou qui ne devaient en fournir la valeur que quand le paiement en aurait été effectué au trésor public. De la un avilissement scandaleux en Amérique, et un agiotage plus scandaleux en Europe.

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» C'était pour le gouvernement un devoir rigoureux d'arrêter le cours de cette imprudente mesure, de sauver à la nation les pertes dont elle était menacée, de racheter surtout son crédit par une juste sévérité.

>> Un agent du trésor public a été envoyé à Saint-Domingue, chargé de vérifier les journaux et la caisse du payeur général; de constater combien de traites avaient été créées, par quelle autorité et sous quelle forme; combien avaient été négociées, et à quelles conditions; si pour des versemens réels; si sans versemens effectifs; si pour éteindre une dette légitime; si pour

des marchés simulés.

» Onze millions de traites, qui n'étaient pas encore en circulation, ont été annulés : des renseignemens ont été obtenus sur les autres.

» Les traites dont la valeur intégrale a été reçue ont été acquittées avec les intérêts du jour de l'échéance au jour du paiement; celles qui ont été livrées sans valeur effective sont arguées de faux, puisque les lettres de change portent pour argent versé, quoique le procès-verbal de paiement constate qu'il n'a rien été versé : elles seront soumises à un sévère examen. Ainsi le gouvernement satisfera à la justice qu'il doit aux créanciers légitimes, et à celle qu'il doit à la nation, dont il est chargé de défendre les droits.

>> La paix était dans les vœux comme dans l'intérêt du gouvernement il l'avait voulue au milieu des chances encore incertaines de la guerre ; il l'avait voulue au milieu des victoires. C'est à la prospérité de la République qu'il avait désormais attaché toute sa gloire. Au dedans il réveillait l'industrie, il encourageait les arts, il entreprenait ou des travaux utiles ou des monumens de grandeur nationale : nos vaisseaux étaient dispersés sur toutes les mers, et tranquilles sur la foi des traités ; ils n'étaient employés qu'à rendre nos colonies à la France et

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au bonheur; aucun arinement dans nos ports, rien de menaçant sur nos frontières.

» Et c'est là le moment que choisit le gouvernement britannique pour alarmer sa nation, pour couvrir la Manche de vaisseaux, pour insulter notre commerce par des visites injurieuses, nos côtes et nos ports, les côtes et les ports de nos alliés par la présence de forces menaçantes! Si, au 17 ventose de l'an 11, il existait aucun armement imposant dans les ports de France et de Hollande, s'il s'y exécutait un seul mouvement auquel la défiance la plus ombrageuse pût donner une interprétation sinistre, nous sommes les agresseurs; le message du roi d'Angleterre et son attitude hostile ont été commandés par une légitime prévoyance, et le peuple anglais a dû croire que nous menacions son indépendance, sa religion, sa constitution.

» Mais si les assertions du message étaient fausses, si elles étaient démenties par la conscience de l'Europe comme par la conscience du gouvernement britannique, ce gouvernement a trompé sa nation; il l'a trompée pour la précipiter sans délibération dans une guerre dont les terribles effets commencent déjà à se faire sentir en Angleterre, et dont les résultats peuvent être si décisifs sur les destinées futures du peuple anglais. Toutefois l'agresseur doit seul répondre des calamités qui pèsent sur l'humanité.

>> Malte, le motif de cette guerre, était au pouvoir des Anglais : c'eût été à la France d'armer pour en assurer l'indépendance, et c'est la France qui attend en silence la justice de l'Angleterre ; et c'est l'Angleterre qui commence la guerre, et qui la commence sans la déclarer.

» Dans la dispersion de nos vaisseaux, dans la sécurité de notre commerce, nos pertes devaient être immenses; nous les avions prévues, et nous les eussions supportées sans découragement et sans faiblesse: heureusement elles ont été au-dessous de notre attente. Nos vaisseaux de guerre sont rentrés dans les ports de l'Europe; un seul, qui depuis longtemps était condamné à n'être qu'un vaisseau de transport, est tombé au pouvoir de l'ennemi.

» De deux cents millions que les croiseurs anglais pouvaient ravir à notre commerce, plus des deux tiers ont été sauvés ; nos corsaires ont vengé nos pertes par des prises importantes, et les vengeront par de plus importantes encore.

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Tabago, Sainte-Lucie étaient sans défense, et n'ont pu que se rendre aux premières forces qui s'y sont présentées; mais nos grandes colonies nous restent, et les attaques que les ennemis ont hasardées contre elles ont été vaines.

» Le Hanovre est en notre pouvoir; vingt-cinq mille hommes des meilleures troupes ennemies ont posé les armes et sont restés prisonniers de guerre: notre cavalerie s'est remontée aux dépens de la cavalerie ennemie, et une possession chère au roi d'Angleterre est entre nos mains le gage de la justice qu'il sera forcé de nous rendre.

>>

Chaque jour le despotisme britannique ajoute à ses usurpations sur les mers. Dans la dernière guerre il avait épouvanté les neutres en s'arrogeant, par une prétention inique et révoltante, le droit de déclarer des côtes entières en état de blocus dans cette guerre il vient d'augmenter son code monstrueux du prétendu droit de bloquer des rivières, des fleuves.

» Si le roi d'Angleterre a juré de continuer la guerre jusqu'à ce qu'il ait réduit la France à ces traités déshonorans que souscrivirent autrefois le malheur et la faiblesse, la guerre sera longue. La France a consenti dans Amiens à des conditions modérées; elle n'en reconnaîtra jamais de moins favorables; elle ne reconnaîtra surtout jamais dans le gouvernement britannique le droit de ne remplir de ses engagemens que ce qui convient aux calculs progressifs de son ambition, le droit d'exiger encore d'autres garanties après la garantie de la foi donnée. Eh! si le traité d'Amiens n'est point exécuté, où seront, pour un traité nouveau, une foi plus sainte et des sermens plus sacrés?

» La Louisianne est désormais associée à l'indépendance des Etats-Unis d'Amérique. Nous conservons là des amis que le souvenir d'une commune origine attachera toujours à nos intérêts, et que des relations favorables de commerce uniront longtemps à notre prospérité.

» Les Etats-Unis doivent à la France leur indépendance; ils nous devront désormais leur affermissement et leur grandeur.

>>

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L'Espagne reste neutre.

L'Helvétie est rassise sur ses fondemens, et sa constitution n'a subi que les changemens que la marche du temps et des opinions lui a commandés : la retraite de nos troupes atteste la sécurité intérieure et la fin de toutes ses divisions. Les anciennes capitulations ont été renouvelées, et la France a retrouvé ses premiers et ses plus fidèles alliés.

» Le calme règne dans l'Italie. Une division de l'armée de la République italienne traverse en ce moment la France pour aller camper avec les nôtres sur les côtes de l'Océan. Ces bataillons y trouveront partout des vestiges de la patience, de la bravoure et des grandes actions de leurs ancêtres.

» L'empire Ottoman, travaillé par des intrigues souter

raines, aura, dans l'intérêt de la France, l'appui que d'antiques liaisons, un traité récent et sa position géographique lui donnent droit de réclamer.

» La tranquillité, rendue au continent par le traité de Lunéville, est assurée par les derniers actes de la diète de Ratisbonne l'intérêt éclairé des grandes puissances, la fidélité du gouvernement à cultiver avec elles les relations de bienveillance et d'amitié, la justice, l'énergie de la nation et les forces de la République en répondent.

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DISCOURS adressé au premier consul par le président du Corps législatif, Fontanes, à la tête d'une députation chargée de porter des félicitations au gouvernement sur la situation de la République (1). - Le 1er plu

viose an 12.

«Citoyen premier consul, le tableau de notre situation intérieure est celui de vos bienfaits.

» Le Corps législatif vous remercie, au nom du peuple français, de tant d'utiles travaux commencés en faveur de l'agriculture et de l'industrie, et que la guerre n'a point interrompus. L'habitude des grandes idées fit négliger quelquefois aux esprits supérieurs les détails de l'administration: la postérité ne vous adressera point ce reproche. La pensée et l'action de votre gouvernement sont partout à la fois, et dans les campagnes, fécondées par ces canaux qu'on achève ou qu'on prépare, et dans les cités, qui s'embellissent de nouveaux monumens, et dans les arsenaux militaires, et dans les ateliers paisibles des arts, et dans les camps, et dans les ports, et dans les asiles où repose la vieillesse de nos guerriers, et dans les écoles où s'instruit la jeunesse de leurs successeurs, et dans les hôpitaux, qui rassemblent toutes les misères humaines, et dans les temples, où elles sont toutes consolées.

» Ainsi les fondemens de la société se relèvent en moins de temps qu'ils n'ont été détruits. Des lois sages vont former les

(1) Cette députation avait été nommée le 25 nivose, sur la proposition de Viennot-Vaublanc, faite après la lecture de l'Exposé de la situation de la République ; elle fut composée ainsi que le prescrivait l'article 34 du sénatus-consulte du 28 frimaire an 12. Fontanes portait la parole au consul pour la première fois en qualité de président, et pour la seconde comme orateur de députation du Corps législatif. (Nous avons mentionné plus haut, après le sénatus-consulte du 28 frimaire, la nomination de Fontanes à la présidence.)

mœurs; les mœurs maintiendront les lois; l'autorité des opinions religieuses affermira les lois et les mœurs.

» Tout se perfectionne; les haines s'éteignent, les oppositions s'effacent ; et, sous l'influence victorieuse d'un génie qui entraîne tout, les choses, les systèmes et les hommes qui paraissaient le plus éloignés se rapprochent, se confondent, et servent de concert à la gloire de la patrie. Les habitudes anciennes et les habitudes nouvelles se mettent d'accord on conserve tout ce qui doit maintenir l'égalité des droits civils et polititiques; on reprend tout ce qui peut accroître la splendeur et la dignité d'un grand empire.

» Ces bienfaits, citoyen premier consul, sont l'ouvrage de quatre années. Tous les/rayons de la gloire nationale, qui pâlissaient depuis cent ans, ont repris un éclat qu'ils n'avaient point eu jusqu'à vous.

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L'appareil de la guerre ne trouble pas cette sécurité que nous vous devons. Votre âme semble avoir passé dans celle de tous les Français : un siècle de gloire peut suivre un moment de danger, et c'est assez pour qu'ils soient invincibles. Je ne sais quel sentiment de confiance et d'audace s'est emparé de la nation, et fait taire les alarmes : ce que le présent a déjà manifesté nous défend de craindre ce que l'avenir nous cache encore; il est permis de tout oser à celui qui sait tout prévoir. » Les sentimens que je vous exprime sont ceux du Corps législatif tout entier; c'est par un mouvement unanime qu'il a voté la députation dont je suis l'interprète.

» Il se félicite d'une nouvelle organisation qui lui permet de communiquer plus immédiatement avec vous. Tour à tour il s'approchera du chef de l'Etat pour les intérêts de la nation, et de la nation pour les intérêts d'un gouvernement digne d'elle. Des formes plus imposantes ne donneraient pas au Corps législatif une dignité qu'il n'aurait point eue par lui-même; il la doit depuis longtemps à son zèle pour la patrie. C'est par la sécurité générale que peut s'accroître la majesté de ses délibérations: c'est par la prospérité publique que vous préparerez l'amour et le respect des lois sur lesquelles il va délibérer. »

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