Page images
PDF
EPUB

XI.

DU COMPLOT DE GEORGES, PICHEGRU, ETC.

RAPPORT au premier consul, par le grand juge ministre de la justice (Régnier); communiqué le 27 pluviose an 12 ( 17 février 1804) au Sénat, au Corps législatif et au Tribunat.

[ocr errors]

Citoyen premier consul, de nouvelles trames ont été ourdies par l'Angleterre; elles l'ont été au milieu de la paix qu'elle avait jurée; et quand elle violait le traité d'Amiens c'était bien moins sur ses forces qu'elle comptait que sur le succès de ses machinations.

» Mais le gouvernement veillait: l'œil de la police suivait tous les pas des agens de l'ennemi; elle comptait les démarches de ceux que son or ou ses intrigues avaient corrompus.

[ocr errors]

Déjà sans doute on s'imaginait à Londres entendre l'explosion de cette mine qu'on avait creusée sous nos pas; on y semait du moins les bruits les plus sinistres, et l'on s'y repaissait des plus coupables espérances.

»Tout à coup les artisans de la conspiration sont saisis; les preuves s'accumulent, et elles sont d'une telle force, d'une telle évidence, qu'elles porteront la conviction dans tous les esprits.

[ocr errors]

Georges et sa bande d'assassins étaient restés à la solde de l'Angleterre; ses agens parcouraient encore la Vendée, le Morbihan, les côtes du Nord, et y cherchaient en vain des partisans que la modération du gouvernement et des lois leur avait enlevés.

[ocr errors]

Pichegru, dévoilé par les événemens qui précédèrent le 18 fructidor an 5, dévoilé surtout par cette correspondance que le général Moreau avait adressée au Directoire, Pichegru avait porté en Angleterre sa haine contre sa patrie.

» En l'an 8 il était avec Willot à la suite des armées ennemies pour se rallier aux brigands du midi.

» En l'an 9 il conspirait avec le comité de Bareuth.

[ocr errors]

Depuis la paix d'Amiens il était encore le conseil et l'espoir des ennemis de la France.

» La perfidie britannique associe Georges à Pichegru, l'infâme Georges à ce Pichegru que la France avait estimé, qu'elle avait voulu longtemps croire incapable d'une trahison.

» En l'an 11 une réconciliation criminelle rapproche Pichegru et le général Moreau, deux hommes entre lesquels l'hon

neur devait mettre une haine éternelle. La police saisit à Calais un de leurs agens au moment où il retournait pour la seconde fois en Angleterre cet homme est sous sa main avec toutes les pièces qui constatent la réalité d'un raccommodement inexplicable alors si les nœuds n'en avaient pas été formés par le crime.

» A l'arrestation de cet agent, le général Moreau paraît un moment agité; il fait des démarches obscures pour s'assurer si le gouvernement est instruit; mais tout se tait, et lui-même, rendu à sa tranquillité, il tait au gouvernement un événement qui a droit d'alarmer sa surveillance; il le tait lors même que Pichegru est appelé publiquement aux conseils du ministère britannique, lorsqu'il s'unit avec éclat aux ennemis de la

France.

» Le gouvernement ne voulait voir dans son silence que la crainte d'un aveu qui l'aurait humilié, comme il n'avait vu dans son éloignement de la chose publique, dans ses liaisons équivoques, dans ses discours plus qu'indiscrets, que de l'humeur et un vain mécontentement.

» Le général Moreau, qui devait être suspect puisqu'il traitait secrètement avec l'ennemi de sa patrie, qui, sur ce soupçon plus que légitime, eût été arrêté à toute autre époque, jouissait tranquillement de ses honneurs, d'une fortune immense, et des bienfaits de la République. Cependant les événemens se pressent: Lajollais, l'ami, le confident de Pichegru, va furtivement de Paris à Londres, revient de Londres à Paris, porte à Pichegru les pensées du général Moreau, rapporte au général Moreau les pensées et les desseins de Pichegru et de ses associés. Les brigands de Georges préparent dans Paris même tout ce qui est nécessaire à l'exécution des projets

communs.

>> Un lieu est assigné entre Dieppe et Tréport, loin de toute inquiétude et de toute surveillance; où les brigands de l'Angleterre, conduits par des vaisseaux de guerre anglais, débarquent sans être aperçus; où ils trouvent des hommes corrompus pour les recevoir, des hommes payés pour les guider pendant la nuit de stations en stations convenues, et les amener jusqu'à Paris.

» A Paris des asiles leur sont ménagés dans des maisons louées d'avance, où sont des gardiens affidés; ils en ont dans plusieurs quartiers, dans plusieurs rues; à Chaillot, dans la rue du Bac, dans le faubourg Saint-Marceau, dans le Marais. » Un premier débarquement s'est opéré; c'était Georges avec huit de ses brigands.

[ocr errors]

Georges retourne sur les côtes pour assister au débarque

ment de Coster Saint-Victor (condamné par le jugement rendu sur l'affaire du 3 nivose) et de dix autres brigands.

» Dans les premiers jours de ce mois un troisième débarquement a lieu; c'est Pichegru, Lajollais, Armand-Gaillard, frère de Raoul, Jean-Marie, un des premiers affidés de Georges, et quelques autres brigands de cette espèce. Georges, avec Joyau, dit d'Assas, Saint-Vincent, et Picot, dit le Petit, allèrent au devant de ce troisième débarquement; la réunion se fit à la ferme de la Poterie.

» Un quatrième débarquement est attendu; les vaisseaux sont en vue; mais les vents contraires les empêchent d'approcher il y a peu de jours encore qu'ils faisaient les signaux de reconnaissance.

>>

Georges et Pichegru arrivent à Paris; ils sont logés dans la même maison, entourés d'une trentaine de brigands auxquels Georges commande; ils voient le général Moreau; on connaît le lieu, le jour, l'heure où la première conférence s'est tenue. Un second rendez-vous était convenu, et ne s'est pas réalisé. Un troisième, un quatrième ont eu lieu dans la maison même du général Moreau.

» Cette présence de Georges et de Pichegru à Paris, ces conférences avec le général Moreau sont constatées par des preuves incontestables et multipliées. Les traces de Georges et de Pichegru sont suivies de maison en maison : ceux qui ont aidé à leur débarquement; ceux qui, dans l'ombre de la nuit, les ont conduits de poste en poste; ceux qui leur ont donné asile à Paris, leurs confidens, leurs complices, Lajollais, leur principal intermédiaire, le général Moreau sont arrêtés; les effets et les papiers de Pichegru sont saisis, et la police suit ses traces avec une grande activité.

[ocr errors]

L'Angleterre voulait renverser le gouvernement, et par ce renversement opérer la ruine de la France, et la livrer à des siècles de guerres civiles et de confusion. Mais renverser un gouvernement soutenu par l'affection de trente millions de citoyens, et environné d'une armée forte, brave, fidèle, c'était une tâche à la fois au dessus des forces de l'Angleterre et de celles de l'Europe; aussi l'Angleterre ne prétendaitelle y parvenir que par l'assassinat du premier consul, et en couvrant cet assassinat de l'ombre d'un homme que défendait encore le souvenir de ses services.

[ocr errors]

Je dois ajouter que les citoyens ne peuvent concevoir aucune inquiétude la plus grande partie des brigands est arrêtée; le reste en fuite, et vivement poursuivi par la police. Aucune classe de citoyens, aucune branche de l'administration n'est atteinte par aucun indice, par aucun soupçon.

» Je ne donnerai point de plus amples développemens dans ce rapport; vous avez vu toutes les pièces; vous ordonnerez que toutes soient mises sous les regards de la justice.

>>

DISCOURS du Sénat en corps au premier consul; orateur, Bertholet, vice président. — Du 28 pluviose an 12.

[ocr errors]

Citoyen premier consul, lorsque le Sénat se réunit auprès de vous il n'a ordinairement qu'à vous offrir des actions de grâces pour la gloire à laquelle vous élevez la République, et pour la sagesse et la vigilance de votre administration.

[ocr errors]

Aujourd'hui il est amené par la profonde indignation dont l'a pénétré le complot qui vient d'être découvert, et dont l'Angleterre a soudoyé les agens.

» Il est affligeant pour l'humanité de voir les chefs d'une nation s'avilir au point de commander l'assassinat : ils sont donc bien faibles puisqu'ils se condamnent à tant d'infamie!

» Le Sénat a vu avec douleur au nombre des accusés l'un des plus illustres défenseurs de la patrie la gravité des inculpations et des circonstances nécessitait impérieusement les mesures qui ont été prises à son égard. Vous avez fait ce qu'exige la sûreté individuelle des citoyens par le renvoi des accusés devant les tribunaux.

» Le vœu du Sénat, citoyen premier consul, est qu'écoutant moins un courage qui méprise tous les dangers vous ne portiez pas seulement votre attention sur les affaires publiques, mais que vous en réserviez une partie pour votre sûreté personnelle, qui est celle même de la patrie.

[ocr errors]

DISCOURS du Tribunat en corps au premier consul; orateur, Jatibert, président. ( Le même jour. )

་་

Citoyen premier consul, lorsque nous pensions n'avoir plus à redouter pour vous que les glorieux dangers d'une guerre juste, la perfidie du gouvernement anglais vous enveloppait de nouvelles embûches. Quel humiliant aveu de son impuissance à combattre à armes ouvertes le génie restaurateur de le France! quel témoignage éclatant des rapports intimes qui lient à vos jours le salut de la République et la tranquillité de l'Europe!

» Le Tribunat, que tant de motifs et de sentimens attachent à votre personne, citoyen premier consul, vient vous exprimer la part que tous les citoyens prennent à vos périls, qui deviennent pour chacun d'eux des périls personnels.

» A votre existence est attachée celle de plusieurs millions d'hommes; elle seule peut préserver la France des désastres

d'une guerre civile, et des calamités d'une nouvelle révolution. C'est notre indépendance, notre gloire, notre repos, que l'on voulait détruire en frappant une seule tête! C'est de tous les Français qu'il s'agit bien plus que de vous-même : déjà vous avez pour plusieurs siècles de gloire, et nous avons à peine goûté quatre ans de sécurité.

>>> Ah! que ces dangers, qui portent l'alarme dans tous les cœurs, soient à jamais écartés par tous les moyens que fournissent les lois à un gouvernement aussi fort que juste! par tous ceux qu'il trouvera encore dans l'amour d'un grand peuple, qui forme les vœux les plus ardens pour conserver jusqu'aux termes les plus éloignés de la vie le chef qui lui a rendu sa considération au dehors, la paix au dedans, et dont l'existence, la mémoire et les desseins lui seront à jamais chers, respectables et sacrés! >>

DISCOURS du Corps législatif au premier consul; orateur de la députation, Fontanes, président. ( Le méme jour.)

[ocr errors]

Citoyen premier consul, les premiers corps de l'Etat vous portent aujourd'hui les témoignages d'un dévouement que vous exprimerait toute la nation si elle pouvait se rassembler autour de vous. Les alarmes n'ont point été renfermées dans les enceintes du gouvernement et des autorités qui l'environnent; l'oeil qui aurait pu pénétrer dans le secret de chaque famille y aurait vu la même consternation en est-il une seule où vous n'ayez séché quelques larmes! Toutes vous doivent au moins le repos, et savent que ce premier des biens ne peut leur être garanti que par vous seul. Ainsi donc ceux qui s'arment contre vous s'arment contre un peuple entier! Trente millions de Français, frémissant pour une vie où leurs espérances sont attachées, se lèvent la défendre!

[ocr errors]

pour

Quel Français en effet, quel homme sage veut retourner en arrière? Qui se rengagera dans ces routes déjà traversées avec tant d'efforts et tant de larmes, où tous les partis, quels qu'ils soient, ne trouveraient que des écueils semés encore de leurs débris!

» Oui, citoyen premier consul, j'en atteste toute la France, elle ne voit son salut que dans vous; elle ne veut reprendre dans l'ordre des choses passées que ce qui sera jugé par vous-même utile et nécessaire à l'ordre présent; elle ne peut se fier à l'avenir qu'en y voyant croître le germe des institutions que vous avez préparées.

» Un grand exemple doit être donné. Une poignée de bri

« PreviousContinue »