Page images
PDF
EPUB

» Dans tous les tribunaux de cette nature le gouvernement nomme cinq juges nouveaux; dans celui de Paris il devrait en outre, aux termes de la loi du 18 pluviose an 9, article 4, en choisir trois sur les douze qui sont attachés au tribunal criminel.

» Ainsi le gouvernement se serait trouvé obligé de créer au moment même, et pour juger les prévenus de conspiration, un tribunal entier, d'en désigner tous les membres.

» De plus, les jugemens de ce tribunal ne sont pas sujets à cassation, et cette espèce de recours est un droit précieux quelquefois pour les accusés.

» Le sentiment qui a retenu le gouvernement, sénateurs, semblable à celui qui a fait rejeter l'idée d'une commission militaire, et comme lui favorable aux prévenus, n'a pas plus besoin de développemens que d'apologie; il est du nombre de ceux qui, pour les cœurs droits et les âmes grandes, sont motivés aussitôt que conçus, justifiés aussitôt qu'indiqués.

» Ainsi l'embarras du gouvernement n'est pas né du silence de la loi, de l'impossibilité d'assurer le cours de la justice, de la difficulté de donner des juges aux prévenus, enfin de l'impuissance d'agir.

» Plusieurs moyens, vous le voyez, sont à sa disposition et sa volonté seule, fondée sur des motifs nobles, libéraux, généreux, en a suspendu, arrêté, empêché l'usage.

» S'il a répugné toutefois à traduire les prévenus devant une commission militaire, devant un conseil de guerre, devant un tribunal spécial, il n'a pas dû se décider non plus à les renvoyer devant les tribunaux ordinaires et devant les jurés.

» Je ne rappellerai pas ici, sénateurs, les réflexions, les doléances même que le premier tribunal de la nation a remises entre les mains du gouvernement, ni les faits nombreux et affligeans qui déposent de la sagesse de ces réflexions, de la justice de ces plaintes, et de la nécessité de prévenir les malheurs qu'elles reprochent au passé, et dont elles menacent

l'avenir.

» A Dieu ne plaise que j'accuse l'institution du juri des atteintes que les jurés ont trop souvent portées à la propriété, à la justice, à la sûreté des citoyens et de la République!

» Mais en ce moment, où un cabinet étranger verse au sein de la France le crime avec impudence et l'or avec profusion, où il a préparé pour chaque partie de nos frontières maritimes, comme pour le centre de l'empire, une cargaison de brigands et de sicaires armés de tous les moyens de séduction, d'embauchage et de corruption, faut-il laisser juger leurs criminels. agens, et ceux qu'ils auraient séduits, embauchés, corrompus,

par des jurés pris au hasard sur le théâtre même de leurs forfaits, et au risque de faire prononcer sur le crime pár ses fauteurs, sur la trahison par des traftres?

» Sans doute ils sont en petit nombre; mais ils existent : ils ne constituent pas une faction dans l'Etat; mais ils forment des bandes dans quelques départemens, dans quelques cités.

» Ils donnent asile dans le Morbihan, les Deux-Sèvres, le Nord, la Lys, la Somme, l'Eure, la Seine, à ces misérables que la justice suit sans les atteindre, dont pour elle l'existence est toujours démontrée, et l'asile encore inconnu. Et où ëii serait la République s'il y avait une seule chance pour que les complices des assassins pussent devenir leurs juges?

>>

Que deviendrait-elle si même, sans être appelés par le sort à cette éminente fonction de jurés, ils pouvaient, sur d'autres jurés qu'eux, pris au hasard, mais désignés d'avance, exercer cette corruption faneste et redoutable dont le cabinet de Saint-James prodigue les moyens, cette corruption devant laquelle la sûreté de l'Etat pouvait s'anéantir?

»Et devons-nous douter que le gouvernement qui consent à payer au double prix de son or et de son honneur des crimes si importans, si utiles pour lui, ne payât bien cher aussi l'impunité de ceux qu'il emploie, et la conservation dé leur existence, destinée à recommencer sans cesse les forfaits qu'ils espèrent, et les malheurs que nous redoutons?

>> Nous ne pouvons nous le dissimuler, sénateurs, dans les temps d'orages politiques, qui ne sont pas entièrement apaisés, ou de troubles religieux, dont heureusement l'époque est déjà loin de nous, les citoyens en général, ceux-là mêmes dont la conscience est pure et le cœur droit, peuvent rarement voir sans prévention, réfléchir sans préjugé, prononcer sans partialité; et ce n'est pas à la décision d'hommes que le sort peut choisir à la fois dépourvus d'instruction, privés de lumières, susceptibles de prévention ou de séduction, qu'on doit remettre le jugement d'un attentat tramé contre la sûreté de la République, et le soin d'en prévenir de nouveaux par l'action impartiale et sévère d'une justice éclatante.

» Ce n'est ni par des hommes qui peuvent être favorables aux conspirateurs, ni par des hommes qui peuvent être prévenus contre eux qu'il faut les faire juger : l'Etat doit être à l'abri des dangers d'une indulgence funesté, et les accusés à l'abri des dangers d'une sévérité aveugle.

» C'est d'après les réflexions que je viens de présenter, réflexions à la rapidité desquelles votre sagesse ajoutera toutes les idées qui en sont les conséquences, que le gouvernement a arrêté le projet de sénatus-consulte que je vous apporte.

1

» Il évité tous les inconvéniens que redoutait la sagesse du gouvernement; il fait pour les prévenus, par sa décision, plus que la législation à laquelle le gouvernement avait la faculté de les soumettre; il assure à la justice la plénitude de son cours, aux accusés l'impartialité de la décision, la lenteur des formes tutélaires, la liberté complète de leur défense, le droit de se pourvoir en cassation; à la nation la publicité des débats, la solennité de l'instruction.

» Les juges qui prononceront, nommés d'avance, exerçant des fonctions irrévocables, indépendans par leurs principes, estimés pour leur moralité, dignes de confiance par leur caractère, respectés par l'opinion publique, donnent à la fois à l'Etat et aux accusés toutes les garanties que les accusés et l'Etat peuvent désirer.

[ocr errors]

La suspension du juri pourrait être absolue aux termes du sénatus-consulte du 16 thermidor: le gouvernement a cru devoir ne vous la proposer qu'à l'égard des crimes pour lesquels un tribunal nouveau, cette haute cour qui manque à notre législation, serait nécessaire, et remplir ainsi momentanément le vide qui existe dans nos institutions judiciaires.

» Sénateurs, les fonctions que le gouvernement exerce en ce moment, celles auxquelles il est forcé de vous appeler vousmêmes, sont affligeantes sans doute; mais elles font partie de ses devoirs et des vôtres; et au milieu de tous ceux qu'impose le salut du peuple, quand il en est de douloureux, c'est dans la conscience de les avoir remplis avec justice, avec impartialité, mais avec courage, que le magistrat digne de ce nom trouve l'adoucissement de ses peines, le prix de ses sacrifices, et la consolation de ses regrets. »

RAPPORT fait au Sénat, séance tenante ( 6 ventose an 12), sur le projet de senatus-consulte tendant à suspendre les fonctions du juri dans toute la République; par Abrial, organe d'une commission spéciale.

« Un grand attentat était préparé contre les jours du premier consul. En attaquant sa vie c'était la ruine même du peuple français que l'on se proposait; c'était la dissolution du gouvernement, les horreurs de la guerre civile que l'on méditait. Jalouse de notre prospérité et de notre gloire, et craignant les suites désastreuses de la guerre injuste qu'elle a provoquée, l'Angleterre n'a pas craint de se souiller d'un assassinat; ses vaisseaux ont vomi sur nos côtes, et son or salarie des hordes de brigands qui devaient porter une main sacrilége sur le héros et le soutien de la France. A l'annonce de ce danger nous avons

qu'il

tous frémi. Que l'ennemi en effet se montre à découvert ! s'avance avec ses nombreuses flottes! Nos invincibles légions sauront en garantir nos rivages. Mais que faire contre l'assas→ sinat? Comment se prémunir contre le poignard? Quel est le code des nations civilisées qui jamais ait autorisé un semblable genre d'attaque? Il ne reste donc qu'à punir et réprimer par une justice prompte et sévère les traîtres qui ont osé ou oseraient encore entrer dans un complot aussi infâme. C'est pour arriver à ce but nécessaire que le sénatus-consulte vous est proposé.

» Il veut, comme vous l'avez entendu, que les fonctions du juri soient suspendues pendant le cours de l'an 12 et de l'an 13 dans tous les départemens de la République pour le jugement des crimes de trahison, attentat contre la personne du premier consul, et autres contre la sûreté intérieure et extérieure de la République; que les tribunaux criminels soient à cet effet orga nisés conformément aux dispositions de la loi du 23 floréal an 10, sans préjudice du pourvoi en cassation.

» Il s'agit de connaître d'abord quelle est cette organisation donnée aux tribunaux criminels conformément aux disposi→ tions de la loi du 23 floréal en 10;

» 2°. D'examiner si le Sénat a des pouvoirs suffisans pour décréter la suspension du juri et l'organisation de ces tribu

naux ;

»3o. S'il y a lieu à prescrire cette mesure.

» Première question. La loi du 23 floréal an 10, qui a principalement pour objet le crime de faux, veut que, dans les villes où il y a un tribunal criminel et un tribunal civil de première instance, le président et deux juges de chacun de ces tribunaux forment le tribunal, et, en cas d'empêchement des uns et des autres, ils soient respectivement remplacés par leurs suppléans ordinaires (article 3); que, dans les lieux où il n'y a qu'un tribunal criminel, le président, les juges et leurs suppléans s'adjoignent, pour compléter le nombre de six juges, un ou plusieurs hommes de loi pris parmi ceux que le premier consul aura désignés à cet effet. ( Ibid. )

» Ainsi les tribunaux criminels organisés conformément à la loi du 23 floréal an 10 ne sont autre chose que les tribunaux criminels eux-mêmes, auxquels s'adjoint le tribunal civil.

» Les juges ne sont donc point des hommes étrangers aux tribunaux, ni choisis et nommés pour juger une affaire particulière, comme dans les commissions et les conseils de guerre; ce sont les juges naturels qui se réunissent, des juges préexistans, inamovibles, indépendans du gouvernement.

» La loi du 18 pluviose an 9 a créé des tribunaux spéciaux pour la répression des crimes de vagabondage, des vols sur les grandes routes, etc.

» Ces tribunaux spéciaux sont composés du président et des deux juges du tribunal criminel, de trois militaires ayant au moins le grade de capitaine, et de deux citoyens ayant les qualités pour être juges. Ces derniers, ainsi que les trois militaires, sont désignés par le premier consul.

» On voit la différence qui existe entre ces tribunaux spéciaux et ceux qui sont organisés conformément à la loi du 23 floréal an 10.

» Ce ne sont point des militaires et des étrangers choisis par le premier consul qui sont adjoints dans notre espèce au tribunal criminel; c'est un autre tribunal, le tribunal civil. Le premier consul n'a aucune influence dans cette formation, si ce n'est dans un cas unique, celui où il n'y aurait dans une ville qu'un tribunal criminel, et point de tribunal civil: alors, pour se former, le tribunal criminel prend ses suppléans, qui sont au nombre de deux, et, pour avoir le sixième juge, choisit un homme de loi parmi ceux que le premier consul aura désignés à cet effet.

» Il est bon d'observer qu'il existe à peine en France deux ou trois villes dans lesquelles il y ait un tribunal criminel sans tribunal civil : il est bon d'observer en outre qu'à Paris le tribu nal criminel n'a pas besoin de s'adjoindre le tribunal civil ; il trouve dans ses membres le nombre suffisant pour constituer le tribunal voulu par la loi du 23 floréal.

» La composition des tribunaux que présente le projet de sénatus-consulte écarte donc toute idée d'arbitraire, de commission, de choix parmi les jugés ; ce sont les juges ordinaires qui jugent sous les yeux du public, et qui ne sont pas moins jaloux dans ces sortes d'affaires de mériter la confiance et l'estime de leurs concitoyens que dans toutes les autres.

» La forme d'instruire et de procéder, d'après la loi du 23 floréal an 10, laisse à la défense des accusés la plus grande latitude: les témoins sont mis en face de l'accusé; le débat est public.

>>> Le commissaire du tribunal criminel donne ses conclusions; un défenseur officieux fait ensuite valoir tous les moyens qu'il croit favorables à l'accusé.

» C'est après cette instruction publique et solennelle que prononce le tribunal. Les juges sont au nombre de six ; il faut quatre voix pour condamner.

»Si l'on compare cette forme d'instruire et de procéder avec celle qui a lieu dans les commissions militaires et les conseils de guerre, on reconnaîtra qu'elle est bien plus avantageuse aux

« PreviousContinue »