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» Les catastrophes qui frappent les rois sont communes à leurs familles, ainsi que l'étaient leur puissance et leur bonheur; l'incapacité qui abandonne leurs têtes à la foudre des révolutions s'étend sur leurs proches, et ne permet pas de leur rendre le timon échappé à des mains trop débiles: il fallut que, après les avoir repris, la Grande-Bretagne chassât les enfans de Charles Ier.

» Le retour d'une dynastie détrônée, abattue par le malheur moins encore que par ses fautes, ne saurait convenir à une nation qui s'estime. Il ne peut y avoir de transaction sur une querelle aussi violemment décidée.

>> Si la révolution nous a fatigués, n'aurions-nous d'autres moyens, lorsqu'elle est arrivée à son terme , que de nous replacer sous un joug brisé depuis douze années?

»Si la révolution a été sanglante, n'en sont-ils pas coupables ceux qui attisèrent parmi nous les fureurs de la démagogie et de l'anarchie; qui, s'applaudissant à mesure qu'ils nous voyaient nous déchirer, espéraient nous ressaisir comme un proie affaiblie par ses propres morsures? Ne sont-ils pas coupables ceux qui, portant de contrée en contrée leurs ressentimens et leur vengeance, excitèrent cette coalition qui a coûté tant de pleurs et de sang à l'humanité, gémissante? Ils vendaient aux puissances, dont ils s'étaient fait les cliens, une partie de cet héritage dans lequel ils les conjuraient de les rétablir. Et maintenant ne redoublent-ils pas d'efforts auprès de ce gouvernement leur antique ennemi autant que le nôtre, et qui, trahissant leur cause tout en nous combattant, ne les repla~ cerait sur le trône, s'il en avait le pouvoir, que comme ces impuissans nababs de l'Inde dont il a fait ses vassaux?

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Parlerai-je de ces dernières trames, de ces machinations, de ces essais répétés d'assassinat, dont la malveillance la plus prononcée est forcée de rougir, mais qu'elle ne peut nier? Est-ce ainsi que l'on fait revivre des droits que tant d'événemens ont annulés? Non ;. c'est ainsi qu'on en efface jusqu'aux dernières traces.

Détournons les yeux de ce triste tableau, et, revenant aux leçons de l'expérience et de l'histoire, voyons dans le passé une image moins vive, mais non moins fidèle du présent.

» De grands hommes fondent ou rétablissent des empires; ils transmettent à leurs héritiers leur gloire et leur puissance. Le gouvernement se perpétue paisiblement dans leur famille tant qu'elle produit des sujets capables, et que de bonnes et fortes institutions aident ou suppléent les talens.

» Lorsque les institutions s'affaiblissent, et que la famille dégénérée ne peut plus soutenir le poids des affaires publiques,

XVIII.

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une autre famille s'élève. C'est ainsi que l'empire français a vu les descendans de Mérovée remplacés par ceux de Charlemagne, et ces derniers par ceux de Hugues Capet. C'est ainsi que les mêmes causes et des événemens à peu près semblables, car rien 'n'est nouveau sous le soleil, nous amènent une quatrième dynastie. La troisième n'avait pas eu d'autres titres ni de plus grands droits.

» Nous possédons un homme auquel s'applique ce que Montesquieu a dit de Charlemagne (1): «Jamais prince » ne sut mieux braver les dangers, jamais prince ne les sut » mieux éviter; il se joua de tous les périls, et particulièrement » de ceux qu'éprouvent presque toujours les grands conquérans, je veux dire les conspirations.

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Quand Pepin, dit encore Montesquieu, fut couronné » ce ne fut qu'une cérémonie de plus et un fantôme de moins. Il n'acquit rien là par des ornemens; que il n'y eut rien de changé dans la nation.» (2)

>>

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» Quand les successeurs de Charlemagne perdirent la suprême puissance, Hugues Capet tenait les deux clefs du royaume « On lui déféra une couronne qu'il était seul en état de défendre. (3)

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>> Nous sommes dans les mêmes circonstances. Qu'on ne se trompe pas en regardant comme une révolution ce qui n'est qu'une conséquence de la révolution: nous la terminerons; rien ne sera changé dans la nation; nous passerons d'un gouvernement au même gouvernement (4); si ce n'est qu'avec un titre plus conforme à notre grandeur, plus analogue à celui dont les autres peuples ont décoré leurs chefs, il acquerra la force de la perpétuité, et la sécurité de l'avenir autant qu'il est au pouvoir des hommes de s'en rendre maîtres par de sages précautions.

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DISCOURS du tribun Carrion-Nisas. Séance du 11 floréal an 12.

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Tribuns, je ne saurais dissimuler que c'est en partie un mouvement personnel qui m'a porté à prendre la parole après tant d'orateurs distingués.

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Souffrez que je vous rappelle en effet combien de fois poussé par une conviction intime, j'ai clairement insinué comme nécessaires ces mêmes mesures que réclame aujourd'hui si hautement le peuple français.

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Naguère, frémissant encore du coup qui nous avait tous menacés, faisons en sorte, m'écriai-je, qu'un tel coup soit désormais inutile, et que le profit du crime ne balance pas la honte de l'attentat!

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Si nous ne cherchons pas, disais-je dans une autre occasion, à nous rendre propres les dons que la providence nous a faits, elle se retirera de nous; si nous ne méditons pas profondément les vérités gravées sur la tombe des siècles, bientôt notre liberté n'aura été qu'un essai malheureux, notre grandeur qu'une prétention injurieuse, notre gloire enfin qu'un rêve magnifique.

» Dès l'époque de votre délibération sur le concordat je montrais comme un événement vulgaire dans l'histoire, comme l'issue la plus favorable des révolutions d'un grand empire, l'élévation d'une race nouvelle et plus énergique au rang abandonné par une dynastie dégénérée.

» Je me félicite d'avoir vu mes voeux devenir si promptement des espérances, mes espérances des certitudes.

>> Mais que pouvait manquer de saisir la sagacité du peuple français, agité, éclairé par tant de craintes terribles, par tant de souvenirs plus terribles encore, et cependant favorisé dans la liberté de ses méditations par toute la douceur d'un calme domestique longtemps inconnu !

» C'est ainsi que dans un vaisseau dont le sillage est tranquille on se doute à peine qu'on avance, et tout à coup à la vue du port on s'étonne et on admire qu'on ait pu faire tant de chemin en si peu de temps.

» Cette époque est heureuse surtout en ce qu'elle va jeter un grand jour sur les hommes et sur les opinions, faire connaître ceux dont les systèmes prétendus cachaient des intentions perfides, et ceux dont toutes les pensées étaient sincèrement attachées à procurer le plus grand bien possible à leur pays.

» Aux deux extrémités nous distinguerons encore, d'un côté, les frémissemens insensés de ceux qui redemandent la hache sanglante des tyrans populaires; de l'autre les gémissemens stupides de ceux qui regrettent le sceptre de plomb des rois fainéans.

» Au milieu, un peuple innombrable qui n'a jamais qu'un cri, qu'un besoin, gloire et repos.

» La vérité éternelle rallie infailliblement tous les bons esprits.

» L'expérience, qui ferme le cercle des illusions humaines, ramène par les mêmes événemens et les mêmes besoins aux mêmes mesures, aux mêmes principes.

>>

L'empire des volontés et des systèmes reconnaît l'empire suprême de la nécessité.

» Demandez aux publicistes éclairés de tous les temps quel est le meilleur et le plus heureux gouvernement : croyez-vous qu'ils vous répondront diversement selon leur siècle ou leur patrie?

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Croyez-vous que l'Angleterre soit en effet la terre classique de la vraie liberté et du gouvernement légitime, comme le lui accordait trop libéralement un de nos plus illustres orateurs? (1)

Non, la vérité existait avant elle : les sages l'avaient annoncée; leur doctrine est unanime.

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Interrogez l'orateur romain père de la patrie, et l'historien énergique des premiers Césars, et le profond penseur de la moderne Italie (1).

:

>> Leur réponse sera la même le meilleur gouvernement est celui qui se compose

"De l'intervention de tous;

»De l'autorité de quelques-uns ;

>>

Du pouvoir d'un seul.

Que l'intervention de tous soit régulière et tranquille, en sorte que la pensée publique ne puisse être corrompue dans son cours, trahie dans son expression;

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Que le corps et les hommes intermédiaires, participant par nature au commandement et à l'obéissance, empêchent l'obéissance d'être servile, et le commandement d'être capricieux; Que le dépositaire enfin du pouvoir unique, enfant de la nature et de la loi, ne puisse être l'ouvrage d'aucune faction, d'aucune passion, d'aucune faiblesse, ni du cri des prétoriens, ni de la brigue des affranchis. Plus le but serait grand, plus les efforts pour l'atteindre mettront sans cesse la patrie en péril.

» A ces conditions sont attachés le repos des peuples, la gloire des états, la stabilité des gouvernemens, autant qu'il appartient aux choses humaines d'être durables.

L'hérédité éteint les ambitions, car elles y sont impuissantes; ménage l'orgueil, car nul ne peut, pour ainsi dire, accuser de son exclusion que le ciel même.

» La plus parfaite hérédité est la plus simple, celle qui

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écarte le plus soigneusement jusqu'à l'ombre du choix et de la préférence, puisque enfin ce qu'on veut éviter surtout par l'hérédité ce sont les inconvéniens et les dangers plus ou moins grands de tous les genres d'élection.

» C'est ainsi que la loi salique, plutôt vivante dans les cœurs qu'écrite dans les livres, selon l'expression de nos historiens, a été tant de fois une loi de salut pour le peuple français.

» Et comme, dans toutes les sociétés vieillies et éclairées, une révolution, ou plutôt le résultat d'une révolution, quand il n'est pas la perte de la liberté publique et de l'indépendance de l'Etat, n'est autre chose qu'un retour aux anciens principes avec des moyens nouveaux, nous sentons aujourd'hui la nécessité de ressusciter ce pacte antique et d'en faire une nouvelle application.

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Digne sujet de méditation que ce retour des mêmes événemens par les mêmes causes, des mêmes châtimens par les

mêmes fautes!

» Ce que nous voulons faire aujourd'hui pour cette famille dont nous avons tout à espérer et rien à craindre, nos pères l'ont fait par les mêmes motifs et dans les mêmes circonstances pour cette autre famille dont nous avons aujourd'hui tout à craindre et rien à espérer.

» L'héritier des Carlovingiens, innocent encore d'avoir porté les armes contre sa patrie, mais coupable de s'être rendu vassal et stipendiaire de l'étranger et de l'ennemi des Français, fut par là même, et d'un consentement universel, déchu de la

couronne.

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» Les partisans de Hugues Capet, dit un historien (1) dont le texte est d'autant plus remarquable qu'il écrivait par l'ordre et en quelque façon sous la dictée de Louis XIV, « les partisans de Hugues Capet disaient partout qu'un transfuge et un » déserteur de l'Etat, le vassal d'un roi de Germanie, 'don't » les peuples étaient autrefois soumis à la couronne, et qui » étaient devenus ses plus ordinaires ennemis, n'était guère propre à être roi des Français; qu'en renonçant ainsi à sa patrie il avait à plus forte raison renoncé à toutes les pré»tentions qu'il pouvait avoir au trône, et qu'il fallait trouver » dans le royaume un homme digne de gouverner. »

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Huit cents ans après cette époque nous nous retrouvons dans les mêmes termes; nous répudions par les mêmes raisons une famille qui, après avoir rendu de longs et importans services, est devenue, par l'oubli de tous ses devoirs, inutile à

(1) « Le P. Daniel. Voyez dans Saint-Simon l'extrême protection dont Louis XIV favoris et écrivain. »

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