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famille dans laquelle le gouvernement sera héréditaire sentira tous les devoirs que lui imposent un si grand modèle d'un côté, et un aussi loyal dévouement d'un autre.

» Le droit qui a été donné au premier consul d'élire son successeur ne peut suffisamment rassurer contre les entreprises des hommes puissans ou des factieux qui pourraient.oser encore nous replonger dans les troubles : l'élection se montre trop comme une faculté particulière; elle se détache trop aisément, dans l'esprit, de l'origine du droit dont elle n'est que l'exécution. Il n'y a que l'hérédité, qui sera regardée comme loi fon – damentale de l'Etat, qui puisse être une barrière insurmontable contre toutes les ambitions: ce ne sera pas un droit de famille; ce sera celui de la nation.

» Enfin, l'hérédité dans la famille du héros qui a acquis tant de droits à la confiance et à l'amour des Français, indépendamment de tant de considérations, deviendrait nécessaire quand il ne s'agirait que d'éloigner sans retour les prétentions d'une maison qui se repaît d'espérances chimériques, mais qui ne peut ignorer qu'il est écrit dans le cœur des Français qu'elle ne peut ni ne doit plus régner en France. Qui voudra jamais consentir que la patrie soit exposée à un débordement de vengeances, de passions dévastatrices, à toutes les calamités enfin qui suivraient le retour, ou, pour mieux dire, la conquête que serait obligée de faire une famille qui en est la plus mortelle enuemie, qui ne pourrait y voir que des sujets et des victimes? Que l'exemple que la famille des Stuarts a donné au monde ne soit pas perdu pour nous !

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J'adhère à la motion qui a été faite par notre collègue Curée. »

RÉPLIQUE de Carion-Nisas au discours de Carnot. Même séance.

"Citoyens tribuns, j'ai besoin de toute l'indulgence de l'Assemblée, ne portant à cette tribune que quelques notes recueillies à la hate pendant le discours du citoyen Carnot, dans lequel j'ai observé quelques erreurs que je crois pouvoir réfuter.

» Je me ferai aussi un devoir de la plus exacte modération, et du seul langage qui convienne au caractère dont nous sommes revêtus.

» Le citoyen Carnot craint que les mesures qu'on propose, la nomination d'un empereur et l'institution de l'hérédité, ne soient la destruction totale et absolue de la République, et que ceux qui appuient ces mesures n'aient l'intention ou du moins

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le malheur de livrer la liberté et la patrie en proie à un despote. Quoi! parce que le premier magistrat s'appellera empereur, parce qu'il sera héréditaire, il n'y aura plus en France ni trie ni liberté ! Nous n'aurons donc ni loi ni pacte social! Eto, selon son opinion, ces premiers besoins des peuples sont in→ compatibles avec telle dénomination et telle forme de magistrature suprême! Ainsi ne pensait pas J-J. Rousseau, ce zéléc républicain; il a dit formellement que tout gouvernement lé gitime, c'est à dire régi par les lois, était républicain. Eh! qui parle ici de mettre un homme au-dessus des lois ?

>> Salluste avait eu longtemps avant la même pensée, et il s'explique très clairement en parlant du gouvernement des premiers rois de Rome; c'était, dit-il, un gouvernement légitime avec un titre royal: imperium legitimum, nomen imperii regium, habebant.

» Quel gouvernement est plus légitime que celui qui se pro pose, s'organise, s'accepte, se consent avec la liberté, la maturité, la solennité qui ont précédé, qui ont inspiré les mesures que nous adoptons, et qui président à leur discussion?

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>>> Le citoyen Carnot croit voir revenir l'ancienne royauté de France, la royauté féodale, propriétaire. Avec un peu de réflexion il est cependant facile d'apercevoir qu'entre cette espèce de royauté et la forme d'empire que nous proposons il y a. autant de difference qu'entre la lumière même et les ténèbres. La royauté procédait, par la prise de possession du ter ritoire, à l'envahissement du corps même des hommes qui. l'habitaient homines potestatis addicti gleba: c'était sur cette monstrueuse fiction qu'elle établissait ses droits, les titres, le jeu de son gouvernement.

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Le roi des Français, tel que voulut le faire l'Assemblée constituante; l'empereur de la République française, tel que nous voulons l'établir, n'est le propriétaire ni du sol ni de ceux qui l'habitent : il est le chef des Français par leur volonté son domaine est moral, et aucune servitude ne peut légalement découler d'un tel système.

"Enfin, pour me faire entendre par une comparaison prise daus le droit civil et appliquée au droit politique, l'autorité du roi de France, cette autorité originairement toute féodale, ressemblait au domaine matériel d'un citoyen, et originairement aussi le royaume se partageait entre les enfans du roi.

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» Au contraire, l'empire, cette autorité toute morale, toute légitime que nous établissons, ressemble au droit de tutelle dans les familles, lequel ne suit point le bien, ne saurait sep partager, va toujours à celui qui est présumé le plus digne, par une marche certaine et indépendante de toute volonté, et

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enfin est de sa nature purement spirituel, et aussi inoppressif qu'il est indivisible.

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Le citoyen Carnot semble croire que le résultat auquel nous touchons est de longue main préparé par le premier consul, avec un art aussi adroit qu'une volonté constante et infatigable. Cependant il est vrai, et j'en atteste tous ceux qui peuvent avoir les mêmes connaissances de détail que moi, j'atteste que le premier consul a été le dernier à entrer dans cette sorte de conspiration sainte en faveur de la patrie, conçue depuis le 18 bramaire par un petit nombre dont je m'honore d'avoir fait partie; petit nombre qui s'est successivement grossi, et qui est devenu bientôt une innombrable multitude; le peuple français enfin, auquel il est désormais impossible de ne pas obéir.

» Il est vrai qu'on a caché d'abord, montré ensuite avec ménagement le but qu'on voulait atteindre; précaution nécessaire pour marcher sûrement, et pour arriver à bon port. Il y avait, et le citoyen Carnot en est encore un exemple, beaucoup de citoyens, dont le nombre a tous les jours diminué, qui, pleins de préjugés et d'erreurs révolutionnaires, n'avaient pas mûri les leçons de la réflexion et de l'expérience, et qui n'étaient pas encore capables de recevoir la vérité. C'est ainsi qu'on rend, avec des ménagemens délicats, la lumière du jour à un malade qui en a été longtemps privé.

» Au milieu de ce mouvement des opinions saines qui avançaient, des opinions erronées qui revenaient sur elles-mêmes, le premier consul a montré une résistance et une répugnance aussi sincère que longtemps invincible au résultat dont il sent aujourd'hui la nécessité.

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» Il l'a senti le dernier; et, depuis quelques jours à peine, forcé par le cri public, vous le voyez publier ces adresses qui depuis six mois lui arrivent en foule de toutes les parties de la République, appuyées des vives sollicitations de tous les magistrats et de tous les fonctionnaires publics, et qu'il a longtemps retenues captives.

>> Les alarmes inspirées par les assassinats tentés contre la personne du premier consul, par la perspective des maux affreux qui s'en seraient suivis, ont mûri toutes les résolutions, pressé toutes les mesures.

» Le premier consul est ambitieux de gloire; il en est jaloux; mais il s'en faut de beaucoup qu'il traite le pouvoir comme la gloire. Un mot de lui, un mouvement de cette grande âme qu'il faut révéler à la patrie, rendra cette vérité plus palpable que les détails et toutes les assertions que je pourrais ajouter. Un jour le premier consul parlait avec la plus profonde sensibilité des malheurs de la révolution. Quelqu'un sembla vouloir

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combattre son émotion par le tableau des résultats de cette grande crise : « Et enfin, lui dit-il, citoyen consul, ce n'est pas vous à vous affliger de la révolution; sans elle vous ne seriez » pas au rang où vous êtes, et vous n'auriez pas eu l'occasion d'acquérir cette gloire immense dont vous êtes couvert. » «Eh! plût à Dieu, s'écria Bonaparte, que la France n'eût jamais entendu parler de moi, et que son gouvernement » n'eût jamais fait de telles fautes, et son peuple éprouvé de »tels malheurs! >>

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Non, l'homme dont le cœur a laissé échapper ces paroles, que je confie à l'histoire, ne voit daus l'accroissement de son pouvoir que des moyens nouveaux de félicité publique ; cherche dans sa grandeur que la gloire de la nation; il accepte le rang qu'on lui confie, et il n'en a pas eu soif : une certaine ambition est au dessous de certains caractères.

» Le citoyen Carnot a voulu nous effrayer par l'exemple des Césars et des désordres de l'empire romain. Une partie très remarquable de l'opinion de notre collègue Grenier a pleinement répondu à cette crainte si peu fondée, et à cette comparaison si peu juste. En effet, le grand malheur, comme il l'a très bien remarqué, le grand vice de l'autorité des Césars vint de ce qu'elle n'était pas héréditaire : l'adoption y carrompait tout, l'élection y troublait tout; et ce sont précisément les inconvéniens auxquels s'oppose le plus directement le système que nous voulons introduire aujourd'hui. En persistant dans un système à peu près semblable à celui de Rome, la Pologne a été détruite ; en adoptant à peu près le nôtre, la Russie a fait un grand pas vers la conservation.

» J'ajouterai que le mal vint surtout, à Rome, de l'hypocrisie ou de la pusillanimité d'Auguste, qui affecta de ne rien changer dans la dénomination des institutions républicaines tout en retenant une autorité d'autant plus absolue qu'elle était vague, sans limites connues sans aveu public.

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» De là suivit la position fausse et désastreuse où se trouvèrent ses successeurs vis à vis des peuples, et les peuples vis à vis de ses successeurs. On conspirait contre les Césars au nom d'une république qui n'était pas légalement détruite, et eux s'opposaient aux conspirations au nom d'une monarchie qui n'était pas légalement établie; de sorte qu'on mettait beaucoup d'audace et de force à les attaquer, eux beaucoup de fureur, de violence, de cruauté à prévenir ou repousser l'attaque. Voilà pourquoi il y eut à Rome, sous les Césars, tyrannie immodérée, immodérée servitude ou furieuse révolte, et qu'enfin tout dépendit dans l'Etat du caractère personnel du prince, ce qui est un danger toujours imminent.

>> Le citoyen Carnot est remonté ensuite à la république romaine, et nous a fait voir un parfait gouvernement et une liberté sagement conservée dans ce vaste état. Sans doute il devint immense; mais, à mesure qu'il s'agrandit, que devint sa démocratie? Ne sentit-il pas la nécessité d'un gouvernement ferme, du gouvernement d'un seul ? Le citoyen Carnot en convient, et il admet le remède temporaire de la dictature. Temporaire... ; oui, pour le peuple, qui ne prétend pas l'établir autrement que pour un temps très court, mais éternel pour un dictateur habile et ambitieux; passage sanglant de la licence démagogique à un empire improvisé et sans constitution, c'est à dire à un véritable despotisme.

Le citoyen Carnot a reproché au système héréditaire un inconvénient réel et impossible à nier. Il est certain que ces sortes de gouvernement font quelquefois entrer les peuples dans des intérêts domestiques et leur font épouser des querelles de famille. Voilà sans doute un danger véritable; et quelle chose humaine n'en a pas! Mais ces intérêts au moins ont quelque réalité, quelque utilité pour les peuples eux-mêmes; et ce danger est moindre que le danger où sont exposés les gouvernemens populaires d'épouser les passions, les querelles et les intérêts personnels de leurs magistrats.

» Périclès n'était pas un prince héréditaire et, pour une insulte faite à Aspasie, la Grèce républicaine fut en feu. » Dans les plus beaux temps de la république romaine, le peuple, épousant tantôt l'intérêt d'un tribun, tantôt celui de tout autre factieux, donnait des alarmes perpétuelles au Sénat le Sénat à son tour, immolant le peuple à son propre intérêt et à sa propre querelle, le lançait au-dehors, le jetait sur les voisins offensifs ou inoffensifs; et le prétexte d'une guerre étrangère ne manquait jamais quand le Sénat craignait quelque discorde civile, et le sang du peuple coulait toujours.

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» Ceci me ramène aux considérations que le citoyen Carnot a mises en avant relativement aux puissances étrangères. Certes il suffit des simples lumières du bon sens pour sentir qu'elles aimeront mieux mille fois un gouvernement analogue à leur propre gouvernement qu'un gouvernement toujours menaçant, parce que son principe serait opposé, et par conséquent ennemi. Le gouvernement d'un seul a pour garantie au dehors la sagesse, la maturité, l'expérience du prince; il n'y a ni sagesse, ni maturité, ni expérience dans un prince sans cesse renouvelé; et cette éternelle effervescence des gouvernemens populaires, en proie à toutes les passions, menace et choque sans cesse tous les intérêts de voisinage, et bouleverse toutes les relations de politique extérieure.

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