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» Et ceci me rappelle le mot profond et prophétique d'un homme d'état (1), serviteur de la maison d'Autriche, à qui, vers les temps de la plus grande effervescence révolutionnaire, on demandait s'il croyait sérieusement, avec les armées allemandes, remettre sur le trône de France la maison de Bourbon, et s'il ne valait pas mieux laisser la République tranquille et se gouverner comme elle voudrait.

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« Nous savons bien, répondit ce sage politique, que nous ne ferons pas accepter à la France des maîtres qu'elle ne » veut plus; nous savons bien aussi que ses armées, toutes » récentes et inexpérimentées qu'elles sont, battront plus d'une » fois les nôtres, et nous causeront de grandes pertes. Nous supporterons ces revers, et nous continuerons à nous battre, » tantôt en avant, tantôt en retraite, selon la fortune. Au >> bout de quelques années il s'élevera nécessairement en France » un général, homme d'état, qui s'emparera du gouvernement, qui ramenera toutes choses à une forme régulière; et alors nous ferons la paix avec lui : elle serait impossible, elle serait >> frivole avec une ochlocratie qui menacerait toujours d'incen>> dier l'Europe.

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» J'avoue que cet homme d'état me paraît plus prévoyant et plus sage que notre collègue, qui nous propose de nouveau sérieusement l'exemple des Etats-Unis de l'Amérique.

» Ce n'est pas la première fois que cet exemple est proposé; ce n'est pas la première fois qu'il est combattu.

>> Lors de la fuite honteuse et perfide du dernier roi à Varennes, on proposa (c'était Vadier) à l'Assemblée constituante l'exemple du gouvernement américain, et on invita cette Assemblée à en donner à la France un semblable.

» Barnave s'éleva contre cette proposition. Pourquoi cette victime si regrettable des proscriptions décemvirales n'a-t-elle pas été préservée, et ne peut-elle pas ici répondre avec cette éloquente facilité que nous avons tant admirée! ou que n'ai-je assez bien retenu ses argumens et ses paroles pour pouvoir les reproduire à notre collègue! Si je m'en souviens, il disait qu'une population rare sur un sol immense; un peuple neuf » sur une terre vierge; un peuple dont l'activité sera longtemps >> facilement assouvie par des moyens aisés et nombreux de » travail et de subsistance; un état isolé sur son vaste hémisphère, entouré d'une ceinture d'impénétrables forêts et de » vastes mers, ne pouvait se prêter à aucune comparaison avec » un état placé au milieu de la vieille Europe, pressé entre

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(1) M. de Merci d'Argenteau.

XVIII.

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» des peuples entreprenans et inquiets, inquiet lui-même et entreprenant comme tous les peuples nombreux et policés chez qui les moyens de subsistances sont précieux, et rares en proportion de leur luxe et de leur population. >>

>>

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» Voilà ce qu'il disait à peu près, et ce qui fit sur l'Assemblée constituante une impression si favorable, qu'il n'y fut plus question de la proposition d'un gouvernement présidental ni fédéral.

» C'est à la sagesse de cette Assemblée constituante sur ces grandes matières qu'il en faut souvent revenir, et c'est à l'Assemblée constituante et à son origine que me reporte naturellement une autre objection du citoyen Carnot, qui craint que le vœu émis pour le consulat à vie, ou à émettre pour l'empire, n'ait été ou ne soit susceptible de recevoir quelque influence. Quelle influence autre celle de la raison, que celle de que la sagesse, du véritable patriotisme, agit sur les assemblées bailliagères, qui voulaient, quand on leur fit appel, ce que nous voulons aujourd'hui ? C'est alors que le vœu du peuple eut une incontestable liberté : c'est depuis que ce vœu a été frelaté

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en tout sens.

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Rappelez-vous, mes collègues, cette femme célèbre dans les anecdotes de l'antiquité. Se trouvant mal jugée par le roi Philippe, qui était dans un état d'ivresse, elle en appela de Philippe ivre à Philippe à jeun. Hé bien, les assemblées qui ont suivi l'Assemblée constituante ont fait tout le contraire: après avoir enivré le peuple de toutes sortes de passions furieuses, elles l'ont interrogé, ou plutôt elles l'ont fait parler ; elles ont appelé de Philippe à jeun à Philippe ivre.

» Nous revenons au calme, à la tranquillité, à la sagesse d'un premier vœu; les ivresses sont dissipées, et nous nous retrouvons dans notre état naturel.

» Le citoyen Carnot se plaint que la presse n'est pas assez libre. Il sait ou il doit savoir combien cette liberté est funeste, combien promptement elle dégénère en licence; et je le renvoie, pour les excellentes raisons que je pourrais donner, au message du Directoire qu'il signa dans le temps pour en demander la limitation.

>>

Quant à la liberté d'émettre son opinion sur toute matière, le citoyen Carnot est un exemple vivant qu'il n'y a ni difficulté ni danger à l'émettre tout entière. Il a voté, comme il vient de vous le rappeler, contre le consulat à vie en a-t-il depuis siégé parmi nous avec moins de paix et de sécurité ?

» Il vient d'émettre, et d'émettre seul, une opinion contraire à celle de tous ses autres collègues. Ce serait partout une sorte de témérité : a-t-il été entendu avec moins de calme et

de respect que ceux dont l'opinion jouissait de la faveur de l'Assemblée?

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Enfin, il me semble que le citoyen Carnot devrait, plus que personne, être intimement ramené par la réflexion et l'expérience, et, si j'ose le dire, par ses malheurs et par ses fautes, aux sentimens qui dominent dans cette Assemblée et dans la nation. Dans un premier système de démocratie le citoyen Carnot a eu le malheur d'être exposé à siéger parmi des proscripteurs; dans un autre système il a été lui-même proscrit; et le gouvernement contre l'achèvement duquel il s'élève est celui-là même qui se félicite de l'avoir retiré de la proscription.

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RÉPONSE du tribun Chabot (de l'Allier) à un passage du discours de Carnot. - Meme séance.

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Tribuns, je ne parlerai pas en ce moment sur les questions importantes soumises à votre discussion; je ne suis monté à cette tribune que pour répondre à un passage de l'opinion que vient d'émettre le citoyen Carnot.

» Il y eut, a dit le citoyen Carnot, une arrière-pensée lorsqu'on proposa le consulat à vie.

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Oui, je le déclare franchement, les propositions de notre collègue Curée ne sont que le développement, elles sont la pensée tout entière de la proposition que je fis à la séance du 16 floréal an 10, et que le Tribunat convertit en vœu national. Oui, nous voulions alors ce qu'on va faire aujourd'hui. Les amis de la patrie nous entendirent bien, et ils unissaient leurs vœux au nôtre.

"

» Alors, comme aujourd'hui, le moment était favorable pour consolider le gouvernement, et pour assurer, par des institutions fixes et permanentes, la tranquillité du peuple.

» La paix était signée avec toutes les puissances du continent; elle venait d'être conclue avec l'Angleterre; elle était établie au dedans comme au dehors.

>> Le prestige des vaines théories s'était dissipé; une longue et fatale expérience avait signalé nos erreurs politiques, et tous les Français étaient réunis autour d'un chef vainqueur et pacificateur, aussi grand à la tête de l'administration qu'à la tête des armées.

» Des considérations qu'il ne m'appartient pas de juger, et plus encore la magnanime générosité du premier consul, arrêtèrent l'élan national. On ne proposa qu'une mesure insuffisante, et cependant elle fut accueillic avec enthousiasme, parce qu'elle était un pas avancé vers le but principal, et qu'elle don

nait l'espoir prochain d'une organisation complète et défiuitive.

» Nous n'avons que trop longtemps attendu. Le peuple est las de tous ces gouvernemens provisoires qui, se culbutant les uns les autres, ont constamment compromis son repos et son existence. Il manifeste aujourd'hui sa volonté de la manière la plus positive: elle éclate de toutes parts; elle nous presse ; elle commande: on ne peut plus lui résister.

» Ceux qui feignent de la méconnaître, et qui s'opposent au gouvernement héréditaire, voudraient-ils rétablir la Constitution de 1793, ou celle de l'an 3?

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Nous, tribuns, qui n'avons d'autre passion que l'amour du bien public, terminons l'ouvrage commencé le 18 brumaire an 8, fortement avancé le 16 floréal an 10, et mettons enfin la dernière pierre à l'édifice social!

» Je vote la motion d'ordre de notre collègue Curée.

pour

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DISCOURS du tribun Arnould (et Réplique à Carnot). Méme séance.

<< Citoyens tribuns, avant d'entrer en matière, je ne puis me défendre de réflexions pénibles, ni d'exprimer toute ma surprise de l'opinion de notre collègue Carnot..

Quelle est donc cette fàcheuse destinée qui poursuit notre collegue dans toutes les périodes de sa vie politique! lui qui, placé au Directoire pour y prévenir d'infâmes complots, paraît encore à peine persuadé des liaisons conspiratrices de Pichegru au 18 fructidor, liaisons qui ont renouvelé les proscriptions, et mis la France en péril, si elle n'eût été sauvée par le héros du 18 brumaire ! Et aujourd'hui notre collègue retarde l'émission d'un vœu que réclame la nation française, et que commandent la terreur du passé et les craintes de l'avenir !

» Fatales perceptions, que celles qui nous réduisent à opiner ou à agir continuellement en sens contraire des intérêts d'une grande nation!

» J'aborde la question importante qui nous occupe. Ce que j'ai à dire et la suite de la discussion répondront aux errears de notre collègue comme publiciste, relativement au pouvoir impérial romain et au système représentatif des modernes.

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Citoyens tribuns, il est des instans décisifs pour les glorieuses destinées des empires comme pour le sort des individus. Ce moment ne le laissons pas échapper dans la nuit des siècles. L'impatience de tous les Français, l'ardeur héroïque des guer riers, la garantie des institutions civiles et militaires, la permanente périodicité de la représentation nationale, les accla

mations qui partent de tous les points de l'Empire français pour fixer l'hérédité du pouvoir exécutif en France dans la famille du premier consul Bonaparte, tout nous commande de déférer au désir national en concourant, en vertu de notre préroga→ tive, au vote de cette hérédité.

» Je n'ajouterai, citoyens tribuns, aux grands et beaux développemens qui vous ont déjà été présentés, que des considérations générales, mais également décisives.

>> Ces considérations embrassent trois points fondamentaux. Les Bourbons sont-ils à jamais déchus du pouvoir exécutif en France?

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» Le pouvoir exécutif en France sera-t-il héréditaire dans la famille du premier consul Napoléon Bonaparte? Quelle garantie obtient la nation dans le changement de dynastie?

>>

» Et d'abord, les Bourbons sont-ils à jamais déchus du pouvoir exécutif en France? Je répète avec tous les Français Oui! oui ! Et en effet, qui peut prendre intérêt au rétablissement d'une famille qui s'est dégradée aux yeux de l'Europe entière, soit en abandonnant par impéritie et par lâcheté le gouvernement et le sol français, soit en appelant pendant quinze années le meurtre et le carnage sur la nation française, soit en contemplant froidement et activant même sur nos frontières et sur nos côtes le massacre du petit nombre de leurs partisans égarés! Qui peut désormais en France s'armer pour les derniers des Bourbons, condamnés à meudier l'or de l'Angleterre, et même à le gagner, en livrant à cet ennemi éternel du nom français notre armée, nos flottes, nos villes, nos champs, nos moissons, notre commerce, et toutes nos institutions civiles, militaires et politiques?

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Je ne dis pas nul ne peut rien effectuer en France en faveur des derniers Bourbons, dégradés; mais je dis nul n'est disposé, sous aucun rapport d'intérêt ni de préjugé, à rien désirer pour une dynastie qui se complaît dans le mépris universel. Les Français, réconciliés eux-mêmes, accessibles aux idées généreuses de l'antique renommée militaire des Français, doivent à jamais méconnaître d'indignes chefs qui les ont cruellement abandonnés à une affreuse misère chez l'étranger.

» D'un autre côté, ces mêmes Français, réconciliés comme propriétaires, et disposés à faire partie des nouvelles institutions des Français, sont également appelés sous de nouveaux chefs magnanimes à recommencer les hautes destinées de la France, et à les voir porter au plus haut degré de gloire.

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Quant à la nation française, considérée dans l'universalité

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