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queraient pas d'exciter dans cette circonstance, dont l'idée seule est alarmante, et dont ils s'empresseraient de profiter pour l'accomplissement de leurs funestes projets.

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Il n'y a que l'hérédité qui puisse les déjouer et prévenir les dangers que des exemples assez récens ne nous permettent pas de regarder comme chimériques. Quel est l'homme qui, pensant aux déchiremens que le système électif a fait éprouver à la Pologne, ne craindrait pas d'exposer son pays à de si grands malheurs? Si les faits ne parlaient pas encore plus haut que les autorités, nous rappellerions ici aux partisans de ce système les argumens irrésistibles que Mably, dont ils ne contestent pas sans doute l'attachement aux principes de la liberté, adressait à la confédération de Bar pour lui prouver qu'il importait à la Pologne de rendre sa couronne héréditaire; parce que, disait-il, indépendamment du silence des lois et des troubles intérieurs durant un interrègne, par une action réciproque, l'élection amène un mauvais règne, et un mauvais règne prépare une élection vicieuse.

» En vain dira-t-on que les agitations politiques tiennent le peuple éveillé sur ses droits, et préviennent les abus du pouvoir; les Français, éternellement en proie aux mêmes désordres, se lasseraient de défendre une ombre de république qui deviendrait à charge à tous les citoyens, et ne produirait que des despotes

et des esclaves.

» Ainsi les Anglais, dans l'avant-dernier siècle, après bien des efforts inutiles pour établir chez eux la démocratie, fatigués des agitations que ces essais infructueux leur avaient causés, se virent forcés de se reposer dans le gouvernement même qu'ils avaient proscrit.

» Les Français ne sont point réduits à cette fâcheuse nécessité. Non, ce ne sera point en faveur d'une dynastie dégénérée, transfuge, et traître à la patrie, que nous rétablirons l'hérédité; et quelle que soit notre admiration pour le héros que la reconnaissance publique y appellera, nous ne lui sacrifierons point, comme on l'a dit, notre liberté pour prix de ses services. Jamais un vœu contraire aux principes sacrés de la souveraineté du peuple ne sortira du sein du Tribunat, et celui que nous nous proposons d'émettre en ce moment n'a pour objet que de consolider les institutions qui seules peuvent garantir à la nation

l'exercice de ses droits.

» Est-ce donc sacrifier la liberté publique que de donner au gouvernement que le peuple a institué la stabilité nécessaire pour garantir l'Etat des secousses qui ameneraient infailliblement le retour de l'anarchie et du despotisme? Interrogez tous les Français, et demandez-leur à quelle époque ils ont été

réellement le plus libres depuis 1792: ils vous répondront tous, oui tous, sauf les malfaiteurs, et les perturbateurs de l'ordre public, que c'est depuis que le gouvernement est remis dans les mains d'un seul, c'est à dire depuis le 18 brumaire an 8. Hé bien, que proposons-nous ? C'est de consolider ou de perpétuer cet ordre de choses; car il ne s'agit pas de conférer à qui que ce soit le pouvoir absolu; ce vœu impie ne peut entrer dans le cœur d'aucun de nous; et quand même nous serions assez lâches pour le former, il serait repoussé avec indignation par tous les Français: il le serait, n'en doutons pas, par celui-là même en faveur de qui nous l'aurions formé.

» Non, il n'est plus au pouvoir d'aucune puissance humaine de rétablir désormais le despotisme en France autrement que par la lassitude de l'anarchie. La nation a repris l'exercice de sa souveraineté; elle ne se dessaisira point de ses droits, qui trouveront toujours des défenseurs dans le Sénat, dans le Corps législatif, dans le Tribunat et dans le gouvernement lui-même, qui saura les respecter et les maintenir.

» Ainsi tout ce qui existe sera conservé ou amélioré; la nation continuera d'exercer sa souveraineté par l'organe des représentans qu'elle aura choisis pour l'interprétation et la conservation des lois fondamentales de l'Empire, pour la confection des lois civiles et criminelles, et pour le consentement des contributions publiques. Voilà les institutions dont le maintien et le perfectionnement sont l'objet de nos vœux. S'il en est quelques autres que la sage prévoyance du Sénat juge nécessaires pour la gloire et la sûreté de l'Etat, ou pour la garantie de la liberté civile, elles seront dignes de lui et du peuple pour l'intérêt duquel elles auront été créées.

» Mais que parle-t-on de noblesse et de priviléges héréditaires! Quel serait le Français, quel serait surtout le membre des premières autorités qui ne se trouverait pas suffisamment honoré du beau titre de citoyen? Non, il n'y aura plus parmi nous d'autre distinction que celle que donneront les vertus et les talens, d'autre considération que celle qu'on acquerra par les services personnels; et n'est-ce pas, nous le répétons encore, pour maintenir ces précieux avantages de la révolution que nous voulons consolider le gouvernement qui seul peut nous les garantir? N'avons-nous pas démontré qu'ils seraient perdus sans retour si, par suite de troubles inévitables sous un gouvernement faible et précaire, nous étions encore précipités dans une anarchie dont il est trop certain que nous ne pourrions sortir que pour retomber dans les bras du despotisme? Croit-on qu'un autre gouvernement que celui qui doit son élévation et qui devra son affermissement à l'ordre de choses qui nous a

XVIII.

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procuré ces avantages serait aussi intéressé à les conserver, et que celui-ci voudra risquer de détruire la première base de son existence? Il est impossible de le présumer; comment peut-on donc méconnaître le véritable objet de notre vœu ?

Mais, dit-on, l'unité et l'hérédité du gouvernement ne sont rien moins qu'un gage de stabilité, car l'empire romain dura moins que la République. Cette assertion, en ce qui regarde l'unité, est un paradoxe qui n'a pas besoin d'être réfuté; car c'est une vérité généralement reconnue, et constatée par l'expérience de tous les temps, qu'un gouvernement est d'autant plus fort qu'il est plus concentré, et que sa stabilité dépend principalement de sa force. Quant à ce qui concerne l'hérédité, il était difficile de choisir un exemple plus favorable au système que nous défendons; car il est évident que la faiblesse et l'instabilité du gouvernement, sous les empereurs romains, tenaient surtout à ce que cette dignité était élective, et à ce que le mode de succession à l'autorité suprême était une source continuelle de révolutions qui entretenaient sans cesse l'inquiétude dans l'âme des gouvernans, et qui favorisaient toutes les entreprises ambitieuses qu'on voulait former contre eux. On sait que ce fut la politique ambitieuse de Stilicon qui, dans l'espérance de s'emparer du trône que se partageaient les fils de Théodose, provoqua, ou du moins favorisa l'irruption des barbares dans la Gaule, où ils accablèrent la puissance romaine, qui depuis cette époque tomba en décadence jusqu'à sa ruine définitive.

>> Nous nous serions abstenus de ces détails s'ils n'eussent été nécessaires pour détruire une assertion fondée sur des faits d'où dérivent évidemment des conséquences contraires à celles que notre collègue en a tirées.

» Il est d'ailleurs incontestable que le système de l'unité et de l'hérédité du pouvoir exécutif est dans le vœu de la nation, bien moins encore à raison de l'habitude que par la conviction de préexcellence qui résulte, en faveur de ce système, de l'antiquité à laquelle il remonte. Ce fut, comme on l'a déjà dit, le vœu de l'Assemblée constituante, composée de tant d'hommes recommandables par leurs lumières et leur patriotisme, aux' quels on ne reprochera pas sans doute d'avoir manqué d'idées libérales, puisqu'ils proclamèrent les premiers le principe inaliénable de la souveraineté du peuple, l'égalité de tous aux yeux de la loi, l'affranchissement des personnes et des propriétés, en un mot l'abolition entière du régime féodal. C'était aussi le vœu de tous les amis de la révolution en 1789; et quoique plusieurs d'entre eux eussent pu être séduits par les avantages apparens d'un gouvernement démocratique, ils étaient trop éclairés pour vouloir faire un essai dont ils prévoyaient les dan

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gers et l'inutilité chez une nation comme la nôtre. Nous ne fai sous donc qu'exprimer le désir bien réfléchi et bien prononcé de tout ce qu'il y a d'hommes éclairés dans la République, moins quelques fanatiques partisans d'une démocratie qui ne peut nous convenir, ou d'une dynastie que nous avons rejetée. Si, après avoir démontré que l'unité et l'hérédité du gouvernement sont nécessaires à la tranquillité de l'Etat, et l'objet des vœux de tous les Français, nous examinons ses avantages relativement à notre situation politique actuelle dans l'intérieur et à l'égard des puissances étrangères, nous verrons que sous ce double rapport l'établissement en est encore commandé par l'intérêt de tous. Dans l'intérieur il est bien peu de Français dont le sort ne soit lié plus ou moins directement avec l'ordre de choses actuel, soit par la part qu'ils ont prise à son établissement, soit par l'acquisition ou l'héritage de domaines ci-devant nationaux. Si vous consolidez cet ordre de choses de la manière qui est la seule efficace, vous dissipez toutes les craintes, vous fixez toutes les incertitudes, vous réunissez à l'intérêt commun tous les esprits, auxquels il ne restera plus d'autres espérances.

:

» A l'égard des puissances étrangères, vous mettez la forme de votre gouvernement en harmonie avec celle qu'elles ont adoptée; vous n'êtes plus pour elles un sujet d'inquiétude continuelle elles ne peuvent voir qu'avec satisfaction tarir une source d'agitations intestines dans une grande nation qui, à raison de son iufluence nécessaire dans le systeme politique de l'Europe, ne peut guère être ébranlée sans que les autres états ne s'en ressentent. Vous changez en système de bienveillance pour votre gouvernement ce sentiment de défiance dont les gouvernemens d'une autre nature ne peuvent se défendre envers lui, quelque estime qu'ils aient d'ailleurs pour son chef; ainsi vous faites cesser un état secret, mais réellement permanent de préventions contre la France, et vous détruisez peutêtre la cause éventuelle de plusieurs guerres sanglantes.

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Après tant et de si grandes considérations, citoyens tribuns, pouvons-nous hésiter à nous rendre l'interprète du vœu du peuple français en votant l'établissement d'une nouvelle dynastie? Non, sans doute; et déjà vous auriez peut-être à vous reprocher d'avoir trop différé, si vous n'aviez dû mettre dans votre délibération toute la maturité qu'exige un sujet d'un si grand intérêt.

» Nous avons dit l'établissement d'une nouvelle dynastie ; car nous n'imaginons pas qu'il existe un seul Français assez ennemi de la gloire et du bonheur de son pays pour vouloir y rappeler, avec les membres de cette famille dégénérée qui a

laissé tomber le sceptre de ses mains, l'esprit de vengeance et de proscription qui les anime; ils ont rompu tous les liens qui les unissaient à la France; ils ont soulevé contre elle toutes les puissances de l'Europe; ils ont allumé les torches de la guerre civile. Et ces mêmes hommes, qui n'avaient pas osé se mettre à la tête de leurs partisans lorsqu'il s'agissait de les rétablir sur le trône d'où ils étaient tombés, viennent d'offrir leurs bras à l'Angleterre, maintenant qu'il s'agit de venger l'honneur de la nation française, outragée par la violation de la foi des traités! Ainsi ils n'ont de courage que lorsqu'ils espèrent pouvoir livrer le sort de leur patrie à la merci de son plus cruel ennemi, et ils aspirent bien moins à l'honneur de la gouverner qu'à l'horrible satisfaction de la déchirer. Mais qu'ai-je dit, leur patrie! non, ils n'en ont plus; du moment où ils se sont déclarés ses ennemis, ils l'ont perdue sans retour! Qu'ils renoncent donc à l'odieux espoir d'y venir exercer leurs vengeances!

» Assez et trop longtemps les Français ont été divisés par les passions haineuses et l'esprit de parti; éloignons désormais tout ce qui pourrait les réveiller parmi nous, Livrons nos cœurs aux sentimens doux et généreux qui nous pressent : ce sout ceux de l'affection, de la reconnaissance publique et de l'honneur national qui nous désignent, comme le seul digne de gouverner la France et d'être le chef de la dynastie que la nation veut créer, le héros qui l'a illustrée par ses exploits, qui l'a sauvée des horreurs de l'anarchie, et qui l'a fait jouir enfin des douceurs d'une sage liberté.

>> En recevant de la nation, qui dispense tous les pouvoirs, le dépôt de l'autorité suprême héréditaire dans sa famille, qu'il reçoive aussi le titre le plus analogue à sa gloire militaire et à la grandeur du peuple qui lui a confié ses destinées! Qu'il soit proclamé empereur de la République française !

» Jamais création d'une dynastie ne fut faite en faveur d'un guerrier plus grand par ses exploits, ni d'une famille qui offrit plus d'espérances. Aux grands souvenirs des victoires de Rivoli, d'Arcole et de Marengo, se joignent ceux des services rendus à la patrie par le sage négociateur de Lunéville et d'Amiens, et par l'éloquent président du Conseil des Cinq Cents au 18 brumaire. Que de motifs de sécurité dans la concession solennelle qu'elle va faire ! Une administration dont la sagesse est éprouvée depuis quatre ans ; l'usage modéré d'une grande autorité, dont le premier consul n'abusa jamais; le rétablissede l'ordre le plus exact dans les finances; le respect le plus constant pour les principes de la souveraineté du peuple et pour la liberté civile; tout nous garantit, de la part du magistrat que nos vœux appellent à la première dignité de l'univers, le

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