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emprunte les formes établies par le droit civil en matière de cession, de transport et de contrat, quoiqu'il s'agisse souvent d'objets qui ne peuvent tomber dans la classe des biens et des droits susceptibles d'être réglés par des contrats proprement dits cela vient de ce que notre esprit aperçoit et nos besoins établissent plus de rapports que la langue n'a de mots, et la législation n'a de formes pour les exprimer et pour les régir.

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Depuis longtemps des auteurs profonds nous ont présenté les inconvéniens et les avantages du système héréditaire et du système électif; nous n'avons point à revenir sur des discussions épuisées. Les anciens avaient été si fatigués des tristes résultats du système électif, qu'ils avaient préféré le jugement aveugle du sort aux brigues et aux maux qui accompagnaient les élections.

» L'hérédité est une barrière contre les factions et les intrigues; elle place la suprême magistrature dans une région, et, j'ose dire, dans un sanctuaire qui la rend inaccessible aux pensées et aux machinations des ambitieux.

» Dans les circonstances où nous vivons, c'est en établissant l'hérédité du pouvoir dans une famille nouvelle que nous réussirons à détruire jusque dans leur germe les espérances chimériques d'une ancienne famille qui se montre moins jalouse de recouvrer ses titres que de faire revivre les abus qui les lui ont fait perdre; qui s'est liguée avec les éternels ennemis de la France, et dont le retour, marqué par des secousses et des vengeances de toute espèce, deviendrait une source intarissable de calamités publiques et privées.

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C'est en établissant l'hérédité du pouvoir dans une famille nouvelle que nous communiquerons au nouvel ordre de choses un caractère de stabilité que le système électif n'offre pas et ne saurait offrir. On connaît tous les dangers auxquels ce système expose les états qui l'admettent les intervalles de chaque vacance sont des intervalles de crise et d'anarchie; on est dans l'agitation au dedans, et on devient incapable de résister au dehors; chacun est plus occupé des intérêts de son parti que du péril universel.

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Aujourd'hui surtout, où les nations de l'Europe ont entre elles des rapports si multipliés, le système électif livrerait la nation chez laquelle il serait adopté à toutes les intrigues étrangères; l'époque de chaque vacance pourrait être celle du renversement ou de la dissolution de l'Etat.

» Nous ne dissimulerons pas que, dans le système héréditaire, le hasard de la naissance ne donne pas toujours de bons princes; mais des élections n'en donnent-elles jamais de mauvais? Sans doute la sagesse, le talent et la vertu obtiendraient

toute faveur dans le système électif, si des électeurs pouvaient se défendre contre leurs propres passions et celles des autres; mais, nous en appelons à l'expérience, toutes les fois qu'il s'agit d'une élection importante les divers partis se froissent; celui qui prévaut écrase la liberté, et l'on ne voit bientôt plus que l'audace de quelques hommes, et l'oppression de tous.

"On objecte contre le système héréditaire l'inconvénient des minorités. Mais dans ce système ce ne sont pas toujours des mineurs qui succèdent : d'ailleurs dans les temps de minorité le gouvernement peut être plus faible; mais il n'y a jamais, comme dans le système électif, absence absolue de tout gou

vernement.

» La famille à laquelle le gouvernement est confié peut s'éteindre, et alors on retombe dans le système électif; mais les familles ne passent pas aussi rapidement que les individus; elles peuvent exister et se perpétuer pendant un temps plus ou moins long.

L'histoire des états nous présente des intervalles de plusieurs siècles dans la succession des familles, tandis que les individus se succèdent presque toujours dans l'espace de quelques années.

» Ceux qui réclament le principe de l'égalité pour écarter le système héréditaire sont plus préoccupés des fantaisies particulières de l'ambition ou de la vanité que de la grande pensée du bien public. Une nation ne peut exister sans gouvernement; dans toute société politique il est nécessaire qu'il y ait une magistrature suprême. La concession de cette magistrature à un seul, à plusieurs ou à une famille, ne saurait donc compromettre l'égalité qui doit régner entre les familles et les citoyens d'un même état. Cette égalité peut être blessée par des préférences arbitraires et injustes; elle ne l'est pas par des institutions que l'intérêt public commande, et que la nation est autorisée à regarder comme la sauve garde de l'Etat.

» La loi de l'hérédité n'offense donc aucune de nos maximes nationales, et elle est elle-même un grand principe de conservation et de tranquillité publique.

» Dira-t-on que le dernier sénatus-consulte semblait prévenir tous les dangers du système électif par la faculté qu'il laissait au chef de l'Etat de désigner son successeur? Mais cette désignation n'était pas forcée; elle pouvait n'être pas faite : le sort de l'Etat ne reposait donc sur aucune base fixe; car, le magistrat suprême ne désignant point son successeur, nous retombions dans les abus et les dangers des élections ordinaires.

» En second lieu, suppose-t-on la désignation d'un successeur? Comment se ferait-elle ? Serait-ce par un acte solennel et

entre-vifs? Un tel mode serait rarement choisi; on ne se donne guère un héritier de son vivant: on ne pourrait même le faire sans quelque danger. On pourrait avoir le désir de varier dans son propre choix, et ce désir serait inséparable de quelque trouble avec les meilleures intentions, et avec la prudence la plus consommée, il serait possible que l'on ne fît qu'un choix dangereux pour soi-même et désastreux pour l'Etat.

» Si l'on ne faisait qu'un choix secret dont le mystère ne dût être révélé qu'après la mort de celui qui gouverne, un tel choix ne serait pas plus respecté que ne l'ont été les testamens des plus puissans princes.

» Âu surplus, la désignation d'un successeur faite par celui auquel on doit succéder n'est jamais qu'un acte arbitraire de la volonté d'un homme; or un tel acte, qui dans une foule de circonstances peut produire des jalousies et des rivalités redoutables, n'est capable dans aucun cas d'imposer suffisamment à l'opinion publique. Si l'on voit les peuples se plier facilement à ce qui est déterminé par les lois, par les formes établies, c'est qu'ils n'y voient que le résultat d'un système, au lieu d'y voir les caprices d'un homme; mais vous n'obtiendriez plus la même confiance ni le même respect si vous mettiez la volonté arbitraire d'un homme à la place d'un système établi par la loi.

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» L'hérédité est donc préférable à tout; elle ne laisse aucun intervalle entre celui qui gouverne et celui qui lui succède. La personne qui est revêtue de la suprême magistrature meurt : le prince ne meurt jamais ; il est toujours présent au corps entier de la nation.

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» Nous ajouterons que l'instinct des autorités constituées est de marcher toujours dans le sens des institutions existantes : on a plus d'une fois remarqué qu'elles demeurent constamment fidèles à l'ordre établi, dans leur égarement même (1). C'est donc un très grand avantage du système héréditaire que de leur offrir un point de ralliement qui n'est offert par aucun autre système. Les autorités constituées entraînent la masse plus jalouse du repos que du pouvoir, et elles sont ordinairement plus fortes qu'une faction, qui peut s'élever, mais qui n'a rien préparé, et qui peut être écartée avec facilité par ceux qui parlent au nom des lois, et qui sont armés de la puissance. Aussi la sagesse des grandes nations n'a pas hésité de préférer le système héréditaire à tout autre. Ce système, nous le ne s'est naturalisé dans les divers états de l'Europe que

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savons,

(1) Mémoires du cardinal de Reiz.

XVIII.

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peu à peu et par une sorte d'usage indélibéré. Les hommes ne sauraient être, avant l'expérience, ce qu'ils ne peuvent devenir que par elle; mais aujourd'hui, où tant d'événemens nous ont éclairés sur nos vrais intérêts, serait-il convenable, en s'abandonnant au temps, de s'exposer aux dangers que le temps peut · amener, et que la prudence peut prévenir? Dans les siècles barbares on a pu laisser l'initiative à la coutume; nous serions inexcusables de ne pas la donner à la raison.

» Le système héréditaire est donc adopté par le projet de sénatus-consulte.

» Dans ce projet on s'est occupé de désigner la magistrature suprême de l'Etat par un titre qui pût assortir dignement cette grande magistrature, sans compromettre les droits de la liberté nationale.

» Le titre de roi, dans la plupart des gouvernemens connus, tient plus ou moins à des principes de seigneurie féodale; parmi nous ces principes sont proscrits, et cette proscription est une conquête de la liberté.

» Si nous avons un prince, disait Pline à Trajan, c'est pour nous empêcher d'avoirun maitrə.

» Il fallait donc donner au chef suprême de l'Etat un titre qui ne supposât ni maître ni esclaves, et qui fût compatible avec la qualité de citoyen et d'homme libre.

» Le titre d'empereur a été indiqué par la voix publique, et adopté par le projet de sénatus-consulte.

» Ce titre n'est pas plus étranger aux républiques qu'aux monarchies; il ne s'est jamais lié à des idées de pouvoir absolu dans le prince, ni a des idées de servage dans les citoyens : ainsi l'ancienne Rome avait ses empereurs ; le titre d'empereur est donné au chef du corps germanique, qui est une république de rois.

D'autre part, ce titre n'est point une de ces dénominations arbitraires choisies pour satisfaire le besoin du moment, ou pour se conformer aux idées du jour : de telles dénominations, qui s'écartent des titres et des noms que le respect des peuples a consacrés, semblent ne tenir qu'à la mobilité des événemens multipliés dont une révolution se compose; elles se lient à des idées de changement bien plus qu'à des idées de stabilité; elles peuvent entretenir des espérances perfides. Il ne suffit pas qu'une nation ait la conscience de sa propre dignité; il faut encore qu'elle en inspire le sentiment aux autres. Le choix des titres et des noms destinés à désigner la première magistrature d'un état ne saurait être indifférent; rien n'est petit dans un si grand intérêt : c'est par les noms et les titres que l'on parle aux sens, à l'imagination, et à l'opinion; les mots accréditent

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les choses; ils ont sur les nations comme sur les particuliers une grande puissance : il importait donc plus qu'on ne pense de revenir à des expressions qui rappellent aux hommes tout ce qu'il y a de sacré, de saint et d'auguste dans l'exercice de la suprême magistrature.

» La puissance impériale est déférée à Napoléon Bonaparte et à sa famille, Ici le projet de sénatus-consulte ne fait que promulguer le vœu de tous les Français. Quel autre que l'homme extraordinaire qui a sauvé la France pourrait être appelé à la gouverner? quelle autre famille que la sienne pourrait offrir les mêmes droits, les mêmes espérances et la même garantie?

» Nous apprenons par l'histoire que la bienfaisance, la sagesse, le courage, le talent, le génie, aidés de la fortune, ont été les premiers fondateurs des empires. Les peuples se seraient civilisés plus tard, ou, dans d'autres circonstances, ils eussent été plus longtemps dévorés par l'anarchie, si la nature n'eût produit par intervalle, et à des époques décisives, quelqu'une de ces âmes vastes, élevées, nées pour les grandes choses, marquées des caractères d'une sorte de souveraineté naturelle, et capables d'influer sur la destinée des nations. La nature, il est vrai, n'a fait ni magistrats, ni princes, ni citoyens; elle n'a fait que des hommes; mais elle a, pour ainsi dire, ébauché tous les gouvernemens en faisant sentir à la multitude le besoin d'un ordre public, et en donnant à quelques hommes l'aptitude et les qualités qui les disposent à faire le bien des autres.

par

» Sachons donc profiter de tous nos avantages. Qu'il soit empereur des Français celui qui a su agrandir leur territoire par ses succès et ses triomphes, et les conduire au bonheur la sagesse de son administration; que la puissance impériale soit héréditaire dans une famille dont les membres se sont déjà distingués par d'importans services rendus à l'Etat, et dans laquelle de grands souvenirs ne pourront que perpétuer de grandes vertus.

» En rendant la puissance impériale héréditaire dans la famille de Napoléon Bonaparte, on a réglé le plan de cette hérédité d'après des principes conformes au goût et aux mœurs de la nation. Le projet de sénatus-consulte appelle uniquement les mâles, l'ordre de primogéniture gardé. Chez un peuple essentiellement guerrier, les femmes ont dû être perpétuellement exclues. La loi civile n'a pu à cet égard diriger la loi politique, car on ne saurait gouverner par les mêmes principes des choses qui sont d'un ordre si différent.

Il était impossible de ne pas prévoir les cas de minorité et

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