Page images
PDF
EPUB

patrie, dans le même respect pour ses lois, dans la même affection pour tous les membres de la grande famille !

[ocr errors]

Que jamais des combats de doctrine n'altèrent ces sentimens, que la religion inspire et commande!

>> Français, soyons tous unis pour le bonheur de la patrie et pour le bonheur de l'humanité! Que cette religion qui a civilisé l'Europe soit encore le lien qui en rapproche les habitans, et que les vertus qu'elle exige soient toujours associées aux lumières qui nous éclairent! »

La réorganisation de l'instruction publique fut ensuite soumise aux législateurs; et, selon les opinions, on eut lieu de s'étonner ou de s'applaudir qu'après l'acte solennel de réconciliation avec la cour de Rome la religion ne soit pas devenue une des bases du nouveau projet : deux tribuns, Carrion-Nisas (1) et Daru, aperçurent là un

(1) Carrion-Nisas, entraîné par ses souvenirs comme par une trop facile éloquence, improvisa à ce sujet un discours qui anima pendant quelques momens la discussion; d'abord il s'éleva avec une grande véhémence contre les apôtres de la philosophie, puis fit un tableau touchant de l'éducation monastique : « Eh! s'écria-t-il, qui pourrait » blâmer le charme que plus d'un esprit excellent éprouve en se rap>> pelant ces maisons d'étude et de paix ! Qui n'a jeté plus d'un regard >> et plus d'un soupir vers les jours et les lieux de l'enfance! Qui ne » s'est senti mille fois ramener par une involontaire rêverie dans >> l'ombre religieuse des cloîtres et le mélancolique silence des dor»toirs!... La postérité notera la dernière moitié du dix-huitième siècle » comme une époque de maladie pour l'esprit humain. Un homme » parut entre plusieurs autres qui sembla prendre à tâche de rassem » bler en lui toute l'inconstance et toute l'inconséquence de l'homme... » Il eut une influence prodigieuse sur son siècle : c'est à lui que >> nous devons cette funeste maxime d'éducation que tout homme » doit être propre à toutes choses, et que la même sagesse doit être » commune à tous!... Les principes de Rousseau sont incompatibles » avec toute espèce de police sociale, et les sentimens qu'il inspire sont » encore plus dangereux, s'il est possible, que ses principes... Mais » appartient-il à la patrie française, lui qui a toujours pris soigneuse» ment le titre de citoyen d'un état alors étranger à la France ?... » Le tribun Girardin crut devoir défendre la mémoire de Jean-Jacques. (Stance du 6 floréal an 10.)

grand vide ou un grave oubli. Un orateur du gouvernement, Roederer, a répondu :

« Les personnes qui observent avec intérêt l'action et le jeu des pouvoirs publics, et leurs rapports avec les institutions, ont remarqué avec satisfaction l'indépendance où celle-ci se trouve relativement à une autre institution collarale à laquelle elle était autrefois affiliée, et qui vient de renaître elle-même. Nul autre système d'enseignement public n'eût été compatible avec cette indépendance. Il eût été impossible d'établir en France des milliers d'écoles secondaires et d'y réunir tous les élèves qui ont besoin de l'instruction de cet ordre, si l'on y eût aussi enseigné la religion. L'expérience a prouvé que la plupart des pères de famille voulaient que leurs enfans fussent élevés dans les principes de leur culte, et qu'ils préféraient les écoles salariées par eux-mêmes, où l'on enseignait leur religion, aux écoles gratuites qui ne l'enseignaient pas. Mais si le gouvernement s'était chargé de la religion dans les écoles secondaires, devenues nationales, il aurait fallu remettre l'enseignement au sacerdoce des divers cultes; il aurait fallu mettre un enseignement pour chaque culte avoué par l'Etat dans chaque école; il aurait fallu en écarter les enfans dont les parens sont attachés à un autre culte. On sent assez combien de raisons détournaient d'un pareil système, et combien il eût été imprudent de l'adopter.

J

» L'instruction publique et la religion sont et doivent être deux institutions différentes, qui concourent au même but par les moyens qui leur sont propres, et qui sont loin de s'exclure mutuellement. L'instruction et la religion étaient également réclamées par l'intérêt public: la philosophie, qui rétablit l'une, a aussi rappelé l'autre, car c'est elle qui a tendu les bras à la religion; et cetie grande restauration, que quelques gens regardent comme le triomphe de l'une des deux, fait assurément la gloire de l'une et de l'autre. »

« La religion, ajouta le tribun Jard-Panvilliers, la religion, sans cesser d'être l'objet du respect des législateurs, ne doit plus être celui de leurs discussions. La tribune nationale ne doit point s'emparer du domaine de la chaire évangélique.

[ocr errors]

Le projet de loi sur l'instruction publique avait été présenté le 30 germinal, par le conseiller d'état Fourcroy. Plusieurs tribuns ont parlé pour; quelques uns sur, mais en se bornant à des remarques indépendantes de son admission; un seul, Duchesne, prononça une opinion contre. Le Tribunat, conformément à un rapport fait par Jacqueminot au nom de la section de l'intérieur, vota son adoption le 8 floréal, à la majorité de quatre-vingts voix contre neuf. Reporté au Corps législatif, ce projet fut défendu par les conseillers d'état Fourcroy et Roederer, et encore appuyé par les orateurs du Tribunat Siméon et Jard-Panvilliers. Dans la séance du 11 floréal an 10 (1or mai 1802), il obtint pour son adoption définitive les suffrages de deux cent cinquante-un législateurs ; il y eut vingt-sept boules noires.

On doit encore à la seconde session de l'an 10 l'établissement de la Légion d'Honneur. Cette délibération eut de graves résultats ; l'opposition républicaine échoua dans ses derniers efforts. Mais elle fut bientôt justifiée des superbes dédains jetés alors sur ses patriotiques alarmes : elle annonçait le retour des priviléges et des majorats; elle voyait renaître l'ambition des titres et le mépris des vertus, enfin la noblesse héréditaire; et ce malheur s'est rapidement con.sommé.

Le projet de loi portant création d'une Légion d'Honneur fut présenté au Corps législatif le 25 floréal par le conseiller d'état Roederer, et renvoyé le 27 à l'examen des tribuns (1). Dès le 28 le Tribunat entendit, par l'organe de Lucien Bonaparte, un rapport très peu développé de sa commission de l'intérieur, qui concluait à l'adoption de ce projet. La discussion s'ouvrit aussitôt : Savoye-Rollin parla contre; Fréville pour; Chauvelin contre; Carrion-Nisas pour. Le rapporteur, dans une réplique qui s'éloignait du respect dû à la liberté des opinions, insista avec chaleur pour faire triompher l'avis qu'il avait été chargé d'émettre ; (1) Le 26 était un dimanche.

et cet avis fut immédiatement confirmé par le Tribunat, à la majorité de cinquante-six voix contre trente-huit.

Les orateurs du gouvernement et ceux du Tribunat se présentèrent le lendemain devant le Corps législatif; et là, dans un discours plus médité, Lucien Bonaparte réunit son rapport et sa réplique à de nouveaux développemens, et essaya de démontrer l'indispensable nécessité d'adopter le projet de loi; la même tâche fút successivement entreprise par les conseillers d'état Roederer, Marmont et Dumas, par les tribuns Fréville et Girardin; et dans la même séance du 29 floréal (19 mai 1802), à minuit, le président du Corps législatif proclama l'adoption du projet de loi qui établissait une Légion d'Honneur. Un appel nominal avait donné pour résultat : membres présens, deux cent soixanteseize; boules blanches, cent soixante-six; boules noires cent dix. Ainsi fut obtenu, ou plutôt arraché, un acte qui devait changer le système social.

La ratification du traité d'Amiens était devenue le prétexte de ce vœu du Tribunat pour qu'il soit donné au premier consul un GAGE ÉCLATANT de la reconnaissance nationale. Mais quelle récompense allait être digne de l'arbitre de toutes les récompenses, tant civiles que militaires, enfin du chef de la Légion d'Honneur? C'est ainsi que la proposition du gage éclatant, faite par Chabot (de l'Allier), conduira le second et le troisième consul à la proposition du Consulat a vie. Ici se brise, même ostensiblement, la hiérarchie législative : des pouvoirs constitués deviennent constituans; la tribune, humiliée, n'est plus que l'organe du pouvoir; tout est déjà passé dans le cabinet du prince.

Chabot (de l'Allier) fait sa proposition le 16 floréal an 10; elle est adoptée dans la même séance. Le 18, sur la proposition de Lacépède, et considérant ce vœu du Tribunat comme celui de la nation française, le Sénat réélit le premier consul pour dix ans : cette délibération du Sénat fut prise à la presque unanimité; un seul membre, Pérignon, osa dès lors hasarder la proposition du consulat à vie, qui fut rejetée tout d'une voix. Une lettre de Bonaparte au Sé

1

nat, datée du 19, annonce que le premier consul ne fera ce nouveau sacrifice qu'autant que le peuple commandera ce qu'autorise le suffrage du Sénat. En conséquence le second et le troisième consul, de leur propre autorité, et comme si une réélection de dix années équivalait à une élection indéfinie, prennent un arrêté portant que le peuple sera consulté sur cette question: Napoléon Bonaparte sera¬til consul à vie? Le Tribunat, deux membres exceptés, Carnot et Duchesne, le Tribunat donne l'exemple; il vote sur le champ le consulat à vie.

Des registres sont ouverts dans toute la République. Trois mois s'écoulent à peine, et les second et troisième consuls font parvenir au Sénat l'expression de la volonté du peuple. Appartenait-il au Sénat de vérifier la validité des votes? Il dut se borner à n'en faire que le dépouillement. Ainsi, par un senatus-consulte du 14 thermidor, motivé sur les procès-verbaux de recencement, Bonaparte est proclamé consul à vie.

Jusque là on aurait pu s'appuyer du consentement du peuple; mais un acte monstrueux, pour lequel il ne sera pas consulté, va donner à son vœu une extension telle, que tout ce qu'il accorde à Bonaparte est garanti à l'héritier de son choix. Le 16 du même mois, le Sénat est convoqué pour midi; vers deux heures on distribue un projet de senatus-consulte qui étonne quelques membres, en effraie d'autres, et paraît à plusieurs n'être qu'un acte nécessaire. A sept heures sont introduits les conseillers d'état Régnier, Portalis et Dessoles; ils font la proposition directe de ce projet. Un rapport, rédigé d'avance, est immédiatement prononcé par Cornudet, au nom d'une commission que le Sénat avait nommée pour un autre objet. Le sénateur Lambrechts demande la parole; il combat avec chaleur des dispositions qui anéantissent tout principe constitutionnel; mais il est bientôt interrompu: les voix ont été comptées; et le Sénat proclame sans désemparer le senatus-consulte organique de la Constitution du 16 thermidor an 10. (Voyez plus loin. )

Désormais la seule lecture des discours dévoilera des menées qui sont indignes de l'histoire : elle ne voit plus

« PreviousContinue »