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L'APOLLON.

John Walker, capitaine du navire américain l'Apollon, exposait qu'une décision du Conseil, du 13 brumaire an IX, qui avait ordonné à son profit la restitution du navire et de la cargaison, dans l'état où ils se trouvaient, sans dommages et intérêts, n'avait pu encore être exécutée, d'un côté parce que les objets n'existaient point en nature et avaient été vendus irrégulièrement à très-vil prix; de l'autre, parce que l'armateur du corsaire capteur avait présenté un compte de vente, dont la plupart des articles en dépense ne pouvaient être évidemment à la charge des capturés.

En conséquence, il demandait, qu'en complétant la décision du 13 brumaire an IX, et sans s'arrêter ni avoir égard aux prétendues ventes et expéditions qui pourraient avoir été faites, Jacques Conte, armateur du corsaire, ainsi que tous autres armateurs, intéressés et cautions, fussent condamnés par corps à restituer: 1° la somme à laquelle le navire serait estimé par experts, d'après l'état où il était lors de la capture;

2o Les trois cent soixante-quinze boucauds de tabac, formant la cargaison, d'après la quantité portée au manifeste, et sur le pied de l'évaluation faite par ledit Jacques Conte, en la police d'assurance, plus les dommages et intérêts résultant du retard apporté à la restitution depuis le 5 ventôse an IX, jour de la première sommation faite.

Le CONSEIL, considérant 1° que toutes les fois que la restitution d'une prise est ordonnée purement et simplement, sans dommages et intérêts, lorsque la vente en a été faite régulièrement, le prix de cette vente légale doit tenir lieu des objets à restituer, et doit désintéresser pleinement le capturé.

2° Qu'en ordonnant la restitution au profit de John Walker, du navire l'Apollon et de son chargement, en l'état où ils se trouvent, le Conseil a clairement exprimé son intention, et que sa mission, relativement à la validité de la capture, seul objet de son institution, se trouve entièrement remplie; mais que si John Walker croit être fondé à discuter la légalité de la vente d'aucun des objets de la prise, ou à débattre tout ou partie des articles de dépense ou compte présenté par l'armateur du corsaire capteur, ces débats ne font plus partie des attributions du Conseil et doivent être portés devant les autorités compétentes; renvoie les parties à se pourvoir devant qui de droit.

CHAPITRE IV.

DES TRANSACTIONS EN MATIÈRE DE PRISES MARITIMES.

Aucun texte spécial de loi ni de règlement n'a soumis à l'examen et au contrôle du commissaire du gouvernement près le Conseil des prises, et ensuite à l'homologation du Conseil, les transactions faites en matière de prises; mais, dans des conclusions remarquables, M. Portalis a établi

que l'intérêt public exige que les transactions privées, intervenues entre les capteurs et les capturés, soient soumises au contrôle du commissaire du gouvernement et à l'homologation du Conseil, toutes les fois que ces transactions. tiennent lieu du jugement du Conseil sur la question de validité des prises. Cette doctrine est fondée sur la multiplicité des intérêts engagés dans les question des prises et sur le caractère public de ces intérêts.

<«< Il est certain, disait M. Portalis, que les équipages, le gouvernement et le public, sont essentiellement intéressés dans les affaires de prises. Les équipages ont une portion de butin; le gouvernement, qui a concédé le droit de course, s'est réservé, dans les bénéfices qui proviennent de l'exercice de ce droit, une part déterminée, qui ne peut être frauduleusement soustraite; il est encore dans le cas de veiller sur les profits ou les perceptions à faire par ses douanes. Le public a intérêt que les hommes qui compromettent leur vie, pour courir sur les ennemis de l'Etat, ne soient pas découragés par la liberté arbitraire qu'aurait un armateur de les frustrer de leur juste récompense, par des pactes simulés ou obscurs faits à leur préjudice; il a intérêt que des hommes, qui peuvent aider à porter le poids des charges de la guerre, ou qui peuvent aider, du moins en partie, à quelque ouvrage utile, ne deviennent pas le patrimoine exclusif d'un capteur avide ou de mauvaise foi; enfin, il a intérêt qu'un capteur ne puisse cacher ses procédés injustes et oppressifs, par des transactions arrachées à un malheureux capturé, et que des hostilités contraires au droit des gens, et capables de nuire au commerce, ou même de provoquer des haines de nation à nation, soient connues et ne demeurent pas impunies.

<«< Il ne doit donc pas être permis, en matière de prises, d'exécuter une transaction, sans l'attache du Conseil, le commissaire du gouvernement préalablement entendu. On argumenterait en vain de la faculté du rachat; les lois ont fixé la nature de cette faculté, ses caractères, le temps dans le

quel elle peut être exercée, et les conditions selon lesquelles elle doit l'être.

« Il est naturel à un capturé de chercher toujours à se rendre libre, s'il le peut; mais un capteur auquel le gouvernement a délégué le droit de guerre est comptable de la manière dont il remplit son mandat. Il ne peut disposer arbitrairement de ce qu'il acquiert, parce qu'il n'acquiert pas uniquement à son profit personnel; il ne devient propriétaire de sa portion, dans les effets pris, que lorsque la prise a été jugée bonne et valable. Il seconderait mal les vues de l'État, s'il relâchait des prises ennemies, et il choquerait les principes de la justice, s'il fatiguait par des rançons les sujets alliés ou neutres. L'État doit donc intervenir dans les affaires de prises, et rien ne doit être fait à son préjudice et à son insu. »

M. Portalis cite ensuite une lettre écrite le 15 septembre 1757, au nom de l'amiral, à tous les procureurs du roi près les amirautés, qui déclare les transactions faites par les armateurs en leur propre nom, attentatoires aux droits du Conseil des prises, seul compétent pour juger de la validité ou de l'invalidité des saisies faites en mer, et l'arrêt du Conseil du 7 décembre 1765, qui fait défense à tous capitaines armateurs et autres de relâcher en mer les vaisseaux de l'ennemi, et de ne faire aucune composition avec les capitaines neutres et autres, pour quelque cause, et sous quelque prétexte que ce puisse être. (Il existe toutefois une décision du Conseil d'Etat du 12 septembre 1811, qui paraît contrarier les règles ci-dessus indiquées.)

le

D'après ces principes, on voit que la règle de ne pas permettre aux corsaires de faire librement des transactions en arrivant à terre n'est qu'une conséquence de la défense de ne faire aucune rançon en mer, sans la faire valider par Conseil des prises, et que l'examen et le contrôle de ces transactions est un moyen d'assurer la police de la course, de la maintenir dans de justes limites, en même temps qu'un moyen de sauvegarder les droits des invalides de la marine et des équipages capteurs.

Cette doctrine a été complétement adoptée par l'administration de la marine, et c'est ce que rappelle, en termes formels, une décision ministérielle du 11 septembre 1809.

MINISTÈRE DE LA MARINE (5o DIVISION, BUREAU DES PRISES).

Toutes transactions, même tous désistements en matière de prises, doivent être soumis au jugement du Conseil des prisés.

11 septembre 1809.

Le MINISTRE au Consul général de France à Naples.

« J'ai reçu votre lettre du 24 du mois dernier, par laquelle vous m'annoncez l'entrée à Gaëte d'un bâtiment américain, parti de Salem en destination pour Tunis, et capturé par le corsaire le Constant. Vous demandez si dans le cas où l'armateur du corsaire consentirait à transiger avec le capitaine de ce bâtiment, ou même à faire l'abandon pur et simple de ses droits sur cette prise, dont vous regardez la confisca tion comme au moins douteuse, vous pouvez y donner les mains.

En principe, toute prise doit être jugée, et il n'est pas au pouvoir de l'armateur, qui s'en est emparé au nom du gouvernement, de la relâcher sans son intervention. D'un autre côté, la faculté indéfinie des transactions, ou même des désistements, aurait l'inconvénient de soustraire à la connaissance de l'autorité ou même aux parties intéressées à l'armement du corsaire capteur, tout ou partie des produits de la course. C'est pour éviter ces abus qu'il a été statué que nulle transaction ne pourra être exécutée avant d'avoir été homologuée par le Conseil des prises, et que même les désistements purs et simples n'auront d'effet qu'autant qu'ils auront été sanctionnés par le même Conseil.

« Ainsi, soit dans le cas de transaction, soit dans celui d'abandon pur et simple de la part de l'armateur, l'instruction relative à la prise, les pièces de bord, ainsi que les transactions ou désistements doivent m'être adressés par les consuls pour être transmises par moi au Conseil des prises, afin qu'il statue ce que de droit. »

Après avoir posé dans sa généralité la règle que toute transaction, et même tout désistement, tout abandon total d'une prise doit être soumis à la sanction du Conseil des prises, on doit se demander si cette règle, qui est surtout faite pour les corsaires, est également applicable aux bâtiments de l'Etat; mais une question préalable se présente, c'est celle de savoir si les bâtiments de l'État peuvent transiger. Un corsaire, en effet, transige, parce que, passible de dommages et intérêts en cas de mauvaise capture, il doit paralyser, autant que possible, ses chances de pertes; mais les états-majors et équipages des bâtiments de l'Etat, n'ayant

pas à courir la même chance, ne paraissent pas être investis du droit de transiger. C'est ce qu'a décidé l'administration de la marine.

MINISTÈRE DE LA MARINE (5 DIVISION, BUREAU DES PRISES).

Les équipages des bâtiments de l'Etat capteurs ne peuvent transiger et ne peuvent être représentés par un fondé de pouvoir. La loi ne reconnaît que les administrateurs de la marine comme représentants des marins, réputés mineurs.

25 juin 1810.

Le MINISTRE à M. le Commissaire principal de marine à Cherbourg.

« J'ai reçu votre lettre du 4 de ce mois, à laquelle est jointe copie de la lettre qui vous a été écrite par le sieur Troude aîné, se disant fondé de pouvoir des équipages des péniches de l'Etat, capteurs des deux navires le Henry et la Patty, concurremment avec le corsaire l'Observateur, et par laquelle il demande à intervenir dans les transactions qui pourront avoir lieu avec les capitaines de ces bâtiments.

« Relativement au navire le Henry, je ne vois plus aucun motif de le soustraire à la juridiction ordinaire et légale du Conseil des prises, et vous voudrez bien faire procéder tant à l'égard de ce navire qu'à l'égard du navire la Patty, à l'instruction prescrite par les règlements, pour ces instructions, avec les pièces de bord, m'être adressées et être par moi transmises au Conseil des prises.

« A l'égard de la demande du sieur Troude aîné, je ferai observer que les administrateurs de la marine sont seuls constitués par la loi fondés de pouvoir des équipages des bâtiments de l'Etat, et que ces administrateurs seuls peuvent stipuler pour ces marins, réputés mineurs, dans les actes relatifs à leurs intérêts et dérivant de leurs services. En supposant donc que les états-majors et équipages des bâtiments de l'Etat pussent transiger en matière de prises, le sieur Troude ne pourrait les représenter, et vous voudrez bien le prévenir qu'il ne lui sera alloué au titre des pouvoirs dont il se dit porteur, aucuns émoluments sur le produit des prises.

«Quant à la question de savoir si les états-majors et équipages des vaisseaux de S. M. peuvent transiger, il est à remarquer que ces vaisseaux sont armés aux frais de l'Etat, et que leurs équipages, salariés par l'Etat, peuvent d'autant moins transiger relativement aux prises qu'ils font en mer, que la capture étant pour eux un devoir, on ne transige point avec le devoir, et qu'ils n'ont d'ailleurs au produit des prises d'autre droit que celui qu'ils tiennent de la munificence de S. M. »

Toutefois, exceptionnellement, sous l'autorité directe du ministre de la marine, soit en vertu d'un blanc-seing qui pourrait être donné, soit en vertu de la ratification ministérielle, des transactions, ou même des désistements absolus, peuvent intervenir. Or, dans de telles circonstances, la

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