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Cette solution doit prévaloir également sous l'empire de la loi nouvelle. En effet, la contrainte est prononcée dans le jugement eu égard au montant de la dette au moment de la condamnation, et l'article 4 ne renferme qu'une règle pour le juge, règle qui le guide dans l'application de l'article 2 et dans l'exercice de la faculté que lui confère l'article 3.

Les à compte payés par le débiteur, même avant l'incarcération, sont imputables sur le tiers libératoire dont parle l'article 34, non abrogé, de la loi du 21 mars 1859.

51.

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L'article 4 ne dit les 300 francs doivent constituer un pas que principal. Il ne parle pas d'une somme principale, comme l'article 2 de la loi du 21 mars 1859, mais bien, comme l'article 5 de cette même loi, d'une somme excédant 300 francs. L'article 4 ne devait pas s'exprimer autrement. A la différence de l'article 2 de la loi de 1859, qui se référait à des dettes contractuelles, la loi de 1871 ne garantit plus que la réparation du préjudice causé par un fait unilatéral, que l'exécution des condamnations aux restitutions, aux dommages-intérêts et aux frais. En ne se servant plus de l'expression en principal, on évite une confusion dans les termes, et l'on affirme le principe de la loi. En effet, sous l'ancienne législation, le mot principal se rapportait aux condamnations autres que celles qui avaient pour objet des dommages-intérêts, lesquels étaient considérés comme un accessoire; il faisait allusion, par exemple, à la somme qui formait l'objet d'une dette contractuelle, et c'est ce qui explique la différence de rédaction qui existait entre les articles 2 et 5 de la loi du 21 mars 1859. Quant aux restitutions, qui ne sont que l'exécution de l'obligation principale, il ne faut pas oublier que notre loi ne permet plus la contrainte par corps pour l'exécution d'une convention, et que, même en cas de restitution, la contrainte par corps, en vertu de l'article 20 maintenu de la loi du 21 mars 1859, ne s'exerce effectivement que pour le payement des dommages-intérêts. (Cf. Troplong, no 221.) Mais les restitutions, les dommages-intérêts et les frais ont un caractère commun, celui d'être la réparation du préjudice causé; ce caractère commun, égal en principe dans chacun d'eux, est la raison d'être d'une exécution plus rigoureuse qui les protége (nos 15 et 27). Au point de vue du principe fondamental de la loi, ces éléments sont donc également principaux.

52.

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Il en découle une première conséquence. Les sommes allouées en vertu de l'article 20 de la loi du 21 mars 1859, les dommages-intérêts et les frais doivent être cumulés dans la supputation de la somme excédant 300 francs. Ce sont en effet des parties de la réparation d'un même préjudice.

Le principe du cumul n'est pas nouveau. C'est ainsi que Troplong, sur l'article 2065 du code civil, écrit: « Il est du reste inutile de dire que pour compléter les 300 francs, il n'est pas défendu de cumuler le principal

avec les intérêts et accessoires dus. La loi n'a pas exigé que les 300 francs fussent en totalité un principal (1). »

Or, notre article 4 est basé sur le principe de l'article 5 de la loi de 1859, lequel «< reproduit à peu près les dispositions de l'article 2065 du code civil (2). »

C'est ainsi encore que, admettant le cumul même dans le principal, le rapport à la chambre sur la loi de 1859, disait à propos de l'article 2 de cette loi : « Mais les 200 francs pourraient être la somme de différents engagements, pourvu qu'ils se rattachent à la même cause et forment une même dette (3). » Le rapport au sénat sur la même loi ajoutait : « Il y a une différence de rédaction pour ces deux hypothèses (celles des art. 2 et 5 de la loi de 1859), différence qui semble signifier que les 200 francs en matière commerciale ne comprennent que le fond même de la dette, sans les intérêts ni les accessoires, tandis qu'en matière civile, ces derniers éléments seraient compris dans les 300 francs. - Telle est l'opinion non contredite, exprimée dans le rapport de la section centrale. >>

:

C'est conformément au même principe, fondé en raison, qu'il a été décidé, déjà en 1833, qu'en cas de condamnation au profit d'un gardien, prononcée contre la partie saisie à défaut de restitution des objets par elle enlevés 1o d'une somme équivalente à la valeur des objets saisis, 2o d'une autre somme à titre de dommages-intérêts, la contrainte par corps a pu être prononcée si la réunion de ces deux sommes excède 300 francs (cass., 30 juillet 1833, aff. Roblot). Dans ce cas, les deux dettes se rattachant à une cause identique, la jonction était de droit. (Dalloz, v° Contrainte par corps, no 344.) Aujourd'hui, il faudrait ajouter à ces deux sommes, pour l'y additionner, le montant des frais et dépens. Paris, 15 mai 1868 (D. P., 1868, 2, 233); Rennes, 22 avril 1868 (D. P., 1868, 2, 160).

Non obstant les arrêts de Nancy, 18 mai 1827 (Pasic. franç., 1827, p. 755) et cass. franç, 13 décembre 1842 (ibid., 1843, 1, 82) (4). D'après ces arrêts, il serait interdit de cumuler avec le montant des dommages-intérêts, celui des restitutions, même dues par suite de dol. Mais il faut noter que l'article 126, n° 1, du code de procédure civile n'admettait la contrainte par corps en matière civile que pour dommages-intérêts, et le caractère de dommages-intérêts ne fut pas reconnu, par les arrêts

(1) TROPLONG, p. 140, no 287.

(2) Exposé des motifs de la loi du 21 mars 1859.

(3) Rapprochez CARRÉ, Lois de la procédure civile. Supplément, p. 99, question 540 bis.

(4) Dans le même sens, arrêts des cours de Pau, 24 juin 1837 et de Caen, 29 juin 1856.

ci-dessus, aux restitutions dont il s'agissait. (Voir Carré, Lois de la procédure civile, éd. du Commentaire des Commentaires, t. I, p. 557, quest. 533, 2°, et Supplément, p. 97, n° £33 bis.) Cette question d'interprétation du mot dommages-intérêts ne peut plus naître sous une législation qui autorise la contrainte par corps pour l'exécution des condamnations aux restitutions, aux dommages-intérêts et aux frais.

53. Le mécanisme de l'article 4 se comprend aisément lorsque la cause ne présente qu'un fait dommageable, un auteur du préjudice, une victime qui demande réparation. Mais l'application pourrait n'en point être aussi aisée en cas de concours de plusieurs faits, ou de plusieurs auteurs ou participants de l'acte, ou de plusieurs victimes du dommage.

Il nous paraît impossible d'admettre le cumul, en cas de concours de plusieurs faits distincts. Moins que jamais il est permis de croire, avec un arrêt de la cour d'Amiens du 16 décembre 1835, que la loi ne recherche pas l'origine de la dette, sous l'empire d'une législation qui ordonne aux tribunaux de déterminer la durée de la contrainte en tenant compte de la gravité de la faute commise (art. 5 de notre loi). Or, il est possible d'additionner mécaniquement des sommes d'argent pour arriver à une somme totale; mais on ne peut songer sérieusement à additionner des gravités pour en dégager une gravité unique. Que les divers faits aient été poursuivis et jugés en même temps ou successivement, il y a en réalité plusieurs jugements rendus chacun sur chaque fait; la seule différence consiste dans le nombre des instruments qui contiennent ces jugements.

Il faut donc admettre le principe posé par Troplong : « Toutes les fois que les sommes ne se lient pas à une même dette (à un même fait), il n'est pas permis de les additionner. Mais aussi toutes les fois qu'elles se rattachent à une cause identique (au même fait), la jonction est de droit (1). »

54. — Lorsque plusieurs personnes sont condamnées pour avoir concouru au même acte dommageable, il faut distinguer. Si les défendeurs sont déclarés solidaires, chacun d'eux devant la réparation in solidum, ils pourront tous être soumis à la contrainte, si d'ailleurs les autres conditions d'application se trouvent réunies. Mais si les défendeurs ne sont pas condamnés solidairement, « on ne peut prononcer la contrainte par corps pour des dommages-intérêts qui, au total, sont supérieurs à 300 francs, si la part de chacun n'atteint pas ce chiffre (2). »

55. Enfin, si la condamnation est prononcée au profit de plusieurs personnes, celles-ci ne peuvent additionner le montant des restitutions,

(1) TROPLONG, p. 140, nos 284 et 285. Voir aussi le n° 286 et l'extrait cité cidessus (no 52), du rapport à la chambre sur la loi du 21 mars 1859.

(2) Carré, Lois de la procédure civile, éd. du Commentaire des Commentaires, t. Ier p. 557, quest. 533, 2o. Cass. fr., 3 décembre 1827 (D. P., 1828, 1, 161).

des frais, des dommages-intérêts qu'elles obtiennent chacune pour sa part, et réclamer ou exercer collectivement la contrainte par corps. Ici encore, il y a en réalité autant de jugements distincts que de demandeurs, et la contrainte peut être accordée aux uns et refusée aux autres conformément aux articles 4 et 5.

Ainsi, dans le cas de l'article 368 du code d'instruction criminelle, l'État et la partie qui obtient gain de cause ne peuvent réunir les frais auxquels la partie succombante a été condamnée. L'article 47 du code pénal belge confirme cette solution.

Ainsi encore, d'après nous, dans le cas de l'article 133 du code de procédure civile, les dépens distraits au profit de l'avoué ne peuvent pas être ajoutés au montant des dommages-intérêts pour former la somme supérieure à 300 francs. Par la distraction des dépens au profit de l'avoué, il s'opère une distraction de condamnation, un transport judiciaire, d'une nature toute spéciale, de la créance des dépens. L'avoué du demandeur n'agit plus alors contre le défendeur en vertu de l'article 1166 du code civil. Il est devenu créancier personnel; la créance des dépens est censée n'avoir jamais appartenu au demandeur, mais avoir toujours existé à son profit. (Voy. Boitard, p. 535 et suiv.) Aussi l'article 133 du code de procédure civile dit-il : « Dans ce cas, la taxe sera poursuivie et l'exécutoire délivré au nom de l'avoué, sans préjudice de l'action contre sa partie. >>

ART. 5.

La durée de la contrainte par corps est déterminée par le jugement ou l'arrêt, d'après la gravité de la faute commise et l'étendue du dommage à réparer.

Elle ne peut excéder une année. A l'expiration du terme fixé, la contrainte par corps cesse de plein droit.

Sommaire.

56. Relation avec la législation antérieure.

57. Historique de l'article 5.

58. Législation française. Différences.

59. Portée générale de l'article 5. Exceptions: article 47 du code pénal; article 153 du code forestier, etc.

60. La durée de la contrainte par corps doit être déterminée par le jugement

ou l'arrêt. — Conséquences.

61. Quid si le jugement ne prononce pas la contrainte?

62. Quid si le jugement n'a pas fixé la durée de la contrainte?

63. Le jugement, quant à la contrainte, est toujours en premier ressort. Arti

cles 22 et 23 de la loi du 21 mars 1859.

64. Peut-on la demander pour la première fois en appel?

65. La loi sur la contrainte par corps est d'ordre public.

66. Le juge peut-il prononcer d'office la contrainte par corps?

67. Il peut, d'office, accorder, dans certains cas, un sursis à l'exécution de la contrainte par corps. Article 21 de la loi du 21 mars 1859.

68. Éléments d'après lesquels se détermine la durée de la contrainte par corps. 69. Le maximum de temps est fixé à une année. Exceptions: article 47 du code pénal; article 153 du code forestier, etc.

70. Le créancier peut exercer la contrainte pendant toute la durée fixée par le jugement. Exceptions: articles 26 et 34 de la loi du 21 mars 1859. Exemptions.

71. Aucun minimum n'est déterminé. Exceptions: articles 47 du code pénal; article 153 du code forestier, etc.

72. La loi ne s'occupe pas, in terminis, de l'élargissement pour cause d'insolvabilité. Article 47 du code pénal. — Code forestier, etc.

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COMMENTAIRE.

56. D'après l'article 37 de la loi du 21 mars 1859, l'emprisonnement pour dette ne pouvait, en aucun cas, durer plus de cinq ans ; après l'expiration de ce terme, il cessait de plein droit. En matière civile, commerciale, de deniers et d'effets publics et contre les étrangers, le créancier pouvait, s'il le jugeait à propos, épuiser ce maximum (1), sans que le juge eût le droit de fixer la durée de la contrainte. En matière répressive, lorsque la condamnation prononcée n'excédait pas 300 francs en principal, la durée de la contrainte par corps était fixée par l'arrêt ou le jugement, dans les limites de huit jours à un an. Au-dessus de 300 francs, la loi du maximum de la durée reprenait son empire (art. 37 et 42 de la loi du 21 mars 1859; art. 46 du code pénal belge). Toutefois, d'après l'article 47 du code pénal, « en ce qui concerne la condamnation aux frais prononcée au profit de l'Etat, la durée de la contrainte sera déterminée par le jugement ou l'arrêt, sans qu'elle puisse être au-dessous de huit jours, ni excéder six mois. Néanmoins, les condamnés qui justifieront de leur insolvabilité suivant le mode prescrit par le code d'instruction criminelle, seront mis en liberté après avoir subi sept jours de contrainte. »>

L'article 7 de la loi de 1871 maintient la disposition de l'article 47 du code pénal; l'article 5 déroge à toutes les autres dispositions que nous venons de rappeler.

(1) Sauf dans le cas de l'article 34 de la loi du 21 mars 1859, que notre loi a conservé (voy. n° 70), et sauf encore, sous l'empire de la loi de 1859, le cas de l'article 35 que notre loi n'a pas maintenu (voy. no 72).

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